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L’Ouest et Poutine

Fulvio Scaglione a été rédacteur en chef adjoint de l'hebdomadaire Famiglia Cristiana de 2000 à 2016. Correspondant de l'Union Soviétique et de la Russie, il a suivi la transition de la Russie et des anciennes républiques soviétiques, puis la guerre en Afghanistan, en Irak et les questions relatives au Moyen-Orient. Il est considéré comme la voix du pape François en matière de politique étrangère, une ligne plus progressiste qui tranche avec celle prônée par ses prédécesseurs plus proches de la droite néoconservatrice.

En 23 ans au Kremlin, Vladimir Poutine a été tenu pour fini un nombre incalculable de fois. Parce qu’on n’a pas compris que...

https://letteradamosca.substack.com/p/il-vizietto-delloccidente

Sur la photo ci-dessous, celle de gauche est une couverture de The Economist (Royaume-Uni) datant de 2011 : le titre indique "Le début de la fin pour Poutine". Celle de droite, en revanche, est la page d’accueil de Foreign Affairs (États-Unis) d’il y a quelques jours, en juin 2023 : le titre dit "Le début de la fin pour Poutine ?". En douze ans, la seule différence réside dans ce petit point d’interrogation. Douze ans pour s’interroger.

Ce ne sont là que deux exemples de l’éternel vice de l’Occident, particulièrement prononcé lorsqu’il s’agit de la Russie. Celui de prendre les souhaits pour des réalités, les hypothèses pour des faits. Deux exemples qui, à vrai dire, ne figurent même pas parmi les plus flagrants. Pour 2011, The Economist a évoqué la "révolution blanche", c’est-à-dire la vague de protestations qui a suivi les élections générales, selon de nombreux observateurs russes et étrangers, falsifiées par la fraude en faveur de Russie unie, le parti de Poutine. Foreign Affairs, quant à lui, examine la situation en Russie après le soulèvement manqué d’Evgueni Prigojine, le fondateur et dirigeant du groupe Wagner, la puissante armée de mercenaires qui, jusqu’à récemment, était un instrument fidèle de la politique du Kremlin. Mais on pourrait citer bien d’autres exemples de prédictions exagérées dans la même veine. Alors, pourquoi cela se produit-il ?

La tendance à juger Vladimir Poutine et sa structure de pouvoir de la même manière que celle d’un Kadhafi ou d’un Saddam Hussein nous a empêchés, au fil des ans, de comprendre deux questions fondamentales de la Russie post-soviétique. La première est que Poutine n’est pas arrivé au Kremlin par un coup d’État, ni même par un coup de force. En d’autres termes, il n’a pas pris le pouvoir par la force et ne l’a pas monopolisé après être arrivé au sommet par accident. Poutine a été choisi pour ce rôle. Il n’est pas le seul, mais le seul à aller au fond de la sélection darwinienne impitoyable exercée par la politique russe pendant les années Boris Eltsine. En repensant à ces années, les noms de ceux qui auraient pu être Poutine et qui ne l’ont pas été viennent à l’esprit : Sergei Kirienko, par exemple, pendant quelques mois en tant que très jeune premier ministre ; Sergei Nemtsov, qui a été vice-premier ministre ; Sergei Stepashin, un universitaire devenu homme politique, ministre de la justice, puis de l’intérieur et pendant trois mois premier ministre. Au lieu de cela, ce fut le tour de Poutine, qui n’avait pas de grandes cartes à jouer et qui, à un moment donné, a été choisi par ceux qui exerçaient le pouvoir réel. Il suffit de lire sa biographie pour s’en rendre compte. En 1991, il quitte son poste plutôt obscur d’officier du KGB en poste en Allemagne de l’Est et rentre en Russie. Presque immédiatement, il devient, lui du KGB, assistant puis adjoint d’Anatolyj Sobciak, le maire ultra-progressiste de Saint-Pétersbourg. En 1996, Sobciak se présente aux élections municipales et Poutine est appelé à Moscou et devient chef adjoint du département des biens de la présidence. En 1997, il devient chef adjoint du personnel présidentiel et conseiller d’État, le rang le plus élevé de l’administration civile russe. En 1998, il devient chef du FSB (l’une des deux branches des services secrets russes) avec le rang de ministre, membre du Conseil de sécurité puis secrétaire de celui-ci. En 1999, il devient premier ministre et, en mars 2000, président pour la première fois.

