"L’inévitable sortie de l’euro" : pour un Grexit de gauche...

Pertes PAPAKONSTANTINOU

Sortir ou non de l’Euro ? Ce n’est plus la question. Il faut se demander quand, comment, et avec qui. La gauche doit au plus vite surmonter ses hésitations et ses fausses querelles pour présenter un plan bien à elle, susceptible de convaincre. (...) C’est une nécessité impérieuse, dans ce contexte, de mettre en avant, à une échelle la plus large possible et de la façon la plus convaincante possible, la solution alternative salvatrice d’un Grexit de gauche, populaire, démocratique, aux antipodes d’un « Grexit à la Schaüble » contrôlé et dévastateur.

Sortir ou non de l’Euro ? Ce n’est plus la question. Il faut se demander quand, comment, et avec qui. La gauche doit au plus vite surmonter ses hésitations et ses fausses querelles pour présenter un plan bien à elle, susceptible de convaincre.

La participation aux négociations avec les créanciers sur l’hallucinant paquet des 5,4 + 3,6 milliards révèle quelque chose de plus grave que l’impasse programmée du gouvernement Tsipras : l’incapacité du capitalisme grec, organiquement affaibli, à se reproduire dans le contexte économique de compétition de l’Eurozone – même en imposant aux couches populaires les conditions les plus insupportables. Cette vérité amère, des acteurs politiques et même des économistes radicalement systémiques qui se situaient jusqu’ici dans la logique de « l’euro à tout prix » en prennent conscience depuis peu et sont contraints maintenant sous la pression écrasante des faits, de rechercher fiévreusement des solutions alternatives.

En proie à la panique, Alexis Tsipras sollicite Hollande, Junker, Schultz, et tous ses autres « amis » tardifs, pendant que des individus de son entourage murmurent qu’on pourrait retourner aux urnes pour des élections ou pour un référendum si Schaüble et le FMI persistent jusqu’au bout. Qui peut bien prendre au sérieux ces rodomontades lorsque le gouvernement lui-même met déjà en application la « guillotine automatique », avant même qu’elle ne soit passée dans la loi, dans les dépenses publiques, en licenciant 4000 maîtres auxiliaires, comme le laisse prévoir la nouvelle réglementation pour l’école toute la journée ? Comment le gouvernement prendrait-il le risque d’un référendum ou d’élections lorsque l’humiliant retournement de veste de juillet dernier est encore tout frais dans les mémoires, avec Le Non qui est devenu Oui, analysé par Christos Laskos et Démosthènes Papadatos dans le livre intéressant qui a été récemment publié sous ce titre.

Nul besoin d’être professeur d’économie pour comprendre que le « mémorandum plus » n’a aucune chance de « réussir », même s’il devait passer avec très peu de réactions politiques et sociales, et même si on marchait sur des cadavres. La contraction de la demande qui en résulterait, dans une économie asphyxiée depuis six ans par une profonde dépression, avec un chômage de l’ordre de 25 %, paralysera encore plus le marché, en provoquant de nouvelles vagues de faillites et de licenciements. Quant aux objectifs astronomiques de l’excédent primaire*, suffisamment violent déjà en lui-même, soyons sûrs qu’ils ne seront pas remplis, comme le reconnaissent d’avance les créanciers lorsqu’ils insistent sur les « mesures de réserve* ». Une insistance qui envoie à tous les candidats investisseurs le message suivant : restez à l’écart du champ de mines qui a nom Grèce, à moins qu’il ne s’agisse de récupérer pour trois fois rien un bon morceau sur la carcasse de ce qui reste des richesses publiques.

Lorsque votre voiture roule dans une impasse et que le mur est en vue, il n’y a qu’une solution : faire marche arrière et prendre la direction opposée ! La Grèce aujourd’hui ne se trouve qu’à quelques mètres du mur. Un changement dramatique de direction vers la sortie de l’Eurozone s’impose sous peine d’un « hiver nucléaire » économique et social. La question qui se pose en fait n’est plus de savoir si nous sortirons ou non de l’euro, mais quand, comment, avec qui, et contre qui nous partirons.

Comme le souligne l’économiste Vangelis Venizelos dans un article d’une remarquable perspicacité, même des forces particulièrement agressives du capitalisme financier international souhaiteraient un Grexit limité, ou en tout cas l’admettraient comme inévitable, dans la logique à laquelle travaille Wofgang Schaüble depuis longtemps. Le « plan B » alternatif de ces cercles est connu dans ses grandes ligne : monnaie « nationale » sans politique monétaire nationale, liée à l’euro par une stricte parité (Ce qui signifie que la Grèce continuerait à subir les conséquences du dumping économique et social de l’Allemagne), maintien de la dette insoutenable et poursuite de la privatisation des banques et des infrastructures, nouvelle vague de paupérisation massive pour la population grecque. Un pareil Grexit, résultant d’un consensus (avec les créanciers), constituerait une véritable catastrophe sociale, dont les forces systémiques se hâteraient d’attribuer la responsabilité aux forces de gauche anti UE, en prétendant qu’ils ne font que mettre en pratique ce nous avons toujours voulu !

