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Sept mythes sur Bradley Manning (The Nation)

Ajourd’hui débute le procès devant une cour martiale du soldat Bradley Manning, la source de WikiLeaks au sein de l’armée américaine. Parce que Manning a été arrêté il y a plus de trois ans, les médias du monde entier ont déjà beaucoup écrit sur le jeune soldat originaire de Crescent, dans l’Oklahoma. Et même si les articles de presse ont souvent rapporté des faits exacts (il a 25 ans, a été déployé au FOB Hammer dans le désert de Madâ’in Qada, il mesure 1m57), la plupart des articles ont abordé les grandes questions de cette affaire qui s’entremêlent sans le moindre remise en contexte ou perspective, conduisant à toutes sortes d’erreurs fondamentales et de distorsions, par exemple, que les fuites auraient été classées « top secret » ; que WikiLeaks serait dans une quête « utopique » de « transparence totale », que Manning a fait ce qu’il a fait non pas pour des raisons politiques mais pour des raisons psychologiques (ou sexuelles !). Comme le procès devant la cour martiale de Manning durera les trois ou quatre prochains mois à Fort Mead, on peut parier que les média continueront à publier les mêmes distorsions fantaisistes. Alors, pour le coup d’envoi de la couverture du procès sur ce blog pour The Nation, voici une excursion rapide de démystification à travers les fourrés du folklore qui entourent cette affaire.

Tout d’abord, il est régulièrement affirmé ou sous-entendu que Manning a déclassifié les rapports de terrain et les câbles diplomatiques parce qu’il est cinglé, ou parce qu’il est gay, ou parce que c’est un gay cinglé. En réalité, la motivation de Manning était expressément politique : « Je veux que les gens voient la vérité… peu importe qui ils sont… parce que sans information, le public ne peut pas prendre de décisions éclairées ». Les gens peuvent ne pas être d’accord avec les conséquences des fuites de Manning mais sa motivation pour déclassifier des documents est clairement indiquée et cela n’a rien à voir avec sa santé mentale ou sa sexualité. Pour Ethan McCord, ancien soldat d’infanterie, (qu’on aperçoit à travers le viseur de la caméra de l’hélicoptère dans la vidéo « Collateral Murder » en train de secourir des enfants du fourgon criblé de balles), l’obsession médiatique sur la sexualité de Manning « efface l’action politique de Manning ».

Autre calomnie courante, Mythe #2, Bradley Manning et Wikileaks sont « utopistes », probablement le pire insulte de langue anglaise, porteur de connotations d’extrémisme et d’intolérance doublés de naïveté, ou « idéalistes », ce qui est presque aussi négatif. Mais que y a-t-il « d’utopique » à déclassifier moins de 1% de ce que Washington classifie en une année donnée (92 millions de documents au dernier décompte) ? Les fuites de Manning, bien qu’étant la plus grande faille de sécurité dans l’histoire des Etats-Unis, ne nous ont pas rapprochés du précipice de la « transparence totale », un objectif mythique que ni Manning ni WikiLeaks n’ont jamais appelé de leurs vœux ni même mentionné. L’acte du jeune soldat doit être plutôt perçu comme une démarche concrète, défensive contre les niveaux de secrets cauchemardesques du gouvernement – encore une fois, le matériel classifié que Manning a fuité est inférieure à 1% des 92 millions de documents que Washington déclare annuellement comme secrets d’Etat. (Selon le propre bureau de surveillance pour la sécurité de l’information du gouvernement fédéral, le coût annuel de toute cette classification est d’environ 11 milliards de dollars).

Comme corollaire (Mythe #3), Wikileaks est « anti-américain », peut-être parce que, manifestement, ils désapprouvent l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis – mais cette opinion est partagée par une écrasante majorité d’Américains. La lettre de mission de WikiLeaks cite Jefferson et les Décisions de la Cour Suprême de Décisions – un genre étrange d’anti-américanisme – et leur idéologie de libéralisme classique hi-tech vient tout droit de la Silicon Valley. Une fouille dans les déclarations publiques (et privées) de Manning et de WikiLeaks ne révèle aucun parti-pris contre les Etats-Unis.

