Re(ma)niements

Le « nouveau » gouvernement, issu du remaniement ministériel annoncé ce mercredi 2 avril, pose un problème du rapport de la forme et du fond. Que ce problème soit à ce point évident que nombre de commentateurs l’évoquent est un symptôme de la crise de démocratie que nous connaissons aujourd’hui.

Ce gouvernement a une apparence…

Dans la forme, ce gouvernement pourrait laisser espérer un changement de politique. Certes, il y a une (grosse) dimension de jeu des chaises musicales, avec seulement deux entrants. Certes, il y a eu beaucoup de dosage et un gros souci de préserver les équilibres internes au Parti Socialiste et l’on comprend que, derrière les coups de menton et les déclarations tonitruantes, le gouvernement de Manuel Valls est en réalité plus proche de la IVème République que de la Vème. Il n’en reste pas moins que, sur le papier, ce gouvernement est intéressant. Après tout, la dimension de volontarisme politique et économique est bien mise en évidence par la présence non seulement d’Arnaud Montebourg à un porte-feuille renforcé, la promotion de Benoît Hamon, mais aussi la présence de Mme Ségolène Royal. On peut aussi remarquer que le Premier ministre avait en son temps longuement hésité à approuver le projet de Traité Constitutionnel, et n’avait voté « oui » au référendum de 2005 que par « discipline de Parti ». Son ministre des Affaires Étrangères, M. Laurent Fabius avait quant à lui voté « Non », ainsi qu’Arnaud Montebourg et Benoît Hamon. Il est donc vrai que, sur le papier, on peur considérer que ce gouvernement est bien préparé à la négociation.

C’est même pourquoi il a donc été constitué. On va donc (et l’on a commencé dès mercredi 2 avril) à nous « vendre » ce gouvernement comme un gouvernement de combat par rapport à Bruxelles qui, soit dit en passant avec le départ de Pierre Moscovici, devient de plus en plus un dépotoir pour Ministres remerciés… Il faudrait donc inventer un néologisme, ne plus dire « limoger [1] » mais « bruxelliser ». C’est l’un des paradoxes actuels de la politique française qui veut que plus on est soumis aux différentes décisions de l’Union Européenne plus ces institutions ne servent qu’à recaser les bras cassés. Chacun appréciera, à sa façon, ces pratiques.

D’ailleurs, le Ministre des Finances, dont le portefeuille est désormais séparé de celui de l’Économie, M. Michel Sapin, a tout de suite affirmé qu’il irait « négocier » le rythme de retour aux grands équilibres avec la Commission. Mais, en réalité, on voit bien qu’après quelques joutes verbales relevant plus de la posture que du fond, après l’obtention de quelques miettes tout au plus, le gouvernement s’inclinera. D’ailleurs, Bruxelles peut agiter d’autres dossiers, et ne manquera pas de la faire : qu’il s’agisse du statut de la RATP et de la SNCF ou de ce que l’on prétend être des « subventions indues » de la Poste… S’il était question de réellement négocier avec Bruxelles, ce gouvernement, et le Président, commencerait par construire un rapport de force, par exemple en indiquant ce qui se passerait si la France n’obtenait pas satisfaction.

Mais il a une réalité…

En fait, derrière les mots il y a une réalité : ce gouvernement n’est là que pour la mise en scène, le spectacle. Il va s’agiter (faisons confiance pour cela à Manuel Valls) tandis que va se mettre en place un « pacte de responsabilité » qui se traduira par un démantèlement un peu plus poussé de la sécurité sociale pour des avantages tout à fait marginaux pour les entreprises. On parlera beaucoup du nouveau « pacte de solidarité » évoqué par le Président de la République dans son allocution du lundi 31 mars. Mais, compte tenu de l’ampleur des économies que l’on se propose de faire, pas moins de 50 milliards d’euros, on peut franchement douter qu’il soit autre chose qu’un leurre. Et, dans la réalité, c’est bien de cela qu’il s’agit. Il faut leurrer les Français, pour les élections européennes et même après, leur faire prendre les vessies de la politique austéritaire pour les lanternes d’une politique de lutte contre le chômage qu’ils ont pourtant appelé de leurs vœux en votant, et même en ne votant pas, aux élections municipales.

