Le concept de nation est né du concours d’éléments communs comme l’histoire, la langue, la culture, les us et coutumes, les lois, les institutions et d’autres facteurs ayant trait à la vie matérielle et spirituelle des communautés humaines.
Bolàvar, pour la liberté desquels il écrivit les grands exploits qui en firent leur libérateur, avait appelé les peuples d’Amérique à créer « la plus grande nation du monde, moins par son étendue et ses richesses que par sa liberté et sa gloire ».
Antonio José de Sucre livra à Ayacucho l’ultime bataille contre l’empire qui avait converti une grande partie de ce continent en propriété royale de la couronne espagnole pendant plus de trois cents ans.
C’est cette même Amérique que, des dizaines d’années plus tard et alors que l’Empire yankee flambant neuf en avait déjà tailladé une partie, José Martà baptisa : Notre Amérique.
Il faut rappeler une fois encore qu’avant de tomber au champ d’honneur pour l’indépendance de Cuba, ce dernier bastion de la couronne espagnole en Amérique, il avait écrit le 18 mai 1895, à peine quelques heures avant sa mort, d’une manière prophétique : « …empêcher à temps, par l’indépendance de Cuba, que les États-Unis ne s’étendent dans les Antilles et ne retombent, avec cette force de plus, sur nos terres d’Amérique. Tout ce que j’ai fait à ce jour et tout ce que je ferai, c’est pour cela. »
Aux États-Unis, où les Treize Colonies récemment libérées ne tardèrent pas à s’étendre en désordre vers l’Ouest en quête de terres et d’or, exterminant les autochtones, pour déboucher sur les côtes du Pacifique, les États agricoles du Sud, exploiteurs d’esclaves, qui faisaient concurrence aux États industriels du Nord, exploiteurs du travail salarié, s’efforcèrent de créer d’autres États pour défendre leurs intérêts économiques.
En 1848, ils arrachèrent au Mexique plus de la moitié de son territoire à la suite d’une guerre de conquête contre un pays plus faible sur le plan militaire, occupant sa capitale et lui imposant des conditions de paix humiliantes. Le territoire ainsi retranché contenait de grandes réserves de pétrole et de gaz qui commenceraient plus tard à alimenter la richesse des États-Unis pendant plus d’un siècle et continuent en partie de le faire.
Le flibustier yankee William Walker, encouragé par la « destinée manifeste » que son pays avait proclamée, débarqua en 1855 au Nicaragua dont il se proclama président jusqu’à ce qu’il soit expulsé, l’année suivante, par les Nicaraguayens et d’autres patriotes centraméricains.
Notre Héros national se rendit compte que l’avenir des pays latino-américains était mis en pièce par le jeune Empire étasunien.
Après sa mort au combat, celui-ci débarqua militairement à Cuba quand l’armée espagnole était déjà vaincue.
Et le puissant voisin nous imposa l’amendement Platt, qui lui octroyait le droit d’intervenir dans notre pays.
L’occupation de Porto Rico, qui dure maintenant depuis cent onze ans, même si l’île est devenue aujourd’hui un prétendu « Etat libre associé » - en fait, ni Etat ni libre - fut une autre des conséquences de cette intervention militaire.
Le pire pour l’Amérique latine était encore à venir, confirmant les prémonitions géniales de Martà. L’Empire en plein essor avait déjà décidé que le canal appelé à unir les deux océans ne passerait pas par le Nicaragua, mais par le Panama, si bien que cet isthme, cette Corinthe dont avait rêvé Bolàvar comme la capitale du plus grande République au monde, serait une propriété yankee.
Et pourtant, les pires conséquences allaient survenir tout au long du XXe siècle. S’appuyant sur les oligarchies politiques locales, les États-Unis s’emparèrent peu à peu des ressources et de l’économie des pays latino-américains ; multiplièrent leurs interventions ; firent passer sous leur coupe leurs forces militaires et leurs polices ; leurs transnationales s’emparèrent des productions et des services clefs, des banques, des compagnies d’assurances, du commerce extérieur, des chemins de fer, des compagnies maritimes, des entrepôts, des services d’électricité et de téléphone et d’autres : tout passa entre les mains dans une plus ou moins grande mesure.
La profondeur des inégalités sociales fit éclater, il est vrai, la révolution au Mexique dans la seconde décennie du XXe siècle, laquelle fit une source d’inspiration pour d’autres pays. La Révolution fit avancer le Mexique dans de nombreux domaines. Mais ce même Empire, qui avait dévoré hier une grande partie de son territoire, dévore aujourd’hui d’importantes ressources naturelles encore restantes, sa force de travail bon marché, et lui fait même verser son sang.