Sur le plan des faits, il y a cette affirmation fausse et communément admise, Mythe #4, que Bradley Manning a fuité du matériel « top secret ». C’est vrai que Manning a bénéficié de l’habilitation de sécurité top-secret, une distinction qu’il a partagée avec 1,4 millions d’autres personnes autorisées à accéder aux cotes de sécurité de niveau secret. (Et comment, soit-dit en passant, peut-on qualifier de secret une information accessible à une population équivalente de celle de l’état du Vermont et du Dakota du nord réunis, une population plus large que toute la population de Washington DC elle-même ?). Il se trouve que pas un seul document déclassifié par Manning n’avait un statut « top-secret ». Plus de la moitié des câbles diplomatiques n’ont aucune classification, ni même la tristement célèbre vidéo de l’hélicoptère Apache montrant l’assassinat d’une douzaine d’Irakiens et des deux journalistes de l’agence de presse Reuters.

Bien que le gouvernement américain n’ait endossé que très peu de responsabilité pour les centaines de milliers de morts de civils irakiens ces dix dernières années, il est souvent supposé (Mythe #5) que les fuites de Manning ont provoqué la mort de personnes ou au moins nui aux intérêts de l’Amérique. Mais en l’espace de trois ans depuis que ces fuites sont sorties, il n’existe aucune preuve d’un seul civil ou d’un seul soldat ou même d’un seul espion qui auraient été agressés suite à la publication de ces documents. (J’ai écrit plus en détail pour le site TomDispatch sur ces accusations portées contre Manning et Wikileaks qui auraient « du sang sur les mains », accusations portées par les partisans les plus vociférants de la guerre en Irak et en Afghanistan) Oui, deux ambassadeurs ont été rappelés de pays d’Amérique Latine mais on est loin de l’Armageddon diplomatique dont la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton nous avait menacé.

Une accusation très différente (Mythe #6), et également fausse, est que les fuites de Manning sont insignifiantes. En fait, les fuites ont joué un rôle modeste mais significatif dans la révolution tunisienne et elles ont empêché le déploiement de troupes américaines en Irak, devenues de plus en plus indésirables. Les documents déclassifiés ont fourni des centaines sinon des milliers de récits à la Une des principaux journaux et magazines de Berlin à New Dehli en passant, eh oui, par Washington. Si les fuites de Manning ont été « insignifiantes », alors tous les journalistes devraient aspirer à publier de telles bagatelles.

Le mythe fondamental derrière tout cela, sa Genèse 1:1 et le Mythe #7, c’est que la connaissance nous met en danger et que l’ignorance nous apportera la sécurité. On n’insistera jamais assez sur le fait que la débâcle humanitaire et de l’armée américaine en Irak n’aurait jamais été possible sans les niveaux de secrets extrêmes du gouvernement, de distorsions et même de mensonges. On pourrait dire la même chose sur nos guerres encore plus catastrophiques en Asie du Sud-Est, il y a une génération et demie - les niveaux cauchemardesques des secrets d’Etat entraînent un coût sanglant (et économique) très élevé, pour les Etats-Unis mais aussi, et à un niveau infiniment plus élevé, pour les pays que nous envahissons. Il ne faut pas s’étonner alors que les principales décisions de politique étrangère finissent en catastrophes et échouent quand elles sont prises en l’absence d’informations essentielles.

Voilà les mythes qui ont tellement déformé la couverture médiatique sur Bradley Manning et WikiLeaks – et continueront à le faire au fur et à mesure que progressera le procés en août et septembre jusqu’à sa conclusion inévitable.

Chase Madar

Source : http://www.thenation.com/blog/174622/seven-myths-about-bradley-manning

Traduction : Romane.

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