Le FMI nuit aux pays qu’il prétend aider - The Guardian

Quand les gens pensent aux dommages que les pays riches – généralement dirigés par les États-Unis et leurs alliés – causent aux populations du reste du monde, la première chose qui leur vient à l’esprit est sûrement la guerre. En Irak, des centaines de milliers de personnes sont mortes suite à l’invasion de 2003, et bien d’autres encore à mesure que la région s’enflammait.

Mais les pays riches ont aussi un pouvoir considérable sur la vie de milliards de personnes en contrôlant les institutions de la gouvernance mondiale. L’un d’eux est le Fonds monétaire international. Celui-ci compte 189 pays membres, mais les Etats-Unis et leurs alliés des pays riches disposent d’une solide majorité en matière de droits de vote au sein de l’organisme. La tradition veut que le chef du FMI soit un Européen, et les États-Unis disposent à eux seuls de suffisamment de voix pour opposer leur veto à de nombreuses décisions importantes – bien que les pays riches ne votent presque jamais les uns contre les autres.

Pour voir à quoi ressemble le problème, observons un prêt récemment octroyé par le FMI. En mars, l’Équateur a signé un accord pour emprunter 4,2 milliards de dollars au FMI sur trois ans, à condition que le gouvernement adhère à un programme économique spécifique énoncé dans l’accord. Selon Christine Lagarde, alors directrice générale du FMI, il s’agissait ” d’un vaste programme de réforme visant à moderniser l’économie et à ouvrir la voie à une croissance forte, soutenue et équitable “.

Mais est-ce vraiment le cas ? Le programme prévoit un resserrement considérable du budget national – environ 6 % du PIB au cours des trois prochaines années. (À titre de comparaison, imaginez un resserrement du budget fédéral des EU de 1,4 milliard de dollars, résultat d’une réduction des dépenses et d’une augmentation des impôts). En Équateur, il s’agira notamment de licencier des dizaines de milliers d’employés du secteur public, d’augmenter les impôts qui pèsent de manière disproportionnée sur les pauvres et de réduire l’investissement public.

Le résultat de cet important resserrement budgétaire sera d’entraîner l’économie dans la récession. Le FMI prévoit une récession relativement modérée jusqu’à l’an prochain, mais elle sera probablement beaucoup plus profonde et plus longue, comme c’est souvent le cas avec les programmes du FMI. Le chômage augmentera – même les projections du programme du FMI le reconnaissent – tout comme la pauvreté.

L’une des raisons pour lesquelles le programme s’avérera probablement bien pire que ce que prévoient les projections du FMI est que celui-ci repose sur des estimations qui ne sont pas crédibles. Par exemple, le FMI prévoit un afflux net du secteur privé étranger dans l’économie de 5,4 milliards de dollars (environ 5 % du PIB) pour 2019-2022. Mais si l’on considère les trois dernières années, il y a eu une sortie de capitaux de 16,5 milliards de dollars (17 % du PIB). Qu’est-ce qui rendrait les investisseurs étrangers soudainement plus enthousiastes à l’idée d’investir leur argent en Équateur ? Certainement pas la récession que même le FMI prévoit.

[Le plan du FMI contient] d’autres suppositions peu plausibles et même certaines résultent d’erreurs comptables, et elles vont malheureusement toutes dans la même direction. Il semble que l’”austérité expansionniste” prévue par le programme – une formule qui ne se matérialise presque jamais – ne fera probablement pas de l’Équateur une exception : il est peu probable que l’économie croisse si la demande globale diminue.

Le programme vise également à remodeler l’économie d’une manière qui, aux yeux de nombreux Équatoriens, pourrait paraître politique. L’autonomie de la Banque centrale sera accentuée, les actifs publics seront privatisés et le droit du travail sera modifié de manière à donner aux employeurs un pouvoir sans entraves sur les travailleurs. Certains de ces changements – par exemple la séparation entre la Banque centrale et les autres instances décisionnelles du gouvernement – rendront la reprise économique encore plus difficile.

