Son nom est Renaud Girard, ancien élève de l’École normale supérieure et de l’ENA, grand reporter au Figaro. Comme je suis gaulliste à mes heures (sur les bords, sur les bords !), patriote toujours et pacifiste aussi et que j’apprécie souvent les seul-contre-tous je lui ai écrit : « Cher Renaud, j’ai approuvé ta prestation ». Il m’a répondu : « Dis-moi cher Maxime ce que tu penses du livre que je viens de publier avec Régis Debray : « Que reste-t-il de l’Occident ? ». Et pour être sûr d’avoir une réponse il m’a fait envoyer un service de presse par Grasset.
Vous avez noté les « Mon cher » par ci, « Mon cher » par là. A ceux qui n’ont pas suivi mes différends avec les bouddhistes intégristes dont un des chefs européens m’a soupçonné de recopier sur mon « tas de compost » toulousain (ils n’a pas osé « fumier ») les paroles de Pékin tandis que d’autres ont essayé d’instrumentaliser Stéphane Hessel pour faire sanctionner par Sarkozy une chaîne de télévision publique (France 3 Midi-Pyrénées qui m’avait donné la parole dans un JT pour y parler du dalaï lama), je dois expliquer que tout a commencé avec un voyage de presse au Tibet en juillet 2010 avec, entre autres journalistes, Renaud Girard.
Nous étions partis visiter le rude et haut pays des monastères, où tout était naguère sérénité, amour du prochain, spiritualité et harmonie, un Tibet à présent appauvri, privé de sa culture, martyrisé par une puissance coloniale génocidaire (le dalaï-lama a parfois employé le mot : « holocauste »).
Telle était, en effet l’image si répandue du Tibet.
Mais après avoir remarqué, par exemple, que les enseignes des magasins, les noms des rues, les panneaux indicateurs, sont écrits en tibétain (puis en mandarin) ainsi que des journaux, après avoir constaté l’existence de radios et télévisions en tibétain, visité une université ou les étudiants et leurs professeurs ont mis au point des logiciels en tibétain, l’antienne du génocide culturel ne tenait plus. Il serait plus crédible d’écrire que, chez nous, des cultures régionales aimeraient être brimées de la sorte, les Tibétains bénéficiant de surcroît d’un enseignement obligatoire de leur langue dans les écoles dès les premières classes et dans le premier cycle du secondaire (Enseignement en mandarin et en anglais dans le second cycle).
Constater la course du Tibet au modernisme, les hausses du niveau de vie, les subventions aux secteurs économiques, la construction d’écoles et d’hôpitaux, le développement de l’énergie solaire, la préservation de la nature, la conservation des textes sacrés, l’essor de la culture, le respect des coutumes, la restauration des monastères, la libre pratique du bouddhisme dans les temples et dans la rue, n’est pas tomber dans la pure propagande communiste.
Au retour du Tibet, Renaud Girard n’a rien nié de cela, dans un article honnête publié par le Figaro du 2 août 2010. La seule vraie (et malicieuse) pique était sa conclusion (in cauda venenum) où, voyant de plus en plus de Hans (ethnie chinoise majoritaire) « se prosterner devant les statues dorées du Bouddha », il persiflait : « Comme si, pour les Chinois, le destin à long terme du Tibet, c’était aussi de leur fournir une réserve de spiritualité, en prévision du jour où ils seront saisis par la nausée du consumérisme… ».
Bref, le grandsoiriste que je suis a décelé chez ce grand reporter du Figaro une qualité, qui a déserté la plupart de ceux qui font l’information : ce respect de la déontologie, laquelle impose un souci de vérité (les faits avant le commentaire) et l’interdiction d’oublier que les (ou des) lecteurs sont au moins aussi intelligents et instruits que les journalistes. C’est les humilier, puis les chasser, puis déconsidérer la profession que d’écrire en niant ce lien d’égalité.
