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Faut-il soutenir la candidature de Paris aux Jeux olympiques de 2024 ?

Au moment où les élus de la ville de Paris, toutes tendances confondues à l'exception des Verts et du Parti de Gauche, plébiscitent la candidature de Paris aux Jeux Olympiques de 2024, il n'est pas inutile de s'interroger sur les véritables objectifs des décideurs politiques.

« L’olympisme n’a jamais été un progressisme, ni un universalisme ou un humanisme. Il a toujours été à la remorque de l’histoire et n’a jamais été visionnaire. » (Patrick CLASTRES, historien du sport).(1)

Au moment où les élus de la ville de Paris, toutes tendances confondues à l’exception des Verts et du Parti de Gauche, plébiscitent la candidature de Paris aux Jeux Olympiques de 2024, il n’est pas inutile de s’interroger sur les véritables objectifs des décideurs politiques.

En 2005, une tribune intitulée «  Non à l’imposture olympique » publiée dans Le Monde Diplomatique mettait le doigt sur le nœud du problème : « La concurrence pour les Jeux de 2012 a été l’illustration parfaite du slogan actuel de la mondialisation néolibérale : le monde est une marchandise, et l’olympisme, avec ses cinq anneaux, son logo commercial »(2).

Au-delà du discours bien huilé destiné à vendre une vaste opération commerciale, il n’est pas inutile de démystifier le propos et d’identifier les gagnants et les perdants. En dernier ressort, ce sont les habitants qui paieront les dépassements de budgets sur leurs impôts, et qui feront les frais des opérations d’urbanisme destinées à recomposer Paris et sa banlieue, pour en faire une métropole « compétitive » dans le cadre de la concurrence entre capitales européennes.

1 Les expériences passées

Une compétition qui consacre invariablement la victoire des pays les plus riches

Le discours pro-olympique met en avant l’« esprit sportif », l’« esprit d’équipe et de compétition », les « principes éthiques », le « développement harmonieux de l’homme en vue de promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine ». Ce discours convenu est plus vendeur que la réalité : une compétition féroce pour augmenter parts de marché et dividendes, où les puissants écrasent les faibles, reproduisant les inégalités les plus crues jusque dans les résultats sportifs.

Il suffit de dénombrer les résultats par pays pour se rendre compte que les trophées sont l’apanage des pays riches et développés. Ce qui est logique : seuls ces pays sont capables d’entraîner des sportifs de haut niveau dans toutes les disciplines, de les encadrer, de les suivre techniquement et psychologiquement plusieurs années pour les présenter dans des compétitions internationales.

Le palmarès des Jeux olympiques est terriblement révélateur(3).

A Londres en 2012, les trois pays les plus médaillés étaient les États-Unis, avec 103 médailles dont 46 en or, suivis par la Chine – 88 médailles dont 38 en or – et la Grande-Bretagne, pays organisateur, avec 65 médailles dont 29 en or. Les trois derniers étaient le Maroc, le Koweït et le Tadjikistan.

A Pékin en 2008, les trois premiers pays étaient la Chine, les États-Unis et la Russie, avec respectivement 51, 36 et 23 médailles d’or, les États-Unis arrivant premiers en nombre total de médaillés avec 110 médailles contre 100 pour la Chine. Quant aux derniers du classement, il s’agissait de l’Ile Maurice, du Togo et du Venezuela.

Aux Jeux olympiques d’Athènes en 2004, même trio gagnant : les États-Unis premiers avec 35 médailles d’or, suivis de la Chine (32) et de la Russie (28), les trois derniers du classement étant la Mongolie, la Syrie et Trinité-et-Tobago.

Comme l’écrivaient les trois signataires de la tribune « Non à l’imposture olympique », universitaires et spécialistes du sport : « Les "principes éthiques" du CIO, qui brassent manifestement du vent, représentent surtout un parfait alibi pour légitimer l’ordre inique du monde avec lequel le mouvement olympique a toujours pactisé »(4).

