Par décision du Conseil des ministres du 31 juillet : les militaires vont reprendre le Larzac.

Gardarem lo Larzac

Au fil de ses multiples renoncements à tenter d’infléchir le cours économique néolibéral de la société française, et tout au long des trahisons des idéaux de son camp supposé, François Hollande se paie les pires audaces. Nous y sommes désormais habitués et pourtant il parvient encore à nous surprendre après trois longues années d’un règne si soucieux de se couler paresseusement dans l’ère du temps. Le dernier avatar – mais probablement pas l’ultime – de cette mente dramatique décrépitude est intervenu au cœur du présent été, au moment où les feux de l’actualité se font moins crépitants, où le citoyen digne de ce nom se repose un peu de son habituelle vigilance. La décision fut prise lors du Conseil des ministres du 31 juillet : les militaires vont reprendre le Larzac.

Nous n’oublierons évidemment pas que la troupe n’avait jamais vraiment quitté le célèbre plateau aveyronnais. C’est seulement le projet de vaste extension du camp militaire envisagé en 1973 Par Michel Debré qui fut interrompu en 1981 par François Mitterrand. Le départ définitif de l’armée fut depuis lors plusieurs fois promis mais ne se concrétisa jamais. Trente-cinq ans plus tard, un « coup du père François » à l’envers va servir comme sur un plateau un renfort de plus d’un millier de légionnaires à la soldatesque déjà présente en ce haut-lieu de la stratégie militaire nationale ! On déguise l’affaire sous le prétexte que ce serait les élus du cru – peu imaginatifs sans doute - qui réclameraient des mesures fortes ( !) permettant de vivifier le tissu économique local. C’est en fait un symbole qu’il s’agit de détruire : la référence des luttes victorieuses. Lutte victorieuse qui déboucha ici, de surcroît, sur des expériences de vie collectives aux antipodes des desseins formés par le décideur parisien omnipotent. En France, le pouvoir central ne renonce jamais vraiment, attend l’heure d’une revanche que des circonstances nouvelle pourraient un jour faciliter. Le moment lui semble aujourd’hui venu.

« Nous garderons le Larzac » était le cri de ralliement et le ferment d’unité de la lutte pour la préservation de ce morceau de la terre occitane. Ceux qui l’ont à l’époque – et peut-être encore de nos jours – caricaturé en lutte passéiste n’ont pas su ou voulu comprendre qu’elle avait une double dimension avant-gardiste : culturelle avec la défense d’une identité occitane ouverte sur l’ailleurs ; écologique par la volonté de maintenir une économie pastorale en harmonie avec l’écosystème. En 2012, Christian Rouau a rendu aux hommes et aux femmes de cette lutte un magnifique hommage cinématographique : « Tous au Larzac ». Un film évitant la nostalgie car le Larzac doit vivre pour demain quand partout la crise écologique et sociale sévit. Au cours des trente-cinq dernières années on a assisté à un développement du Larzac fondé sur une association plutôt réussie d’activités agricoles, touristiques, patrimoniales et économiques. Ce territoire a vu sa population et son activité augmenter significativement. De plus, la vocation pastorale des Causses a été reconnue par son inscription au patrimoine mondial de l’Unesco.

L’affaire est magistralement emblématique du mépris total dans lequel l’on tient ce territoire, espace géographique habité donc socialement organisé. La décision du 31 juillet a été prise à la suite d’une négociations secrètes au Ministère de la Défense à laquelle participaient en effet activement des élus du Sud-Aveyron. Les populations locales n’ont à aucun moment été ni informées ni consultées. A l’heure de la « rigueur budgétaire » érigée au rang de vertu cardinale, le Ministère et le Département de l’Aveyron ont pourtant annoncé conjointement le déblocage de crédits publics importants pour des aménagements, militaires et civils, liés à l’afflux sensible de militaires sur ce paisible territoire. Le poète et écrivain Yves Rouquette, cofondateur au début des années 1970 du mouvement « Volem viure al païs » (mouvement autonomiste et socialiste) et engagé personnellement dans la lutte des paysans du Larzac, aura été sur ses vieux jours heureusement épargné par les effets de l’infame trahison commise par un régime se disant socialiste (1).

La question du Larzac dépasse le Larzac. Sa (re)militarisation s’inscrit dans un contexte particulier où les intérêts bien compris de l’oligarchie - puissamment renforcée par trois décennies de néolibéralisme - doivent être protégés (2) contre les velléités d’auto-organisation de microsociétés autochtones. Sur le plateau, une autre lutte est d’ores-et-déjà engagée entre d’une part les « gardiens du temple » regroupés, au sein du GFA Larzac-Montredon (3), principalement organisé par Ghislaine Ricez, compagne de José Bové désormais député européen, et d’autre part des groupes nettement moins prisonniers de l’Histoire officielle du Larzac comme les jeunes de l’Amassada qui ont organisé la fête du vent à la fin du mois dernier. Les premiers gèrent en quelque sorte un capital issu de l’ancienne lutte du Larzac quand les seconds imaginent réellement des alternatives au modèle agricole dominant et plus largement au consommationnisme prédateur de l’environnement dans toutes ses dimensions. Ici, comme partout où se dessinent des mouvements contre les « Grands projets inutiles » c’est à la fois la possibilité d’autonomie économique et le contournement des canaux habituels de la politique qui se jouent. Décidément, l’Histoire n’est pas finie !

