La paix mondiale tient à un fil.

Agents de sécurité iraniens photographiés à travers une vitre brisée après l’assassinat de l’ingénieur Massoud Ali Mohammadi devant chez lui par une moto piégée, le 12 janvier 2010. (c) Getty Images

J’ai eu le plaisir, hier, de converser calmement avec Mahmoud Ahmadineyad que je n’avais plus vu depuis septembre 2006, voilà plus de cinq ans, quand il était venu à La Havane participer à la Quatorzième Conférence au sommet du Mouvement des pays non alignés qui avait élu Cuba pour la seconde fois à la présidence de cette organisation pour la durée prévue de trois ans. J’étais tombé gravement malade le 26 juillet 2006, un mois et demi avant, et je pouvais à peine me maintenir assis sur le lit. Plusieurs des dirigeants les plus distingués qui assistaient au Sommet eurent l’amabilité de me rendre visite. Chávez et Evo le firent plusieurs fois. Quatre dont je me souviens encore vinrent en début d’après-midi : Kofi Annan, le secrétaire général de l’ONU ; un vieil ami, Abdelaziz Bouteflika, le président algérien ; Mahmoud Ahmadineyad, le président iranien ; et Yang Jiechi, alors vice-ministre et aujourd’hui ministre des Relations extérieures de la République populaire de Chine, en représentation de Ju Jintao, chef du Parti communiste et président du pays. Ce fut vraiment un moment important pour moi qui rééduquais aux prix de gros efforts mon bras droit sérieusement blessé lors de ma chute à Santa Clara.

J’avais commenté avec ces quatre dirigeants des aspects des problèmes complexes que le monde connaissait alors et qui sont le devenus assurément de plus en plus.

A notre rencontre d’hier, j’ai constaté que le président iranien était on ne peut plus tranquille, absolument indifférent aux menaces yankees, confiant en la capacité de son peuple de repousser n’importe quelle agression et dans l’efficacité des armes dont il produisent une grande partie eux-mêmes pour faire payer aux agresseurs un prix insupportable.

En fait, c’est à peine s’il a parlé de la guerre. Il est plutôt revenu sur les idées qu’il avait exposées à sa conférence dans le grand amphi de l’Université de La Havane, axées sur l’être humain : «  S’acheminer vers la paix, le respect de la dignité humaine en tant que souhait de tous les êtres humains tout au long de l’Histoire. »

Je suis convaincu qu’on ne doit pas s’attendre de la part de l’Iran à des actions irréfléchies qui contribueraient au déclanchement d’une guerre. Si celle-ci éclate, ce sera uniquement la faute de l’aventurisme et de l’irresponsabilité congénitale de l’Empire yankee.

Je pense de mon côté que la situation politique créée autour de l’Iran et les risques d’une guerre atomique qui en émanerait et toucherait tous les pays, qu’ils possèdent des armes de ce genre ou non, sont extrêmement délicats parce qu’ils menacent l’existence même de notre espèce. Le Moyen-Orient, qui produit des ressources économiques vitales pour l’économie de la planète, est devenu aujourd’hui la région la plus conflictuelle au monde.

La capacité de destruction de certaines armes employées durant la Deuxième Guerre mondiale et les souffrances massives qu’elles infligèrent incitèrent fortement à en prohiber quelques-unes, dont les gaz asphyxiants. Néanmoins, les conflits d’intérêts et les énormes profits des fabricants les conduisirent à élaborer des armes encore plus cruelles et plus destructrices, jusqu’au jour où la technologie moderne a fourni les matériaux et les moyens nécessaires à la mise au point d’armements dont l’emploi dans une guerre mondiale conduirait à notre extermination.

Je suis d’avis - qui est sans aucun doute celui de toutes les personnes dotées d’un sens élémentaire de leurs responsabilités - qu’aucun pays, grand ou petit, n’a le droit de posséder des armes atomiques.

On n’aurait jamais dû s’en servir pour attaquer deux villes sans intérêt militaire comme Hiroshima et Nagasaki, pour assassiner et irradier avec d’horribles effets durables des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants d’un pays déjà vaincu sur le plan militaire.

A supposer que le nazi-fascisme eût obligé les puissances liées contre lui à rivaliser avec cet ennemi de l’humanité dans la fabrication de cette arme, le premier devoir de l’Organisation des Nations Unies, créée à la fin de la guerre, aurait dû être de l’interdire sans la moindre exception.