Gabegie financière

Si dans les années 60, les responsables politiques n’avaient pas le recul nécessaire lorsqu’ils concouraient à l’organisation de grands raouts économico-médiatiques comme les JO ou les coupes du monde de football, ils ont aujourd’hui toutes les données en main. Et les premières sont financières.

Depuis 30 ans, le dépassement des budgets initiaux est la règle. Wladimir Andreff, professeur émérite à la Sorbonne et président d’honneur de l’International Association of Sports Economists, impute cela au mode d’attribution des jeux par le CIO, sous forme d’enchères dont les villes organisatrices ne connaissent pas la valeur exacte. Pour remporter les jeux, les villes présentent des dossiers de candidature qui minorent les coûts d’organisation et surenchérissent sur les manifestations comme la cérémonie d’ouverture ou les infrastructures. Toutes choses qui n’impactent pas le CIO, les infrastructures non sportives et les événements festifs relevant du financement exclusif des villes organisatrices. C’est ce que Wladimir Andreff appelle la « malédiction du vainqueur de l’enchère »(5).

Le coût réel de l’organisation des Jeux Olympiques stricto sensu (infrastructures sportives et hébergement) est généralement supérieur de 30% au coût prévu. Mais les dépassements peuvent être bien supérieurs : l’organisation des Jeux de Sotchi, estimée à 10 milliards d’euros lors de la candidature, a finalement été de 46 milliards(6) !

Une situation qui a eu de graves répercussions en Grèce. Le journal Les Echos titrait en juillet 2006 : « JO d’Athènes : les plus coûteux » : « La facture des jeux Olympiques d’été pourrait dépasser les 6 milliards d’euros et pénaliser les contribuables grecs pour une décennie au moins. »(7) Le budget initial de 4,6 milliards d’euros a en fait atteint 11,2 milliards. Certaines estimations vont même jusqu’à 20 milliards. Le déficit budgétaire de la Grèce était de 3,7% du PIB en 2002 ; il est passé à 7,5% l’année des JO. Les dettes de l’Etat sont passées, elles, de 182 à 201 milliards d’euros dans la même période8. L’organisation des JO a donc largement contribué à appauvrir l’Etat grec – et à faire le lit de la crise financière –, quand d’autres acteurs se sont grandement enrichis.

Les bénéficiaires des dépassements sont les organisateurs – CIO, FIFA pour les coupes du monde de football –, les « sponsors », les promoteurs immobiliers et les géants du BTP. Quant aux retombées économiques pour les pays organisateurs, elles sont généralement très inférieures à ce qui est attendu. Ainsi pour les JO de Londres, elles sont évaluées entre 6 et 7 milliards d’euros contre 24 milliards pour les coûts d’organisation(9).

Les villes organisatrices se refusent généralement à entendre raison. Wladimir Andreff l’a constaté à ses dépens. Chargé, avec une quinzaine d’académiciens, par le CNRS et la région Rhône-Alpes de calculer l’impact des Jeux olympiques d’Albertville (1992), son étude rend une analyse radicalement opposée à celles déjà publiées : « Notre étude de 400 pages, en revanche, montrait que les JO seraient à coup sûr déficitaires. Nous avons été ignorés et j’ai personnellement été interdit de télévision. »(10)

Une fois l’événement passé, ni les responsables politiques ni le CIO ne s’attardent sur le véritable bilan de l’opération. Ce sont les contribuables qui épongent les dettes sur des dizaines d’années. Ainsi à Grenoble, les contribuables ont remboursé les jeux pendant 24 ans.

Des investissements publics, des bénéfices privés

Pour organiser des jeux, il faut convaincre les habitants des territoires concernés des aspects positifs des jeux. D’où le battage médiatique, véritable mise en condition pour pouvoir créer autour de l’événement un climat favorable. Le rapport rendu par Bernard Lapasset, président du Comité français du sport international (CFSI), sur la faisabilité et l’opportunité de la candidature de Paris en 2024, rentre dans cette logique : discours olympico-béat, sous-estimation des coûts d’organisation, survalorisation des bénéfices attendus.

