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Siddarth : un néo-réalisme à l’indienne.

Certes la rentrée n’a pas encore eu lieu, et la minceur de l’Officiel des Spectacles relève encore du régime d’été ; mais on se demande si, il y a 10 ou 15 ans encore, les programmes d’été au cinéma étaient aussi désolants. Toutefois, dans ce désert culturel, il y a (presque) toujours une surprise, voire un miracle : cette semaine, c’est Siddarth, de l’Indo-Canadien Richie Mehta.

Qui disait que tout bon roman (ou film) est toujours soit une Iliade, soit une Odyssée ? Siddarth fait partie du genre Odyssée. Ulysse, pour retrouver Pénélope et Télémaque, sillonne la Méditerranée, Mahendra, pour retrouver son fils Siddarth disparu, sillonne les rues de Delhi et Bombay. La formule présente deux avantages : c’est un film choral, qui nous plonge dans la vie quotidienne des petites gens, et c’est un modèle de catharsis, où la vie de tout un peuple, qui continue malgré ses souffrances, permet de faire accepter (sans recours à un happy end) un malheur individuel.

Mahendra est réparateur ambulant de fermetures éclair : c’est la bonne idée de base du film. Tout bon film se fonde sur une situation concrète, à la fois simple, originale et réaliste ; ainsi Raining Stones, de Ken Loach, part de la volonté d’un ouvrier au chômage d’offrir une belle robe à sa fille pour sa communion. Entraîné dans les rues populeuses de Delhi au gré des interventions techniques de Mahendra, le spectateur entre en contact avec une Inde au quotidien, aussi éloignée d’un misérabilisme à la Mère Teresa, que des situations spectaculaires de Slumdog Millionnaire, ou des grands fleuves sacrés. Dans une séquence balzacienne, le réalisateur établit même le budget de la très modeste famille de Mahendra : une grande partie de ses gains part en fournitures, et la famille ne peut pas économiser plus de 20 roupies [à peu près 25 centimes d’euro !] par jour.

C’est pourquoi Mahendra décide d’envoyer son fils de 12 ans travailler dans l’usine d’un lointain cousin, à des centaines de km. Mais Siddarth ne rentre pas à la date convenue : Mahendra va alors utiliser son métier pour mener l’enquête sur sa disparition – enquête sauvage, bien sûr, puisqu’elle consistera à interroger au hasard ses clients. La fracture informatique se manifeste alors de façon dramatique : le clic instantané d’une cliente sur son portable lui donne la réponse qu’il cherchait depuis des jours : où se trouve Dongri ? Mais ce centre où une légende urbaine veut qu’atterrissent les enfants enlevés est une fausse piste, et, à la vue des foules qui se bousculent dans les rues de villes interminables, le spectateur soupçonne que l’enquête ne peut aboutir.

Pourtant, c’est cette enquête elle-même qui va permettre à Mahendra de se reconstruire : la solidarité s’exerce sans cesse entre défavorisés (ainsi, après une nuit dans la rue, un jeune vendeur lui offre un thé) et il prend conscience de la misère et des injustices qui sont la situation normale dans la société : les gamins des rues essaient de répondre à ses questions sur le sort possible de Siddarth, mais l’un d’eux, dans un élan de désespoir, s’écrie : "Il a peut-être eu de la chance et il a quitté ce monde."

Aussi, même si le film maintient le suspense jusqu’au bout, à partir d’un certain point, le véritable enjeu n’est plus le sort de Siddarth, mais celui de Mahendra (va-t-il surmonter l’épreuve ?) et en même temps la réaction du spectateur (va-t-il accepter la vérité ?).

Le réalisateur montre autant de délicatesse que de dextérité en nous accompagnant, Mahendra et nous, vers l’acceptation, à travers diverses étapes qui montrent la décomposition physique et mentale de Mahendra, jusqu’à son bouleversant dialogue par téléphone avec son père, où le quasi-quadragénaire demande en pleurant : "Papa, que dois-je faire ?"

La dernière séquence le montre repartant obstinément, le matin, dans les rues, pour gagner la vie de la famille, et se fondant dans la foule de la grande ville laborieuse, image d’espoir malgré tout, qui rappelle le dénouement du Voleur de Bicyclette.
Comme dans Le Voleur de bicyclettes, du reste, il manque peut-être à ce film constat de reposer sur une analyse économique et politique. Les enlèvements d’enfants sont monnaie courante en Inde, et, dès le début, un personnage indique les scénarios les plus probables : enfants enlevés pour la mendicité, le travail forcé, la prostitution, ou le trafic d’organes (hé ! oui, les transplantations ont généré toute une effroyable industrie, ainsi, aussi, en Colombie ou dans le Kosovo de l’UCK). Mais il n’y aura ni analyse ni dénonciation explicite. La seule critique est faite par la policière, personnage positif dans le film, contre les parents ; "Vous n’apprendrez donc jamais ! Les enfants doivent aller à l’école, et non travailler. Et l’Etat prend en charge tous les frais." Ce qui ressemble à une petite séquence de pub pour le progressiste Parti du Congrès, remercié, pour sa corruption entre autres, aux dernières élections.

Seulement, l’interdiction légale du travail des enfants e la scolarité gratuite et obligatoire n’ont aucune incidence sur la misère qui oblige les parents à compléter leurs revenus par le salaire d’un enfant.

Malgré cette réserve, Siddarth est un beau film, plein d’humanité, porté par un acteur qui, malgré sa belle stature, incarne bien la fragilité, mais aussi la ténacité, du héros et du petit peuple indien ; c’est aussi un film qui refuse aussi bien le pittoresque et l’émotion facile que le désespoir, et qui accompagne le spectateur vers une compassion lucide et constructive.

Rosa Llorens

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