C’est une nécessité impérieuse, dans ce contexte, de mettre en avant, à une échelle la plus large possible et de la façon la plus convaincante possible, la solution alternative salvatrice d’un Grexit de gauche, populaire, démocratique, aux antipodes d’un « Grexit à la Schaüble » contrôlé et dévastateur. Tous ceux qui, sous le poids des difficultés présentes, adoptent une position défensive et évitent de prendre position sur cette question, au cœur de toute proposition alternative de gauche, ceux-là rendent un très mauvais service à la cause du combat populaire contre les mémorandums. Si nous ne présentons pas nous-mêmes notre propre proposition de transformation ce sont des forces systémiques qui viendront remplir le vide, éventuellement des forces de droite (voir déjà les tentatives de l’extrême droite de jouer ce rôle avec le parti « Unité Nationale »)

Parmi ceux qui rendent un mauvais service figurent également tous ceux qui, comme la direction du Parti Communiste Grec bottent en touche en renvoyant la sortie de l’euro au... socialisme et à la socialisation des moyens de production, c’est-à-dire aux calendes grecques. On compte aussi ceux qui, dans une période aussi cruciale pour le peuple et le pays, s’échinent à surenchérir dans les proclamations ultragauches en faisant de la sortie simultanée de l’euro et de l’UE un objectif immédiat -ce qui élimine de facto la sortie de la zone euro comme question centrale de la lutte sociale et politique. IL est très facile de placer la barre plus haut à qui mieux mieux et de flinguer pour leur manque de détermination tous ceux qui ne te suivent pas. Mais ce qui n’est pas si glorieux, c’est de passer en permanence très en-dessous de la barre et de se pavaner pour son « audace ».

Il n’y a pas de doute que la rupture, le désengagement par rapport à l’UE viendra à l’ordre du jour, plus ou moins vite, et plutôt vite. Mais pour le peuple, trancher en pratique le nœud gordien de l’euro – et je ne parle pas d’une décision prise sur le papier par telle ou telle organisation – constitue aujourd’hui le tremplin nécessaire pour les conquêtes ultérieures, encore plus décisives.

C’est l’expérience pratique du peuple en marche, et non les proclamations ex cathedra, qui sont l’école politique la plus efficace. L’expérience dense des quinze derniers mois a convaincu à un rythme accéléré des catégories plus larges de travailleurs des conséquences ravageuses de notre maintien dans l’Eurozone, et elle continue à le faire. Le revirement sur la question du Grexit se traduit déjà dans tous les sondages, quelles que soient les réserves qu’on puisse nourrir à juste titre sur beaucoup de sociétés qui les réalisent. Le peuple est en mesure de comprendre que, si nous étions sortis de l’euro en 2010, dans un cadre démocratique, de gauche, au lieu d’être happés dans la spirale descendante, cauchemardesque, des mémorandums, il y a longtemps que nous aurions surmonté les difficultés de la période de transition, et que nous irions beaucoup beaucoup mieux. D’ailleurs, après le contrôle des capitaux imposé l’été dernier, nous avons déjà épongé une grande part du coût d’un désengagement, sans profiter d’aucun de ses avantages

Nous entendrons encore sûrement les principaux porte-voix du système nous expliquer qu’un grexit de gauche serait un voyage « en territoire inconnu », plein de risques à chaque pas. Mais nous savons tous que les destinations les plus belles ne peuvent être atteintes que par des chemins difficiles. Ceux qui ne se décident pas à lever l’ancre pour d’autres eaux que celles qui ont été totalement cartographiées sont condamnés à couler petit à petit, avec leur honneur, dans un pitoyable « port de l’angoisse » -du moins jusqu’à ce que ceux qui l’auront acheté pour trois fois rien ne les en expulsent.