Régis Debray et Renaud Girard regrettent chacun l’hubris [l’orgueil], la morgue des occidentaux et ils s’en gardent dans leur travail où le lecteur est au contraire flatté des qualités intellectuelles qui lui sont prêtées. Leur livre nous « tire vers le haut ».
Je vais aborder la recension du livre « Que reste-t-il de l’Occident ? ». Mais auparavant, je digresse pour une anecdote. Il se trouve que son co-auteur, Régis Debray, écrivain prolixe, philosophe, membre de l’Académie Goncourt, a été président d’un jury de prix littéraire où un de mes livres avait été en lice (« La Face cachée de Reporters sans frontières ») et qu’il s’abstint de me voir en Groseille-Bidochon (pas d’hubris, hein ?) quand, ayant compris que j’étais un des alibis dans une sélection d’ouvrages de la bien-pensance, je m’amusai à lui écrire que je renonçais au prix (que nul ne songeait à m’attribuer, ce qui était ter-ri-ble-ment injuste puisque j’y racontai avec 6 ans d’avance le Robert Ménard d’aujourd’hui).
Passons aux choses sérieuses.
Le livre est un échange épistolaire courtois (« Mon cher Renaud », « Mon cher Régis ») où deux intellectuels, dont l’un n’a jamais été un révolutionnaire et l’autre ne l’est plus, font assaut d’érudition.
Pour Régis Debray, « L’Europe s’égare », soumise à « l’autorité abusive du comptable » (les Grecs applaudiront, et d’autres aussi). Il liste les atouts de l’Occident.
Le premier est « Une cohésion sans précédent » autour de ses valeurs et de la puissante OTAN (20 Etats de l’U.E. en sont membres).
En deux, « Le monopole de l’universel ». l’Occident a su représenter ses intérêts particuliers comme des intérêts de l’humanité. Se prétendant « la communauté internationale » il est capable, avec ou sans l’aval de l’ONU, de renverser manu militari des régimes placés aux antipodes et qui ne le menacent pas. A comparer à la Chine qui n’a jamais bombardé un pays « à dix mille kilomètres de ses côtes » et à l’Iran qui n’encercle pas les USA avec « des bases aériennes, terrestres ou navales installées à la frontière du Mexique et du Canada ». Pis, « Le budget de la défense américaine égale celui de tous les autres pays réunis... ». « Seule l’OTAN possède des bases sur les cinq continents (huit cents installations américaines à l’étranger ». S’y blottissent l’Europe « lumière du monde » et la France, « institutrice du genre humain ».
En trois : « L’école des cadres de la planète. L’Occident produit une classe mondiale de managers qui s’enivre de la langue de Wall Street et de la norme économique américaine. Avec quarante deux-millions d’immigrés, les USA sont « une pompe aspirante » de cerveaux dont certains retourneront dans leur pays, férus de « l’american way of life ».
Le quatrième atout est « Le formatage des sensibilités humaines ». Grâce aux bulldozers des agences de publicité, des films d’Hollywood, du Coca-Cola, les USA n’ont pas besoin d’instituts culturels à l’étranger. En interne, ce pouvoir est si fort qu’il tolère et digère les idées adverses. Il sait « se mithridatiser par une absorption régulière de négativité critique ». « La police de la pensée est plus sévère en France ».
En cinq, « L’innovation scientifique et technique ». Elle va se réduire puisqu’il « y a déjà plus d’ingénieurs indiens et chinois qu’américains ». Mais la liste des prix Nobel, le nombre de brevets déposés, montrent « que les clés du futur sont encore au MIT et dans la Silicon Valley ». Et la langue de la communication sur les cinq continents est l’anglais.
Régis Debray passe ensuite aux points faibles.
Premier handicap : « L’hubris du global », l’excès, la morgue, la « folie des grandeurs » qui font croire à une invulnérabilité ignorante des ravages d’armes comme le gaz sarin, les épidémies, etc. « Le local reste la force du faible face à quoi le global devient la faiblesse du fort ».
