Holodomor : Le fin mot ou le faux mot ?

Dans son émission « Le fin mot » (RTBF radio) du 15 février 2023, le journaliste Eddy Caekelberghs assimilait l’Holodomor à la Shoah. Cela m’avait incité à écrire une lettre ouverte à Pierre Marlet, rédacteur en chef de la RTBF [voir « Le Grand Soir » du 25/02/2023 (1)]. Ma critique – portant sur la qualification indue de génocide appliquée à l’Holodomor ‑ étant restée sans réponse, je me suis adressé à Jean-Pierre Jacqmin, le directeur de l’information de la RTBF ; rencontré par hasard à la mi-avril, ce dernier m’a promis une réponse… que j’attends toujours. Vaine attente sans doute, car, dans « Le fin mot » du 23 mai, Eddy Caekelberghs « remet ça », en ressassant cette contre-vérité à l’occasion de son interview de l’écrivaine Catherine Koleda et du député belge Georges Dallemagne (2).

Précisons d’emblée qu’il ne s’agit pas ici de mettre en cause le témoignage des privations qu’a endurées en Ukraine dans les années trente le père de Catherine Koleda, dont cette dernière a fait un livre (3). Il ne s’agit pas non plus de contester la sincérité de Georges Dallemagne dans son combat pour dénoncer les politiques de Staline. L’une et l’autre ont le droit d’exprimer leur point de vue, fût-il empreint de préjugés anticommunistes sinon russophobes selon lesquels l’Holodomor constituerait un génocide.

Il ne s’agit pas non plus de contester la liberté d’Eddy Caekelberghs d’interviewer qui bon lui semble. Ce que je dénonce, c’est le fait qu’il se soit autorisé à « en remettre une couche » au lieu de contextualiser les propos de ses invités comme l’imposerait la déontologie de la profession, voire même – on peut rêver – oser questionner la pensée unique.

Caekelberghs s’est contenté de relayer complaisamment l’équation : Holodomor = génocide. Son émission commence par ces mots : « Cet Holodomor est à présent reconnu chez nous, comme dans d’autres capitales européennes, comme génocide » (00:13) et se termine, pour ceux qui n’auraient pas compris, par ce rappel doublé d’un souhait : « Je rappelle que le parlement belge a adopté, en résolution, la notion de génocide pour qualifier dorénavant, en Belgique en tout cas, l’Holodomor, que le Parlement européen l’avait fait à son tour et que l’on attend d’autres capitales les mêmes gestes. » (23:24)

Ce journaliste chevronné ne pouvait toutefois pas ignorer que la qualification de l’Holodomor comme génocide est très largement mise en cause par les historiens, comme le signale d’ailleurs une voix féminine entendue dans les premières minutes de son montage : « Il faut savoir, dit cette voix, qu’au niveau d’un parlement, quand on parle de génocide, ça voudrait dire que de manière délibérée les Russes auraient, dans les années trente, tué des Ukrainiens en masse. Les experts scientifiques, les historiens, même demandés par les partenaires de la Vivaldi (4), ont clairement dit que : oui, c’est quelque chose de très grave, ce qui s’est passé, mais ce n’est pas un génocide. » (02:23)

Remarquons l’habileté, sinon la rouerie, du journaliste, qui se met ainsi à l’abri de toute accusation de partialité. À ses détracteurs (et à ses supérieurs) il pourra toujours répondre : « Moi, j’ai donné la parole à la partie adverse. » Mais pourquoi Caekelberghs n’indique-t-il pas l’identité de l’intervenante, comme s’il s’agissait d’un propos sans valeur ? Pourquoi la déclaration argumentée de cette dame est-elle contredite une fois exprimée, sans même le début d’une critique ? Comme un procureur balayant d’un effet de manche la thèse de la défense pour mieux développer son réquisitoire, Caekelberghs néglige ce qui pourtant devrait constituer sa mission fondamentale d’information : chercher précisément « le fin mot » d’un événement quel qu’il soit.

Oui ou non, l’Holodomor a-t-il été un génocide ? That is the question. Le 23/10/2008, le Parlement européen avait qualifié l’Holodomor de « crime contre l’humanité » et voilà que, quatre ans plus tard, le 15/12/2022, pour ce même parlement, le même fait historique devient un « génocide ». Sur quelles révélations historiques récentes, sur quelles archives nouvellement découvertes les parlementaires européens se sont-ils basés pour franchir ce cap ? Aucune, à ma connaissance.

