In-justification, troisième et dernière.

Mais qu’est-ce qu’on fait bien là ?

Luca V.B.

Il est intéressant de remarquer que lorsqu’on parle avec certaines personnes à propos de ce que signifie la vie pour eux, ils répondent qu’elle représente un court moment à l’intérieur duquel, outre l’orientation biologique de la procréation, il s’agit de viser le bonheur individuel.

Dans leur esprit, la vie est le fruit d’un hasard et sa finalité naturelle est la mort. Dès lors, ils diront qu’il faut profiter du moment présent sans trop se questionner sur le sens et l’avenir, puisqu’à la fin, nous aurons tous la même destination. Il n’y a donc ni de sens ni de dieu, la vie est faite de haut et de bas et nous devons être heureux d’être en bonne santé et d’avoir un bon salaire à la fin de chaque mois. Cela dit, il n’est pas tout à fait correct de dire que leur vie n’a pas de sens, car elle en a bien un, mais celui-ci se trouve dans le quotidien de la réalité. Le fait d’avoir des enfants et donc d’avoir une famille à charge constitue un sens, par exemple. De la même manière, certaines personnes mettent toute leur force dans leur carrière ou dans la culture de leur apparence. Sans parler de ceux qui se nourrissent des vicissitudes des autres… il faut bien occuper son temps.

De l’autre côté et à cette même question, un second type de personnes répondent, au contraire, que la finalité de la vie n’est ni la mort ni le plaisir. On peut dire que, généralement, ce sont des personnes qui accordent beaucoup d’importance à leur foi qui les anime, à leur passion qui les transcende ou aux causes qu’ils défendent. Pour eux, cette éducation qu’ils ont reçue ou qu’ils se sont faite est une tension existentielle qui leur donne un support, une orientation, une volonté. De toute évidence, certes, ils reconnaissent également dans la mort une fin pour le corps, cependant cette mort n’empêche pas qu’ils puissent avoir une « mission » à accomplir. L’existence devient alors un devoir que l’individu a vis-à-vis des autres et vis-à-vis de lui-même. Ce devoir est comme un message à partager, une énergie qui leur permet d’être ce qu’ils sont. Ainsi, on peut dire que leur idée devient un tout avec leur corps, c’est un élan de vie, un moteur. Abandonner leur idée, c’est comme renoncer à ce qu’ils sont fondamentalement.

De là, on peut diviser en deux groupes deux types de réponses qui correspondent, chacune, à un type d’élan de vie. Il y a :

1) ceux qui trouvent le sens de leur vie dans la réalité du quotidien ;

2) ceux qui trouvent le sens de leur vie dans un idéal à atteindre.

Bien entendu, c’est réducteur et le lecteur n’aura pas tord d’y voir une catégorisation. Toutefois, à ce propos, il faudra souligner que cette catégorisation, outre le fait qu’elle réponde à une certaine nécessité de simplification propre à la forme « article », reflète une véritable généralisation des modes de vie qu’implique le paradigme économique et social. Un paradigme qui veut que l’on occupe une grande partie de notre énergie de vie à gagner de l’argent pour, ensuite, le dépenser.

À la suite de cette petite parenthèse, je dirais que si c’est bien le deuxième groupe qui dirige le monde, ils le dirigent pour satisfaire le mode de vie du premier groupe. En fait, on peut dire que la mission de base de cette minorité qui nous dirige était de prendre le pouvoir puis, leur idéal de prise de pouvoir étant atteint, ils ont pensé qu’il était préférable pour eux que les autres ne partagent pas leur élan. Il découle de cela, qu’aujourd’hui, les gens doivent impérativement adhérer au mode de vie du premier groupe, et ce, au nom de la liberté, dit-on. Or, tout le problème est là : cette liberté n’a de sens que dans le mode de vie du premier groupe. D’ailleurs, à bien regarder autour de nous, tout est organisé pour nous satisfaire et pour nous garder dans cet état d’apathie par rapport à la citoyenneté. Cela étant, à propos de la situation spécifique des croyants, on pourra me rétorquer qu’il y a toujours des églises et rien ne les empêchent de vivre leur foi. C’est vrai, mais du moment où cette foi reste idéale et qu’elle ne vient pas trop contrarier la société de consommation, le croyant peut croire en ce qu’il veut. En fait, on peut même dire que c’est une bonne chose pour le pouvoir en place que la religion occupe les gens avec d’autres choses que l’organisation citoyenne.

