La mort de Gavroche

Il rampait à plat ventre, galopait à quatre pattes, prenait son panier aux dents, se tordait, glissait, ondulait, serpentait, pour mieux récupérer les grenades encore fumantes. De la manifestation, dont il était encore assez près, on n’osait lui crier de revenir, de peur d’appeler l’attention sur lui.

À force d’aller en avant, il parvint au point où le brouillard des fumigènes devenait transparent. Si bien que les grenadiers, rangés et à l’affût, repérèrent soudainement quelque chose qui remuait dans la fumée.

Une première grenade fit étinceler le pavé à côté de lui. Une deuxième renversa son panier.

Gavroche se dressa tout droit, debout, les cheveux au vent, les mains sur les hanches, l’œil fixé sur les forces de l’ordre qui tiraient, et il chanta :

On est sans le rond,
C’est la faute à Macron,
Et usés en général,
C’est la faute au capital.

Puis il ramassa son panier, y remit, sans en perdre une seule, les grenades qui en étaient tombées, et alla dépouiller le sol des projectiles encore chauds, pareils à des trophées. Là une troisième grenade le manqua encore. Gavroche chanta :

Je ne serais pas bon,
C’est la faute à Macron,
Et suis petit animal,
C’est la faute au capital.

Une quatrième grenade ne réussit qu’à tirer de lui un troisième couplet :

Révolte est ma raison,
C’est la faute à Macron,
Misère est mon journal,
C’est la faute au capital.

Cela continua ainsi quelque temps. Le spectacle était épouvantable et charmant. Gavroche avait l’air de s’amuser, passant au travers des grenades et des taxes lancées sur les infortunés comme s’il en pleuvait. Il répondait à chaque détonation par un couplet. On le visait sans cesse, on le manquait toujours. Les forces de l’ordre riaient en l’ajustant. Les manifestants tremblaient ; lui, il chantait. Ce n’était pas un enfant. Ce n’était pas un homme ; c’était un étrange gamin fée, « gai, impertinent, spirituel et débrouillard, mauvaise tête et grand cœur », c’était l’âme de Paris.

Les grenades couraient après lui ; il était plus leste qu’elles.

Une grenade pourtant, mieux ajustée ou plus traître que les autres, finit par atteindre l’enfant feu follet. On vit Gavroche chanceler, puis il s’affaissa. Toute la manifestation poussa un cri. Gavroche resta assis sur son séant, un long filet de sang rayait son visage, il éleva ses deux bras en l’air, regarda du côté d’où était venu le coup, et se mit à chanter :

Je suis touché au front,
C’est la faute à Macron,
Et tombé dans le canal,
C’est la faute au...

Il n’acheva point. Une seconde grenade du même tireur l’arrêta court. Cette fois il s’abattit la face contre le pavé, et ne remua plus. Cette petite grande âme venait de s’envoler.

Personne

Relecture approximative de Victor Hugo (Les Misérables)

COMMENTAIRES  

18/11/2018 19:42 par Autrement

Cet émouvante évocation me rappelle un autre Gavroche, celui d’Andréï Tarkovski dans "L’enfance d’Ivan". Film à voir et à revoir, à la fois plein de poésie et représentatif de ce que fut l’héroïsme soviétique pendant la 2e guerre mondiale, à travers l’histoire d’un jeune garçon : rendu orphelin par les nazis, Ivan met toute son "enfance" au service de son pays et de la lutte pour la libération des peuples.

Je ne sais pas si l’auteur de la nouvelle d’où est tiré le film deTarkovski a pensé à Victor Hugo, mais je me rappelle que quand j’ai visité la Russie dans les années 60 (en voyage organisé avecFrance-URSS), l" Les Misérables" étaient dans toutes le vitrines de libraires, et son auteur, le plus lu des écrivains étrangers. Léningrad, Moscou, Karkhov, Kiev

19/11/2018 12:30 par Renard

"Résolvez les deux problèmes, encouragez le riche et protégez le pauvre, supprimez la misère, mettez un terme à l’exploitation injuste du faible par le fort, mettez un frein à la jalousie inique de celui qui est en route contre celui qui est arrivé, ajustez mathématiquement et fraternellement le salaire au travail, mêlez l’enseignement gratuit et obligatoire à la croissance de l’enfance et faites de la science la base de la virilité, développez les intelligences tout en occupant les bras, soyez à la fois un peuple puissant et une famille d’hommes heureux, démocratisez la propriété, non en l’abolissant, mais en l’universalisant, de façon que tout citoyen sans exception soit propriétaire, chose plus facile qu’on ne croit, en deux mots sachez produire la richesse et sachez la répartir ; et vous aurez tout ensemble la grandeur matérielle et la grandeur morale ; et vous serez dignes de vous appeler la France.

Voilà, en dehors et au-dessus de quelques sectes qui s’égaraient, ce que disait le socialisme ; voilà ce qu’il cherchait dans les faits, voilà ce qu’il ébauchait dans les esprits.

Efforts admirables ! tentatives sacrées !"

Les misérables Tome 4, livre 1, IV

Dans sa vie Victor Hugo est passé du royalisme au bonapartisme, puis au centre-gauche et enfin au socialisme tout en conservant ses amitiés de centre gauche (avec Thiers notamment).

Mais ce qu’il faut retenir surtout ce qu’il parle en bien du socialisme dans sa grande oeuvre universelle Les Misérables et également dans William Shakespeare et dans Quatrevingt-Treize où le personnage de gauvain prédit l’émergence du combat socialiste suite à la révolution.

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