Mais les États-Unis, la nation la plus puissante et la plus riche, imposèrent au reste du monde la ligne à suivre. Ils possèdent aujourd’hui des centaines de satellites qui épient et surveillent de l’espace tous les habitants de la planète ; ils ont équipé leurs forces navales, terrestres et aériennes de milliers d’armes atomiques ; ils manipulent à leur guise, par Fonds monétaire international interposé, les finances et les investissements du monde.

Quand on analyse l’histoire de l’Amérique latine, depuis le Mexique jusqu’à la Patagonie en passant par Saint-Domingue et Haïti, on constate que toutes les nations, sans exception, du début du XIXe siècle à nos jours, soit deux cents ans, ont été victimes et continuent de l’être toujours plus des pires crimes que le pouvoir et la force puissent commettre contre le droit des peuples. De brillants écrivains ne cessent de les dénoncer. L’un d’eux, Eduardo Galeano, auteur de Les Veines ouvertes de l’Amérique latine, vient d’être invité à inaugurer le prix prestigieux de la Casa de las Américas, en reconnaissance à son oeuvre marquante.

Les événements se succèdent à une vitesse incroyable, mais la technologie permet d’en informer le public encore plus vite. Des nouvelles importants tombent, aujourd’hui comme hier. Une dépêche de presse du 11 nous apprend :

«  La présidence danoise de l’Union européenne a informé mercredi qu’un nouveau train de sanctions encore plus sévères serait décidé le 23 contre l’Iran à cause de son programme nucléaire, visant non seulement son secteur pétrolier, mais aussi sa Banque centrale… Nous irons encore plus loin dans nos sanctions contre son pétrole et ses structures financières », a affirmé le chef de la diplomatie danoise, Villy Soevndal, à la presse étrangère.

On peut constate clairement que sous prétexte d’éviter la prolifération nucléaire, Israël a le droit d’accumuler des centaines d’ogives atomiques, tandis que l’Iran, lui, n’a même pas celui de produire de l’uranium enrichi à 20 p. 100.

Une agence de presse britannique bien connue fournit une autre nouvelle sur ce thème :

«  La Chine n’a pas donné le moindre signe, mercredi, qu’elle céderait aux pressions des États-Unis pour qu’elle réduise ses achats de pétrole iranien et elle a considéré comme excessives les sanctions de Washington contre Téhéran. »

On reste abasourdi de voir avec quelle tranquillité les États-Unis et l’Europe censément civilisée orchestrent une campagne assortie de méthodes systématiquement terroristes. Pour s’en convaincre, il suffit de la nouvelle fournie par une autre agence de presse européenne :

«  L’assassinat, ce mercredi, d’un responsable de la centrale nucléaire de Natanz, au centre de l’Iran, a été précédé de trois autres depuis janvier 2010. »

Le 12 janvier de cette année-là , «  un physicien nucléaire de renommée internationale, Massoud Ali-Mohammad, professeur à l’Université de Téhéran, qui travaillait pour les Gardiens de la révolution, est mort dans l’explosion d’une moto piégée devant son domicile de la capitale. »

«  29 novembre 2010 : Majid Shahriari, fondateur de la Société nucléaire iranienne, "chargé d’un des grands projets de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique" […] a été tué à Téhéran par l’explosion d’une bombe magnétique fixée à sa voiture.

«  Ce même jour, un autre physicien nucléaire, Feyerdoun Abbasi Davani, a fait l’objet d’un attentat dans des conditions identiques quand il garait sa voiture devant l’Université Shahid Beheshti de Téhéran, où tous deux étaient professeurs. » Il n’a été que blessé.

«  23 juillet 2011 : le scientifique Dariush Rezainejad, qui travaillait à des projets du ministère de la Défense, a été abattu à coups de feu par des inconnus qui roulaient en moto à Téhéran.

«  11 janvier 2012 - soit le jour même où Ahmadineyad voyageait entre le Nicaragua et Cuba pour donner sa conférence à l’Université de La Havane - le scientifique Moustapha Ahmadi Roshan, qui travaillait à la centrale de Natanz où il était le vice-directeur pour les affaires commerciales, est mort dans l’explosion d’une bombe magnétique posée sur sa voiture, près de l’Université Allameh Tabatabai, à l’est de Téhéran… L’Iran en a accusé de nouveau les États-Unis et Israël », comme pour les cas précédents.

Il s’agit là de l’assassinat sélectif, mais systématique, de brillants scientifiques iraniens. J’ai lu des articles de sympathisants notoires d’Israël qui considèrent ces crimes perpétrés par ses services secrets en collaboration avec ceux des États-Unis et de l’OTAN comme quelque chose de tout à fait normal.

Des agences informent depuis Moscou :

«  La Russie a alerté aujourd’hui qu’un scénario similaire à celui de la Libye était en train de mûrir en Syrie, mais que l’attaque partirait cette fois-ci de la voisine Turquie.