Par ailleurs, on dira la même chose des personnes qui vivent pour leur passion. Sauf, qu’à la différence des croyants, ils participent activement à l’attrait et au renouvellement de la vie culturelle au sein du modèle socioéconomique décidé par la minorité. En fait, on peut presque dire – et désolé d’être un peu provocateur sur ce point – que si le capitalisme marche si bien, c’est parce qu’il y a des gens créatifs qui divertissent les autres. En effet, dans cette optique, il faudrait que l’on soit plus nombreux à donner à ce système une meilleure dynamique afin que la société de consommation offre toujours plus de nouveautés et de spectacles à ses consommateurs.

Bref, le débat sur ce type de question pourrait être l’objet d’un livre, tellement on pourrait prendre, une par une, toutes les spécificités des situations de vie permissent par notre environnement socioéconomique. L’important est pourtant de constater – et c’est là tout le sens de cet article – que même à travers le livre que l’on pourrait écrire, même à travers cet article qu’il faudra faire publier, nous sommes enfermés dans une logique où il faut trouver un vendeur et, par conséquent, devenir nous-mêmes les vendeurs du système que l’on critique et qui marche sur la consommation, la séduction et la concurrence. Dès lors, si l’on ne veut pas être masochiste et se faire du mal avec une conscience qui est en constant décalage avec « la réalité » et là je m’arrête et vous pose la question : comment échapper à la tyrannie du mode de vie du premier groupe ? Autrement dit, comment refuser cette fameuse maxime qui affirme « profite la vie est courte ! », sans toutefois sombrer dans la morosité ?

Pour conclure, je dirais qu’il y a une seule mission qui vaut la peine d’être menée par nous tous, c’est celle de notre libération vis-à-vis de notre dépendance à la consommation. C’est seulement par la suite que l’on pourra redonner du sens à notre foi, à nos passions, à nos idées. Cependant, avant cela, je voudrais dire qu’il faut absolument reconnaître et abandonner toutes ces impulsions qui conduisent à plus d’inégalité et, donc, à plus d’injustice. En valorisant ce type d’élan, on ne se rend pas service, à l’inverse on ne fait que renforcer, sous des apparences de richesse, notre propre conditionnement. De la même manière, il faut identifier et éliminer toutes les médiations qui nous retirent du pouvoir pour le donner à d’autres. Voilà un sens commun à la vie que l’on pourrait partager collectivement (c’est-à-dire : tous ensemble), pour ce XXIe siècle.

Luca V. B.

Doctorant en philosophie politique et sciences sociales

COMMENTAIRES  

11/09/2015 09:10 par Esteban

Dois-je comprendre que M. Bagiella va agir comme l’a fait LGS pour son article et nous proposer (même manuscrit et en feuillets volants) gratuitement sans médiation son livre "Narcissisme-critique" en fin d’année ?...

14/09/2015 06:15 par babelouest

Il me semble avoir déjà lu sur LGS des articles de M. Bagiella, qui à chaque fois ne me satisfaisaient pas.

La vie n’a de sens que si chacun est concerné par les autres, et s’efforce de contribuer à les aider. Sinon, ce n’est qu’une présence aussi désespérante que celle de la mousse sur un vieux mur. Sans doute est-ce pourquoi beaucoup d’individus sont vides, parce qu’ils ne l’ont pas compris. Les plus vides étant ceux qui s’efforcent de diriger, parce que c’est pour eux une tentative (vaine) de compenser des émotions absentes. Être de fait ou de pensée inégalitaire, c’est se révéler dangereux pour autrui. Je parlais d’individus il y a un instant, je dirai maintenant que les personnes (donc qui ressentent et réfléchissent) sont toutes égales et toutes différentes. Ceux qui veulent diriger ne sont pas des personnes, mais des individus commandés par quelques réflexes, et auxquels manque le reste. C’est bien pourquoi j’ai qualifié ces individus de dangereux.

Je pense que mes constatations sont loin de celles de Monsieur Bagiella.

18/09/2015 15:11 par D. Vanhove

Article qq peu confus, comme souvent lorsqu’il s’agit de "philosophie"...
Une fois l’auteur parle du "quotidien de la réalité"... et qqs lignes plus loin, "de la réalité du quotidien" en résumé de ce qu’il vient d’expliquer... comprenne qui pourra, et j’en passe...