Deuxièmement, « Un aveuglant complexe de supériorité » sur des théâtres d’opération. L’Occident, oublieux que la France a perdu la guerre d’Algérie, ne voit pas que les USA et ses alliés ont perdu celle d’Afghanistan. Régis Debray, revisitant, sans le citer, ce mot de Robespierre « Personne n’aime les missionnaires armés ; et le premier conseil que donnent la nature et la prudence, c’est de les repousser comme des ennemis », évoque « l’autodéfense immunitaire », « Ce réflexe tout animal [qui] porte un nom noble, la souveraineté ». C’est le fameux et gaullien « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ».
Regrettant au passage la perte de « la fierté » nationale en Europe, il ironise sur « le young leader fier de jogger en tee-shirt NYPD ».
Ici, petite parenthèse personnelle. L’organisme états-unien French-American Foundation (FAF) sélectionne (sur candidatures) des young leaders de la politique et des médias appelés à jouer un rôle important dans leur pays. La FAF a eu pour président John Negroponte qui devint ensuite le coordonnateur de tous les services secrets US, dont la CIA. Studieux et discrets, les young leaders sont formés en deux séminaires, mais ils ne parlent jamais de cela dans les médias. Près de 70 Français sont ou ont été young leaders dont : François Hollande, Bernard Guetta, Laurent Joffrin, François Léotard ,Christine Ockrent, Jacques Toubon, Valérie Pécresse, Eric Raoult, Marisol Touraine, Aquilino Morelle, Najat Vallaud-Belkacem Matthieu Pigasse, Pascal Riché (Rue 89), Emmanuel Chain, Jean-Marie Colombani, Nathalie Kosciusko-Morizet, Alain Minc , Arnaud Montebourg, Pierre Moscovici, Laurent Wauquiez… Fin de parenthèse.
Pour l’auteur, un « post moderne germanopratin » ne voit dans l’idée d’Etat-nation [qu’]un objet de musée ou de plaisanterie tandis que les USA défendent les intérêts de leur patrie par les moyens déjà évoqués et d’autres, moins avouables, confiés à 60 000 hommes disposant d’un budget de 6,3 milliards de dollars et d’autorisations toujours plus nombreuses « d’assassinats ciblés ».
« Le Français contemporain pèche par manque d’estime de soi ; l’Américain par trop-plein ». Et encore l’hubris : « Les Etats-Unis ont obtenu de 60 pays, sous menace d’une coupure de vivres ou de représailles diplomatiques, qu’ils assurent par écrit et à l’avenir l’impunité les militaires américains, privant ainsi le traité [ de Rome sur la Cour Pénale Internationale. Note de MV] de sa substance ».
Ce qui paraît ici un atout est en vérité un handicap puisqu’il traduit une peur du futur.
Handicap N° 3 : « Le déni du sacrifice » Régis Debray rapproche deux chiffres : 26 000 soldats français tués le 24 août 1914 sans émotion particulière de nos édiles. Le 18 juillet 2011, 7 soldats français tombent en Afghanistan. « Hommage de la Nation, éloge funèbre du président [...] commotion médiatique ». C’est que « Goliath est devenu douillet. »
Le quatrième handicap réside dans « La prison du temps court » avec « l’entrée en scène de l’Etat séducteur et des régimes d’opinion » qui imposent aux élus des solutions rapides. « Nourri au flash et au clip », l’Occident court-termiste « rêve de guerre éclair » aussi fugace que la mémoire de ses crimes, que les opprimées, eux, n’oublient pas.
Handicap N° 5 : « La dissémination du perturbateur ».
L’ingérence a détruit des Etats et « les mouvements nationalistes se réclamant d’un arabisme plus ou moins marxisant, remplacés par des groupes ethniques et mystiques », des « nomades sans numéro de téléphone », « des fous de Dieu disséminés dans la nature avec des missiles sol-air », le tout avec l’argent de l’Arabie Saoudite (où les femmes adultères sont décapitées au sabre sur la place publique) ».
