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Le sale air de la peur

Un climat de peur semble envahir inexorablement le royaume de France. Le monarque et ses ministres se servent allègrement de ce climat en même temps qu’il le suscite sournoisement. D’où vient la peur montante, à quelles sources s’alimente-t-elle ? Un tri est indispensable entre causes objectives et causes subjectives du phénomène. S’agissant de ces dernières il est difficile de nier que la production d’un environnement social anxiogène ne peut qu’être que propice à l’exacerbation de la peur. Parmi les facteurs anxiogènes, la dérive sécuritaire que représente l’accentuation du rôle répressif du couple police/justice ces dernières années en France est pour le moins déterminante.

Les raisons d’avoir peur sont multiples. Les individus ne sont pas affectés au même degré par l’anxiété que peut provoquer un évènement donné. Avant de craindre pour sa vie ou celle de ses proches il existe de nombreuses raisons de craindre que demain soit pire qu’aujourd’hui. Ainsi, cela fait près de quatre décennies que l’insécurité sociale progresse dans notre pays, comme chez nos voisins européens du reste. L’emploi et les revenus sont de plus en plus souvent précaires, le taux de chômage réel de la population n’a jamais été aussi élevé, le nombre de nos concitoyens vivant sous le seuil de pauvreté augmente chaque année. Alors, comment rester serein lorsque l’on est déjà concerné par la précarité ou que l’on est menacé d’y tomber prochainement. La dégradation de la qualité des « services publics », la panne de l’ascenseur sociale que l’Ecole a pu constituer pour d’anciennes générations, l’insuffisante prise en charge des plus démunis par le système de protection sociale, tout cela n’arrange évidemment rien. Et l’anxiété est cousine de la résignation. Demain sera forcément plus sombre : par exemple, personne ne croit vraiment que la loi « travail » va améliorer le sort de la plupart des salariés. Les attentats perpétrés en France par les « fous d’Allah » ont donc bon dos en ce sens qu’ils interviennent au sein d’une société en proie au doute quant à la quiétude nécessaire à son épanouissement.

Ils offrent cependant l’occasion de mettre en place le cadre de contention d’une société toujours susceptible de ne plus accepter la soumission au néolibéralisme économique que l’on attend d’elle.

Les plus précaires des précaires sont les premiers visés par le durcissement de la gestion sécuritaire de la question sociale. Ainsi, l’on constate depuis quelques semaines un usage croissant et quotidien de la violence verbale et physique de la police à l’égard des migrants. Le 22 juillet, le démantèlement du dernier camp qui s’était formé aux abords du métro Jaurès ( !) dans le 19è arrondissement de Paris a donné lieu à des charges policières aveugles à coup de gaz lacrymogènes. Dans la nuit du dimanche 31 juillet, les forces de l’ordre n’ont pas hésité à charger brutalement et à matraquer indistinctement ces déshérités, dont une vingtaine de femmes et d’enfants, pour les empêcher d’installer un nouveau campement.

La brutalité policière semble devenue la réponse commune à diverses franges de la société. Elle existe depuis longtemps désormais dans les quartiers populaires où la police contrôle, harcèle, frappe et tue sans ne jamais être inquiétée. On ne compte plus les personnes arrêtées mortes par « asphyxie » – comme Ali Ziri, Lamine Dieng, Wissam El Yamni ou Adama Traoré le 19 juillet dernier à Beaumont-sur-Oise. Les manifestants des « mouvements sociaux » en font également largement les frais lorsqu’ils se heurtent à des policiers qui frappent, gazent, matraquent, blessent et mutilent. Les exemples font florès : opposants à la loi El Khomri, zadistes de Notre-Dame- des Landes, contre-manifestants lors de la COP 21 à Paris en novembre 2015 mort de Rémi Fraisse à Civens en octobre 2014, éborgnés au flash-ball ici ou là. Les conflits du travail sont eux aussi l’occasion désormais d’une répression inédite : condamnation à des peines de prison ferme pour neuf salariés de Goodyear l’an dernier, validation en août dernier par Myriam El Khomri, Ministre du Travail, de la procédure de licenciement frappant Vincent Martinez, délégué CGT d’Air France (affaire dite de « la chemise ») Alors même que l’Inspection du travail avait refusé ce licenciement.

