La gouvernance de la Suisse a été métamorphosée lors de la votation de la nouvelle Constitution en 99 (1). L’organisation helvétique légendaire centrée sur le peuple et les cantons a cédé une place déterminante à une centralisation accrue des pouvoirs entre les mains du Conseil Fédéral (CF). Le lobbying a fait une entrée discrète mais décisive dans la Constitution. Ainsi, les besoins impérieux d’un affairisme mondialiste centré sur l’argent, le « court-termisme » et la volatilité sont devenus affaire d’Etat !
La démocratie semble être entrée dans sa phase de déclin influencée par un CF de plus en plus autoritaire. Référendums et initiatives populaires sont de moins en moins appréciés et leurs résultats amendés en cas de contradiction avec les intérêts suprêmes de la Haute Finance (HF). Ainsi, le 6 décembre 92, les suisses refusent par référendum l’adhésion à l’Espace Economique Européen. Or, on découvre que quelques semaines plus le tard, le 24 février 93 une dénomination sociale : Mission de la Suisse auprès de l’union Européenne est créée dans le registre du commerce belge portant un « numéro d’entreprise » 0449.309.542. L’entité y est considérée comme une succursale avec une adresse du « siège social : La Suisse/ Suisse » (2). Sa forme juridique est celle des Organismes publics étrangers ou internationaux identique à celle de la Commission de l’UE (3).
Depuis 92, la Suisse n’a cessé de muter discrètement par petits bouts. Aujourd’hui, elle est probablement un des États européens le mieux intégré dans l’UE et un de ses plus grands contributeurs grâce à la politique du CF, de la BNS et de la Finma. Au grand dam du citoyen-contribuable…
Le déclin de la démocratie n’est pas spécifique à la Suisse. Nous assistons simultanément au déclin de bon nombre d’États, de leurs institutions politiques et publiques et à la montée en puissance des entreprises transnationales privées, des organisations supra-nationales (UE, FMI, OTAN, OMC,…) et des para-nationales (OCDE, ONG,…).
Les peuples élisent encore des représentants qui poursuivent un programme immuable. Celui-ci est résolument tourné vers l’intérêt des transnationales de la HF quelle que soit la couleur politique des gouvernants. Certains semblent même anticiper et faciliter l’emprise de la HF sur l’économie, les finances, le territoire, les ressources naturelles et les compétences humaines et technologiques de leur pays.
C’est dans ce contexte, qu’un pas de plus serait bientôt franchi avec la signature du pacte transatlantique entre l’UE et les US. Il entérinerait ce que l’on peut constater déjà, la reconnaissance officielle des intérêts commerciaux et financiers de la HF dans la gouvernance d’un territoire donné.
Certaines voix suisses -y c au niveau du CF- semblent s’inquiéter de la signature d’un tel pacte. « Nous allons nous retrouver à la remorque de l’UE et les conditions qui nous seront imposées par les US en cas de négociations seront plus dures ». La raison de cette peur serait qu’en 2006, le CF aurait profondément vexé les partenaires US en rompant brusquement le dialogue engagé alors par M.Deiss. Ces personnes se demandent comment « renouer le dialogue avec Washington ».
On peut les rassurer car selon les informations publiques disponibles, les relations sont au beau fixe entre Washington et Berne. En effet, en 2005 le CF a négocié avec les américains un traité de libre échange pour le commerce et l’investissement. Les pourparlers ont été interrompus en janvier 2006. Néanmoins, le 25 Mai 2006, on constate qu’un accord fut signé entre MM. Deiss et Portman (US) (4). L’accord de libre échange s’est transformé en forum pour la coopération du commerce et de l’investissement. Les appellations changent, l’esprit reste. Ce document souligne les liens étroits et l’amitié entre les deux pays. Leur volonté de faciliter le commerce et l’investissement et l’importance de l’élimination des barrières sont clairement énoncées. Les parties y insistent sur leur désir mutuel d’impliquer le secteur privé dans les thèmes commerciaux de ces bilatérales. L’article 5 (sur un total de 6) est dédié au rôle du secteur privé (autrement dit les lobbies) en tant que conseillers des deux Etats. Tout est dit.
Dans la foulée, la Suisse signe en 2008 une déclaration jointe sur le e-commerce. Les deux états créent le « US-Swiss Safe Harbor framework » dont le but est la simplification du transfert des données personnelles entre les firmes établies en Suisse et leurs partenaires américains… L’idée même d’une expansion des entreprises US depuis la Suisse vers l’UE est relevée dans une des publications. L’autoroute marchande est bien ouverte entre la Suisse et les US.
Les échanges de biens Suisse-US ont pratiquement quintuplés en 20 ans. Le jackpot de la croissance revient à l’industrie suisse de la Chimie et le secteur américain des matières premières(5). Quant aux volumes de services échangés, les échanges ont plus que doublé entre 2004 et 2010. Les holdings américaines étaient les grandes bénéficiaires. Ainsi, les US sont un des premiers investisseurs directs étrangers en Suisse (6) via leurs holdings.
C’est dans un contexte de forte collaboration que le 14 février 2013, la Suisse signe l’accord américain Fatca qui vise à faire la guerre à l’évasion fiscale des contribuables américains. A y regarder de plus près, Fatca s’intéresse avant tout à des clients physiques (individus) puis à des personnes morales identifiables par des individus, familles… Ne seront pas inquiétées les entités cotées en bourse, les sociétés d’investissement, les établissements de prévoyance, les négociants (7)… Les grandes holdings qui investissent massivement en Suisse ne semblent pas concernées. Donc les ultra-riches américains qui en détiennent des parts continueront de s’en sortir à bon compte. Les exonérations du personnel para et supra national sont maintenues. La fiscalité avantageuse voire absente des transnationales aussi…
Fatca spécifie encore que les banques dites « locales » -98% de clientèles suisses ou européennes- n’y seront pas soumises à condition de ne pas sortir de leur périmètre d’action. Cela a pu inspirer UBS dans l’idée de créer des filiales 100% suisse, anglaise ou américaine. Compte tenu des surcoûts estimés à 100 mio de $ par établissement (8), Fatca ne manquera pas de créer une place financière à deux vitesses. Des établissements locaux d’une part avec interdiction de travailler à l’étranger et d’autre part des établissement transnationaux accueillant les ultra-riches et bénéficiant des autoroutes financières ultra performante. Dans la course à la compétitivité, c’est un coup dur qui est porté à la concurrence non US du secteur.
Une collecte de signatures en vue d’une initiative contre Fatca est lancée. Pourtant même si elle est soutenue par la population, un certain nombre de citoyens a peur de signer….
Bref, la gouvernance de la Suisse contourne depuis plus de 20 ans ce qui reste de démocratie directe à une double fin. Satisfaire toujours plus l’UE, les US et les transnationales globalisées qui bénéficient du monde entier comme territoire d’une part. D’autre part, elle travaille à recenser et localiser les citoyens (personnes physiques) suisses mais aussi français et américains. Ceux-ci pourraient devenir autant de centre de coûts/bénéfices d’un futur Etat-commercial. La Suisse SA….
Liliane Held-Khawam