Quel est « le fin mot » de cette curieuse transformation ? Beau sujet d’enquête pour un journaliste. Comment expliquer cette fuite en avant des parlementaires européens et d’autres aussi ? L’actualité de 2022 aurait-elle le pouvoir de changer la nature d’un événement historique vieux de nonante ans ? La requalification de l’Holodomor en génocide a-t-elle un fondement rationnel ou bien s’agit-il d’une réaction émotionnelle ? Le vote massif des députés presse-boutons, ne serait-ce pas une forme d’hystérie collective ? Voilà quelques belles questions qu’aurait pu poser Eddy Caekelberghs à Georges Dallemagne.

Un journalisme sérieux peut-il simplement snober les nombreuses études contredisant le caractère génocidaire de l’Holodomor ? Citons notamment les historiens britanniques Robert W. Davies et Stephen G. Wheatcroft, les historiens étasuniens J. Arch Getty, Stephen Kotkin, Marc Tauger et Frank E. Sysyn (d’origine ukrainienne), l’historien canadien David R. Marples, l’historien canado-étatsunien (d’origine ukrainienne) John-Paul Himka, l’historienne allemande Franziska Davies, l’historienne française Annie Lacroix-Riz, l’économiste britannique Stephen Rosefielde, l’économiste britannique Michael Ellman... Excusez du peu. Il faudrait encore ajouter l’avis de trois experts historiens et du Centre de Droit international de l’ULB, ce qui n’a pas empêché le Parlement belge de s’aligner lui aussi sur la pensée unique.

Qu’est-ce qu’un génocide ? C’est un crime consistant en l’élimination concrète intentionnelle, totale ou partielle, d’un groupe national, ethnique ou religieux. Deux conditions pour qu’il y ait génocide : l’intention homicide et le choix d’un groupe à éliminer. Or, dans le cas qui nous occupe, aucune de ces conditions n’existe ?

Le caractère intentionnel d’abord. Pour résumer l’analyse des auteurs cités plus haut, il y a bien eu une terrible famine en 1932-1933, mais elle n’a pas été voulue comme telle par le pouvoir soviétique qui n’avait strictement aucun intérêt à affamer sa population, le pays étant alors en marche forcée pour s’industrialiser. Que la famine (qualifiée tardivement d’Holodomor, sans doute par opportune paronomase avec Holocauste !) ait eu pour cause, à côté de calamités climatiques, une politique condamnable de Staline n’implique nullement que cette faute politique, voire même ce crime, reçoive la qualification de génocide.

Deuxième condition pour qu’il y ait ici génocide : un groupe spécifiquement visé. Or comme le rappelle Oleg Nesterenko, descendant lui-même de parents morts de faim (5), la moitié des 7 à 8 millions de victimes de la famine des années trente a été enregistrée hors de l’Ukraine : dans le Caucase du Nord, dans les régions russes de Basse et Moyenne Volga, dans la région de la Russie Centrale, en Sibérie Occidentale et Méridionale et en Oural, au Kazakhstan et au Kirghizistan soviétiques. La remarque suivante d’Oleg Nesterenko ne manque pas de piquant : des membres de sa famille ont été décimés en 1933, mais c’était loin de l’Ukraine (sur le territoire de la Russie dans la région du Caucase du Nord), tandis que son grand-père a vécu durant cette grande famine en Ukraine, dans la région de Zaporojié, et, contrairement aux autres membres de sa famille morts en Russie, a bien survécu à ces années terribles sans perdre un seul de ses membres...

Persister à appeler génocide l’Holodomor, c’est procéder à une réécriture de l’histoire, un grief que la presse occidentale se plaît à brandir contre Vladimir Poutine. Profitant de la liberté dont ils assurent jouir, nos journalistes ne devraient-ils pas balayer devant leur porte, en appelant un chat un chat, un crime un crime, un génocide un génocide ? Et, en particulier, Eddy Caekelberghs ne devrait-il pas préférer le fin mot ou faux mot ?