Le budget de Paris 2024 est estimé à 6 milliards d’euros, dont la moitié serait prise en charge par la billetterie et le CIO. Pas de construction de stades gigantesques ou autres « éléphants blancs ». Juste un replâtrage d’infrastructures existantes : le Grand Palais, le Grand Stade de Saint-Denis et le vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines. Les trois milliards restants, consacrés à la construction du village olympique (17 000 lits), d’un centre des médias et de la piscine olympique, seraient financés à 50% par l’argent public. Resterait à trouver 1,5 milliards d’investissement par le secteur privé. Ce qui, selon les promoteurs du projet, ne serait pas insurmontable(11)...

Pour ceux que la somme effraie, on fait de la pédagogie. « Le contribuable n’apurera pas les passifs »(12) promet-on, grâce à la participation du CIO, aux recettes de billetterie et aux droits marketing, et... aux financements privés. Une belle histoire qui ne résiste pas à l’expérience : lors des jeux de Londres, la promesse de financements privés à hauteur de 50 % avait aussi été sortie du chapeau. A quelques semaines de l’événement, il s’avérait que le secteur privé, très prompt à faire des promesses pour obtenir l’organisation des jeux, s’était défaussé... Selon l’UK National Audit Office, in fine, les financements privés ont contribué pour à peine 2 % du budget des jeux.(13) La Grande-Bretagne ultra-libérale n’a bien sûr pas hésité à faire porter l’effort sur les contribuables pour pallier la défaillance du privé.

Les promoteurs de Paris 2024 prétendent que les Jeux Olympiques permettraient d’accélérer la réalisation des infrastructures de transport programmées dans le cadre du Grand Paris. Or les débats autour du tracé du Grand Paris Express ne sont pas tranchés. Il y a un monde entre la conception de certains élus qui veulent un moyen de transport permettant de relier les aéroports parisiens aux centres d’affaires (le centre de Paris et la Défense), et la vision des élus des départements populaires (Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne et Val-d’Oise), qui plaident pour des transports de qualité pour les salariés de leurs départements qui vont travailler tous les jours à Paris et subissent des conditions de transport indignes.

En somme, des investissements sous-estimés, des promesses de financement privés, mais des recettes captées par les majors du BTP et le club très fermé des « top sponsors »... Comme le résume Jean-Pascal Gayant, professeur d’économie à l’Université du Mans : « On a coutume de dire que les JO, ce sont des coûts publics et des bénéfices privés. C’est malheureusement très vrai. »(14)

Des équipements inutiles et non réutilisables

L’expérience des Jeux olympiques d’hiver organisés en France devrait servir à la réflexion.

En janvier 1964, Grenoble obtient l’organisation des JO d’hiver. La physionomie de la ville va en être profondément transformée. Avec l’aide de l’État qui finance à hauteur de trois quarts des investissements, Grenoble se dote de nouveaux équipements – hôtel de ville, hôpital, caserne de pompiers, maison de la culture, palais des expositions, gare de voyageurs, aéroport –, et d’une autoroute reliant Lyon. L’envers du décors, c’est que les jeux ont gravement endetté la ville – les habitants ont payé les investissements durant 24 ans. Plusieurs sites n’ont pas trouvé de reconversion et sont à l’abandon, comme le tremplin de saut à ski de Saint-Nizier-du-Moucherotte, à 18 km de Grenoble. Malgré plusieurs tentatives pour le réhabiliter, la mairie a fini par classer le site zone dangereuse et à en interdire l’accès, même le démontage étant une solution trop coûteuse(15).

Même situation avec la piste de bobsleigh de la Plagne construite lors des jeux d’Albertville. La piste est maintenue en activité mais elle est déficitaire.