Petros Papakonstantinou

Pertes Papakonstantinou est physicien, journaliste, membre de Laïki Enotita (Unité populaire)

Traduction Jean Marie Reveillon

Le 24/04/2016

 https://unitepopulaire-fr.org/2016/05/02/linevitable-sortie-de-leuro-par-petros-papakonstantinou/

COMMENTAIRES  

05/05/2016 14:43 par Beyer Michel

Pour une sortie de l’Euro, voici l’interview de Jacques Sapir à Radio Caraib :

http://www.rcn-radio.org/wp-content/uploads/wp-BD-jplayer/2016_05_03_droit.mp3

05/05/2016 17:02 par tchoo

En gardant l’€ vous êtes surs de mourir
et bazardant l’€ vous avez des chances de sortir de la spirale mortifère
il ne devrait pas y avoir de choix
mais, ami grecs nous en sommes aussi là, même si on ne peux pas comparer vos souffrances avec nos petits bobos

05/05/2016 18:11 par babelouest

Une fois de plus, ce professeur se garde d’évoquer la sortie de l’union européenne, seule vraie solution à la catastrophe actuelle.

Il y a pourtant des Grecs qui préconisent depuis des années cette sortie : alors ? On a l’impression de toucher là à un tabou.

Chiche !

05/05/2016 19:37 par EricN

Parmi ceux qui rendent un mauvais service figurent également tous ceux qui, comme la direction du Parti Communiste Grec bottent en touche en renvoyant la sortie de l’euro au... socialisme et à la socialisation des moyens de production, c’est-à-dire aux calendes grecques.

C’est une hypothèse de travail.
Une autre pourrait être de dire que le mauvais service rendu fut d’abord celui que rendirent ceux qui ont tenté de donner une ultime fois au capitalisme un "visage humain", ce dont on le sait parfaitement incapable et qui ne trouvent que pour seule issue à leur aveuglement et/ou leur incompétence que de taper sur les communistes, qui ont eu probablement raison de ne pas collaborer car Syriza, lors de son congrès de juillet 2013, avait déjà révoqué tous les amendements progressistes de la Plateforme de Gauche de l’époque, à savoir :
- le rejet de la totalité de la dette de la Grèce,
- la nationalisation de tout le système bancaire et de tous les secteurs stratégiques de l’économie,
- la préparation de la rupture avec la zone euro et l’Union européenne.

Mais que seraient allés faire les communistes dans cette galère, si ce n’est se renier, eux et leur histoire. Ce qu’il faut juger n’est pas ce qu’auraient pu ou dû faire les communistes, mais ce à quoi ils ont réellement contribué eux...

05/05/2016 22:27 par D. Vanhove

A quand un courageux gouvernement d’un pays de la zone euro qui emprunterait le même chemin que l’Islande...?

L’occasion se présente p-ê pour la Grèce... avant d’autres...!

06/05/2016 07:10 par vila

je me souviens que le KKE nous disait depuis toujours que tsipras et sirysa allaient trahir (le mot n’est malheureusement pas trop fort). ll nous disait qu’il n’y avait rien a entendre d’eux. On les a traité de sectaire, de stalinien. Du coup je me suis dit ce ne sont que des oiseaux de mauvaises augures, laissons les déprimer tout seul dans leur coin.....
Et puis les oiseaux de mauvaises augures se sont transformés en Cassandre c’est à dire qu’ils avait anticipé ce qui allait se passer (fut ce une mauvaise nouvelle).

" Parmi ceux qui rendent un mauvais service figurent également tous ceux qui, comme la direction du Parti Communiste Grec bottent en touche en renvoyant la sortie de l’euro au... socialisme et à la socialisation des moyens de production, c’est-à-dire aux calendes grecques."

Et j’ai l’impression que maintenant certains vont presque leur reprocher d’avoir eu raison avant tout le monde.
On leur reproche car il faut toujours leur reprocher qque chose que leur but est trop loin a atteindre ( socialisation des moyens de production). Je signalerais que :QUAND ON SAIT OU L’ON VA, ON SAIT DANS QUELLE DIRECTION ON MET LE PREMIER PAS.

et le pb de tous ces partis (podemos, unité populaire ), ils ne savent pas ou ils vont donc ils font du vent. mais le vent n’est désagréable lors des canicules.

06/05/2016 14:20 par Wilmotte Karim

@Vila
_"On les a traité de sectaire, de stalinien"

L’un n’empêche pas l’autre.

06/05/2016 14:25 par Christophe

Avec ou sans l’Europe le capitalisme semble bien fatigué et les victoires d’un jour pourraient être suivis de désillusions. Mais dans la pire des crises ceux qui ont le plus à perdre (en argent) ce sont les possédants, et ils pourraient céder beaucoup pour ne pas perdre tout. A l’instar des Piqueteros dans une Argentine subissant une crise redoutable au début des années 2000 on obtiendrait au moins provisoirement des acquis non négligeables. Les Piqueteros en bloquant les routes et donc la circulation des marchandises, obtenaient des postes de travail et des acquis sociaux. Sans rien exiger d’autre. On leur impute aujourd’hui une bonne partie des acquis sociaux des travailleurs argentins.
Tout changer ou faire payer !

