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Le président 2.0 (Pagina12)

Le 30 janvier 2019 a confirmé le caractère inédit du champ où se trouve le Venezuela : une nuée de caméras du monde entier à la recherche du “président de transition Guaidó” dans une ville qui aurait dû déborder de sympathisants pour voir exaucé leur désir de voir le “nouveau président” se trouver là où il devrait être, c’est-à-dire au Palais Présidentiel de Miraflores. La réalité, une fois de plus, a déconcerté ceux qui y croyaient : quelques poignées – littéralement – de manifestants circonscrits aux quartiers riches et une courte apparition de Guaidó entouré d’une cinquantaine de personnes, à l’Hôpital de l’Université Centrale, entouré par un peu moins d’une centaine d’étudiants et de professeurs en médecine, vieux antagonistes des politiques de santé gratuite pour la majorité sociale. Les journalistes des grands médias se regardaient sans comprendre.

Tout ça pour ça ? Les médias ont dû se contenter de quelques plans serrés.

Après quoi Guaidó a écrit sur son compte Twitter : “Aujourd’hui #30Janvier, nous, vénézuéliens, sommes sortis à nouveau pour élever notre voix, nous retrouver dans la rue et démontrer que nous pouvons changer le pays”. Un peu plus tôt il avait remercié pour son appel téléphonique Donald Trump lequel à son tour avait twitté pour célébrer “la mobilisation massive”.

La distance entre la construction internationale des médias, des réseaux sociaux, et ce qui se vit dans le pays, est immense. Il ne se passe pas ce qui devrait se passer une semaine après l’autoproclamation. Guaidó n’a pas de territoire, ni de reconnaissance interne, ne commande à personne, n’éveille pas l’appui qu’il devrait éveiller, se retrouve plus proche du ridicule que du pouvoir. L’expression vénézuélienne la plus exacte pour le qualifier serait “pote de humo”, “boîte à fumée”.

Ce même 30 janvier, le Parlement Européen a avancé dans son refus de reconnaître Nicolás Maduro, en affirmant à travers Antonio Tajani, que Guaidó est devenu “le seul interlocuteur”, et qu’à partir d’aujourd’hui il serait reconnu comme président. De concert, les salons diplomatiques ont poursuivi leur courbe putschiste, avec la réunion de Julio Borges, député qui a fui la justice, et plusieurs sénateurs états-uniens. Borges assumera la représentation du “gouvernement de Guaidó” auprès du Groupe de Lima (gouvernements néo-libéraux latino-américains).

Le contresens devient évident. Toute personne honnête et dotée de sens commun qui parcourt Caracas se rend compte que le Venezuela n’est un pays en faillite où une partie de la population aurait décidé de se donner un nouveau président, et que ce “nouveau gouvernement” n’a pas de réalité sur place.

Ce hiatus révèle deux points centraux. En premier lieu, il corrobore que la construction de Guaidó a été conçue dès le début depuis l’extérieur à travers une puissante opération communicationnelle et politique. Il ne faut pas chercher pour l’heure de réponses sur le plan national pour comprendre ce qui peut venir. Les maigres annonces qu’a faites Guaidó sont destinées à l’international : nommer des représentants dans différents pays, recevoir des appels depuis les Etats-Unis, annoncer qu’on se prépare à recevoir leur aide humanitaire.

Cela signifie que le plan et les hypothèses doivent être recherchés dans les couloirs de la Maison Blanche. Chaque jour vient renforcer cette thèse. La décision et le schéma se trouvent à l’extérieur. Comment la droite en est-elle arrivée là ? Il faudrait mener une analyse sur les dernières années, l’accumulation d’échecs politiques et les matrices politico-culturelles issues de décennies et de siècles. Il faudrait aussi analyser la politique actuelle des Etats-Unis vis-à-vis de l’Amérique Latine, sa nécessité de construire un contrôle sans failles avec des gouvernements comme celui de Mauricio Macri ou d’Iván Duque en Colombie, dans un contexte de batailles géopolitiques corrélées dans le continent dans le champ des investissements.

Par ailleurs le contexte national se caractérise par une haute instabilité. Le calme revenu depuis le 23 janvier ne signifie pas que la droite ne peut pas relancer une série d’actions. Le plus probable est qu’elle le fera quand l’ordre arrivera. Cela se produirait sous deux dimensions.