En Grèce, les équipements ne sont même plus entretenus(16). La zone olympique est à l’abandon, le plongeoir de 10 m du stade nautique surplombe une piscine vide. Le complexe olympique de la zone côtière de Faliro, dans la banlieue d’Athènes est devenu une zone où les camions viennent déverser des gravats et des encombrants.

Les jeux « durables » ou « vertueux » n’échappent pas à la loi générale. Le village olympique de Vancouver construit en 2010 devait être transformé en éco-quartier après les jeux. Il est aujourd’hui abandonné(17).

Et encore n’avons-nous pas les retours de tous les pays organisateurs des grandes manifestations sportives : en Afrique du Sud, au Brésil, n’aurait-il pas été plus utile de construire des logements sociaux pour résorber les bidonvilles plutôt que des stades ?

Les équipements pharaoniques trouvent rarement une reconversion. Au gâchis d’argent public s’ajoute l’inutilité, parfois très coûteuse, d’équipements en décalage avec les besoins.

Un retour sur investissement discutable

Le retour sur investissement est toujours mis en avant pour obtenir le consentement. La question qui se pose est celle du coût d’opportunité. En d’autres termes, « le retour sur investissement des JO est-il suffisant pour justifier un effort financier important dans un contexte économique d’endettement et de volonté politique de réduction de la dette nationale ? »(18)

Les promoteurs des JO mettent en avant le « coup de pouce » que donnent les grandes manifestations sportives internationales à la réalisation des infrastructures. Certes, les infrastructures de transport continuent à servir une fois la manifestation terminée. Mais elles auraient été réalisées de toute façon. Pour Paris et la région parisienne, le Grand Paris Express était programmé bien avant l’annonce de la candidature de Paris aux JO. Et il sera réalisé, quand bien même Paris n’obtiendrait pas l’organisation des jeux.

Les infrastructures sportives sont par contre difficiles à rentabiliser. Certaines sont même abandonnées, nous l’avons vu. Est-il utile de rajouter aux investissements nécessaires (routes, transports, logements) des investissements qui serviront réellement quelques semaines avant d’entrer dans une phase d’utilisation léthargique ?

Les fameux « retours sur investissements » tant vantés en terme d’activité locale ou de tourisme sont faibles, parfois inexistants, voire négatifs.

Les emplois, largement mis en avant, se dégonflent dès le lendemain des jeux. Dans le BTP, ils disparaissent une fois les chantiers de construction terminés. Les autres métiers – guides, accompagnateurs, métiers de la sécurité... – disparaissent avec la fin de la manifestation.

Le regain d’activité généré par les hôtels et les restaurants peut affecter négativement d’autres commerces. En terme de tourisme, l’exemple de Londres est éloquent : durant les JO, la capitale a subi une baisse de la fréquentation touristique, provoquant une baisse d’activité qui n’a pas été compensée par les gains générés par les sites olympiques.

Quant aux retombées de « long terme », la plupart des analyses économiques post-jeux montrent qu’elles sont inexistantes. Tout au plus, la ville organisatrice bénéficie-t-elle d’un regain de notoriété durant l’événement. N’est-ce pas cher payé ?

2 Vainqueurs et perdants

Comme on peut s’y attendre, l’organisation de manifestations sportives internationales crée des vainqueurs et des perdants.

Les grands vainqueurs : les acteurs privés

(a) Le CIO, un organisme opaque

Pour l’économiste Wladimir Andreff, le grand gagnant de l’organisation des jeux est le CIO. « Il est très riche. Tout comme le sont les organisateurs d’autres grandes manifestations sportives comme la FIFA avec la Coupe du monde de football ou l’UEFA avec l’Euro. D’ailleurs, s’ils n’y gagnaient pas, ils arrêteraient aussitôt. Les sponsors et les télévisions sont aussi gagnants, mais à différentes échelles. Les villes, elles, sont perdantes. Quant aux habitants, c’est difficile à quantifier, mais on a vu avec les récentes manifestations au Brésil qu’ils n’y étaient pas indifférents »(19).