Tout cela se déroule sous un gouvernement qui, alors qu’il avait été élu en 2017 sur un programme de continuité, cherche à inverser une décennie de réformes politiques. Pourtant, ces réformes avaient été, selon divers indicateurs économiques et sociaux, couronnées de succès. La pauvreté a été réduite de 38 % et l’extrême pauvreté de 47% ; les investissements publics – notamment pour les hôpitaux, les écoles, les routes et le secteur énergétique – ont plus que doublé en pourcentage de l’économie. Mais le gouvernement précédent était un gouvernement de gauche qui montrait plus d’indépendance vis-à-vis des Etats-Unis (en fermant, par exemple, la base militaire étasunienne présente dans le pays).

On peut imaginer la tournure que vont prendre les évènements, alors que le gouvernement de Trump acquiert un énorme pouvoir en Équateur non seulement grâce au prêt de 4,2 milliards de dollars du FMI, mais aussi grâce aux 6 milliards de dollars octroyés par des institutions multilatérales basées à Washington, telles que la Banque mondiale et la Banque interaméricaine de développement. (Le montant total représente environ 10% du PIB annuel de l’Équateur, ce qui équivaudrait à plus de 2,1 milliards de dollars aux États-Unis).

En fait, nous n’avons pas besoin d’imaginer grand-chose, puisque le nouveau président, Lenín Moreno, s’est sagement aligné sur la politique étrangère et économique de Trump dans la région. Parallèlement, son gouvernement s’est mis à persécuter son prédécesseur, l’ex président Rafael Correa, avec de fausses accusations lancées l’année dernière (Interpol a d’ailleurs refusé de les faire valoir avec un mandat international. D’autres dirigeants de l’opposition ont fui le pays pour éviter toute détention illégale – c’est le cas de l’ancien ministre des Affaires étrangères Ricardo Patiño, coupable d’avoir prononcé un discours que l’actuel gouvernement n’a pas apprécié.

Comme Washington contrôle les prises de décisions du FMI pour cet hémisphère, l’administration américaine et le Fonds sont impliqués dans la répression politique ainsi que dans la tentative plus large de reconvertir l’Équateur dans le type d’économie et de politique que Trump et Pompeo voudraient voir, bien qu’il soit clair que la plupart des Équatoriens n’aient pas voté pour ce genre de programme.

Tout cela confirme la nécessité de mener une réforme sérieuse du FMI, en commençant par en faire une institution plus multilatérale que ce qu’elle ne prétend l’être aujourd’hui. Au cours des 20 dernières années, le Congrès des États-Unis – qui doit approuver des augmentations de financement pour le FMI – est intervenu à de rares occasions pour éliminer certains abus. Au début des années 2000, par exemple, des millions d’enfants pauvres en Afrique ont eu accès à l’enseignement primaire et aux soins de santé parce que le Congrès états-unien a rendu impossible pour le FMI et la Banque mondiale le fait d’exiger aux gouvernements de ce continent de taxer les usagers de services fondamentaux – comme elles avaient l’habitude de le faire depuis longtemps.

Dans les prochaines semaines, le FMI choisira très certainement un nouvel Européen aisé et blanc à la tête de l’institution. Les membres progressistes du Congrès [des EU] qui se soucient de l’impact de la politique étrangère sur le reste du monde, devraient soutenir quelques demandes de réformes au sein de cette institution.

Mark Weisbrot est codirecteur du Center for Economic and Policy Research à Washington et président de Just Foreign Policy. Il est également l’auteur de « Failed : Ce que les “experts” n’ont pas compris au sujet de l’économie mondiale ».

Traduit par Luis Alberto Reygada (@la_reygada)

Note du traducteur :

Le CEPR a réalisé une étude très critique sur l’aide apportée par le FMI à l’Argentine dans un rapport publié fin 2018 : Argentina’s Deal With the IMF : Will “Expansionary Austerity” Work ? (Mark Weisbrot et Lara Merling). Un résumé en français de cette étude est disponible sur le site de l’Observatoire Politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (Sciences Po).

 https://www.les-crises.fr/le-fmi-nuit-aux-pays-quil-pretend-aider-par-mark-weisbrot/?

COMMENTAIRES  

12/09/2019 07:17 par alain harrison

Bonjour.

