22 

Lettre de Rome d’un E-C

Chers parents, je vous écris de Rome, un jour comme les autres, Rome, la capitale des riches, des Occidentaux, des Chrétiens, avec un Pape E-C, c’est-à-dire Extra-Communautaire : il vient d’Argentine. Les Italiens appellent ainsi les Étrangers provenant des pays pauvres, pauvres parce que, dans le passé, les Européens, militairement plus forts, les avaient agressés et pillés.

À Rome, les immigrés vont et viennent depuis que les Romains, voilà deux mille ans, envahissaient les pays étrangers et amenaient à Rome des esclaves : noirs, blancs, bruns, juifs et tant d’autres. Au point qu’aujourd’hui, à la vue d’un citoyen romain, « de plus de sept générations », comme ils disent ici, on ne peut pas affirmer l’identité de ses ancêtres, avec tout le minestrone constitué entre les peuples pendant l’empire romain, et sa production d’enfants légitimes, enfants naturels, enfants de citoyens libres, enfants d’esclaves et enfants de personne. Pourtant, un général italien affirma dernièrement : l’italianité se prouve par la blancheur de la peau. Connaît-il vraiment l’histoire de l’Italie ? Possède-il une bonne vision oculaire ? Une fois, un garçon m’amusa jusqu’au rire. Il leva le bras pour le salut fasciste et cria : « Vive la race blanche ! ». Pourtant, ses cheveux noirs et sa peau foncée ressemblaient aux miens. Je sourirais si quelque descendant d’esclaves, pas tout-à-fait blanc de peau, dans l’ignorance de sa généalogie, se travestissait en « skinhead raciste, anti-immigré » ; il n’a pas fréquenté l’université pour connaître l’amusante loi de l’hérédité. Le brassage antique est ignoré ou, plus grave, occulté.

J’ai appris qu’un saint d’ici, un des plus importants, appelé Saint Augustin, est algérien ! Oui ! Oui ! Algérien doc ! un E-C doc ! Amazigh, comme on dit aujourd’hui, en tout cas enfant de la terre algérienne. La plupart des Romains d’aujourd’hui ignorent ou occultent son origine. Pour eux, c’est pas chic de considérer non européen un de leurs saints les plus respectés.

Maintenant, je vous parlerai de la majorité des gens d’ici, à part quelques exceptions.

À Rome, la majorité des habitants croient au Messie ; mais, dans les églises, les prêtres ne leur disent jamais que Jésus était palestinien, pauvre, immigré de Nazareth à Jérusalem. Pourquoi ce silence ?

Les descendants de ce qu’on appelle la Cité Éternelle souffrent d’un certain petit complexe. Comme nous l’avons, nous, Algériens, par rapport à Rome, Paris ou d’autres capitales occidentales, eux, ils manifestent un complexe par rapport à une autre Rome, la Rome d’aujourd’hui : New York. Un exemple : si tu t’appelles Ali Sarrasin, ils le considèrent étrange, difficile à prononcer ; si tu te nommes Wellington Mac O’Hara, ils s’extasient, chacun s’efforce de déclamer Wellington Mac O’Hara avec le meilleur accent étasunien, sans se rendre compte de cette ridicule singerie. Ces Italiens semblent obsédés par l’émigration à New York, comme les Algériens par les capitales occidentales.

Les Italiens descendent d’empereurs : pour cela ils se voient grands, tellement grands ! De là, leur mépris de ce qu’ils nomment « Tiers-Monde » ; sauf pour les vacances exotiques pas chères. Comme ces Italiens descendent, également, d’esclaves, ils se voient petits, petits, petits jusqu’à admirer « l’A-mé-ri-que ! ». C’est, peut-être, cette double descendance qui donne aux Romains une qualité rare : l’auto-ironie. Leur lecture du fameux S.P.Q.R. impérial, qui décore leur mairie, ils le déforment : « Sono Porci Questi Romani », c’est-à-dire « Ils sont des Porcs ces Romains ». Rigolo, non ?

Ici, les gens les plus gentils me sourient très exceptionnellement, les moins gentils me lancent un regard méfiant ou hostile. Pourquoi, sinon parce que je suis un immigré ? Pourtant, ah ! Combien ils s’attendrissent à la vue du film E-T. l’Extra-Terrestre. Est-ce de là que vient l’expression par laquelle ils m’étiquettent : E-C, Extra-Communautaire ?