Le CIO draine des sommes astronomiques grâce aux sponsors et aux droits de retransmission télévisés. Ainsi, le sponsoring direct aurait rapporté 957 millions de dollars au CIO aux JO de Londres, 866 millions de dollars pour les JO de Pékin. Les droits de retransmission rapportent plus encore. La vente des droits de diffusion aux chaînes de télévision des JO de Londres aurait rapporté 4 milliards de dollars(20).

Le CIO est géré de manière opaque. Des rumeurs de corruption circulent. Le récent scandale autour de la FIFA, son alter ego dans le domaine du football, ne peut que renforcer les préventions à son égard.

(b) Les grandes entreprises transnationales déjà sur les rangs

Dans une brève(21) tout à fait explicite publiée sur le site d’ ING Direct, il est écrit, « c’est vers les entreprises du BTP qu’il faut se tourner. Vinci, Bouygues, Saint-Gobain ou Lafarge seront forcément sollicités pour adapter les infrastructures françaises à un tel événement ».

Déjà en 2005, les majors du BTP avaient constitué un consortium de parrains officiels, le « Club des entreprise Paris 2012 » comprenant Lafarge et Bouygues (mais aussi Lagardère, Carrefour, Accor, Suez...)(22). Nul doute que les mêmes sont déjà à pied d’œuvre pour défendre la candidature de Paris en 2024.

Les majors du BTP parient donc sur de juteux marchés. Dans quel cadre ? Des appels d’offres que seules les plus grandes entreprises peuvent remporter. Comme pour les PPP, comme pour les concours internationaux, les marchés de construction des Jeux Olympiques seront attribués par des procédures qui évincent impitoyablement les entreprises qui n’ont pas une stature internationale.

Ce qui ne veut pas dire que des entreprises plus petites ne bénéficieront pas de la manne, par le biais de la sous-traitance, dont on sait à quel point elle peut être vertueuse. Les chantiers des Jeux de Sotchi ou de la Coupe du monde de football au Qatar le démontrent. Bien entendu, on prétendra qu’en France, un tel niveau d’exploitation n’existe pas. Un tel niveau d’exploitation peut être. Mais il faudrait être aveugle ou singulièrement de mauvaise foi pour prétendre que sur les grands chantiers, on n’exploite pas les travailleurs (sans papiers, non déclarés ou, dernière trouvaille du patronat, « détachés »). Non seulement l’Inspection du travail est en cours de démantèlement mais il faudra que les équipements soient prêts à l’ouverture des jeux : les autorités publiques sauront fermer les yeux.

Comme le souligne le Center on housing rights and evictions : « les JO sont souvent à l’origine d’une collaboration étroite et parfois sans précédent entre les autorités fédérales, nationales et locales et des entités publiques et privées. » « L’investissement privé joue ainsi un rôle crucial, la réurbanisation induite par les JO étant un processus coûteux, rendant la collaboration entre les secteurs public et privé incontournable. Cela explique le recours très fréquent à des modèles de partenariat public-privé »(23).

(c) Le club très fermé des sponsors officiels

Derniers acteurs, les « sponsors officiels ». Les droits d’entrée sont tellement prohibitifs qu’ils sont réservés à un club très fermé d’entreprises, cotées au CAC 40 : Coca Cola, Mc Donald’s, Visa, Dow, Procter&Gamble, GE, Samsung, Panasonic, Bridgestone, Toyota et Omega (Swatch) pour ne pas les citer. Pour avoir un ordre d’idée, Toyota a payé près d’un million de dollars pour être sponsor officiel des Jeux Olympiques de 2017 à 2024(24).

Ce club pourrait éventuellement s’ouvrir à des sociétés françaises comme Sodhexo, Accor, Danone, Axa, Orange, Air France-KLM, Alcatel-Lucent, Cap Gémini... qui étaient déjà sur les rangs pour la candidature de Paris 2012.