Renaud Girard expose alors sa vision des choses en ajoutant aux cinq, avancés par son interlocuteur, un « sixième atout » de l’Occident : « Le règne de l’Etat de droit » dont « la première fille s’appelle Liberté ». « La loi dit le droit en Occident ; le chef impose son droit en Orient ». Et de noter que, « couplée à la révolution technologique et numérique, notre vieille amie la liberté est en train d’accoucher d’un nouveau type d’économie, l’« économie collaborative », avec par exemple le covoiturage, les AMAP, les logiciels libres, la production et la finance collaboratives. Face aux « excès passés et présents du libéralisme », Renaud Girard parie sur « la force incroyable de la liberté humaine » pour réformer la société et, si l’Occident répugne aux sacrifices, c’est quand ils sont collectifs. « Les Occidentaux ne sont plus formatés pour aller à l’abattoir comme des moutons. Faut-il le regretter ? »
Pour Renaud Girard, l’Occident guerrier oublie ses défaites, se mêle de vouloir promouvoir partout la démocratie, la justice, le respect des droits de l’homme, pratique le droit d’ingérence inventé par Jean-François Revel, théorisé, par Bernard Kouchner, repris par BHL et modernisé sous les expressions d’intervention humanitaire et de responsabilité de protéger. Un exemple tragique est l’Afghanistan où la démocratisation promise vire en « corruption, trafic d’opium, insécurité généralisée ».
Pourtant, il pense que les interventions contre les Serbes en Bosnie et au Kosovo ont été bénéfiques : la Serbie est pro-occidentale, candidate à l’entrée dans l’union européenne. Il reste que, par exemple, « la Constitution bosniaque, rédigée par les Occidentaux, est la plus sophistiquée du monde et elle ne fonctionne pas ». Ironique, l’auteur aimerait que les Libyens soient interrogés sur la manière dont les bombardements occidentaux les ont protégés. Euphémique, il note : « … et comme la manne pétrolière est bien plus mal répartie qu’elle ne l’était sous la dictature de Kadhafi, les Français ne peuvent se féliciter de l’initiative qu’a prise le président Sarkozy, convaincu par l’intellectuel Bernard-Henri Lévy ». Et de regretter « la dispersion des armes » qui a entraîné « un énorme désordre au Mali ».
Bref, « les interventions « humanitaires » en terre d’islam ont été – ou sont en passe de devenir – des échecs retentissants. » Et Renaud Girard plaide pour la diplomatie en regrettant le soutien allemand « aux sécessionnismes slovène et croate ». « Jamais la France, l’Angleterre et les Etats-Unis n’auraient dû accepter que la Yougoslavie explose... ».
« Drôle de responsabilité, à partager ». Sous ce titre de chapitre, Renaud Girard observe que l’Occident est incapable « de voir plus loin que le simple lendemain ». Pour lui, les Occidentaux ont enfin compris « sans le reconnaître, bien sûr, que leur intervention militaire [en Libye] avait remplacé une dictature pro-occidentale qui fonctionnait couci-couça par un chaos généralisé antioccidental ». Et, si l’Occident lance des opérations militaires, c’est souvent « sous la pression des médias » (pas vrai, BHL ?). « C’est l’émotion qui les déclenche, davantage que la raison ». Elles se poursuivent dans « l’improvisation politique la plus chaotique ». Et « les officiers des armées confortables du monde occidental » répugnent à « vivre trois ans » dans ces pays.
Dans le chapitre « Les ravages du manichéisme en politique étrangère », Renaud Girard revient sur le fléau du « court terme, sur « la tyrannie de l’opinion publique » sur « l’hollywoodisation de l’information » apparue lors de la première guerre du Golfe avec le choix de traiter en deux minutes à la télévision des conflits complexes. « Le manichéisme, maladie infantile des médias modernes en Occident, est responsable de l’aveuglement de la plupart des reporters ayant couvert « le printemps arabe. » Le méchant (au pouvoir) le bon (dans la rue) : que le premier disparaisse et tout ira mieux. Quid des difficultés de l’édification d’une troisième voie viable ?