Ici, l’argent supprime l’amitié. Pire que chez nous, au bled. Pas d’argent ? Crève ! On te le dit pas : un sourire de circonstance l’exprime. Pourtant, « par Bachus ! », comme ils disent ici, Rome est la capitale du Dieu chrétien. Une banque s’appelle « Banco di Santo Spirito » (Banque du Saint Esprit). Oui ! Je ne plaisante pas. Si vous voulez savoir pourquoi Esprit Saint est accolé à banque, on vous répond : « les Voies du Seigneur sont impénétrables ».

J’ai visité la Mecque des Chrétiens, la Basilique Saint Pierre. C’est un temple plein d’or, de choses brillantes, choses de riches, choses qui tapent à l’œil ! Même aux deux yeux jusqu’à les étourdir ! Ils disent que tout cela est à la gloire de Jésus ! Moi, je ne comprends pas : cet homme humble, simple, pauvre, ami des pauvres, qui condamna les riches, aimerait-il cette « gloire » constituée d’un tel étalage d’or ? Peut-être que moi, n’ayant pas été soumis au catéchisme, je ne comprends rien à la religion du Crucifié. Je me suis demandé : lui, il aurait pensé quoi ? Et qu’auraient pensé les martyrs chrétiens mangés par des lions dans ce temple de la barbarie, encore plus barbare parce qu’exercée pour le seul plaisir : le Colisée ? Imaginez, dans 2000 ans, des touristes qui, visitant des camps d’extermination d’Auschwitz, s’exclameraient : « Oh ! Ah ! L’admirable monument de la civilisation allemande ! », comme aujourd’hui des touristes s’exclament devant le Colisée : « Oh ! Ah !... L’admirable un monument de la civilisation romaine ! »... Mais, peut-être que je ne comprends rien à la civilisation.

À propos de civilisation et de barbarie, je me promène souvent à Rome, quand je ne travaille pas. La principale rue est Via dei Fori Imperiali (Avenue des Forums Impériaux) : partout, des statues d’empereurs, un peu salis par la digestion des pigeons. J’ai cherché des statues d’esclaves fameux, par exemple, un qui me plaît beaucoup, un E-C lui aussi : Spartacus. Rien !

Comme je suis têtu ou, plutôt, optimiste, j’ai cherché au moins une rue qui porte son nom. Oh joie ! Je l’ai trouvée !... Devinez où. Dans la périphérie-dortoir, une zone laide de la ville. Logique : les patrons d’hier parmi les patrons d’aujourd’hui, les esclaves d’hier avec les esclaves d’aujourd’hui.

Vous m’avez demandé pourquoi je ne me suis pas marié, à Rome. Je ne possède pas de compte bancaire, mon employeur, une sangsue, me concède un salaire infâme, le propriétaire de mon misérable gîte exige un loyer injuste. Employeur et propriétaire se comportent en charognes humaines : « C’est la loi du marché ! » affirment-ils, en se déclarant fiers chrétiens.

Je vis dans une chambre aux dimensions d’une cellule de prison, dans un souterrain humide été comme hiver, dans la banlieue extrême de Rome. Les filles d’ici, belles ou laides, n’apprécient pas un type dans ma condition. En plus, ici, ils ont un proverbe : « Donna e buoi dai paesi tuoi » (Femme et vache, prends-les de ton pays). Eh, oui ! Ils pratiquent une exception : le prétendant au beau patrimoine financier.

Ces propos, je les dis seulement à vous. Si je les disais ici, à haute voix, je risquerais « Eh, toi, con d’Arabe ! T’es ici uniquement pour assurer le boulot qui nous dégoûte ! Si t’es pas content, retourne dans ton gourbi ! » Ils ont raison, d’une certaine manière : si, dans le pays de ma naissance, je possédais de quoi vivre avec dignité, pourquoi venir à Rome sinon comme touriste ?

En tout cas, j’aime cette ville pour certains esprits qui l’habitent : Brutus, Spartacus, Michelangelo, Giordano Bruno. Eh ! Eh ! Le prénom de ce philosophe italien est arabe : Giordano, le fleuve Jourdain.

J’aime aussi des chansons populaires romaines. Celle qui me touche le plus évoque une espèce de E-C, lui aussi : « Barcarolo romano » (un homme romain qui utilise une barque). On y célèbre la barque de la vie, le fleuve du temps, la malchance d’aller à contre-courant. Si vous me promettez de ne pas trop pleurer, je vous enverrai la chanson avec sa traduction.