Yann Fiévet

Les Zindignés - No 27 – Septembre 2015

(1) Yves Rouquette a quitté le monde des vivants le 4 janvier dernier en son domicile de Camarès en Aveyron après une longue vie consacrée à la défense de la culture et de la langue occitanes. Il fut à l’origine, en 1974, de la fondation du Centre international de documentation occitane, devenu aujourd’hui le Centre interrégional de développement de l’occitan, installé à Béziers. Il a publié une trentaine d’ouvrages (poésie, romans, pièces de théâtre) tant en occitan qu’en français. En octobre 2013, il publia avec le photographe Éric Teissèdre « Le Larzac autrement parcouru, autrement regardé ». Tous deux épris de beauté, de grands espaces et d’hommes vrais ils nous invitent à Une longue et libre promenade à travers l’espace et le temps. « Une riche mosaïque de rochers fascinants et de champs cultivés » forcément étrangère à l’esprit de caserne !

(2) C’est aussi à cela que peut servir le cas échéant le renforcement actuel de l’arsenal répressif dont la loi « Renseignement » n’est qu’un exemple.

(3) Créé par concession d’un espace public qui s’est faite sans appel d’offre, concession bénéficiant à un groupe privé qui a ses propres règles, notamment de sélection des agriculteurs sur des bases souvent politiques ou idéologiques.

COMMENTAIRES  

02/09/2015 04:28 par babelouest

Les défenseurs du Larzac sont toujours là : j’en connais. Pourtant récemment, nous en avons perdu un, l’un des meilleurs. Il y a quelques jours Michel Tarin nous a quittés. Co-fondateur de la Confédération paysanne, instigateur de SOS Paysans, il était de toutes les luttes. Oui, il fut l’un des défenseurs du Larzac, venu exprès de Bretagne avec ses amis. A la cérémonie à laquelle sa famille nous avait conviés, des hommes pleuraient sans honte. Et pour d’autres le visage blanc et crispé était pire encore, tel Dominique Loquais qui avait composé et écrit la Chanson du Larzac. Ce jour-là il ne m’a même pas reconnu.

Au même titre que celle de Notre Dame des Landes, la lutte pour un Larzac débarrassé de la soldatesque continuera. Les deux causes se rejoignent, j’avais bien vu José Bové devant les grilles du tribunal de Saint Nazaire pour défendre les nôtres.

02/09/2015 14:54 par Roger

« un contexte particulier où les intérêts bien compris de l’oligarchie - puissamment renforcée par trois décennies de néolibéralisme - doivent être protégés »

Ajouter qu’en ce moment, au prétexte de besoins de "sécurité" (alimenté par des épisodes genre Thalys), du manque d’effectifs pour Vigipirate (sans compter les expéditions néocoloniales), vient de démarrer une campagne de recrutement dans l’armée. Précédemment et toujours en cours, se déroule à bas bruit une véritable militarisation des "forces de l’ordre".
Bien entendu, la banalisation du "contrôle"des citoyens va bon train, avec les nouvelles lois sur le renseignement, et le déjà ancien développement des caméra de video surveillance, l’espionnage numérique . J’en oublie surement : effet de la banalisation.

02/09/2015 22:57 par yo

En effet Roger, et ici dans le sud les effets de vigipirate se font également sentir cet été, car les militaires qui avaient su se rendre utiles en patrouillant un peu dans les zones de garrigue à fort risque incendie ces dernières années ont tous été envoyé dans les ville pour rassurer (sic) nos chers concitoyens affolés (pour ma part c’est les flingues des militaires qui me font peur... Résultat : une grosse vague d’incendies criminels dans le secteur cette année, et il a fallu qu’on frôle le drame à plusieurs reprises pour que la gendarmerie finisse par envoyer quelques hommes surveiller un peu plus le coin, avec succès, mais apparemment ce n’était pas la priorité.

Dans le même esprit du "on met plein de moyens (sans grand succès) à un endroit parce que ça a fait le buzz et qu’on a bien vendu notre came sécuritaire" : sur les dernières années, ce qui a fait le plus de victimes liées au transport ferrovière en France, sont 1) la politique anti-sociale française qui pousse les gens à se suicider sur les rails 2) la politique salariale de la sncf qui pousse des salariés au suicide 3) les accidents de train. Le terrorisme arrive loin derrière avec pour l’instant 2 blessés. Pourtant sur les points précédents on sait depuis un moment ce qu’il faut faire pour les éviter, et ça ne nécessite pas de déployer des armes de guerre dans les rues, et d’augmenter le budget de l’armée et les effectifs des bases militaires... mais bon vous comprenez mon bon monsieur, les barbus...

A part ça, petite question si certains savent : est-il prévu que d’autres bases militaires en zone sauvage (non urbanisée) subissent le même sort ?

(Commentaires désactivés)