« La croissance du mouvement révolutionnaire prolétarien dans tous les pays suscite les efforts convulsifs de la bourgeoisie et des agents qu’elle possède dans les organisations ouvrières pour découvrir les arguments philosophico politiques capables de servir à la défense de la domination des exploiteurs. La condamnation de la dictature et la défense de la démocratie figurent au nombre de ces arguments. » (Lénine, 1919 [1])
La classe ouvrière contre la pseudo démocratie
L’utilisation de ces « arguments philosophico-politiques » est très répandue, surtout lorsque la censure, le ’black-out’ des luttes grévistes, et la déformation des informations ne réussissent plus à mystifier les ouvriers. « La défense de la démocratie » comme l’écrit Lénine, c’est-à-dire l’idéologie démocratique bourgeoise, accompagne les attaques contre les conditions de vie du prolétariat international et vise à l’enchaîner derrière le convoi des États-nations capitalistes. Dans un premier temps, la bourgeoisie a réussi à étouffer les luttes de résistance grévistes, et maintenant elle cherche à nous entraîner dans des guerres impérialistes. Aujourd’hui, ces « arguments philosophico-politiques » se concrétisent au travers des campagnes antiterroristes (Al Quaida et EIL) et sur les « dangers » de la montée des partis d’extrêmes droites que la bourgeoisie stipendie.
L’utilisation des exactions et des menaces terroristes ne sert pas uniquement à fournir des prétextes pour renforcer la surveillance et la mise en place de lois répressives anti-ouvrières. Ces montages médiatiques à propos des menaces terroristes justifient et crédibilisent aux yeux de la population les mesures policières répressives, selon l’argument de la défense et de la protection du peuple que seul l’État démocratique (sic) serait en mesure d’assurer alors même que les actions terroristes sont directement suscitées et manipulées, voire organisées, par les services de police de ces États pseudos démocratiques [2].
Les activités terroristes sont le résultat des manipulations et des provocations des services spécialisés des rivaux impérialistes qui se disputent le contrôle des marchés et des ressources. De même, la mise en avant du danger fasciste et de l’extrême droite – en Europe en particulier – vise à renouveler la mystique démocratique bourgeoise de l’antifascisme ; celle-là même qui a entraîné le prolétariat dans la Deuxième Guerre impérialiste mondiale et promue la contre-révolution anti ouvrière (1929-1945). Non seulement on voit des partis d’extrême droite, racistes et xénophobes, promus lors des élections européennes (en France, en Hongrie, en Grande-Bretagne, en Belgique), mais on constate de quelle façon la bourgeoisie grecque, conseillée et dirigée par ses consœurs de l’Union européenne, a fait « gonfler » le groupe fasciste Aube Dorée et avec lui le faux antagonisme démocratie bourgeoise versus dictature capitaliste au moment même où la lutte gréviste ouvrière montante était liquidée par la gauche bourgeoise. La mystique dichotomique « démocratie-dictature » accentue le sentiment d’impuissance des ouvriers en obviant le véritable et fondamental antagonisme de classes entre le capital et le travail, entre capitalistes et prolétaires. La mystification consiste à présenter une faction de la bourgeoisie comme démocratique et conciliatrice et une autre faction comme dictatoriale et hystérique, imposant à la classe ouvrière de se ranger au service de la faction pseudo démocratique pour un moindre mal. La classe ouvrière ne doit pas soutenir la dictature démocratique bourgeoise contre la dictature-hystérique-bourgeoise. La classe ouvrière doit mener ses propres luttes anticapitalistes non pas pour obtenir des réformes et des avantages éphémères mais pour résoudre les contradictions insolubles du capitalisme en le renversant.
Néanmoins, même si le prolétariat international reste globalement soumis à l’idéologie démocratique bourgeoise, même si les luttes ouvrières ne sont pas conséquentes avec les attaques reçues et ne font pas reculer le capital, même si les partis de la gauche bourgeoise et l’industrie du syndicalisme d’affaires maintiennent leur contrôle sur les luttes ouvrières et les sabotent, il n’en reste pas moins qu’une fraction significative de la classe résiste aux pièges démocratiques bourgeois. Cette résistance se manifeste au cours de grèves, de mobilisations, par le refus de céder aux sirènes appelant à faire confiance à la démocratie bourgeoise, à se ranger derrière l’État pseudo démocratique et à abandonner le combat de classe. Les ouvriers sont nombreux à refuser de participer aux élections bidon.