À propos de cet homme sur une barque, les gens d’ici disent « Pauvre Christ ! » Et à propos de Christ, je dois vous dire que Rome est pleine d’églises. Églises ! Églises ! Partout des églises ! Plus que les mosquées chez nous. Impossible de regarder quelque part sans voir une église ! Peut-être que les autorités d’alors, convaincues que le peuple romain était naturellement païen, ont édifié à chaque coin de rue une belle église : Prie ! Accepte ton destin ! Alléluia ! Mais le peuple est malin, il dit : « A Roma si fa la fede, e fori Roma ci si crede » (À Rome se fait la foi, et hors de Rome on y croit).

Voilà quelques années eut lieu un fait vraiment historique à Rome. Les autorités ont célébré, finalement, après deux mille ans d’oppositions, hésitations, déclarations de bonnes intentions, la première mosquée de Rome. L’Arabie devrait rendre la politesse aux Chrétiens : autoriser la construction d’une église à la Mecque, n’est-ce pas ?

Rome contient des mystères spécifiques. Par exemple, la présence d’un ange dans la Chambre des Députés. Vous pouvez rire, mais un membre du Parlement l’affirma, les journaux l’ont confirmé. C’est antidémocratique, vu que cet ange ne fut élu par personne.

Un autre mystère de Rome : au centre-ville, les plus beaux palais édifiés par le bon génie humain, tandis que dans la périphérie vous serez dégoûtés par les plus horribles constructions. On dit que là est intervenu un autre ange du type « palazzinaro » (fabriquant d’immeubles) : il a permis l’apparition non de la Madone, mais de « Accattone », un enfant de la misère devenu proxénète, et de « Mamma Roma », une femme de la même misère, devenue ce qu’on appelle chez nous « une femme de mauvaise mœurs ».

Cet ange immobilier est spirituel : un des quartiers périphérique fut nommé Centocelle, c’est-à-dire Cent cellules ; là, une des rues principales les plus dégueulasses s’appelle Via della Primavera ! (Rue du Printemps !).

Mais, comme vous me l’avez enseigné, papa et maman, il vaut mieux parler des belles choses.

Je marche dans certaines rues avec ivresse, à la pensée des pas d’hommes et de femmes, esclaves ou citoyens libres, qui marchaient sur ces mêmes rues aux siècles précédents, des gens qui venaient aussi de la Numidie, comme s’appelait l’Algérie.

Chers parents, à Rome, les gens instruits qui se proclament de gauche affirment désirer mon bien, mais je constate qu’ils m’utilisent dans leur jeu favori : le fauteuil administratif qui leur assure un confortable revenu. Peut-être que ces gens ne mangent pas assez de poisson pour se souvenir d’un petit habitant d’une île italienne, lui aussi une espèce de E-C. : Antonio Gramsci. Il fut emprisonné à vie par un type qui avait un nom semblable au mot « musulman ». On dit que ce dictateur venait d’une population qui, au Moyen Âge, était constituée de Musulmans établis en Italie. Cet homme s’appelait Mussolini parce que, disent certains chercheurs, c’est une déformation de la parole « mussulmani », avec deux « s ». Ici, les gens ne le savent pas ; c’est peut-être un secret d’État.

Les parents de Mussolini nommèrent leur fils Benito. Comme nous le savons, nous, Ben est le préfixe qui signifie « fils de » dans les noms arabes et juifs. L’Italie fut dirigée par un fameux chef : Ben Ito Mussolini. Amusant, non ? Est-ce pour ce fait que les Romains affirment : « Tutto il mondo è paese » (Le monde entier est un [seul] pays) ?

La déformation des noms étrangers amuse les Européens. Nous, aussi, nous déformons les noms étrangers : on appelle encore aujourd’hui les Occidentaux « Rumi ». En arabe cela veut dire, comme vous le savez, « qui viennent de Rome ». De fait, aux habitants du sud de la Méditerranée, spécialement durant les croisades, les personnes qui arrivaient du nord déclaraient venir au nom de Rome. Aujourd’hui, le vent migratoire a changé de direction : c’est moi, fils de Sarrasins, peut-être descendant de quelque Romain établi pendant un lointain passé sur la terre de ma naissance, c’est moi qui viens à Rome. Avec une différence : je ne suis pas ici comme envahisseur, spadassin, voleur ; je ne convoite pas les épices, les terres à coloniser, l’or ; je cherche seulement un travail, une maison et, si un jour j’ai des enfants, une école pour eux, avec l’espoir que les enseignants soient dignes de leur civilisation passée, celle qui donna au monde Leonardo et Galileo, pas celle qui, sur une très belle place de la ville, poétiquement appelée Campo de’ Fiori (Champ de Fleurs), brûla vif, à cause de sa libre pensée, Giordano Bruno.