Ce gouvernement va donc chercher à nous faire croire qu’il est critique par rapport à l’Europe, voire qu’il serait peut-être même eurosceptique. Balivernes ! La vérité est que le Président est incapable de penser en termes d’un rapport de force. Nous le savons depuis l’élection de 2012. S’il avait voulu, comme il le prétendait à l’époque « renégocier » ce qui devint le TSCG, ce que l’on appelle le Pacte Budgétaire Européen ou le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance, il aurait procédé à un référendum et ce serait appuyé sur son résultat pour négocier. Mais, c’était prendre le risque d’une rupture européenne, ce dont il ne voulait, et ne veut encore, à aucun prix. Il a donc su se présenter à Bruxelles en position de faiblesse, la tête sur le billot, et n’a obtenu qu’un ridicule codicille dont nous pouvons mesurer depuis 18 mois toute l’inanité. Bien entendu, il arrive que la France obtienne sur des points mineurs quelques satisfactions. Mais, elles sont rapidement vidées de leur sens par des mesures européennes ultérieures.

L’enjeu démocratique.

C’est là que gît le problème politique. Non pas tant dans le sens donné à la politique du pays, même si cette politique est suicidaire, même si la seule solution – et chaque jour des voix nouvelles le reconnaissent et la réclament[2] – serait une sortie de l’Euro. Ce point a déjà été largement développé sur ce carnet, et dans un livre datant de 2012[3]. Le point est essentiel, et une sortie de l’Euro est la condition nécessaire tant pour une relance immédiate de l’économie française que pour un changement d’orientation bien plus général, mais ce n’est pas ici celui qui nous occupe. Le problème politique vient de ce qu’un Président choisisse consciemment d’avancer masqué sur un point absolument essentiel de la politique du pays, et qu’il se soit trouvé 8 femmes et 8 hommes, dans ce gouvernement, pour être connivents de cette pratique. Que François Hollande soit intimement persuadé que les mérites supposés et potentiels de l’Euro l’emportent sur ses inconvénients bien réels est son droit. Qu’il pense que pour sauver l’Euro il faut infliger à la France, et aux pays de l’Europe du Sud une dramatique austérité qui brise leur économie et qui condamne des millions de personnes au chômage et à la misère est son droit. Qu’il pense qu’une structure technocratique, la Commission européenne, est plus à même de décider des orientations économiques que le Parlement français est son droit. Mais, son honneur d’homme politique voudrait qu’il défende ses orientations en pleine lumière. Au-delà de la question d’honneur personnel, il y a un principe intangible de la démocratie. Celle-ci suppose que, de manière récurrente, il soit procédé à des vérifications par l’intermédiaire d’un vote. Ce vote ne porte pas sur des personnes, mais sur des politiques, même si ces dernières s’incarnent, bien entendu, dans des femmes et des hommes, à la condition qu’ils prennent et assument leurs responsabilités. Or, rien de tout cela n’est mis en place. Avec un gouvernement-leurre, on cherche sciemment à tromper les Français, et ce faisant on brise le cadre même de la démocratie.

Tel est le reproche que l’on doit faire au Président de la République, et à son Premier Ministre. Qu’ils ne soient, ni l’un ni l’autre des hommes de gauche n’est pas en question. Ils ont tout à fait le droit d’avoir leur conviction et leurs opinions ; ils ont même en réalité le devoir de les défendre si l’on pense que la démocratie est, justement, une bataille de convictions. Mais, ce dont ils n’ont pas le droit, c’est de tromper le peuple souverain, c’est de se réfugier dans ces formules profondément anti-démocratiques de « pédagogie » et de « déficit d’explication » pour outrepasser leurs échecs électoraux. Ils auront beau se lamenter sur l’abstention et la crise de la démocratie, ils en sont à la source, ils en sont l’origine même. C’est par leur pratique haïssable de la politique qu’ils détruisent pierre à pierre l’édifice qui s’est construit depuis 1789 et qui fut, de multiples fois, refondé, la dernière étant par la Résistance et lors de la libération du territoire en 1944, il y aura cette année soixante-dix ans.