C’est justement des difficultés surgies de la chute des dictateurs que nous parle ensuite l’auteur avec ce constat : « Le bilan que l’on peut tirer des printemps arabes est hélas négatif », les aspirations populaires ayant été détournées. Plus d’espoir de « démocratisation en Egypte ». S’agissant de la Syrie dont le dictateur résiste, « La guerre civile oppose l’armée du régime à des milices rebelles qui sont, en majorité, islamistes ». « En Libye, il n’y a plus d’Etat ». L’Algérie sclérosée vit sous la férule « d’un vieillard à moitié paralysé ». Reste, la Tunisie, « espoir fragile », le seul dans le « monde arabe postrévolutionnaire ».
Et Renaud Girard de conclure ce chapitre, par une invitation à ne pas se tromper d’ennemi. Ainsi, « Les nationalismes russe et chinois ne sont pas, dans leur fondement, foncièrement antioccidentaux ».
L’islamisme international, ennemi principal de l’Occident
Revenant sur les années 30 où les stratèges parisiens ne voulurent pas voir que l’ennemi principal était Hitler et non Staline, détestable en son pays, mais qui « lui, au moins, n’avait jamais rêvé de détruire la France » Renaud Girard constate le même aveuglement face au « fascisme vert », nourri par nos « protégés, les pétromonarchies du golfe Persique ». Et d’oser avancer que Bachar-el-Assad n’est pas notre ennemi principal.
Nouvelle parenthèse. Parce que le site d’information dont je suis un administrateur l’avait suggéré, j’ai été classé en août 2012 dans le camp de « l’extrême droite qui soutient Damas » et nommément désigné avec le webmaster comme « brun » (= chemise brune = nazi) par Charlie Hebdo, même si, en privé, l’auteur de l’article et le directeur de publication, Charb, me confessèrent n’en rien croire (et, pardi, « Je ne suis pas Charlie »).
Le grand retour de la Realpolitik
Renaud Girard raconte qu’il a visité Falloujah « ville calme, plutôt pieuse », pas hostile à Saddam Hussein, où les Américains entrèrent en 2003, accueillis sans hostilité « avec une sorte d’indifférence polie ». Chassés à la suite de « bavures involontaires », ils reconquirent la ville dans une opération « qui fit au moins cinq mille victimes civiles » et sans y installer la démocratie représentative et la prospérité économique. « Depuis le 4 janvier 2014, y flotte le drapeau noir de l’état islamique » (ISIS). Le 10 juin 2014, c’était au tour de Mossoul deuxième ville d’Irak, lieu de rassemblement ancestral de la chrétienté en Mésopotamie, de tomber aux mains de l’ISIS ». Bref, « Le sort de l’Irak incarne à lui seul la faillite extraordinaire de la diplomatie moralisante et militaire conçue par George W. Bush... ». Le renoncement par Obama d’attaquer la Syrie marque le choix d’une Realpolitik définie par Henry Kissinger comme « la politique étrangère fondée sur le calcul des forces et l’intérêt national ».
Le changement de stratégie américaine dans l’« arc de crise »
Pour Renaud Girard, Barack Obama a officiellement renoncé à imposer la démocratie, par la « global war on terror », à « fonder la lutte antiterroriste sur les interventions militaires à grande échelle », à imposer la démocratie. Non pas pour abandonner aux djihadistes les pays musulmans de l’« arc de crise » qui s’étend de la Méditerranée à l’Asie centrale. Non, il s’agira donc de « recours aux drones et aux raids ciblés » et de promouvoir une coopération sécuritaire. Obama : « Avec l’argent que nous dépensons en un seul mois de notre guerre en Irak, nos pourrions former une police et une armée en Libye, maintenir les accords de paix entre Israël et ses voisins, nourrir les affamés du Yémen, construire des écoles au Pakistan, créer des réservoirs de bonne volonté qui marginalisent les extrémismes. »
Renaud Girard pense que « Les leçons des erreurs passées ont été tirées » et notamment celle qui consista à faire chuter le docteur Najubullah, président communiste (modéré, ouvert aux discussions) de l’Afghanistan en aidant les moudjahidines auxquels succédèrent les talibans.