L’exemple de la lutte ouvrière en Grèce et au Brésil
Ce fut le cas en Grèce lors des mobilisations de 2008-2012, lorsque des manifestants ouvriers tentaient d’encercler et d’envahir le Parlement afin d’interdire aux parlementaires bourgeois d’adopter des mesures d’austérité contre les ouvriers. La milice du PC stalinien grec vint à la rescousse de l’État bourgeois malmené car ce n’est pas l’extrême droite « Aube Doré » qui en aurait été capable [3]. Ce fut aussi le cas au Brésil en 2013-2014 à l’occasion de l’organisation de la Coupe du monde de football, véritable mythe nationaliste réactionnaire. Au moment où la classe ouvrière du Brésil était soumise à une propagande permanente à propos de la fierté de l’organisation de la Coupe, ce dernier a tenu à résister à ces frauduleux appels à l’unité nationale (sic) et ce fut dans la plus grande confusion que la compétition sportive a débuté. Assistée par l’ensemble de la bourgeoisie internationale (interventions de la Fédération internationale de football [4]), la classe capitaliste impérialiste brésilienne, dirigée par le Parti des Travailleurs (sic), a utilisé la répression violente pour éviter le déploiement de la révolte ouvrière ; en particulier, lorsque les travailleurs du métro de Sao Paolo se sont mis en grève à peine quelques jours avant l’ouverture de la Coupe du monde. Cette grève aurait pu paralyser la tenue des matchs et amorcer une grève générale dans l’ensemble du pays.
Dans plusieurs autres pays, l’idéologie démocratique bourgeoise a détourné la colère ouvrière vers la défense de la dictature démocratique capitaliste, lors du « Printemps arabe » par exemple. Il se joue en ce moment un combat idéologique extrêmement important aux conséquences historiques. La mystification démocratique bourgeoise ne se limite pas à l’obéissance à l’État capitaliste ; ni au respect de la démocratie politique bourgeoise formelle (élections, parlementarisme, etc.) ; ni à nier la réalité de la lutte des classes. L’idéologie démocratique bourgeoise individualiste et narcissique tend à imprégner tous les instants et tous les espaces de la vie sociale au détriment de la vision et de l’action collectives de la classe prolétarienne.
Les médias sociaux égalitaristes, démocratiques et participatifs (sic)
L’accélération et l’extension de la circulation du capital financier et des marchandises ; le développement des nouveaux médias (télévision numérique, Internet et réseaux sociaux), ont permis de relancer les valeurs individualistes et démocratiques bourgeoises sous le slogan « un homme, une voix » selon l’utopie que chacun avait désormais accès à une information objective, non manipulée, sans censure et en temps réel, et le rêve que chacun pouvait désormais s’exprimer comme il le voulait, sans entrave, grâce aux médias numériques et aux « réseaux sociaux ». Enfin, grâce aux nouvelles technologies de communication et de l’Internet la démocratie bourgeoise, participative, citoyenne, égalitaire serait advenue ! Tout ceci n’est que fumisterie. Un milliardaire, propriétaire de 40% des médias, aura toujours une voix et une voie prépondérante par rapport à celle d’un ouvrier d’usine, du moins tant que ce dernier restera esseulé. Toutefois, les communistes révolutionnaires doivent maîtriser ces médias et ces technologies numériques afin de les utiliser au bénéfice de l’insurrection.
À tous les niveaux de la vie sociale l’offensive idéologique bourgeoise se déchaîne. L’idéologie démocratique bourgeoise est adaptée pour contrer le développement des luttes de la classe ouvrière contre la bourgeoisie et son État (Front uni antifasciste comme dans les années 1930, combat antiterroriste, défense de la démocratie bourgeoise, etc.) Le danger de cette offensive généralisée apparaît lorsque des groupes de la Gauche communiste se font les apologistes de mouvements tels que les « indignés » et « Occupy » et servent de relais à la propagande sur « l’autogestion », et sur le primat de l’expression individuelle sur l’expression collective de classe.