J’habite tout près d’une place. Elle n’a pas un nom de fleur, mais d’un certain Vittorio Emanuele : un roi du passé. Vous savez que ma liberté ignore toute forme d’autorité imposée. Mais, cette place, je l’aime : elle est devenue une place du monde, avec des gens de tous les continents, de toutes les religions, de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel humain, de toutes les musiques, de toutes les langues de la planète. Manque seulement les Extra-Terrestres ; il y a nous, les Extra-Communautaires.

Malheureusement, parmi eux, il y a des gens pauvres en argent et en culture, victimes du maudit système social qui domine la planète. À ces malheureux, personne n’enseigna qu’on n’urine pas dans la rue, qu’on ne doit pas vendre de la drogue, se saouler à mort, voler, contraindre des jeunes filles à se vendre dans la rue.

Ces « pauvres Christs » disposent de trop peu de Christs pour les comprendre, les aider. Ah, capitale du Christianisme ! À l’occasion du Jubilé, tu te déclaras capable d’accueillir trente millions de pèlerins, de telle manière qu’ils « ne se sentent pas étrangers », mais tu restes sans autre réponse que les prières devant trois cents mille « pauvres Christs » extra-communautaires. Crucifié !... Pourquoi ne reviens-tu pas sur la place Saint Pierre, et répètes à la télévision, en mondovision : « Je suis un pauvre parmi les pauvres, un extra-communautaire moi aussi ! Je suis venu et je reviens non seulement pour prier, mais aussi pour agir, d’abord pour les Extra-, tous les Extra-, les exclus de tout, jusqu’au droit de changer de pays. Maudite, la société où la vulgaire marchandise circule librement, parce qu’elle génère le méprisable profit, tandis que l’être humain est refusé parce qu’il ne fournit pas le même vil profit !. Soyez maudits, vous dont la bouche hypocrite évoque Dieu ou le Christ, tandis que le cerveau vicieux adore le démoniaque Argent ! »

Vous me demanderez : qu’en est-il des Algériens qui résident à Rome ? Chez eux, aussi, le démoniaque Argent domine : chacun pour soi ; en cas de besoin, s’adresser à Dieu. Celles et ceux qui ont « réussi », comme ils disent, s’isolent dans leur grotte ou courent à la recherche d’une « réussite » plus profitable ; les perdants, eux, se perdent davantage dans des activités de perdants. Chez l’« élite intellectuelle », le comportement est de loup solitaire, avec une excuse : « Quand deux Algériens se réunissent, trois idées s’opposent ».

Très chers parents, très chers sœurs et frères, soyez tranquilles pour ma vie, pour ma dignité. Le Colisée n’est plus une arène d’horribles assassinats publics, il n’y a plus de gladiateurs, de martyrs, d’esclaves dont le sang versé provoque les hurlements sadiques de plaisir des prétendus civilisés Romains. Les cerveaux pourris ne construisent pas de fours crématoires pour les Extra-communautaires. Je dois remercier le système démocratique, démocratique jusqu’à une certaine limite qui diminue, diminue : je le constate dans les visages inquiets, fermés, agressifs, dans l’emprisonnement officiel de la liberté d’expression, coupable de protester contre le massacre étatique de citoyens d’autres pays, citoyens dont le tort est de défendre leur droit à la dignité.

Chers parents, chers sœurs et frères, pardonnez-moi ces observations. Vous le savez : je ne veux pas ignorer ce qui ne va pas sur cette terre, d’abord là où je vis.

Si l’on ferme les yeux sur les aspects désagréables, Rome est un paradis ! Jolis lacs bleus éclairés par un ciel souvent azur, collines de vigne partout, toits d’un rouge plaisant, couchers de soleil qui stimulent la fantaisie, arbres multiples centenaires, la mer pas loin. Tout est rêve aux yeux émerveillés, peinture de l’artiste des artistes : la nature !

Rome est aussi un plateau de théâtre : parfois, quelqu’un imite le rossignol, chantonne en travaillant « Roma non fa’ la stupida... » (Rome ne fais pas la stupide...). Paroles et mélodie viennent de l’âme du peuple, de l’humaine condition, la part la plus tendre. Vous pourriez me dire : où trouves-tu ces jolis mots ? Mon temps libre, je le consacre à la lecture ; elle m’apprend à m’exprimer au mieux.