La grande maladresse occidentale dans la crise ukrainienne
Après la victoire de la rue qui fit partir Viktor Ianoukovitch, survint « la gueule de bois » due au rattachement de la Crimée à la Russie. « L’occident aurait du cesser de mentir : aucun soldat russe n’est allé chercher l’électeur à la pointe du fusil et la liesse qui a accueilli le résultat du scrutin était bien réelle ».
L’occident a sous-estimé son rival et Poutine, très populaire chez lui « n’est pas notre ennemi, mais seulement notre rival... ». Nous avons cru que, occupé par les J.O. à Sotchi, il ne serait pas attentif à l’Ukraine. Nous l’avons humilié en boycottant la cérémonie d’ouverture des jeux. Nous avons ignoré la fierté et le patriotisme russe, son besoin de défendre sa zone d’influence, de protéger ses intérêts et nous avons renié la promesse faite par Kohl à Gorbatchev en 1989 : l’OTAN ne s’installera jamais aux frontières de la Russie.
L’occident ne devrait jamais abandonner un champ de bataille diplomatique tant qu’il n’a pas trouvé d’issue certaine
En Ukraine, alors, qu’un accord avait été conclu entre le pouvoir et l’opposition avec l’aide de diplomates européens, nous avons laissé la rue (la place Maïdan) le déchirer dès le lendemain et nous n’avons rien dit quand le nouveau pouvoir a voté une loi « scélérate » contre la langue russe.
Pour finir, Renaud Girard consacre un chapitre à l’Union européenne, cette « plus belle réussite de la diplomatie occidentale depuis la Seconde Guerre mondiale », la « plus belle construction politique réalisée en Europe depuis Charlemagne », la « plus belle création » de l’Occident. Sa faiblesse est due à sa « paralysie de fonctionnement et [à] la désaffection croissante de ses administrés.
L’inquiétant déclin de l’Union européenne
Pour Renaud Girard, l’Europe a rempli sa mission première : en finir avec les guerres en Europe (oubliée la Yougoslavie ?), mais se heurte à un profond désenchantement populaire. Les problèmes résident dans l’absence d’un pilote unique bruxellois dans les turbulences, aux pouvoirs laissés aux eurocrates (les dossiers industriels sérieux se traitent à Bruxelles) à l’inintelligibilité des institutions qui font alterner cacophonie, logorrhée, verbiage savant et silence. Il faut un président « fort et charismatique à la tête de l’Europe » pour son nécessaire sauvetage.
Régis Debray (un peu échauffé, semble-t-il) reprend la plume. Il glose sur « l’esprit de croisade », déguisé en « droits de l ’homme » et en « protection des populations » pour justifier « la guerre de conquête » avec « un nouveau marché en perspective et une grosse désinformation à la clé ». L’Occident ? « Ce club oligarchique » qui viole « les chartes internationales dont il recommande aux allogènes le plus strict respect ». Et d’enfoncer le clou : « Lui opposez-vous ses tortionnaires, ses drones, sa NSA et son immense bêtise stratégique, ses thuriféraires, la main sur le cœur, vous parleront de la liberté, de 1789, du totalitarisme et des droits indérogeables de la personne humaine. » Pour l’auteur « nos sermonneurs attitrés entendent faire le bonheur des miséreux à coups de missiles téléguidés sans rien connaître de leur histoire, de leur géographie, de leur langue, de leur religion et de leurs mœurs... ».
Quant à l’Europe, « ce beau rêve », il est mort, tué par un « président gallo-ricain », M. Sarkozy » qui l’a mise sous la coupe de l’OTAN, abdication entérinée par Hollande et approuvée par « l’occidentalisme borné et furieux de nos journalistes et experts autorisés... ».