Bâtir sur le collectif, anti-individualiste, pour renforcer la lutte de la classe ouvrière
Partir de l’unité-individu pour en tirer des déductions sociales et échafauder des plans de société, ou même pour nier la société, c’est partir d’un présupposé irréel qui, même dans ses formulations les plus modernes, n’est au fond qu’une reproduction modifiée des concepts de la révélation religieuse, de la création, et de la vie spirituelle indépendante des faits de la vie naturelle et organique( ...) Cette conception religieuse et idéaliste n’est modifiée qu’en apparence dans la doctrine du libéralisme démocratique ou de l’individualisme libertaire : l’âme en tant qu’étincelle de l’Être suprême, la souveraineté subjective de chaque électeur, ou l’autonomie illimitée du citoyen de la société sans lois sont autant de sophismes qui, aux yeux de la critique marxiste, pèchent par la même puérilité, aussi résolument “matérialistes” qu’aient pu être les premiers libéraux bourgeois et les anarchistes.’ (Le principe démocratique, Bordiga pour le PC d’Italie, 1922).
La lutte théorique et de propagande contre l’idéologie démocratique bourgeoise est au centre des leçons et de l’expérience du mouvement ouvrier, de Marx à Lénine, de celui-ci à la Gauche communiste (Italienne en particulier). Cet héritage et cette expérience théoriques et politiques sont essentiels aux combats historiques entre les classes antagonistes. Selon que le prolétariat restera soumis ou non à cette idéologie, il réussira ou non à se sortir du bourbier capitaliste et à dégager sa propre perspective révolutionnaire. Voilà pourquoi il lui appartient de ne pas céder aux pseudo campagnes antiterroristes et de Front populaire antifasciste ou anti-extrême-droite. Le terrorisme et le fascisme sont sont d’abord les monstrueux enfants du capitalisme et de sa « démocratie bourgeoise ». Pour contrer les menaces terroriste et fasciste, le prolétariat doit combattre le capitalisme et le renverser une fois pour toutes. Pour avoir nié ce précepte marxiste, les Fronts unis et les Fronts populaires antifascistes des années 1930 ont mené directement à la Deuxième Guerre mondiale. Guerre ou Révolution voilà l’alternative.
À LIRE EN COMPLÉMENT POUR QUI VEUT APPRENDRE LA POLITIQUE DE GAUCHE : http://www.publibook.com/librairie/livre.php?isbn=9782924312520
(Inspiré d’un article publié sur http://igcl.org : 9 septembre 2014)
Notes :
[1] . Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature prolétarienne, 1° congrès de l’Internationale communiste, mars 1919.
[2] . ’Le FBI a « encouragé, poussé et parfois même payé » des musulmans américains pour les inciter à commettre des attentats, au cours d’opérations de filature montées de toutes pièces. C’est la conclusion d’un rapport de l’ONG Human Rights Watch publié lundi 21 juillet (...) « Dans certains cas, le FBI pourrait avoir créé des terroristes chez des individus respectueux de la loi en leur suggérant l’idée de commettre un acte terroriste », résume l’ONG, estimant que la moitié des condamnations résultent de coups montés ou guet-apens. Dans 30 % des cas, l’agent infiltré a joué un rôle actif dans la tentative d’attentat.’ (Le Monde.fr avec AFP , 21.07.2014)
[3]. Ce n’est pas une nouveauté : lors de la Première Guerre mondiale, c’est au nom de la défense de la France républicaine, de la démocratie, que les ouvriers furent appelés à partir en guerre contre l’absolutisme dictatorial de l’Empereur allemand Guillaume. En Allemagne, ce fut au nom de la guerre contre l’absolutisme du Tsar russe et de la défense de la nation allemande civilisée (démocratique).
[4] . Platini, Président de la fédération européenne de football : « Il faut absolument dire aux Brésiliens qu’ils ont la Coupe du monde et qu’ils sont là pour montrer les beautés de leur pays, leur passion pour le football et que s’ils peuvent attendre un mois avant de faire des éclats un peu sociaux, bah ce serait bien pour le Brésil et puis pour la planète football, quoi. Mais bon, après, après on ne maîtrise pas, quoi. »