Pour moi, Rome n’est pas celle des clous renversés, volés à d’autres contrées, qu’on appelle obélisques, pas celle des handicapés du cœur. Roma ! Pour moi, tu es une femme d’un charme très particulier. Sans jouer au macho, j’admire les seins arrondis de tes coupoles, les lèvres rouges de tes toits (métaphore pas judicieuse, mais ces toits me suggèrent des lèvres), la courbure nonchalante de ton fleuve qui danse du ventre. Roma ! J’aime à Trastevere tes ruelles propices aux baisers, la beauté de tes places anciennes et des sculptures de Bernini, tes fontaines encore ouvertes d’eau potable, tes chats qui errent avec nonchalance.

Roma ! Je t’aime surtout la nuit, en particulier au mois d’août : abandonnée par tes bruyants habitants, tu t’offres, douce et languissante, à mes pieds, à mes yeux, à mes fantaisistes désirs...

Pourtant, Roma Amor mio ! Il y a des moments, ah ! ces moments : je donnerai tout pour retourner, un instant, un seul instant, parmi vous, ma famille, puis déambuler dans le quartier et la ville où je suis né. Je n’ai pas, vous n’avez pas le prix du voyage.

Alors, je pense : stupide, je suis ! Cette planète entière est le quartier où je suis né, même si, dans certaines parties, on m’appelle un Extra !... Tout être humain n’est-il pas un extra-ordinaire : un miracle sur cette boule qui roule dans l’infini univers ?

Question voyage, en vérité, l’argent n’est pas le problème. Le vrai motif ? La liberté. Hors de ma patrie, je suis moins limité dans l’expression de mes opinions, même en cette période où dénoncer un crime contre l’humanité pourrait causer une condamnation, une amende, la prison.

Peut-être suis-je lâche en comparaison des compatriotes restés au pays pour conquérir la liberté. Souvent, cette pensée murmure dans mon cerveau, m’empêche de regarder le miroir : « Tu aimes la liberté, mais tu laisses les autres la conquérir pour toi... Est-ce digne de ta part ? »

S’il vous plaît, chers maman et papa, chères sœurs et frères, ne dites pas le contraire de ce que j’ai raconté dans cette lettre, pour laisser croire que je suis heureux là où je vis : qu’à Rome, je trouve l’argent par terre, que toutes les jolies femmes se jettent dans mes bras, que j’ai beaucoup d’amis, que je vis dans un Paradis. Si vous dites cela, Rome se remplirait de compatriotes à la recherche de bonheur ; sans moyens de subsistance, comment survivraient-ils ? Si tous ces mécontents quittent le pays, qui le délivrerait de ses injustices ? Qu’est-ce qu’une belle patrie sinon celle où l’on aime vivre ? Cet amour est une concession des autorités ou une conquête citoyenne ?

Chers maman et papa, chers sœurs et frères, excusez la longueur de ma lettre. Je me suis efforcé à vous raconter le sel et le miel de mon existence. Mon esprit et mon cœur se déchirent entre ici, où se trouve mon corps, et là où j’ai vécu mes premières émotions.

De Rome, je vous envoie mes plus chers baisers, mes plus tendres pensées, avec tellement de nostalgie.

La présente version est remaniée et ajournée par rapport à une précédente, publiée en 2005, dans le recueil Les dernières nouvelles de Rome, Éditions Librairie Française de Rome La Procure et Palombi Editori (Rome).

 https://reseauinternational.net/lettre-de-rome-dun-e-c/

COMMENTAIRES  

10/05/2024 08:47 par Obelix

Touchante lettre, ça me donne envie d’un bon sanglier rôti. Je serais prêt à le partager avec l’auteur mi barde mi griot, du moins une partie enfin, pas tout par Toutatis mais un morceau quand même !

12/05/2024 17:45 par calame julia

Wouah ! au minimum du septième degré ! car si ce n’est pas le cas
c’est une méconnaissance et une récupération maladroite de la
culture italienne.
Etonnée que LGS laisse passer ce genre d’articles.

13/05/2024 09:38 par J.J.

Que Kaddour NAÏMI se rassure :" Peut-être que moi, n’ayant pas été soumis au catéchisme, je ne comprends rien à la religion du Crucifié. ", je peux lui répondre que moi qui ai été soumis au catéchisme, je n’y comprends rien non plus ...