06/05/2016 22:08 par alain harrison

Bonjour.

« « l’incapacité du capitalisme grec, organiquement affaibli, à se reproduire dans le contexte économique de compétition de l’Eurozone » »

À moins que la mécanisation de la production par la robotisation dont on ne sait pratiquement rien de ses avancés, soient introduites massivement en Grèce, pour continuer l’expérimentation néo-capitalisme sauvage. De plus en plus de jeunes cherchent à quitter la Grèce sans avenir. Est-ce une idée acquise chez les jeunes ? Vider le pays des travailleurs......Déjà que le Moyen-Orient se vide de millions de personnes, et ce n’est pas terminé......Une mise en place de la future hécatombe ?

Nous devons envisager des scénarios machiavéliques de la part du néo-capitalisme sauvage, regardons ce qu’il a fait au Moyen -Orient. Bientôt en Amérique latine ?
L’Europe, le dérapage........

jeudi 13 décembre 2012
300 000 robots ont déjà été introduits.

D’après l’agence de presse Xinhua, le géant taïwanais Foxconn aurait confirmé le remplacement d’ une partie de sa main d’œuvre par plus d’ un million de robots en trois ans.
300 000 robots ont déjà été introduits.
Les machines suppléent les humains pour des tâches courantes telles que l’assemblage, la soudure et la peinture.

Foxconn employait 1,2 million d’ouvriers dont la majorité en Chine pour la fabrication des produits Apple, HP, Dell, Nokia ou encore Sony.

http://desiebenthal.blogspot.ca/2012/12/300-000-robots-ont-deja-ete-introduits.html

La nouvelle arme de destruction massive des avancés sociétales !?!?

Les robots appartiennent à qui ?

Est-ce que la reconstruction du Moyen-Orient sera le fait de robots, une gracieuseté du complexe militaro-industriel commandité par l’Arabie Saoudite (?). Le néo-capitalisme a plus d’un tour dans son sac et il a la masse monétaire malle acquise. Le détournement de 2008, n’est qu’un aspect, les paradis fiscaux, l’OMC (le gouvernement mondial, le non dit ?)..........,les Panamas papers en cachent d’autres....

Prendre le pouvoir avec une stratégie judiciaire articulée preuve à l’appui, est une autre dimension des priorités à mettre en place pour le passage du capitalisme au coopératisme, la nouvelle économie.

La gauche progressiste a le devoir d’organiser les comités citoyens et leurs satellites à temps partagé (le temps étant le véritable nerf de la guerre),pour que les travailleurs-citoyens prennent conscience.

Le premier est la prise de conscience des deux véritables fondamentaux : le mode de revenu détaché du mode de travail. M. Friot en donne des indications.
360 P. B. Friot : salariat vs revenu de base‏
https://www.youtube.com/watch?v=um1jjQjcvV4

En sachant que les choses évoluent dans le temps, si les fondations sont mauvaises, les conflits sont inévitables.
Quand une vérité n’est pas reconnue, alors place à toutes les manipulations.
Le questionnement, la vision d’ensemble et le discernement.

Les fondamentaux sont les balises, les guides devant lesquels toute idée peut être jugée adéquatement. Nous sommes ici, sur le plan sociétal, politique et économique.
Sur le plan sociétal, l’aspect psychologique est crucial.
M Abgrall amène une expertise importante à prendre au sérieux.
La gauche a le devoir d’initier le citoyen-travailleur à conquérir sa souveraineté : le Peuple Souverain.
M. Friot amène une expertise à prendre au sérieux.

Les militants (non les partis*), les activistes, les syndiqués (non les syndicats*), le monde des groupements sociaux et les associations étudiantes doivent se donner la main, pour cette vaste prise de conscience et le consensus. Les détails seront mis à l’épreuve au fur et à mesure de la pratique. Toutes les expertises adéquates sont les biens venues, ce sont des outils.

Les groupements sociaux doivent prendre conscience des retombés collatérales bénéfiques des deux fondamentaux.

La question fondamentale : Qu’est-ce que cela me rapporte, à moi, à ma famille, à mon organisme, à l’éducation, à la santé........à l’ensemble ?

L’organisation travailleur citoyenne, le maître d’oeuvre, elle choisira ses représentants politique avec les mécanismes préventifs à tout dérapage. Avis aux petits opportunistes et aux OUI-MAIS.....

Je vous le dit, le questionnement, la vision d’ensemble et le discernement nous libère des pièges, quelque soit leur habit.

* Les partis et les syndicats ont trop de leurs petits intérêts pollués.

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