Il est bien entendu que cette carrière, en plus de ne pas être violente, n’était même pas une carrière normale. Il s’agit plutôt d’une carrière préparée par les "pouvoirs forts" de l’époque, surtout depuis que le déclin irréversible de Boris Eltsine est devenu évident. Derrière l’ascension de Poutine, il n’y a donc pas un coup de main armé ou un hasard, mais le choix des milieux les plus importants : à l’époque, les services secrets (qui, avec Iouri Andropov, avaient d’ailleurs déjà facilité l’ascension de Mikhaïl Gorbatchev) et les leaders des mouvements réformateurs. Une fois son pouvoir acquis et consolidé, Poutine a ensuite fait prévaloir les premiers. Les siloviki, les hommes qui dirigent les ministères de la force (sila, en russe), c’est-à-dire ceux qui ont des départements armés : Défense, Intérieur, les deux branches des services secrets, Urgences. Poutine tombera ou partira tôt ou tard, c’est certain. Mais cela ne se décidera pas par des manifestations de rue ou les coups de tête d’un chef de guerre, mais par la volonté des structures qui ont tant contribué à le choisir et qui, ces dernières années, ont décidé de le maintenir au sommet.

Le deuxième élément que beaucoup d’experts occidentaux ne saisissent pas (ou, plus simplement, refusent d’accepter) est que Poutine a toujours bénéficié, au cours de son long mandat, d’un noyau dur de consensus spontané, qui n’est pas dû à des fraudes ou à des lois répressives ou à des contraintes diverses. Personne ne semble se souvenir, en effet, qu’avant son arrivée au pouvoir, les Russes avaient connu, à partir de la mort de Leonid Brejnev (1982), deux décennies de bouleversements qui ont culminé avec la perestroïka, la fin de l’URSS et la transition dramatique vers l’économie de marché sous l’ère Eltsine. Au cours de cette période, pour ne citer qu’un exemple, l’espérance de vie des Russes a chuté de huit ans, ce qui s’est traduit dans les faits par une décimation de la population.

L’arrivée de Poutine au pouvoir a coïncidé avec une stabilisation substantielle de l’État, qui risquait la désintégration en raison des poussées centrifuges de nombreuses républiques (de la république armée de Tchétchénie aux républiques économiques du Tatarstan et de la Sibérie), et avec un redressement tout aussi visible de l’économie, évidemment facilité par une saison de prix élevés pour le gaz, le pétrole et d’autres matières premières. Le déclin démographique, qui a brutalement fait vieillir la population, et la fin d’une longue période de troubles ont créé ce que j’ai appelé une "base de consensus spontanée" pour Poutine. Dire cela semblait une hérésie mais le temps a prouvé la cohérence de cette thèse, jusqu’au consensus plébiscitaire que tous les sondages ont enregistré au moment de la réannexion de la Crimée (2014).

Il est évident qu’il y a eu des fraudes et des pressions dans le passé, tout comme il est évident que les lois répressives adoptées depuis le début de l’invasion de l’Ukraine ont faussé les relations entre les autorités et le peuple. Mais si nous ne gardons pas ces considérations à l’esprit, nous ne comprendrons jamais pourquoi Poutine ne tombe pas. Et surtout pourquoi il ne tombe pas quand on voudrait qu’il tombe.

Lettera da Mosca

 https://italienpcf.blogspot.com/2023/08/fulvio-scaglione-le-vice-de-louest.html

COMMENTAIRES  

04/08/2023 22:06 par Auguste Vannier

Intéressant d’avoir quelques éléments biographiques plutôt vraisemblables sur Poutine.
Cela nous change de la grossière (dans les 2 sens) présentation dont nous inonde la "presse" OTANisée.
C’est probablement encore plus complexe que ce que donne ce court article. En tout cas, cette homme Vladimir Vladimirovich, manifeste sur le long cours de grande compétences dans une stature d’homme d’Etat, et la politique qu’il mène au nom de et pour son pays.
On en est loin dans notre pauvre France macronisée...