13/05/2024 11:54 par Vincent

C’est un beau texte, mais qui est à resituer dans son contexte :
Cette lettre a -vraisemblablement- été écrite durant le début des années 80, par un homme qui a aujourd’hui 79 ans, qui a pu émigrer d’Algérie pour faire des études de littérature, qui a pu vivre une époque où "réussir" en dépit de sa classe d’origine avait encore un sens réaliste à une époque où l’"échelle sociale" avait encore des barreaux, et qui est devenu cinéaste, dramaturge et écrivain.
Alors bon, je suis très ignorant de la réalité vécue par un "E.C" comme le racisme ordinaire et tous ses corollaires bien sûr, mais ce que je sais c’est que lorsque je vais en ville, toutes les villes, même les plus petites, je me sens, dans mon pays en 2024, comme un alien sous couverture :
J’y arrive péniblement et à contrecœur après 26 km de petites routes de campagne, avec mon vieil et pimpant Express (essence : le diesel m’interdirait carrément les grands bastions bourgeois où la Bien-pensance boboïstique est faite loi) de 1990 soit 34 ans, dont l’absence totale de garnitures intérieures -d’origine !- me garantit d’être bien étourdi par le bruit et dont les 750Kg de fine tôle me garantissent de perdre gros en cas d’impact avec le SUV de près de 2 tonnes d’un de ces rurbains arrogants, qui apprécient bénéficier de toute la largeur de la route faute de maîtriser le gabarit de son tank m’as-tu-vu plus gros que celui de son voisin, j’imagine.

Je suis ces jours là vêtu des seuls vêtements qui me permettent encore de faire illusion -c’est à dire mon seul jean pas troué et l’unique paire de godasses potable et non crottées dont je dispose- et muni d’un "reste à vivre" somme toutes absolument ridicule (8,8 K€/an à deux : fais le calcul tu verras c’est marrant)
Dès lors, envisager un parcmètre ou un parking payant est totalement exclu. D’autant plus si c’est Vinci qui récupère la thune pour la location (qui est juste tolérée) d’un espace public, hein ?!
Bref me voilà débarqué dans cet univers merveilleux où tout est payant, où les humains sont tous gris, pressés, maussades, étrangers les uns aux autres, où tout, absolument tout est hostile.
L’autre jour je me payais le luxe d’un café à 1,40€, que j’accompagnais avec Ouest-France mis gratuitement à disposition que je compulse comme on lirait 1984 qui serait une histoire vraie, et d’une clope à 60cts en terrasse (oui je sais je me paye surtout le luxe de fumer et c’est sans doute la pire des incohérences, sauf à considérer que bénéficier d’une échéance raccourcie soit en soi une sorte de but dont je ne peux même pas dire que je n’en serais pas conscient...)
Voilà qu’un type qui n’a manifestement pas le même souci que moi de dissimuler son appartenance de classe ou de se montrer encore un peu de respect, me demande une clope :
Je lui réponds que non, désolé, j’ai vraiment pas les moyens de t’en offrir une, et je finis violemment agressé verbalement par le type, qui me montre tout son mépris à grand coups d’insultes et un faciès n’exprimant plus que le dégoût...

Bon je ne vais pas épiloguer trop longtemps, mais voilà comment le seul moment "normal" que je m’offre, comme un petit havre raisonnablement consumériste, se transforme illico en un énième petit trauma, et me voit repartir écœuré par la énième manifestation de l’injustice faite loi. Je fais tout pour ne pas ressentir le mépris des bourgeois, et voilà qu’un précaire me hait parce qu’il m’a pris pour l’un d’entre eux... L’univers est facétieux, parfois.
Rien de grave, on est loin de la fois où je m’étais fait complètement et très violemment dépouiller dans un petit square en plein Soho, mais bon c’est une autre et ancienne histoire.
Et encore bref :
J’élude ici ce que j’ai vécu quand je croisais les hordes docilement masquées aux regards sévères, fuyants ou apeurés, et que boire le même petit café m’était carrément strictement interdit ! ou ensuite oui, mais assis-debout-couché-met ton masque et à bonne distance réglementaire. Bon sang !
Ce trauma là, la soumission instantanée de la masse au totalitarisme le plus abject, je ne l’ai pas plus digéré que le Non à 55% de 2005 métamorphosé en « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens », entendre : "ferme ta gueule !".
J’abrège.
Qui se prétend heureux dans ce pays ? les macronistes ? les retraités ? les expat’ ? les youtubers ?
J’aime la Liberté, et je ne laisse pas les autres la conquérir ni la défendre à ma place.
En cela, je me considère aussi comme un "extra-communautaire" de cette communauté avachie voire rampante, soumise et résignée, aplatie par un pacifisme qui a tout de la lâcheté.
J’ai la rage, et c’est sans doute la seule chose qui fasse encore sens. On ne défaira pas Rome en un jour, ni sans casse.