Ce « maintien de l’ordre » plus que musclé sonne comme autant d’avertissements lancés à l’adresse de tout citoyen à qui pourrait venir l’envie de s’opposer aux criantes injustices du temps, à l’arbitraire honteux frappant les plus faibles, aux délirants projets d’infrastructures destructeurs de l’environnement, aux reculs sociaux contenus par des lois adoptées sans vote parlementaire. Dans le même temps, le climat de tension devenu quasi permanent ne peut que favoriser le développement de l’anxiété déjà présente chez nombre de nos congénères. Enfin – et surtout - la peur n’épargne pas les « gouvernants ». Face aux attentats « islamiques » leur manque de sérénité est patent. Ils agissent dans la seule urgence, loin de la réflexion et de l’apaisement des esprits que réclame la survenue de l’inédite barbarie. Cet affolement révèle un fait : l’impuissance du Gouvernement à soulager quelque peu la crise économique et sociale n’a d’égal que la puissance sans cesse renforcée des arsenaux policier et judiciaire. Une compensation dramatique à laquelle la Droite et le Front National surenchérissent forcément. Incontestablement, le manque de sérénité des gouvernants et la surenchère de leurs opposants sont communicatifs et aggravent ainsi la dérive anxiogène de notre société. A la fin du mois de juillet dernier nos autorités – de plus en plus autoritaires à mesure qu’elles font de moins en moins autorité – ont décidé qu’à compter de la prochaine rentrée des exercices de simulation d’attaques « terroristes » auront lieu chaque trimestre dans tous les établissements scolaires. Quels seront les effets de ces simulacres sur la psychologie des enfants et des adolescents qu’il conviendrait plutôt de maintenir dans une certaine insouciance dont leur épanouissement a besoin. Là encore il faut montrer que l’on agit. Peu importe que l’action pour l’action reste impuissante si la communication de l’action redresse la popularité de ses auteurs.

Nous marchons vers la catastrophe. En instrumentalisant le sentiment de peur - qu’ils contribuent à alimenter - au lieu de chercher à résoudre la crise économique et sociale, nos dirigeants – qui tous comptes faits ne dirigent plus grand-chose – ne font que nourrir l’animosité, pour ne pas dire la haine, envers des catégories sociales supposées ennemies de l’intérieur. La « Garde nationale » ou les milices d’autodéfense auront du pain sur la planche. Décidément, la peur a un sale air, un air de déjà vu, un air qu’il serait préférable de ne pas rejouer.

Yann Fiévet

Les Zindignés - No 37 – Septembre 2016

COMMENTAIRES  

16/08/2016 22:11 par Roger

Décidément ces "faussialistes" iront jusqu’au bout de l’infamie...Cela fait bien longtemps que la Droite n’a plus osé autant de mesures antisociales et antidémocratiques...Elle en est d’ailleurs désarçonnée.

17/08/2016 11:07 par L. A.

Et monsieur Todd de nous parler de la « douceur du processus » de droitisation du gouvernement !
Quant à l’accroche du présent article (titre et photo), je ne suis pas le dernier à critiquer vertement les présentateurs de journaux audiovisuels quand ils nous enfument, quand ils font preuve vis-à-vis des dominants d’une servilité baignant dans une bêtise crasse, bref quand ils sont rituellement obscènes, mais je ne suis pas d’accord non plus pour qu’on ressasse les mêmes sempiternels clichés, approximations et contrevérités invérifiées. Et là, je vais prendre la défense de Roger Gicquel, objet encore une fois de cette imprécision blasée, flemmarde et qui se veut sarcastique à son endroit.
Il y a le « Taisez-vous Elkabbach » qu’un martelage permanent attribue faussement à Georges Marchais alors que cette injonction est issue d’un sketch de l’imitateur Pierre Douglas (https://iwaslike.wordpress.com/2007/11/19/taisez-vous-pierre-douglas/), mais ça fait rien : les médiocrates (médiocre hâte) continueront jusqu’à la fin des temps à l’attribuer à Marchais.
Il y a l’empressé et fallacieux « mais la citation est tronquée » chanté en chœur par les non-vérifieurs bernés quand on rappelle l’ignoble « nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde » de Michel Roccard, phrase qu’il a pourtant bien prononcée telle quelle lors de l’émission « 7 sur 7 » du 3 décembre 1989 (TF1), face à la présentatrice Anne Sinclair (http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2009-09-30-Rocard).
Et il y a le « la France a peur » de Roger Gicquel, présentation pour le coup toujours tronquée, par quoi on voudrait nous faire bien entendre qu’il forçait le trait sur l’insécurité, dans une de ces exagérations favorables à l’extrême droite, à l’instar de ceux qui exhibaient à longueur d’antenne ce petit vieux couvert de bleus et d’ecchymoses la veille de je ne sais plus quel scrutin. Or ce n’était pas vraiment le sens de l’éditorial de Gicquel, il suffit de l’écouter en entier pour s’en rendre compte (http://tvmag.lefigaro.fr/programme-tv/article/television/91403/la-france-a-peur-la-phrase-historique-de-roger-gicquel-lors-de-l-affaire-patrick-henry.html).
Mais c’est vrai que ça demande un peu de temps et un minimum d’effort et d’honnêteté intellectuelle, ce qui n’est pas à la portée de tout journaleux.
Maintenant que Gicquel ait eu parfois un air compassé (un « sale air » ?), c’est un peu vrai aussi, et Coluche en a fait ses choux gras, mais c’est pas pour ça qu’on devrait absolument se moquer de cet homme et le tourner en dérision alors qu’il ne le mérite pas, lui n’« instrumentalisait » pas la peur. Ceux qui on eu l’occasion de l’entendre dans d’autres circonstances conviendront que c’était même plutôt quelqu’un de plaisant (malgré ses accointances avec les autonomistes bretons).
L. A. (défenseur occasionnel de vilains canards)