«  Nikolaï Patrouchev, secrétaire du Conseil de sécurité russe, a affirmé que l’Occident voulait "punir Damas non pas tant à cause de la répression contre l’opposition, mais de son refus de rompre son alliance avec Téhéran".

«  …à son avis, un scénario libyen est en train de mûrir, mais les attaques ne viendront pas en l’occurrence de France, de Grande-Bretagne et d’Italie, mais de Turquie.

«  Il s’est même risqué à affirmer : "Il se peut que Washington et Ankara soient déjà en train de définir différentes options de zones d’exclusion aérienne, où des armées de rebelles syriens pourraient être entraînées et concentrées". »

Les nouvelles proviennent non seulement d’Iran et du Moyen-Orient, mais aussi d’autres points d’Asie centrale proche de cette région. Ce qui nous permet d’apprécier la complexité des problèmes découlant de cette zone dangereuse.

Les États-Unis ont été entraînés par leur politique impériale contradictoire et absurde dans de sérieux problèmes dans des pays comme le Pakistan, dont les frontières avec celles d’un autre État important, l’Afghanistan, ont été délimitées par les colonialistes sans tenir compte des cultures ni des ethnies.

Dans ce dernier pays qui a défendu des siècles durant son indépendance face au colonialisme anglais, la production de drogues s’est multipliée depuis l’invasion yankee, tandis que les soldats européens appuyés par des drones et l’armement perfectionné des États-Unis commettent des massacres ignominieux qui augmentent la haine de la population et éloignent les possibilités de paix. C’est bien ça, et d’autres horreurs, que reflètent les dépêches des agences de presse occidentales :

«  WASHINGTON, 12 janvier 2012. Le secrétaire d’État à la Défense, Leon Panetta, a taxé ce jeudi d’ "absolument déplorable" le comportement de quatre hommes présentés come des marines étasuniens en train de pisser sur des cadavres, selon une vidéo circulant sur Internet.

« "J’ai vu les images et je trouve ce comportement absolument déplorable".

«  "Ce comportement est absolument inapproprié de la part de membres de l’armée étasunienne et ne traduit en aucun cas les critères et les valeurs que nos forces armées jurent de respecter".

En fait, le secrétaire à la Défense ne confirme ni n’infirme ces faits. Chacun donc peut en douter, et lui le premier peut-être.

En tout cas, il est extrêmement inhumain que des hommes, des femmes et des enfants, ou un combattant afghan qui se bat contre l’occupation étrangère, soient assassinés sous les bombes d’avions sans pilote. Pis encore : des dizaines de soldats et officiers pakistanais qui surveillent les frontières du pays ont été déchiquetées par ces bombes.

Le président afghan lui-même, Karzai, a affirmé qu’outrager des cadavres était «  "tout simplement inhumain" et il a demandé à l’administration étasunienne d’ "infliger la peine la plus sévère à quiconque serait condamné pour ce crime". »

Des porte-parole des Talibans ont déclaré : «  Des centaines d’actes semblables ont été commis ces dix dernières années sans qu’on les révèle. »

On en arrive presque à prendre en pitié ces soldats, séparés de leurs familles et de leurs amis, envoyés à des milliers de kilomètres de leur patrie pour lutter dans des pays dont ils n’ont peut-être jamais entendu parler à l’école et où on leur confie la mission de tuer ou de mourir afin d’enrichir des sociétés transnationales, des fabricants d’armes et des politicards sans scrupules qui dilapident chaque année les fonds dont on aurait besoin pour alimenter et éduquer les innombrables millions d’affamés et d’analphabètes dans le monde.

Nombre de ces soldats, victimes de leurs traumatismes, finissent par s’ôter la vie.

Est-ce que j’exagère quand je dis que la paix mondiale tient à un fil ?

Fidel Castro Ruz

Le 12 janvier 2012

21 h 14

traduction J-F Bonaldi, la Havane

COMMENTAIRES  

14/01/2012 15:04 par yapadaxan

Lorsque l’on discute avec ses semblables, les interlocuteurs montrent un scepticisme affirmé quant au recours à une guerre nucléaire. D’abord, parce qu’ils ont une confiance inébranlable dans les pays démocratiques du "monde libre", ensuite parce qu’ils estiment que les pays qui pourraient être visés sont tellement faibles par rapport à la force occidentale, qu’ils n’envisagent pas une seule seconde que ces derniers pourraient tenir tête aux puissances occidentales.

On voit les résultats, non d’une propagande, mais de dizaines qui se rejoignent et tissent le roman des Etats démocratiques.