13/05/2024 18:23 par calame julia

"Tutto il mondo è paese" est compris par les Italiens comme : "le monde entier est un village".
Les fins esprits de ce site en saisiront la subtilité.
"Donna e buoi dai paesi tuoi " s’entend comme : prendre femme et boeufs (et non vache)
de tes villages. Les boeufs tirent charrue et non les vaches qui allaitent...
Benito vient du latin -benedictus-. En Français il est traduit par Benoît. Les anglo-saxons
revendiquent également l’origine du Ben... Mettez-vous d’accord ! J’arrête là.
Je me permets d’informer ce Monsieur que l’Italie a laissé partir un nombre conséquent
de ses concitoyens ; partis pour une grande partie pour nourrir leur famille. Que ceux-ci se sont
donc trouvés comme lui des étrangers dans l’autre pays avec tout ce qui va avec. Une situation
moins confortable que fréquenter une université. Il faut aimer un pays pour le comprendre.

14/05/2024 01:13 par Safiya

Beau texte. C’est la première fois que je vous lis, depuis le premier mot jusqu’au dernier, avec passion, cher Kaddour NAÏMI, pourtant abonnée à votre blog et inscrite à newsletter. Je fuyais, en diagonale, ces phrases qui, pour moi, suintaient la contrainte si loin "du théâtre de la la mer".
Merci.
Safiya

14/05/2024 01:27 par Safiya

@calame julia
Savez-vous que votre patronyme signifie crayon en arabe ?

14/05/2024 09:34 par J.J.

Calamus vient du grec, et certainement de bien plus loin si l’on cherche un peu (probablement racine pré indo européenne). On trouve ce mot dans de nombreuses langues. A l’origine le nom d’une plante, une variété de roseau poussant en zones humides, et dont la tige creuse taillée en biseau est utilisée depuis la plus haute antiquité pour tracer des signes d’écriture sur l’argile, le papyrus, les tablettes de cire, le parchemin, le papier...(C’est aussi non un bois, mais une plante dont on fit des flûtes).
Veuillez m’excuser si j’ai commis un "lapsus calami" ou plutôt "ferendi"(avec potentiellement un horrible barbarisme, il ne me reste plus beaucoup de latin, j’ai eu bien des occasions de le perdre).

14/05/2024 10:40 par Geb.

Bonjour Safiya,

Et "calame" en latin dit "roseau".

Du roseau qui écrivait sur le papyrus égyptien.

Mais il y aurait beaucoup à écrire sur les "roseaux" qui s’ignorent comme tels et qui se prennent pour des stylos "Mont Blanc". ((- :

@vincent...

Rassurez vous point n’est besoin d’être totalement démuni pour ressentir cet extrême vide sociétal, cette ignorance des réalités prégnante et toxique, qui nous étouffe. Simplement ceux qui possèdent encore "un peu plus" l’utilisent pour masquer leurs peurs et leurs doutes en suivant gentiment l’Ordre fondé sur les Règles des Maîtres, au lieu de l’utiliser pour détruire les causes de la situation pendant qu’ils ont encore les moyens de le faire.

Même si nous n’en sommes pas tous à votre niveau de gêne financière, (mais pas loin quand même), le climat délétère environnant empuantit chaque jour la vie des personnes normales, celles qui rejettent le fait de subir le diktat d’une société en pleine déliquescence.

La majorité de ceux qui en ont encore les moyens refuse de faire tapis au risque de perdre ce qui lui reste et ceux qui ont tout perdu sont pieds et poing liés car il ne leur reste que leur vie à mettre en jeu.

Et les responsables, ceux qui coulent le navire, comptent les points, tranquilles dans les canots de sauvetage.

Tant que les Emigrants des cales du Titanic et les Touristes de IIIème classe continueront à jouer selon les règles des Maîtres du pont supérieur et ne prendront pas d’assaut les salons et les canots en virant la Gentry par dessus bord, ce seront eux qui paieront le plus lourd tribu quand le navire coulera...

14/05/2024 16:31 par tchoo

Moi j’habite dans un village à 90% constitué d’immigrés italiens ou descendant d’immigrés italien de 1ère et 2 ème génération, et où le Front National (RN en politiquement correct) fait 32% au 1er tour et 51% au 2nd
le syndrome sans doute du "dernier arrivé ferme la porte à clé"

14/05/2024 22:42 par Safiya

Bonsoir J.J.