Ils attirent sur leur tête, et sur les nôtres par voie de conséquence, la foudre du désordre civil et de l’insurrection. Qu’ils cessent de s’étonner du climat de guerre civile froide qui règne aujourd’hui en France : ils en sont la cause. L’alliance d’une crise de légitimité et de pratiques manipulatrices à grande échelle, combinées à des injustices sociales criantes, est le chemin le plus court et le plus sur vers des révoltes de grande ampleur, et à terme vers une révolution. Il nous reste peu de temps pour tenter d’éviter les désordres qui immanquablement accompagneront une telle issue. Il faudra pour cela sanctionner à nouveau, et avec toute la force et la détermination possible, ce gouvernement lors des élections européennes du 25 mai prochain.

Jacques SAPIR

[1] Expression qui date du premier conflit mondial où, en 1914, le maréchal Joffre assigna à résidence des généraux et des officiers d’état-major qu’il avait relevés de leur commandement et dont l’incompétence était trop criante…

[2] Comme par exemple quatre journalistes économiques, Franck Dedieu, Benjamin Masse-Stamberger, Béatrice Mathieu et Laura Raim. Casser l’euro pour sauver l’Europe, Les liens qui libèrent, Paris, 232p.

[3] Sapir J., Faut-il sortir de l’Euro ?, Le Seuil, Paris, 1992.

 http://russeurope.hypotheses.org/2171

COMMENTAIRES  

03/04/2014 22:15 par Feufollet

Chaises musicales et chaises conjugales
C’était pas le 1er avril, c’était le 2ème avril
Il y a longtemps que le jour des farces n’a plus de dates
Les clownesqueries politiques et médiatiques nous y ont habitués quotidiennement
Les limites de la décence politique sont repoussées à chaque circonstance
Je, Tu, Il, Elle, Nous, Vous, Ils et Elles !
Sommes gouvernés(es) par des clowns
J’en arrive encore à préférer la tristesse du clown Normal 1
A la joie feinte du clown précédent
Mais qui donc articule ce cirque ?

Le capitalisme libéré n’a pas de noms
Il est dilué dans l’anonymat de chacun
Mais il y en a qui son plus chacuns que d’autres
Disais un clown drôle

En démocratie, Le Cirque politique appartient au peuple
Mais le peuple n’a pas le temps de s’en occuper
Il est trop occupé à écouter les médias qui s’en occupent

03/04/2014 22:19 par CN46400

"même si la seule solution – et chaque jour des voix nouvelles le reconnaissent et la réclament[2] – serait une sortie de l’Euro."

Je ne suis pas d’accord avec Sapir pour tout expliquer par l’euro. Sortons de l’euro et tout ira mieux, mais çà va tellement mieux là où l’euro n’existe pas ? Poser la question c’est trouver la réponse : NON

La zone euro n’est pas malade de l’euro, elle est malade de la domination de la bourgeoisie financière, si avide de profits qu’elle cherche, par tous les moyens, à faire baisser le niveau de vie des prolos ouest-européens. L’euro est géré en fonction de ces objectifs, et il en serait de même si un néo-franc prenait, sans renversement politique, la suite. Je préfère, et de loin, les explications d’Eric Toussaint parue récemment sur LGS http://www.legrandsoir.info/europe-alternatives-a-la-crise.html
Par contre Sapir a raison de souligner le peu de cas qui est fait par la "ménagerie Hollande" de la démocratie quand systématiquement la vérité est camouflée.

04/04/2014 00:11 par domi

Jacques Sapir est une lumière dans les ténèbres actuels. Son intelligence, sa clarté et son bon sens contrastent avec l’inanité prétentieuse et vulgaire de la bande de copains sur le retour qui s’est emparée des commandes de l’état comme autant de "rois nègres" avec leurs ex, leurs officieuses, leurs officielles et tous leurs rejetons...

Nous entretenons, contraints et forcés, le train de vie luxueux de toutes ces nauséabondes (un mot qu’ils aiment bien) sangsues occupées à aspirer notre sang pour abreuver la monstrueuse finance mondialisée et ses suppôts de Bruxelles et des USA (et à l’occasion se remplir les poches) tout en jurant la main sur le coeur qu’ils aiment la France. (Ils n’osent qd même pas dire qu’ils aiment les Français !)