La première se nouerait à travers sa base sociale la plus active, avec laquelle la droite a scellé un pacte dangereux : elle ne réussit à la convoquer que pour des actions visant à chasser Nicolás Maduro du Palais présidentiel. Ses autres activités politiques génèrent des sifflets, des refus, un manque de participation d’une base déçue par ses leaders. Cette base d’appui ne répond plus qu’aux appels au coup d’Etat. Elle le sait et c’est une partie de la négociation que mène Guaido en fonction de l’attente qu’il a créée et des logiques construites lors des tentatives de coup d’Etat antérieures (2002, 2014, 2017..)

La deuxième impliquerait d’activer des groupes armés dans les quartiers populaires. Selon les enquêtes réalisées à l’intérieur de ces territoires et selon les sources officielles, le prix par personne et par nuit pour sortir et monter un foyer de violence, est de 30 dollars. Cela, dans les zones où on cherche à générer un appui populaire, un soulèvement qui jusqu’à présent ne s’est produit nulle part, afin d’exploiter les images instantanément et intensément à travers les réseaux sociaux. Un foyer de violence furtif et converti en tendance sur Twitter possède un haut impact sur la base sociale que cherche à convoquer Guaidó, lui-même co-organisateur des violences d’extrême droite de 2017 caractérisées entre autres par les lynchages d’afrodescendants, brulés vifs.

Par contre, dans d’autres territoires, où l’objectif a été d’affronter de manière armée les forces de sécurité de l’Etat – avec grenades, armes courtes et longues – le prix fut environ de 50 mille dollars, à répartir ensuite au sein de la bande sous contrat.

Ces scénarios pourraient se reproduire au moment où la droite décide de les réactiver – ce qui ne signifie pas qu’ils seraient couronnés de succès. La violence fait partie intégralement du schéma de siège et d’assaut. Pour comprendre comment elle est calibrée, il faut la corréler avec les temps fixés pour atteindre l’objectif. Pour la droite le danger peut être d’épuiser sa base sociale, ou le refroidissement pur et simple si Guaidó persiste dans le manque de directives claires, dans l’inconsistance et dans l’incapacité de dire quoi que ce soit.

La position conjointe des gouvernements du Mexique et de l’Uruguay tranche avec ce contexte : ils convoquent une réunion internationale le 7 février pour aborder le thème du Venezuela. Le dialogue semble être la seule manière de désamorcer la tension explosive qui monte grâce à la complicité active de gouvernements, des grands médias et de forces souterraines. Sinon, quoi ? Maduro ne démissionnera pas. La guerre ouverte avec des mercenaires et paramilitaires ?

Ceux qui mènent le conflit contre le Venezuela se rapprochent de limites dangereuses. Guaidó, le premier président 2.0, une fiction réelle, ne semble qu’un pion dans le schéma qui l’a placé à cet endroit.

Marco Teruggi
depuis Caracas

Source : https://www.pagina12.com.ar/171940-el-presidente-2-0

Traduction : Thierry Deronne

 https://venezuelainfos.wordpress.com/2019/01/31/le-president-2-0/

COMMENTAIRES  

31/01/2019 23:26 par Dominique

Ce que je ne comprends pas est pourquoi, après 3 coups d’état ratés, ces gens n’ont pas été jugé et ne sont pas en prison. Cette question sans réponse est très dangereuse car on peut se demander si après tout, ce ne serait pas les USA et leurs valets qui auraient raison. Je me suis posé cette question après les 3 coups d’état et elle est toujours valable aujourd’hui. Donc si quelqu’un a la réponse, surtout qu’il se gène pas pour nous l’apporter.

01/02/2019 09:52 par Assimbonanga

Je lis avec une stupéfaction teintée d’effroi que l’on peut recruter des individus dans les quartiers pauvres de Caracas afin de monter des foyers de violences et cela avec un modeste budget de 30€ par tête. Quel affreux pays ! Heureusement dans nos démocraties européennes et en particulier parisiennes, un tel scénario n’est pas même envisageable.
Sinon quoi ? Imagineriez-vous qu’un pouvoir politique puisse faire appel à des petits casseurs de banlieue pour mettre en scène de pures images de violence à des fins de propagande télévisuelle ? Non. Pas chez nous.

