Nous n’oublierons évidemment pas que la troupe n’avait jamais vraiment quitté le célèbre plateau aveyronnais. C’est seulement le projet de vaste extension du camp militaire envisagé en 1973 Par Michel Debré qui fut interrompu en 1981 par François Mitterrand. Le départ définitif de l’armée fut depuis lors plusieurs fois promis mais ne se concrétisa jamais. Trente-cinq ans plus tard, un « coup du père François » à l’envers va servir comme sur un plateau un renfort de plus d’un millier de légionnaires à la soldatesque déjà présente en ce haut-lieu de la stratégie militaire nationale ! On déguise l’affaire sous le prétexte que ce serait les élus du cru – peu imaginatifs sans doute - qui réclameraient des mesures fortes ( !) permettant de vivifier le tissu économique local. C’est en fait un symbole qu’il s’agit de détruire : la référence des luttes victorieuses. Lutte victorieuse qui déboucha ici, de surcroît, sur des expériences de vie collectives aux antipodes des desseins formés par le décideur parisien omnipotent. En France, le pouvoir central ne renonce jamais vraiment, attend l’heure d’une revanche que des circonstances nouvelle pourraient un jour faciliter. Le moment lui semble aujourd’hui venu.
« Nous garderons le Larzac » était le cri de ralliement et le ferment d’unité de la lutte pour la préservation de ce morceau de la terre occitane. Ceux qui l’ont à l’époque – et peut-être encore de nos jours – caricaturé en lutte passéiste n’ont pas su ou voulu comprendre qu’elle avait une double dimension avant-gardiste : culturelle avec la défense d’une identité occitane ouverte sur l’ailleurs ; écologique par la volonté de maintenir une économie pastorale en harmonie avec l’écosystème. En 2012, Christian Rouau a rendu aux hommes et aux femmes de cette lutte un magnifique hommage cinématographique : « Tous au Larzac ». Un film évitant la nostalgie car le Larzac doit vivre pour demain quand partout la crise écologique et sociale sévit. Au cours des trente-cinq dernières années on a assisté à un développement du Larzac fondé sur une association plutôt réussie d’activités agricoles, touristiques, patrimoniales et économiques. Ce territoire a vu sa population et son activité augmenter significativement. De plus, la vocation pastorale des Causses a été reconnue par son inscription au patrimoine mondial de l’Unesco.
L’affaire est magistralement emblématique du mépris total dans lequel l’on tient ce territoire, espace géographique habité donc socialement organisé. La décision du 31 juillet a été prise à la suite d’une négociations secrètes au Ministère de la Défense à laquelle participaient en effet activement des élus du Sud-Aveyron. Les populations locales n’ont à aucun moment été ni informées ni consultées. A l’heure de la « rigueur budgétaire » érigée au rang de vertu cardinale, le Ministère et le Département de l’Aveyron ont pourtant annoncé conjointement le déblocage de crédits publics importants pour des aménagements, militaires et civils, liés à l’afflux sensible de militaires sur ce paisible territoire. Le poète et écrivain Yves Rouquette, cofondateur au début des années 1970 du mouvement « Volem viure al païs » (mouvement autonomiste et socialiste) et engagé personnellement dans la lutte des paysans du Larzac, aura été sur ses vieux jours heureusement épargné par les effets de l’infame trahison commise par un régime se disant socialiste (1).
La question du Larzac dépasse le Larzac. Sa (re)militarisation s’inscrit dans un contexte particulier où les intérêts bien compris de l’oligarchie - puissamment renforcée par trois décennies de néolibéralisme - doivent être protégés (2) contre les velléités d’auto-organisation de microsociétés autochtones. Sur le plateau, une autre lutte est d’ores-et-déjà engagée entre d’une part les « gardiens du temple » regroupés, au sein du GFA Larzac-Montredon (3), principalement organisé par Ghislaine Ricez, compagne de José Bové désormais député européen, et d’autre part des groupes nettement moins prisonniers de l’Histoire officielle du Larzac comme les jeunes de l’Amassada qui ont organisé la fête du vent à la fin du mois dernier. Les premiers gèrent en quelque sorte un capital issu de l’ancienne lutte du Larzac quand les seconds imaginent réellement des alternatives au modèle agricole dominant et plus largement au consommationnisme prédateur de l’environnement dans toutes ses dimensions. Ici, comme partout où se dessinent des mouvements contre les « Grands projets inutiles » c’est à la fois la possibilité d’autonomie économique et le contournement des canaux habituels de la politique qui se jouent. Décidément, l’Histoire n’est pas finie !
Yann Fiévet
Les Zindignés - No 27 – Septembre 2015