« « out cela confirme la nécessité de mener une réforme sérieuse du FMI, en commençant par en faire une institution plus multilatérale que ce qu’elle ne prétend l’être aujourd’hui. » »

Tien. encore l’idée de changer de l’intérieure. Une vieille rengaine : changer l’UE, mettre aux pas les paradis fiscaux....... Quand à combattre le crime organisé, que dalle, il prospère comme jamais. Les coups d’éclats de la justice, de l’enfumage.
Ce sont des récidivistes, tout comme les prédateurs.......
Que faire ?
Voilà un dossier pour la Constituante.
La Constituante Citoyenne doit viser globalement notre système socio-économique institutionnel (pour faire court).

En regard des avancés de l’extrême droite israélienne, il demeure un mystère : le jihade n’a jamais mis les pieds en Israël (sans doute un acte de Dieu).
Le djihad ou jihad, également écrit jihâd ou djihâd (جهاد en arabe), est un devoir religieux au sein de l’islam et du babisme. En arabe, ce terme signifie « abnégation », « effort », « lutte » ou « résistance », souvent traduit à tort par « guerre sainte ».
Djihad — Wikipédia
https://fr.wikipedia.org › wiki › Djihad

Avant le XXe siècle, il était de bon ton, la croyance de la royauté de droit divin. Les nostalgiques du retour à la royauté, Y en a plein en Europe, du moins en Angleterre, en Allemagne ....., en France, la 5e République est une mauvaise copie de la monarchie d’autres époques.

Les idéologies ont remplacé la religion ?
En tout cas le libéralisme, entre dans sa phase ouverte de ses contradictions comme la prévu Marx semble - t’il. Il ne se cache plus, il fait au grand jour. Alors, comment expliquer notre inertie face à ses abus aux vus de tous ?
Un élément d’explication : le méta conditionnement, concept que j’ai souligné à maintes reprises.
Je vous le dis, lisez le chapitre 1* du livre de Jean-Marie Abgrall : tous manipulés tous manipulateurs.
Comment dire.
Krishnamurti : voir la vérité d’une chose.
Si nous n’avançons pas, si nous ne nous posons pas sur un terrain solide, le libéralisme continuera à nous mener dans les sables mouvants.

* Dans un passage, il est clairement établi que le passage d’un conditionnement à un autre est plus emprisonnant, parce que le travail
nécessaire pour comprendre ce conditionnement n’est pas fait.
Krishnamurti : .....parce que nous ne savons pas regarder l’inconscient. Mais remplacé le mot inconscient par le mot mémoire.

Attention : l’inconscient est un terme "technique" en psychanalyse. Et comme nous le savons, la psychanalyse, Freud..... sont contestés, comme toute construction humaine, de même la politique idéologique, on pourrait dire qu’elle en est le haut lieu.

Le mouvement des peuples continue à prendre de l’ampleur, le retour de la Tunisie dans le grand virage que constitue : le Vénézuéla,
Cuba....... pour l’Amérique latine ; Le Soudan, l’Algérie... pour l’Afrique ; les GJ en France, une renaissance de la gauche aux US.
En Afrique du Sud, ça bouillonne semble - t’il ?

J’ai retenu cet article (l’économie touristique pèse de plus en plus sur les écosystèmes (nature, culture et vie citoyenne, Venise en est un bon exemple)
Afrique du Sud.Le business du lion ne fait plus recette
AFRIQUE DU SUD
DAILY MAVERICK - JOHANNESBURG
Publié le 24/08/2018 - 06:14
« « L’image touristique de l’Afrique du Sud souffre de plus en plus des dérives du secteur de l’élevage commercial des fauves, et particulièrement des lions. Et “ça va empirer”, juge le Daily Maverick après la lecture de l’étude sur le sujet de l’Institut sud-africain des relations internationales (SAIIA).
“L’Afrique du Sud pourrait perdre plus de 54 milliards de rands sud-africains [3,25 milliards d’euros] en recettes touristiques sur les dix prochaines années”, si elle n’encadre pas de plus près cette industrie, relaie le site d’informations sud-africain. » »
https://www.courrierinternational.com/article/afrique-du-sud-le-business-du-lion-ne-fait-plus-recette