Si les sponsors investissent, ils attendent un retour sur investissement. Tout est donc organisé pour drainer l’argent des spectateurs sur le lieu même de la compétition. L’accès au parc olympique est réservé aux entreprises sponsors, à l’exclusion de toutes les autres. Ainsi à Londres, le gigantesque « mall » de 175 000 m² de surfaces commerciales, composé de 300 boutiques et 70 restaurants, était incontournable pour accéder au parc(25). Cela explique les retombées économiques singulièrement réduites pour tous ceux qui n’ont pas accès aux espaces commerciaux estampillés « JO ».

L’Etat, la ville organisatrice et les collectivités territoriales

La promotion des Jeux Olympiques est une affaire de spécialistes : cabinets de consultants, lobbyistes, sportifs émanant ou non du CIO, responsables politiques... tous chantent les louanges de l’organisation d’un événement qui doit rapporter investissements et retombées positives !

Loin des effets d’annonce, le cabinet Microeconomix(26) a mis en regard coûts et retombées prévisibles. Les auteurs du rapport estiment que malgré les équipements sportifs existants, l’organisation des jeux à Paris imposera un coût plus élevé que ce qui est annoncé.

Pour eux, les décideurs politiques sont pris d’une part dans un processus de surenchère créé par la concurrence entre villes organisatrices (« malédiction du vainqueur »), d’autre part par leur volonté de tirer des bénéfices immédiats en termes de communication et d’image. Les décideurs sont donc enclins à minimiser les coûts et à se montrer exagérément optimistes concernant les retombées économiques potentielles pour obtenir l’accord du public.

Ce qui n’empêche pas certaines villes de renoncer une fois qu’elles ont évalué les coûts réels. Ainsi Lviv, Oslo, Stockholm et Cracovie ont retiré leurs candidatures aux Jeux d’hiver de 2022.

Les investisseurs ne sont pas seulement les villes organisatrices. Les régions et l’Etat apportent également leur contribution. Est-il pertinent de renforcer économiquement la capitale en drainant des fonds régionaux et d’État, dans le contexte d’une économie déjà très centrée sur Paris ?

Mais les enjeux vont au-delà : « ... les grands événements sportifs, aujourd’hui, fonctionnent comme l’une de ces "thérapies de choc" sociales qui permettent aux élites politiques et économiques d’accumuler les profits et de refaçonner le sociétés selon leur intérêt »(27)

Le projet du cabinet d’architectes Castro, Denissof et associés de création d’un « Central park » de 24 000 logements de luxe(28) sur le site du Parc Georges Valbon à La Courneuve, au détriment des habitants et des usagers du parc départemental, s’inscrit dans cette démarche de recomposition territoriale. Il n’y a que dans le cadre exceptionnel d’une manifestation telle que les JO qu’un projet aussi pharaonique pourrait voir le jour.

Que ce soit le village olympique ou les infrastructures destinées aux athlètes et aux spectateurs, leur construction constituera une occasion inespérée pour les élus et les promoteurs immobiliers de façonner un nouveau paysage urbain dans des zones jusqu’ici soumises au droit commun (plans locaux d’urbanisme). Au prétexte du laps de temps imparti pour réaliser les équipements et rénover les espaces urbains afin de donner une image positive de la ville organisatrice, les promoteurs pourront s’affranchir des modalités générales, par exemple pour obtenir des expropriations dans des délais beaucoup plus courts.

Au total, « La volonté d’élever les villes olympiques au "premier rang" bénéficie en général aux populations les plus aisées. C’est au privilège des élites que la ville-hôte entre dans le club des villes mondiales, mais les pauvres et les défavorisés sont chassés et s’en trouvent un peu plus marginalisés »(29).

Les grands perdants, territoires et habitants

Ces processus se font toujours au détriment des couches les plus pauvres de la population qui n’ont d’autre choix que de partir, chassées par les expropriations ou la flambée des prix, les JO intensifiant la gentrification des quartiers populaires. Un rapport du Center on housing rights and eviction (COHRE) estime qu’entre 1988 et 2008, les aménagements liés aux Jeux Olympiques ont entraîné l’expulsion directe ou indirecte de deux millions de personnes(30).