Une chose est sure, plus on les écoute , plus ils nous dégoûtent !

04/04/2014 12:12 par mag

Merci pour cette analyse très intéressante :)

04/04/2014 13:35 par anticollabo

Haute Trahison !

Des politiques et des médias

http://www.dailymotion.com/video/xn44bj_l-upr-retablira-le-crime-de-haute-trahison_webcam

tout arrive à qui sait attendre...

04/04/2014 22:38 par AristippeO

Belle analyse de Sapir sur le gouvernement, cependant personne n’est dupe de ce remaniement peau de lapin.
En vertu de quoi un gouvernement social-libéral français deviendrait du jour ou lendemain eurosceptique, américano-méfiant et socialiste ?
Quant aux 8 dernières lignes de cette articles concernant les frémissements révolutionnaires en france et la bombe atomique de l’abstention aux européennes ça me fait doucement rire... jaune !
Quand on s’aperçoit de la collaboration indéfectible de la presse et de la télévision au système dominant et de domination et de quelle manière que ces médias relaient de façon tellement biaisée tout mouvement de contestation (exple : Nantes notre dame des landes http://www.acrimed.org/article4282.html ) il parait évident que toutes velléités de changement du système ou de conservation des acquis seront/sont considérés et présentés comme du terrorisme, du complotisme ou de l’inadaptation crasse !!
Notre époque à réussi à rendre les mots et les concepts plus fort que la réalité. Un cauchemar doit s’appeler aujourd’hui rêve merveilleux sous peine de tapis de bombes verbales de la part de la guerilla d’une presse alternative aux ordres (comme rue89 ou indymédia et bien d’autres) réservoir de talents avant la grande presse.
Personnellement, j’ai le sentiment que nous avons perdu. Que nous ne sommes ici sur le Grand Soir qu’une réserve d’indiens. Un Gaza de la pensée. Néanmoins une petite graine d’émancipation a germée dans un coin de notre raison..
Je suis intimement convaincu que contrairement à la mécanique d’un simple montre, le capitalisme n’est que la somme de mécaniques mal agencées qui finalement...vont s’enrayer, s’effondrer par faute de réflexion globale.
Des égoïsmes additionnés mènent fatalement à la guerre des égos.
Quand elle aura lieu, il sera de notre devoir de ne pas y participer. Contrairement à 1914, le partage des empires industriels se fera sans nous.
Les grands soirs ne se réalisent qu’aux moments des effondrements systémiques, à nous de bien réfléchir au "jour d’après".

Grand soir et Jour d’après.

J. Sapir ne parle pas d’effondrement, il ne peut pas, il serait discrédité dans le monde universitaire.
Cependant beaucoup ont en tête l’ouvrage de l’historien John Tainter "The Collapse of Complex Societies".
C’est à ce grand merdier qu’il est hautement probable que nous ayons à faire face. Nos constatations du mal monde d’aujourd’hui ne serviront plus à grand chose.
Peut-être serait-il nécessaire de rassembler ici et maintenant toutes les idées, les initiatives ; les expériences à la reconstruction d’un monde d’hommes-femmes-enfants libres-égaux-fraternels sur une planète limitée et vivante de bien d’autres espèces que nous.

Désolé, je me prenais à rêver comme un adolescent...
D’autres auraient dit un cauchemar d’adulte inadapté !

05/04/2014 21:23 par gérard

@ CN46400
Le contrôle de la monnaie par un Pays est la toute première et indispensable condition de son indépendance politique ; « Permettez-moi d’émettre et de contrôler les ressources monétaires d’un pays et je me moque de celui qui écrit ses lois. »
Rothschild
...et beaucoup d’autres avis du même style ici :
http://revolution-lente.coerrance.org/la-face-cachee-de-la-monnaie-citations.php
il est bien évident aussi qu’il y a beaucoup d’autres facteurs pour que sa politique soit des plus justes, équitable etc..., et que ce n’est pas l’unique condition.

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