05/08/2023 09:02 par keg

Qui pourrait empêcher : https://wp.me/p4Im0Q-5Zq - (JdG N° 95 – Jr + 577) – le prorata des revenus existe mais uniquement au service des pouvoirs. Et pourquoi pas pour tout ce que l’on achète ! Cela vous tente ?
la lutte plus générale passe peut-être par cet axiome de base

certainement pas vous ; ce serait scier la branche sur laquelle vous êtes !

05/08/2023 19:14 par sylvain

il me semble que ces considerations que la presse de l’oligarchie posent sur poutine font plus partie de la propagande visant a creer l’ennemi, le mauvais que refleter ce que pensent nos decideurs du bonhomme et de son accesion au pouvoir

06/08/2023 16:22 par Bostephbesac

Propagande, Sylvain, de la propagande ! Comme celle, actuelle et nouvelle, pour faire désormais passer les putschistes Nigérians pour des terroristes - ce qui voudrait dire que, toutes ces années de Barkhanne, la France aurait combattu "les" terroristes avec "des" terroristes (sacré logique !).

06/08/2023 19:31 par Palamède Singouin

L’article aborde un point essentiel : en Russie comme dans n’importe quel État de moyenne ou grande puissance, il existe un "État profond" indépendant de la personnalité des dirigeants au pouvoir et de la nature plus ou moins démocratique des institutions. Poutine, comme Macron ou Biden, ne serait donc que l’émanation d’une réalité du pouvoir qui reste dans l’ombre. A rapprocher de la théorie marxiste qui distingue les "superstructures" du capitalisme - les institutions - des infrastructures sur lesquelles elles reposent, les rapports de production.

Sur le point particulier des relations internationales et de la guerre, voire l’article de John Mearsheimer dans la dernière parution du Monde Diplo. L’auteur, à la mode chez ceux qui ne versent pas dans l’hystérie anti-russe, reprend en fait une théorie vieille de 25 siècles - le piège de Thucydide- qui se résume à ceci : "la sainte trouille" conduit les Etats les plus puissants à se faire la guerre, chacun craignant de se voir anéanti ou déloger de sa position hégémonique par "l’autre". On est très loin du combat pour la démocratie que sont sensés livrer les ukrainiens pour le compte de l’empire Euroaméricain..

07/08/2023 13:51 par zorglub

Pas de reproche à cet article assez informatif sauf UN :
Poutine s’est imposé comme le victorieux combattant contre les méchants tchétchènes après l’Attentat (très meurtrier) de Moscou.
Attentat fomenté par les Services russes via des tchétchènes crédules permettant de mettre fin à l’anarchie meurtrière entre oligarques affectant toutes les couches sociales.
Attentat que la journaliste Anna Politkovskaïa a dénoncé et cause de son assassinat.
Poutine champion de l’Ordre (que ce soit vrai ou faux n’a aucune importance, il suffit de le faire croire aux gueux), lequel est necessaire (mais non suffisant) à la vie sociale paisible.

L’état profond occidental a bien vu dans ce champion (aux mains sales - comme tous les ’champions’ ici ou là-bas) un personnage permettant à la Russie un developpement économique ET politique, gênant les bandits occidentaux.

07/08/2023 19:49 par Micmac

Zorglub,

C’est l’histoire vendue par les néocons. Il n’y a jamais eu aucune preuve de l’implication des "services" dans les attentats de Moscou. Et les maboules Tchétchènes qui ont déclenchés la seconde guerre de Tchétchénie (contre l’opinion de la très grande majorité de la population) étaient, eux, bien financés par la CIA, et étaient parfaitement capables de perpétrer ces attentats.

A cette même époque, les terroristes tchétchène ont attaqué une école à Beslan et pris en otage un théâtre à Moscou, faisant des dizaines de morts dont des enfants. Les "services" n’avaient pas vraiment besoin d’en rajouter...

Politovovskaïa a été assassiné par la mafia tchétchène, qui n’avait rien à voir avec les islamistes qui ont déclenchés la guerre civile. Parce que la seconde guerre de Tchétchénie a été une guerre civile interne à la Tchétchénie, même si l’armée russe est intervenue. Je n’ai jamais bien compris pourquoi on fait toujours porter le chapeau de cet assassinat au pouvoir russe, alors que les faits ont été établis, tant les mobiles, les commanditaires que les circonstances...