17/08/2016 12:13 par Geb.

C’est sûr que quand tu as des gens"de gauche" comme ça au pouvoir le patronat n’a plus besoin de "droite".

Tu as juste à attendre la prochaine étape : Le fascisme pur et simple.

Pour l’instant ils ne préfèrent pas...

Pourquoi mettre au pouvoir un Caudillo quand un traître socialiste réussit aussi bien dans les oeuvres ?

Et avec moins de vagues et d’opposition.

17/08/2016 13:31 par Dominique

« l’impuissance du Gouvernement à soulager quelque peu la crise économique et sociale n’a d’égal que la puissance sans cesse renforcée des arsenaux policier et judiciaire. »
J’aurais plutôt écris l’inverse : la puissance sans cesse renforcée des arsenaux policier et judiciaire n’a d’égal que l’impuissance du Gouvernement à soulager quelque peu la crise économique et sociale.

« Quels seront les effets de ces simulacres sur la psychologie des enfants et des adolescents qu’il conviendrait plutôt de maintenir dans une certaine insouciance dont leur épanouissement a besoin. »
Il ne faut pas prendre les enfants pour des idiots. Leur insouciance est naturelle, mais cela ne les empêchent pas de se rendre compte des inégalités de notre société. Leur réaction est alors souvent le miroir de celles de leur parents : parents je m’en foutistes, enfants je m’en foutistes. Cela déjà à 10 ans. Je m’en souviens très bien, c’était Mai 68. Et déjà la plupart de mes compagnons-compagnes du même âge agissait comme leurs parents : cela ne nous concernent pas, de toutes façons ils vont se faire matraquer, tous-toutes de fils-filles à papa, etc.

Ce dont ont besoin les enfants est une éducation qui ne leur apprennent non pas à être rentable et à fonctionner dans le cadre d’un rapport de travail-exploitation capitaliste, mais qui aiguise leur sens critique et qui leur apprenne à se forger leur propre opinion. Quand aux adultes, ils ont besoin d’une presse qui ne soit pas aux ordres et réduite au sensationnalisme, mais qui leur présente les tenants et les aboutissements des situations dont elle parle. Bref d’une presse qui ne se cantonne pas au bourrage de mou mais qui fasse son travail d’information, comme par exemple de descendre dans la rue pour y filmer les violences policières et tendre son micro aux victimes ordinaires de ses violences. Lors de Mai 68, le seul média qui le faisait était France Inter. J’étais le seul à l’écouter dans la classe, touTEs les autres, à l’image de leurs parents, en avaient rien à foutre. À 10 ans et même si je n’avais pas saisi tout ce que cela implique, Mai 68 m’avait bien ouvert les yeux sur le rôle des médias comme mégaphone d’un pouvoir aveuglément répressif et sur la résignation de mes semblables.

Pour que cela arrive, il faudra une révolution et un bon moyen pour la commencer est de faire une grève générale illimitée. Mais il ne faudra pas trop compter sur les syndicats actuels pour cela.

17/08/2016 13:37 par Esteban

...la survenue de l’inédite barbarie...  ?

N’est-ce-pas plutôt les occidentaux notamment les duos assassins sarkozy-juppé contre la Libye et hollande-fabius contre la Syrie qui à coups de démocratie ont installé les premiers la désolation et la barbarie dans ces deux pays au moins ? Ce n’est pas quelques petits attentats isolés mais un bombardement continu avec des bombes les plus destructrices existantes que nous méritons, peut-être que, là, nous comprendrions ce que nous faisons souffrir à des peuples qui n’ont rien demandé à personne.

17/08/2016 20:32 par act

Merci à l’auteur et à LGS pour ce texte,
c’est cette analyse qu’il faut divulguer, propager là où elle est noyée dans une peur/haine provoquée et manipulée. Une peur légitime que seule l’action peut déconstruire.