01/02/2019 11:50 par Yan

@dominique

Simple supputation de ma part, mais à mon avis le pouvoir vénézuélien joue des cartes subtiles pour éviter d’ajouter de l’eau au moulin des arguments - fallacieux bien sûr - qu’on entend chez nous > Répression politique, enfermements des opposants (alors qu’ils relèvent plus du droit pénal probablement)
Plus dur pour cette droite de continuer leur délire alors qu’il est facile de voir qu’ils ont accepté par ex. des résultats d’élections quand ils leur étaient favorable. Regardez le martyr qu’ils ont fait de Leopoldo Lopez alors que le gars est un voyou tout simplement.
Le risque d’une intervention militaire doit être évité à tout prix, peu importe que ce soit un "couloir humanitaire", "no fly zone" ; enfin toutes les techniques qu’on a vu ailleurs.
Le Venezuela et entouré de pays aux gouvernements hostiles, quasi aux ordres des USA.

01/02/2019 13:22 par HUGO

VENEZUELAAAAAAAAAAAAAAAAAA

01/02/2019 17:28 par François de Marseille

On sait ce qui nous attends le jour ou on réussi par miracle à faire élire JLM. L’europe ne reconnaitra pas cette élection truquée, les yankee non plus. La mafia ultralibérale fait les lois et sélectionne en direct ses marionnettes.
Je suis atterré par ce qui se passe, ils ne reculeront devant rien.

01/02/2019 19:57 par Danael

Pendant ce temps là en Ukraine le résultat de tant d’ardeur de nos démocrates (les mêmes qui hurlent à présent contre Maduro) nous renvoie une image paisible de ce que doit être un régime acceptable puisqu’on n’en parle plus dans nos médias.
https://www.les-crises.fr/ukraine-l-antisemitisme-se-developpe-en-ukraine-avec-le-soutien-de-certaines-autorites/

01/02/2019 23:14 par François de Marseille

@ Danael : antisemitisme ukrainien pardonné (même par le crif) car excellents résultats en russophobie.

02/02/2019 04:12 par Vania

@Dominique,
Pour expliquer en partie, pourquoi les opposants à la révolution bolivarienne continuent de comploter, il faut comprendre que la révolution bolivarienne est aussi authentiquement chrétienne et que" Chávez a toujours démontré une profonde croyance en la rédemption et le pardon". La révolution bolivarienne s’est toujours déclarée comme une révolution pacifique et non violente. N’oublions pas cette phrase emblématique de Chávez "si nous ne pouvons pas être parfaits, soyons bons"
Lire l’article "Hugo Chávez, homme de Renaissance du XXIè siècle par James Petras (à partir de théorie et pratique politique :le grand synthétiseur)
https://www.voltairenet.org/article178168.html

02/02/2019 21:24 par Assimbonanga

Aujourd’hui, journal de 20h de France 2, 13ème minute, reportage sur la manif de "l’opposition" au Venezuela : pas un tir de lacrymo, pas un son de grenade assourdissante, pas de blessés qui s’écroulent sous un choc de flashball. Je suppose que si ça avait été le cas, la journaliste-reporter n’aurait pas manqué d’en faire état. https://www.francetvinfo.fr/replay-jt/france-2/20-heures/jt-de-20h-du-samedi-2-fevrier-2019_3150707.html
Ici, place de la République, ça a canardé sévère et encore plusieurs blessés.
Donc, Venezuela dictature et France paisible démocratie ?
Les mots ont-ils un sens ?
Sur LCI, Sergio Coronado explique comment la semaine dernière toutes les issues étaient bloquées autour de la place de la République et les gens pris en otage dans une nasse. La vérité finira-t-elle par s’imposer, bon sang !

05/02/2019 13:21 par Dominique

@ Yan
Les menaces et intimidations de l’extérieur n’expliquent pas tout car le Venez est un état de droit. Donc les putchistes devraient être en prison.

@ Vania
L’article de Petras est cependant excellent, merci de l’avoir partagé. Petras semble sincère et il fait une bonne présentation de la pensée de Chavez et Maduro. Mais face à la réalité du terrain, il ne présente en effet qu’une partie de la réponse.

Quand à la vérité, nous vivons dans un monde qui est à l’envers où, après que des pans entiers de la gauche aient rit au nez de Chavez quand il avait appelé à une nouvelle internationale dans le but de recoller la gauche et de lui faire renouer avec l’anti-impérialisme et avec l’internationalisme, le seul pays européen à avoir refusé de reconnaître Guaido est gouverné par l’extrême-droite : L’Italie a posé son veto à la reconnaissance de Juan Guaidó par l’UE.

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