Je ne dis pas que le pouvoir russe est exercé par de petits angelots joufflus, mais connecter des points demande des preuves. Pour le "Kremlin", assassiner des journalistes de Novaïa Gazetta, comme Politovskaïa, c’est que des ennuis pour rien... Le lectorat de cette revue néolibérale est très limité, puisque les Russes ont pu tester grandeur nature Eltsine et son néolibéralisme.

10/08/2023 11:06 par michel PAPON

Afin d’affiner le portrait du tsat il est interessant de savoir qu’il avait fait baptiser ses deux filles en pleine periode sovietique, etonnant pour un agent du KGB.

21/08/2023 09:15 par bostephbesac

Info liée au basket, la Russie, et l’ Équipe de France : Amath M’ BAYE, à son tour, tire un trait sur les JO, en signznt au CSKA Moscou . Il devient le 4ème Bleu à renoncer à l’ Équipe de France, en signant en Russie . Il rejoint Thomas HEURTEL (Zénith Saint-Petersbourg), Louis LABEYRIE (Kazan), et Livio JEAN-CHARLES (CSKA lui aussi) . Source, L’ Est Républicain de dimanche.

23/08/2023 09:33 par bostephbesac

On en entend peu parler, mais, sauf renversement imprévue de situation militaire, dans les prochaines semaines (et pendant combien de temps (cf Artemovsk ("Bakhmut" en uknaze) et Soledar) ?), nous devrions entendre parler de Koupiansk et Krasny Lyman, villes où les troupes Russes approchent depuis plusieurs semaines.

Zelinsky, dans un accès de réalisme, avait brièvement évoqué ces avancées Russes (sans citer les villes) fin juin, en parlant "d’ avancées ennemis dans le front Nord" . Il voulait parler de ces 2 villes, et indirectement de Kharkov qui serait menacé à son Sud par la prise (libération) de Koupiansk.

23/08/2023 14:19 par Georges Rodi

> bostephbesac
C’est exact...
Et toujours cette impression que la Russie retient ses coups.

La soldatesque ukrainienne vient à manquer, mais il y a toujours des volontaires pour venir casser du Russe, qu’ils viennent de Pologne, de Turquie, de l’OTAN sans le dire.
C’est plus facile pour les Russes de s’en occuper sur un front Ukrainien qu’ils dominent outrageusement.
Probablement une des raisons qui font que les US ont décidé de réveiller quelques points chauds : Syrie, Iran, Niger, Arménie, Mer de Chine, etc.
C’est loin d’être terminé.

23/08/2023 14:30 par Georges Rodi

Les néocons "ne comprendrons jamais pourquoi Poutine ne tombe pas. Et surtout pourquoi il ne tombe pas quand on voudrait qu’il tombe."
C’est pourtant simple... Il pratique le judo.
Les néocons ne comprennent rien à rien, ils sont juste dominés par une haine atavique de l’URSS.
Ils n’ont rien de néo, il faudrait les rebaptiser Trocons.

27/08/2023 22:31 par bostephbesac

Deux matchs, deux défaites, la France est éliminée dès le 1er tour des Championnats du Monde . Et si nos quatre "Russes" ont manqué à l’ équipe, au final ? Grosse question !

28/08/2023 07:26 par bostephbesac

De Basket

28/08/2023 10:14 par bostephbesac

Je ne l’ attendais pas celle là : dans Le Parisien/Aujourd’ hui en France du jour (page 16-17 de Aujourd’ hui en France), l’ ex basketteur Bleu Frédéric WEIS, critique la FFB "qui a voulu laver plus blanc que blanc" en se privant des joueurs évoluant en Russie (donc ce n’ était pas une obligation !) . Il dit clairement qu’ un joueur comme Thomas HEURTEL à manqué pour gérer la fin de match contre la Lettonie.

Mon avis : ce gars a dit la vérité...............et ne sera plus jamais invité à commenter . Quant au journaliste, Éric MICHEL, il va se prendre une soufflante . Ainsi va l’ UE/Otanie !

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