De toute évidence, comme chacun a sa pte idée sur le sens ou non de la vie, à quoi bon vouloir absolument démontrer ceci ou cela, de manière "philosophique" ou autre, d’autant sur des sites internet où parfois, la moindre prise de position se voit attaquée par des commentaires lapidaires quand ils ne sont pas carrément des insultes ad hominem... qui donnent juste envie d’une chose : passer à autre chose...

Dans tt les cas, derrière tout cela, il y a tjr, de près ou de loin, une tentative de "moraliser" ce qu’est ou devrait être la vie aux yeux de celui qui exprime sa pensée... avec ou sans l’aide de la foi... animé d’une passion ou non, ou que sais-je encore...

je pense donc que quand on prétend parler du "sens de la vie" (faut déjà oser), s’y inscrit entre les lignes, une certaine morale que l’on tente de faire partager aux autres...

en soi, cela n’a rien de répréhensible... et dans certaines situations, il semble qu’un minimum de "sens moral" ferait le plus grand bien au "vivre ensemble"... sauf que, et j’en termine là-dessus, Léo Ferré a eu cette sentence magistrale (encore une !), et que j’ai depuis fait mienne : "...ce qu’il y a de gênant dans la morale... c’est que c’est toujours la morale des autres..."

19/10/2015 16:07 par Luca (auteur)

Bonjour,
Premièrement, je souhaite répondre à M. Babelouest (un peu tardivement c’est vrai, désolé)
pour dire que nous sommes tout à fait d’accord et je ne vois aucune contrariété dans ce vous écrivez ici.
Effectivement, la vie n’a de sens que si chacun est concerné par les autres. Je ne crois pas dire le contraire.
Je suis à 200% avec vous sur ce point et tous mes articles parlent de ça dans le fond. Pour le reste,
je suis également d’accord. Par conséquent, sur la base de ce que vous écrivez ici, je pense que nous sommes très proche.

Deuxièmement, je souhaite répondre également à D. Vanhove pour d’abord le remercier, car son commentaire est très pertinent et donne à réfléchir à plusieurs égards. Je pense surtout à ce que vous dites sur la "moralisation". Effectivement, j’entends très souvent cette remarque et, à chaque fois, j’ai envie de répondre la même chose. C’est-à-dire que la morale est déjà présente. Si ce n’est pas le citoyen qui s’en charge, c’est la religion, le pouvoir, l’éducation, le plus souvent c’est le conditionnement économique (le marché), bref les institutions sociales (qui, ne le négligeons pas, fonctionnent sur la base de la logique économique). Donc, je comprends cette critique. En même temps, je ne sais pas... Je me dis qu’il faut quand même que le citoyen se réapproprie des règles de vie commune. A l’inverse, faudrait-il ne rien dire et laisser la morale aux institutions ? Après, il faudrait s’entendre sur ce qu’on entend par "morale". Acceptons-nous de dire qu’elle "désigne l’ensemble des règles ou préceptes relatifs à la conformation de l’action humaine aux mœurs et aux usages d’une société donnée (wikipédia)" ?

Si on est d’accord avec cette définition, la morale ne devrait-elle pas être un point de discussion centrale pour nous.
Certes, en tant que citoyen parmi les citoyens, je n’ai pas le droit de dire ce qui est bon et ce qui est mauvais. Du reste, il ne me semble pas que je le fais dans mes articles. En même temps, je pense que cela est bon que le citoyen en parle non pas pour dire aux autres comment faire, mais pour discuter de la meilleure façon de faire société. C’est sûr, il ne peut pas faire société tout seul. C’est sûr aussi, l’individu est, fondamentalement, un être social. La morale devrait donc être le résultat d’un consensus social.

Bref, je me rends compte que cette discussion sur la morale pourrait être un long texte et je ne souhaite pas l’écrire ici. Ce qui est sûr, c’est que c’est un thème important qu’il faut prendre en compte lorsqu’on vise l’alternative. En effet, l’alternative est forcément normative (=impliquant les autres).

Ce n’est certainement pas à l’individu de faire la morale, mais, en même temps, il manque quelque chose qui puisse nous donner un socle commun pour reconstruire les règles du vivre-ensemble. Un vivre-ensemble qui ne doit pas, j’espère, reposer sur un individu ou sur une logique qui ne prend pas en compte la collectivité que nous sommes . Le problème est certainement à chercher dans l’individualisme, dans le fait que l’on ne sait plus se rencontrer, se parler.

A réfléchir...

(Commentaires désactivés)