(1) https://www.legrandsoir.info/holodomor-et-complaisance-lettre-ouverte-a-la-rtbf.html
(2) https://auvio.rtbf.be/media/le-fin-mot-le-fin-mot-catherine-koleda-et-georges-dallemagne-holodmor-3039156
(3) Catherine Koleda, Quand Staline nous affamait. Récit d’un survivant ukrainien, éd. Jourdan, 2015.
(4) Nom donné à la coalition gouvernementale belge censée représenter les quatre différentes sensibilités politiques (socialiste, libérale, écolo et démocrate chrétienne), par allusion aux « Quatre Saisons » de Vivaldi. Vu l’abstention des démocrates chrétiens (rebaptisés les « Engagés »), les partis représentés ne sont plus que trois.
(5) https://www.legrandsoir.info/l-holodomor-la-parade-des-irresponsables-a-l-assemblee-nationale.html

COMMENTAIRES  

30/05/2023 22:07 par Christian

Le groupe visé n’était pas national ni ethnique mais bel et bien religieux : les goyim. Quant á l’intention homicide, Genrikh Yagoda est tout simplement l’un des plus grand assassins de tous les temps, avec au bas mot dix millions de morts sous la ceinture.

31/05/2023 10:56 par CAZA

Les Charlots qui siègent à l Assemblée n’ont pas pris histoire en option et ont suivi des cours de rattrapage en propagande
En tout cas pour la France la question serait vite jugée :
Préméditation , Pillage et Génocide .

https://musulmansenfrance.fr/le-genocide-algerien-la-memoire-courte/

01/06/2023 15:56 par CAZA

Encore un effort pour les rigolos de l ’ Assemblée . Là c’est facile comme pour la colonisation algérienne car c’est revendiqué par le pouvoir .
La famine est un
« jugement de Dieu qui a infligé cette calamité afin de donner une leçon aux Irlandais, et c’est pourquoi elle ne doit pas être trop atténuée >>
Racisme , épuration religieuse , non assistance .
Trevelyan un génocidaire qui mérite d’être mieux reconnu par notre valeureuse Assemblée de cancres en histoire mais fortiche en propagande

http://alencontre.org/societe/histoire/comment-justifier-linjustifiable-le-cas-de-la-famine-irlandaise.html

01/06/2023 18:56 par CAZA

HéHé ,
Les Dépités français élus par une minorité de non abstentionnistes ont ouvert la boîte de Pandore .
Va falloir qu’ils sortent du bar de l’ assemblée avec le dosimètre alcoologique règlementaire et dénoncent les génocides de leurs ancêtres .
Question génocide des Européens ça se ramasse à la pelle .
Je n’ai pas encore retrouvé la "" Dead Line " où les soldats anglais ont tués tous les habitants en faisant une battue du nord au sud de l’ile.
Ou peut être Black Line de la couleur de ceux qu’ils assassinaient .Je recherche .

<<<<Le génocide des Maoris néo-zélandais massacrés par les Anglais
mardi 3 octobre 2017, par Robert Paris
La revendication maori sur les terres volées par les colons anglais reste d’actualité

« On peut dire sans crainte d’erreur, que toute colonie où la population native subsiste en nombre et garde sa vigueur, constitue un foyer de révolte. Tantôt le soulèvement s’étale au grand jour, et alors des blancs succombent dans les rencontres, si inégales que soient les armes employées. Tantôt il couve dans l’ombre, comme il arriva jadis en Nouvelle-Calédonie, pour faire une soudaine explosion, qui stupéfie les administrations, si inquisitoriales qu’on les puisse supposer. Pour étouffer les ferments de sédition, il n’est qu’un moyen, qui consiste à supprimer les indigènes par la famine, par l’alcool, ou par les exécutions continues. Ainsi ont été détruits les Peaux-Rouges aux États-Unis, les Australiens, les Maoris de la Nouvelle-Zélande. Mais c’est la condamnation même de la colonisation qu’elle ne réussisse à se maintenir que par le crime. En fait, et nous le verrons plus amplement encore, l’expansion contemporaine ne se conçoit point en dehors de la violence initiale, de la répression sauvage, de la brutalité du commandement, des exactions de toute nature, du terrorisme officiel. Les traitements infligés aux indigènes, — en période de calme, — complètent dignement les mesures de conquête ou de coërcition temporaire. »
Paul-Louis, Le Colonialisme
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article4489

19/06/2023 09:42 par André LACROIX

Indice supplémentaire que les Ukrainiens n’étaient pas spécifiquement concernés : voilà qu’on parle maintenant d’"Holodomor à la kazakhe". Voir https://eu.eot.su/2023/06/18/kazakhstan-intends-to-study-the-topic-of-the-holodomor-following-the-example-of-ukraine/.

24/06/2023 08:57 par André LACROIX

Ajouter l’universitaire étatsunien Grover Furr à la liste des historiens contestant le caractère génocidaire de l’Holodomor.

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