@Roger : j’interprète mal où vous faites encore une distinction entre le parti "socialiste" français et droite ?

@Geb : pourtant un traitre "socialiste" ne leur suffira pas, si ne nous les empêchons pas, ils introniseront un (ou une) caudillo.

@Esteban : "Nos" barbaries, technologies oblige, sont plus massives que celles des escadrons de la mort salafistes mais elles se valent dans le sens où elles visent des civils au hasard (ou pas). C’est la signature des fascistes de tous horizons, du terrorisme d’extrême droite qu’ils soit d’État ou non.
Quand les partisans et résistants de gauche recourent à la violence c’est parce qu’ils y sont contraints et toujours en visant une cible précise, en évitant -réellement et autant que possible- toute victime innocente.
Les enfants, les citoyens croyants ou non qui sont tombés, là-bas et ici, sous les bombes de l’OTAN ou celles de l’EI, ses sponsors et ses fan-club, n’étaient complices ni de l’OTAN, ni de l’EI.
Il me semble que tu fais fausse route camarade.

BàV

17/08/2016 22:51 par k7

Constat accablant très censé qui pèche par une certaine naïveté... Ah... L’incapacité de nos gouvernements à endiguer la crise. Bien sûr, puisse qu’ils ne cessent de l’entretenir. Sans parler des attentats, dont les responsables ne sont pas forcément ceux que l’on imagine.

Mathématiquement, les ordures au pouvoir et tous les excréments humains qui leur servent de faure-valoir sont condamnés d’avance. Leur chute sera aussi subite qu’inexorable (ce qui peut sembler à première vue paradoxal sur le plan de la succession des événements). A mesure que les actions sécuritaires et antisociales se mettent en place et augmentent en intensité, sous couvert d’une monstration arrogante du déploiement de la force légitimée, c’est leur faiblesse qui en réalité transparaît. Quand les médiocres et les imbéciles au pouvoir seront à cours de remèdes de pacotille ou de discours hypocrites, la prise de conscience de leur lamentable vulnérabilité éclatera dans toute sa pathétique évidence. A ce moment-là, c’est une autre violence, incontrôlable qui surgira. Autant dire qu’ils auront bien peu de chance d’en réchapper. Hormis un exil collectif sur une autre planete habitable ou la chirurgie esthétique, je ne vois pas bien...

18/08/2016 09:39 par Esteban

@act
Soit aimable de ne pas penser et faire croire que je compare les actions des partisans et résistants de gauche à celles de ces faux "rebelles" isolés sur notre territoire dont le résultat ne nous fait vivre en rien la destruction, la souffrance et l’horreur que nous faisons subir à ces autres peuples. Nous savons très bien que les résistants patriotes de ces pays assaillis se défendent dans leur propre pays, et pas ailleurs, contre les hordes d’envahisseurs déstabilisatrices et assassines. Je fais allusion ici, bien qu’on ne leur demande rien et que je ne le souhaite pas, d’une véritable riposte sur nos terres des États concernés qui utiliseraient (pourquoi s’en priveraient-ils ?) nos méthodes civilisatrices pour châtier nos despotes socialo-républicains qui entretiennent le chômage et la misère de masse, plus destructeurs que ce que proposaient les sociétés libyenne et syrienne avant notre démocratisation. "Oeil pour oeil, dent pour dent" au même niveau et avec les conséquences mondiales inhérentes, c’est malheureusement la seule manière de nous sortir de notre confortable torpeur et nous faire comprendre notre parasitage planétaire sans fin.
Je suppose camarade que je ne t’apprends rien et que tu déplores la méthode, pourtant c’est la nôtre ailleurs.

18/08/2016 12:19 par act

Salut Esteban,

malentendu : je n’écris pas (du tout) que tu voudrais mettre les actions violentes menées par des résitants/partisants de gauche sur le même pied que des actions terroristes menées par des intégristes et/ou malades mentaux,

mais à la lecture de ton commentaire j’avais l’impression que tu "justifiais" ou "relativisais" la violence des intégristes ici par celle des impérialistes là-bas.

18/08/2016 15:38 par iriarte.charlotte@msn.fr
19/08/2016 20:12 par Arno Berry

"l’impuissance du Gouvernement à soulager quelque peu la crise économique et sociale" : On ne peut parler d’impuissance que quand il y a volonté de faire, or là ce n’est pas le cas ; les fauxcialistes, cette droite de rechange, n’a nullement l’intention de soulager la crise ; elle est mandatée pour l’amplifier, au profit des quelques parasites qui les ont placés là.

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