On répond et on explique : la 2nde guerre mondiale a pourtant bel et bien été declenchée, le monde a bien été témoin de Nagasaki et Hiroshima, on a assisté à différentes guerres dans la 2nde partie du XXème siècle et au début du XXIème, rien n’y fait. On insiste : tous ces conflits ont pour départ les USA.

Les interlocuteurs se rembrunissent. A leur regard on comprend qu’on est taxé de communiste. Dès lors, ils se déchaînent : Staline, la Pologne et l’Ukraine, les pays satellites, les chars dans Prague, Tien An Men et Pol Pot... Tout y passe. Kadhafi ? Un tyran sanguinaire ! Saddam Hussein ? Un autre Hitler !

Et ça continue : l’islamisme, les Twins Towers, le fascisme vert, les rouges bruns... L’anti américanisme primaire. Le discours, là , s’inverse. Les révolutions arabes, l’islamisme au pouvoir, la collusion Occident/Al Qaïda... De contradiction en contradiction, notre interlocuteur se mélange les pinceaux. Irak laïque, Libye laïque, voui mais des tyrans, des dictateurs, des fous, des criminels.

Eh oui, parce qu’on nous a bien expliqué : Hitler, sorte de prototype du dictateur, était fou. Et c’est sa folie qui explique tout ! A partir de quoi on décline la problématique de tout dictateur par la thématique du fou. Les démocraties sont un système politique "normal", rationnel, logique. En revanche, les dictatures relèvent de la folie, du monstrueux, sortent du champ politique, échappent à nos catégories si bien que toute guerre déclenchée par l’Occident procède du normal, de la rationnalité, du monde... sain et équilibré.
Parvenu à ce stade, on comprend que les prochaines guerres seront vécues de la même façon. Ce sera le Bien contre le Mal. Aussi, les navires de guerre peuvent-ils croiser dans le Proche et Moyen Orient, la normalité occidentale n’est là que pour intimider la folie orientale. Sans danger de guerre puisque l’Occident est si bien armé que même les plus fous auront suffisamment de raison pour avoir peur...

Comment en est-on arrivé à 39 ? Comme ça, dans la tranquillité d’heureuses certitudes.

14/01/2012 17:44 par Sierra

Jusqu’a présent, Fidel à toujours vu juste lors de ses analyses géopolitiques, après avoir lu celle ci, il n’y a pas de quoi être optimiste.

14/01/2012 21:05 par anonymepourpachangé

Ben, j’avoue que, moi, Fidel me rassure un tout petit peu en fin de compte : si on l’en croit, la France et l’Angleterre ne seront pas dans le coup cette fois-ci.

Et j’ai envie de croire que c’est grâce aux citoyens de ces deux pays. En France, même les lecteurs du Figaro ne sont plus dupes de la propagande éhontée à l’encontre de l’Iran ; voyez les réactions des lecteurs aux articles sur l’Iran ou la Syrie.

Bon, certes, il en reste quelques uns du type de ceux avec lesquels yapadaxan a le courage de discuter. Mais leurs interventions à la suite des articles de basse propagande sont littéralement submergées par les interventions critiques.

Il est vrai qu’on en trouve davantage parmi les abonnés au Monde ou à Libé ; mais ça ne fait peut-être pas une majorité.

Nos partis de gôche ont beau prêcher le soutien aux révolutionnaires (ceux qui sont loin), après le coup de la Libye, ils ont perdu le peu d’audience qu’il leur restait quant aux couloirs humanitaires et autres zones d’exclusion aérienne.

Donc, si on admet que c’est parce qu"’ils" savent que leurs opinions publiques ne croient plus un mot de ce qu’"ils" leur racontent et risquent de vigoureusement protester, que les gouvernements anglais et français ont refilé la patate aux Turcs, comme les USA la leur avait précédemment filée, on peut aussi espérer que le gouvernement turc soit en train de se calmer, pour la même raison : il est peu probable que son opinion publique soit prête à soutenir une agression contre la Syrie ; il est trop tard pour lui bourrer le mou à l’encontre du peuple voisin.

Reste le Qatar et l’Arabie. Le roi du Qatar a du pognon mais peu de soldats, et il est plus économique d’envoyer les autres au combat, quitte à les payer pour ça. Celui d’Arabie est déjà très occupé par les répressions qu’il mène contre son peuple et celui du Koweit

Enfin, n’oublions pas qu’ils n’ont que le pouvoir que nous leur abandonnons. Osons lutter, osons vaincre ! (slogan librement inspiré de Mao)

15/01/2012 20:55 par Fred

L’Histoire
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