"Calamus vient du grec", cela ne m’étonne guère, les Arabes ont été les premiers traducteurs des textes grecs et en effet, le calame est bel et bien, cette tige de roseau taillée en biseau dont se servent encore les calligraphes.
Il se traduit, aujourd’hui, pour désigner crayon ou

14/05/2024 23:16 par Safiya

Salut Geb,
« Et "calame" en latin dit "roseau" ». Le latin n’est-il pas dérivé de l’alphabet grec et celui étrusque ?
« Mais il y aurait beaucoup à écrire sur les "roseaux" qui s’ignorent comme tels et qui se prennent pour des stylos "Mont Blanc". ((- :»
Veux-tu dire qu’un stylo "Mont Blanc" trace mieux les lettres qu’un "roseau" dont le "calame" est fait ?
À mon humble avis, si j’ai bien saisi l’allusion, les scribouillards restent des scribouillards avec un "Mont Blanc", un "Bic" ou un "calame" et l’amoureux des lettres, un virtuose même en les traçant avec un bout de charbon friable.

14/05/2024 23:28 par Safiya

Bonsoir J.J.

"Calamus vient du grec", cela ne m’étonne guère, les Arabes ont été les premiers traducteurs des textes grecs et en effet, le calame est bel et bien, cette tige de roseau taillée en biseau dont se servent encore les calligraphes.
Il se traduit, aujourd’hui, pour désigner crayon ou stylo ou plume.
Bien à vous.

15/05/2024 08:52 par J.J.

Safiya @ "ne pas oublier non plus que si les arabes ont été les premiers à traduire les textes grecs"...et latins, et que si ils n’avaient pris la peine de les transcrire et les sauvegarder, ils auraient été perdu pour l’humanité. Ne pas oublier non plus qu’au Moyen Âge, ce sont les européens qui étaient les barbares.

15/05/2024 13:56 par Geb.

@Safiya...

Traduit 10/10...

Et en plus écrire avec un stylo "Mont Blanc" est un véritable pensum. C’est gros, ça roule entre les doigts, ça fout des crampes, et au bout de cinq minutes tu repasses au crayon "Bic".

Il doit falloir des mains de Ministre pour utiliser ça... ou juste signer des 49/3. ((- :

17/05/2024 19:19 par Chico

Lorsqu’on mélange des pâtes à la carbonara avec du couscous, on obtient un texte comme celui-ci . C’est curieux comme saveur, mais c’est mangeable .

18/05/2024 22:33 par Safiya

17/05/2024 à 19:19 par Chico
Quelle hauteur de vue et quelles papilles gustatives ! Admirables.

28/05/2024 17:03 par rouge

Sourate 68 : Al Qalam (ou qualam) qui signifie : La plume
Je vais finir par la connaitre par coeur celle là.
Les relectures détaillées des bible et coran sont plus que d’actualité vu qu’on essaie de leur faire dire n’importe quoi en ce moment.

28/05/2024 17:15 par rouge

L’auteur de ce texte en a de la chance d’avoir pu visiter tranquillement la "Mecque des chretiens" autrement dit la basilique saint Pierre à Rome. Il en serait tout autre si un chretien voudrait visiter en tant que touriste la "Rome des musulmans" à savoir la ville de la Mecque qui est interdite d’accès à tous non musulman. Interdiction qu’il serait dangereuse d’enfreindre.
J’ai pu constater cela à titre personnel en 1988 lors de mon travail en arabie Saoudite. Je ne pense pas que cela ai changé depuis.

05/06/2024 23:18 par Safiya

@ Rouge.
La basilique Saint-Pierre est une église, l’auteur emploie "la Mecque des Chrétiens" comme l’on disait "Alger, la Mecque des révolutionnaires". Il n’est interdit à personne, Chrétien ou Athée de visiter les mosquées, nulle part de par le Monde.
La Mecque n’est pas une mosquée mais un lieu de pèlerinage pour les Musulmans et le tourisme n’y est pas permis. Point barre.

09/06/2024 06:38 par calame julia

@ Safiya,
La Mecque ne fait pas partie du Patrimoine Mondial de l’Humanité ?!

09/06/2024 08:49 par xiao pignouf

La Mecque ne fait pas partie du Patrimoine Mondial de l’Humanité ?!

Pas à proprement parler, non. Et je ne crois pas qu’y être inscrit signifie une ouverture au tourisme à tous crins.

(Commentaires désactivés)