« L’Union européenne des 28, [ est] joyeusement inféodée, rackettée et reconnaissante, espionnée sans rancune, bientôt roulée dans la farine transatlantique, cocue et toujours contente... ». Finie l’hypothèse d’un axe Paris-Berlin-Moscou qui aurait pu « un jour, traiter d’égal à égal avec Washington comme avec Pékin ». Pour Régis Debray, l’Europe est « une auberge espagnole où la langue anglaise fait la loi, tout entière acquise aux forces du marché, où ce qu’il reste des pouvoirs publics est « sous la coupe d’empires financier privés et de lobbies voraces » qui ont fait d’un beau rêve une « machine à désarmer, déresponsabiliser, désindustrialiser, démembrer, décérébrer ».
Décérébrer les citoyens car « l’édito-homélie de deux ou trois journaux dits de référence pèsera plus qu’une longue dépêche informée de notre ambassadeur sur place ». Dès lors, il est illusoire de vouloir réparer ce « sous-bloc ectoplasmique avec rustines et vœux pieux ». Pis, l’Europe « n’est pas la solution mais le problème ». Et en élargissant, Régis Debray décrit l’Occident qui ne dialogue pas mais « soliloque en humiliant quiconque ne parle pas sa langue » en « fouteur de merde qui se croit faiseur de pluie », un « beau fantôme aux mains ensanglantées », « un faux cul donneur de leçons ».
Renaud Girard s’insurge contre ce « dénigrement farouche de l’Occident politique du présent siècle » qui a au moins le mérite d’accepter « le débat contradictoire », lequel, loin d’être « découragé ni vilipendé », n’a cessé de progresser en quantité, en qualité, en diversité. « L’Occident est beaucoup moins dominateur qu’au début du XXe siècle », il ne sait plus qu’elles sont ses Valeurs, et il a du mal à assumer son histoire.
Certes, l’Occident s’est « montré maladroit, voire irresponsable à l’égard des autres peuples de la planète » mais sa violence découle d’un « défaut d’intelligence » donc « d’une faiblesse, plus que d’une force épanouie ».
Et il poursuit : « Je pense bien sûr au ridicule de cette Union européenne qui n’arrivait pas, dans son projet de Constitution, à rappeler les racines chrétiennes du continent, ce qui paraît pourtant une évidence ».
Par ailleurs, à refuser de se dire chrétienne, l’Europe « commet une grave erreur » et « ce n’est pas parce que les Européens, gavés de consumérisme, ne vont plus guère à la messe qu’ils peuvent renier leurs racines. Celles-ci sont précisément celles de l’Occident culturel […] : l’antiquité gréco-romaine, le judaïsme, le christianisme dans toutes ses versions (orthodoxe, catholique, protestante, les Lumières. »
Enfin, écrit Renaud Girard, l’Europe milite chaque jour « pour la paix, pour l’échange culturel, pour la qualité de l’environnement, pour la maîtrise de la finance, et elle travaille à ramener les banques vers leur tâche originelle qui est de soutenir les « investissements productifs et non les gains de spéculation ».
Bref, que l’Europe ait pu se construire devant mille obstacles est la démonstration que « l’Occident politique n’est ni mauvais, ni moribond et qu’il est bien le fils de l’Occident culturel ».
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Au-delà des flagrants désaccords des deux débatteurs sur l’Europe, du pessimisme de l’un (c’est fichu), de l’optimisme de l’autre (c’est assez moyen, mais ça peut s’améliorer), chacun est sévère avec la politique de l’Occident qui agit sous le leadership des USA.
Et on ne sait lequel des deux pourrait le mieux dire avec De Gaulle, désignant les Américains : « Ils sont forts, courageux et cons ».
Le problème est qu’ils sont aussi fortement armés.
Maxime Vivas
« Que reste-t-il de l’Occident ? ». Régis Debray et Renaud Girard. Editions Grasset, 142 pages, 11 euros.