L’Association de libre-échange d’Amérique du Nord (ALENA) constitue l’accord économique le plus brutal imposé à un pays en développement. Pour faire bref, je dirais simplement que l’administration étasunienne vient d’affirmer : « Alors que le Mexique a essuyé un double coup, non seulement à cause de la chute de son économie mais aussi sous les effets du virus A H1N1, nous souhaiterions probablement que son économie soit plus stabilisée avant d’engager de longues discussions sur de nouvelles négociations commerciales. » Bien entendu, elle ne dit mot du fait que, par suite de la guerre déclenchée par le trafic de drogues et dans le cadre de laquelle le Mexique utilise trente-six mille soldats, presque quatre mille Mexicains ont déjà été tués en 2009. La drogue ne provoque pas seulement des problèmes de santé : elle engendre la violence qui déchire le Mexique et l’Amérique latine à cause de l’existence d’un marché insatiable : les USA, source inépuisable des devises grâce auxquelles la production de cocaïne et d’héroïne est poussée à la hausse, territoire d’où viennent les armes utilisées dans cette guerre féroce mais dont les médias parlent peu.
Ceux qui meurent, depuis le Rio Grande jusqu’aux confins d’Amérique du Sud, sont des Latino-Américains. Ainsi, la violence générale bat des records de morts, au point que les victimes en Amérique latine dépassent cent mille par an, essentiellement fruits des drogues et de la pauvreté.
Cette guerre contre les drogues, l’Empire ne la mène pas à l’intérieur de ses frontières : il la livre sur les territoires latino-américains.
On ne cultive ni la feuille de coca ni le pavot dans notre pays. Nous luttons efficacement contre ceux qui tentent d’y introduire des drogues ou de l’utiliser comme point de transit, et les indicateurs de personnes mourant pour cause de violence se réduit d’année en année. Nous n’avons pas besoin de ce fait de soldats yankees.
La lutte contre les drogues n’est qu’un prétexte pour établir des bases militaires sur tout le continent. Depuis quand les bâtiments de la IVe Flotte et les avions de combat modernes servent-ils à combattre les drogues ?
Le vrai objectif est le contrôle des ressources économiques, la domination des marchés et la lutte contre les changements sociaux. A quoi bon rétablir cette flotte, démobilisée voilà plus de soixante ans à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, alors que l’URSS ni la Guerre froide appartiennent au passé ? Les arguments avancés pour justifier l’établissement de sept bases aéronavales sont une insulte à notre intelligence !
L’Histoire ne pardonnera pas à ceux qui commettent cette félonie contre leurs peuples, ni à ceux qui prétextent de l’exercice de la souveraineté pour sanctionner la présence de troupes yankees ? De quelle souveraineté parlent-ils donc ? De celle que conquirent Bolàvar, Sucre, San Martàn, O’Higgins, Morelos, Juárez, Tiradentes, Martà ? Aucun d’eux n’aurait jamais accepté un argument si condamnable pour justifier la concession de bases militaires aux forces armées des USA, un Empire plus dominateur, plus puissant et plus universel que les couronnes de la péninsule ibérique.
Si, par suite de ces accords promus de manière illégale et inconstitutionnelle par les États-Unis, n’importe quelle administration utilisait ces bases, comme le firent Reagan avec sa sale guerre et Bush avec celle d’Iraq, pour provoquer un conflit armé entre deux peuples frères, ce serait là une grande tragédie. Le Venezuela et le Colombie ont vu le jour ensemble dans l’histoire de Notre Amérique après les batailles de Boyacá et de Carabobo livrées sous la direction de Simón Bolàvar. Les forces yankees pourraient aussi promouvoir une sale guerre comme elles le firent au Nicaragua, voire employer des soldats étrangers entraînés par elles et attaquer un pays. Mais il est difficile de croire que le peuple colombien, combatif, courageux et patriote se laissera entraîner dans une guerre contre un peuple frère comme le peuple vénézuélien.
Les impérialistes se trompent s’ils sous-estiment aussi les autres peuples latino-américains. Aucun d’eux n’est d’accord avec leurs bases militaires, aucun d’eux ne manquera de se solidariser avec n’importe lequel qu’ils attaqueraient.
Martà, qui admirait extraordinairement Bolàvar, ne se trompait pas quand il avait affirmé : « Ainsi donc, Bolàvar est là dans les cieux d’Amérique, vigilant et imposant… les bottes de campagne encore aux pieds, car ce qu’il n’a pas fait lui-même n’est toujours pas fait à ce jour : Bolàvar a encore à faire en Amérique. »
Fidel Castro Ruz
Le 9 août 2009