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Gaza - Le silence qui tue

Il y a de plus en plus, l'inquiétante impression que l'habitude se prend des souffrances de Gaza, et que le silence se fait peu à peu. Un peu partout, dans les grandes villes du monde, comme s'ils sentaient ce danger, les peuples, et surtout la jeunesse, marchent pour Gaza et la Palestine, dans des manifestations imposantes contre le silence.

Il y a d’abord le silence des médias occidentaux. Au fur et à mesure que le carnage accroit sa férocité, plus un mot, plus une image de Gaza. Et pourtant ce ne sont pas les images qui manquent. Il y a les journalistes palestiniens à l’intérieur de Gaza. Ils filment, ils témoignent sans relâche. Plus de 100 ont déjà été tués. Les images qu’ils envoient sont en boucle sur les télé arabes, sur les réseaux sociaux. Mais dans la sphère occidentale, on veut parler surtout de l’Ukraine, on cancane sur les "peoples", on parle de tout et de rien mais surtout pas de Gaza et de la Palestine.

Pas un mot ou presque, sur un évènement aussi considérable que celui de la Cour internationale de Justice qui instruit la plainte en génocide contre Israël.
Les appels à l’aide, les cris de douleurs montent de Gaza, tous les jours, toutes les nuits du génocide en cours. On ne peut pas ne pas entendre, ne pas voir, mais l’Occident ferme les yeux, se bouche les oreilles. Le président français Macron a annoncé dernièrement qu’un hommage serait rendu le 7 février aux franco-israéliens qui sont morts en Israël. Le président Biden, lui, selon des familles d’otages israéliens, aurait versé des larmes lors d’une rencontre avec eux. Pas un mot sur les 30 000 palestiniens morts, à ce jour, à Gaza, sur les 60 000 blessés. Pas un mot sur les 10 000 enfants palestiniens tués. Pas une parole de compassion pour les milliers d’autres enfants qui mendient de l’eau comme ailleurs on peut mendier une pièce de monnaie. Les petits enfants de Gaza mendient de l’eau, ils tendent un récipient de fortune pour mendier quelques gouttes d’eau. Vous vous imaginez ! Ils mendient de l’eau ! Les maitres de l’Occident n’ont aucune compassion, aucune empathie. Ils restent de marbre. Le premier besoin est de boire, le premier acte de solidarité humaine est de donner à boire à l’homme assoiffé. Il a fallu attendre la civilisation des États-Unis et d’Israël pour interdire de boire à la population de Gaza, aux enfants de Gaza. Les États Unis réclament "la libre circulation des marchandises, dans la mer rouge", mais est-ce qu’ils la permettent à Gaza ? Et ils ont l’audace de dire des Houthis, qui se sont portés seuls au secours de Gaza, qu’ils sont des "pirates". Et ils parlent sans honte des "valeurs occidentales", de la "mission de l’Amérique", de "l’axe du bien"...

La Chine, l’Inde, la Russie

Il y a aussi le silence hélas, d’autres pays dont on attend plus, la Chine, l’Inde, la Russie. Bien sûr, il n’y a rien de comparable à l’attitude des dirigeants occidentaux. Ils soutiennent constamment les aspirations palestiniennes, ils ont dénoncé la guerre contre Gaza, ils réclament un cessez le feu, un Etat palestinien. Mais quand même, ne pourraient-il pas faire plus, beaucoup plus ? Ils ont des responsabilités internationales. Nous n’entendons pas beaucoup la Chine, plus occupée par Taiwan. Pas beaucoup aussi la Russie, occupée par l’Ukraine. Et l’Inde, qui dès 1947 soutient le peuple palestinien, mais qui, à la surprise générale, s’abstient le 27 Octobre sur une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU qui exigeait le cessez le feu. Il est vrai qu’elle se rattrapera, un peu plus tard, sur ce point du cessez le feu, en le réclamant elle aussi, au sommet des BRICS du 21 Novembre. Le Japon avait pour tradition de soutenir les positions des pays arabes concernant le conflit palestinien. Dernièrement il ne l’a pas fait et avait même soutenu Israël. Puis il s’est repris pour dénoncer l’action de celle-ci. À une journaliste occidentale qui s’étonnait de ces hésitations, un diplomate japonais a confié qu’ils n’avaient pas dénoncé Israël car ils avaient constaté avec surprise que certains pays arabes eux-mêmes étaient hostiles à Hamas. N’y a-t-il pas un peu de cela, y compris chez d’autres grands pays alliés traditionnels de la Palestine. Quelles étroitesses ! La cause palestinienne en est-elle moins juste parce qu’elle est dirigée par un mouvement islamiste ?

Les dénonciations verbales

Il y a, de plus, le silence assourdissant des États arabes, à quelques exceptions près, leur passivité manifeste. Ne parlons pas de la dénonciation ou des condamnations verbales. C’est la moindre des choses. D’ailleurs, même cette "moindre des choses" n’existe parfois pas. Les dénonciations verbales ont perdu désormais de leur valeur. Elles ne font que conforter les États Unis et Israël que "ça n’ira pas plus loin". Significativement, les États Unis et leurs vassaux ne prennent au sérieux actuellement que les Houthis. Peut- être même pas l’Iran et le Hizbollah , du moins pour l’instant. Tous, d’une manière ou d’une autre, des spectateurs du massacre. Le prétexte est qu’il faudrait tous agir ensemble, ce qui n’arrivera jamais. Les Houthis eux n’ont pas attendu. Ils ont donné l’exemple.
Et pourtant les pays arabes pourraient faire beaucoup, même en faisant peu : par exemples rompre leurs relations diplomatiques avec Israël pour ceux qui en ont, les suspendre avec les pays qui soutiennent la guerre menée par l’Etat Hébreu, ou convoquer au moins leurs ambassadeurs pour protestations, commencer à prendre des sanctions, forcer des passages à la frontière de Gaza, rompre le blocus sur Gaza, encourager des flottilles à s’y rendre comme cela avait été le cas de "La flottille de la liberté" contre le blocus en mai 2010, demander à leur population de boycotter les entreprises qui financent directement ou indirectement la guerre. Ils pourraient parachuter des vivres, des médicaments. Non, aucune idée, aucune imagination. Rien. IIs regardent et ils crient au crime humanitaire, aux crimes contre l’humanité. Ce dont on peut être sûr c’est qu’il y aura un jour la colère des peuples arabes, et qu’un jour, demain, dans dix ans, mais un jour certain, la note leur sera présentée. On ne peut imaginer comportement plus révoltant.