Pour moi il est claire que la changement passe par les peuples, leur culture revue et corriger.
Comment ?
La Constituante Citoyenne
Le nouveau pacte social
Le nouveau paradigme économique

Mais tout cela ne s’improvise pas, n’est-ce pas, ni par récupération politico-idéologique. Les leçons de l’histoire et la rigidité.
Et pourtant, nous persistons dans les erreurs. Voilà le premier constat.
Les intellectuels ont démontré leur limite OUI NON
Nous sommes toujours dans nos construits. Pour preuve, le libéralisme qui recycle les concepts communistes (le productivisme, la culture d’entreprise.......) *.La Russie, la Chine qui se converti à la mondialisation et à la compétitivité pour le marché, les ressources, la course au sur développement (mégalopole et gratte ciel sans fin, sur population oblige, la dernière phase du développement ?__la question se pose NON OUI). Pourrons-nous résorber nos débordements sans continuer sur le chemin actuel ?
* Krishnamurti : la gauche est la continuité modifié de la droite et vissé versa.

13/09/2019 23:05 par alain harrison

Bonjour.

Nous sommes de plein pied dans la géo-politique affairiste-stratégique (mondialisation tout azimut : rien qu’à voir l’envahissement du tourisme à Venise après la poubelle de Naples, une gracieuseté du couple politique-mafia).
Sous cet angle, l’attitude de la Chine et de la Russie est parfaitement compréhensible, mais nous devons pas tomber dans la non critique face aux aberrations, ou rester sans nuance et de questionner quand même les orientations au coup par coup du conflit qu’est l’ordre mondial. Il est difficile de se donner une vision globale à première vue, il faut un ensemble de donnés historiques qui perdurent en ce début de siècle. Le plus difficile est l’évaluation des récupérations de part et d’autres, autant à droite qu’à gauche, et principalement les contradictions dans la gauche !

Quel pourrait être le terrain de la gauche : quels éléments qui en ferait un de position fondamentale pour arriver à un agenda (politique : à mettre en place) rassembleur. La question du consensus, qui bien sûr n’élimine pas les désaccords, mais qui a le mérite d’avancer, sur les grands enjeux, dont fait parti le changement climatique, dans la mesure que nous distinguions les causes des effets.

Nous ne devons pas abandonner les efforts contre les effets, mais encore plus sur les causes. Mettre les liens est la seule voie pour les solutions.
Donc souligner les récupérations, les exposer sans tomber dans les travers des trolls qui ne mènent nulle part. Il est claire que l’État de droit persiste dans sa faillite (ses politiques économiques domestiques nulles : la cour de la finance__un construit sans base réelle, mais un système qui a envahi toutes les niches et qui est un montage (pas à pas) d’une pléthore d’institutions : le complexe militaro-industriel-financier. Est-ce que la boucle est bouclée ?
Non, mais comme dit Krishnamurti : le tigre qui chasse le tigre.
Autrement dit, la géopolitique est la quadrature du cercle.
Comment en sortir : par le haut.
Une métaphore : passer de la chenille au papillon.
Quand chacun aura intégré la vue d’ensemble de notre réalité. Et sa commence par réaliser la découverte et l’articulation de ce que signifie l’Évolution Naturelle, un rendez-vous manqué ?
Un texte d’initiation : Crime contre l’humanité, l’Ultime retour des barbares (le modus operandi et ses dommages collatéraux sur
l’ensemble qui empêche toute avancé vers la paix, le seul cadre pour réaliser notre émancipation vers notre Humanité).
De l’hominisation à l’humanisation reste un sujet controversé : science versus croyance (une discussion ou une manipulation)
Le chapitre 1 du livre de Jean-Marie Abgrall : tous manipulés tous manipulateurs.
Pour Krishnamurti la pensée ne connaît pas de limite.....
Notre pensée est anthropomorphique ?

SANS TABOU, débat entre E. Morin et A. Dambricourt-Malassé sur "L’Hominisation passée et présente"
2 169 vues•Ajoutée le 16 oct. 2017
Débat sur la question : https://www.youtube.com/watch?v=iS6aE8M8aTQ

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