Entendez-vous les cris qui montent de Gaza, voyez-vous ces hommes, ces femmes, ces vieillards brandir vers vous des corps sans vie d’enfants, petits êtres délivrés enfin de ce monde sans âme, anges retournant vers les anges. Entendez-vous ces cris de douleurs qui n’en finissent pas. Bouchons-nous les oreilles, fermons nos yeux, continuons de vivre notre vie si précieuse, évitons même de regarder les images de Gaza car "c’est tellement insoutenable, tellement insupportable". Il faut beaucoup de force actuellement pour continuer de croire en l’humanité.

Nous serons tous des assassins

Ce qui se passe à Gaza n’est jamais arrivé. Certes, l’Histoire a déjà été parsemée de sièges sanglants de ville, de tueries impitoyables, de génocides, la liste est interminable de la persévérance avec laquelle les hommes ont tué leurs pareils. Mais ce qui arrive à Gaza est autre chose, non pas seulement par l’ampleur de la tuerie, mais par son contexte, de par son vécu, son ressenti par la planète toute entière. Dans une plaidoirie sobre et bouleversante à la Cour internationale de justice, Blinne Ní Ghrálaigh, avocate irlandaise parlant au nom de l’Afrique du sud, a dit : " C’est le premier génocide de l’Histoire dont les victimes diffusent leur propre destruction, en direct, dans l’espoir, pour le moment vain, que le monde fasse quelque chose (...) Tout le monde devrait être horrifié et avoir honte.". Ces paroles raisonneront jusqu’à la fin des temps.

Jusqu’à présent les assassins, les génocidaires agissaient secrètement ou en vase clos, à l’abri des regards. Imaginons simplement qu’un assassin, ou un groupe d’assassins, aient commis leur crime devant des témoins silencieux, passifs. Que dirait la justice , mais surtout la conscience de ces témoins silencieux et passifs ? Pourraient-ils en ressortir indemnes, ne seraient-ils pas hantés pour toujours par ce moment. Eh bien c’est ce qui se passe actuellement. On tue à Gaza devant nos yeux, nuits et jours, et tous les jours ça recommence, et il nous faut nous lever le matin avec cette boule dans la gorge, avec l’idée de retrouver ce massacre qui se poursuit froidement, systématiquement, sans relâche, sans pitié, sans miséricorde. C’est invivable, c’est impossible à vivre, et nous le vivons. Pourrions-nous nous en sortir sans être meurtris à jamais ?
Avec la tragédie de Gaza, on est passé à autre chose, à un autre degré d’inhumanité, d’horreur. Le crime est immense, sans équivalent, inédit. Ce sont des millions, des centaines de millions d’hommes qui assistent chaque jour à ce spectacle sanglant, en direct. Et Israël le fait avec bonne conscience, et elle dit que cela va continuer chaque jour, pendant une année, deux années peut être. Et les États-Unis continuent de leur fournir ce qu’il faut pour cela.

Les israéliens, et par procuration les États-Unis , car sans eux Israël ne pourrait rien faire, ne tuent pas simplement à Gaza, ils nous détruisent nous aussi. Ils détruisent en nous l’humanité . Celle-ci s’use chaque jour un peu plus, en nous, à regarder impuissants nos pareils souffrir, mourir devant nos yeux, nous appeler à l’aide sans que personne effectivement ne bouge, ne vole à leur secours, en dehors de dénonciations trop faibles, trop attendues, trop convenues pour arrêter le bras des assassins. Ceux-ci savent que nous les voyons. Nous les voyons et ils continuent pourtant. Ils veulent peut être que nous les voyons, ils veulent nous obliger à un silence complice, à un silence qui tue. Nous serons alors tous des assassins, l’acteur, comme le spectateur. Et nous allons être hantés par ce crime contre l’humanité probablement longtemps, très longtemps. C’est terrible, ce qui se passe. On ne peut imaginer aujourd’hui à quel point cela pourra l’être à l’avenir. Le projet des meurtriers va beaucoup plus loin que leurs crimes. Il est de nous faire mourir de honte, de nous faire taire à jamais, de nous faire perdre notre âme.

À Gaza, c’est aussi nous qu’on assassine, chaque jour.

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L’auteur : Christophe OBERLIN est né en 1952. Chirurgien des hôpitaux et professeur à la faculté Denis Diderot à Paris, il enseigne l’anatomie, la chirurgie de la main et la microchirurgie en France et à l’étranger. Parallèlement à son travail hospitalier et universitaire, il participe depuis 30 ans à des activités de chirurgie humanitaire et d’enseignement en Afrique sub-saharienne, notamment dans le domaine de la chirurgie de la lèpre, au Maghreb et en Asie. Depuis 2001, il dirige régulièrement des (...)
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