L’exemple du quartier de Clays Lane, lors des Jeux Olympiques de Londres 2012, en est l’illustration. Clays Lane, un lotissement de logements sociaux situé à l’est de la capitale, a été rasé sur décision de l’Agence de développement de Londres, malgré les recours intentés par les habitants. Quel poids pesait un ensemble de 500 logements sociaux gérés en coopérative, habité par des personnes modestes, face au rouleau compresseur de l’organisation des JO ? Pis, les relogements n’étaient pas la priorité de l’administration ! Les locataires ont du attendre des mois dans des logements temporaires avant d’obtenir un relogement pérenne. La prime qu’ils ont obtenue en guise de dédommagement – 8 500 livres – a bien souvent servi à retaper les appartements temporaires. Au total, des habitants piétinés et un territoire urbain original – avec des espaces verts, des canaux, des équipements collectifs – détruit pour laisser la place à « la grande fête du sport ». Et pour les habitants de ce quartier, un sentiment d’injustice : ballottés par l’administration, écrasés par l’organisation des JO, ils n’ont été relayés ni par les médias ni par les responsables politiques(31).

Les habitants des quartiers populaires ne sont pas les seules victimes. Les PME en subissent aussi les conséquences, soumises aux expropriations comme aux augmentations de loyers. Lors des JO de Londres en 2012, les opposants aux jeux regroupés dans l’association « Non London 2012 » estimaient que la relocalisation menaçait 5 542 emplois(32).

La Coupe du Monde de football à Rio de Janeiro en 2014 a entraîné le même type de conséquences. Au total, 7 185 familles ont été déplacées, des stades de football de proximité détruits, des quartiers historiques défigurés, pour faire la place aux aménagements destinés aux touristes. Les familles déplacées ont été envoyées en périphérie, dans des quartiers sans eau courante ni réseau électrique. Quant à l’impact environnemental et écologique de l’événement dans une ville qui connaît de grandes difficultés (inondations, glissements de terrains, absence d’assainissement de l’eau...), il n’a jamais été pris en compte(33).

Comment ne pas partager le constat du Center on housing rights and evictions : « Les sites olympiques centraux ou non, sont communément planifiés dans les zones les plus délabrées ou négligées, dont la valeur foncière est la plus faible, et les plus adaptées à la « revitalisation ». Pour les habitants pauvres ou aux revenus faibles qui vivent dans les zones visées par ces plans, celle-ci signifie la plupart du temps l’expulsion ou le déplacement. Ces habitants manquent en général du pouvoir politique nécessaire pour exercer une quelconque influence sur les décisions ou bénéficier des avantages liés à ces transformations »(34).

Alors que les édiles parisiens affirment que l’aventure des Jeux Olympiques « constituerait un puissant levier au service du progrès » permettant de réduire la « fracture territoriale notamment avec la Seine-Saint-Denis »(35), il y a lieu d’être circonspect.

Il est difficile de croire que les élus n’aient pas connaissance de la gabegie financière de l’organisation des grandes manifestations sportives internationales. La Coupe du monde de football de 1998 en France a-t-elle laissé autre chose que des dettes publiques et un équipement sportif démesuré à Saint-Denis ?

Loin de réduire la fracture territoriale, l’organisation des JO permettrait au contraire d’accélérer un processus connu : la relégation des plus paupérisés en lointaine banlieue, pour les remplacer par les classes sociales intermédiaires, chassées de Paris par les prix du foncier.

La possibilité de bénéficier d’un outil terriblement efficace pour orienter l’urbanisation de la métropole pour les 30 prochaines années, d’accélérer la gentrification des quartiers populaires de la première couronne, tout en ouvrant des chantiers pour des entreprises du BTP, l’emporte sur toute autre considération. Sans compter que dans ce jeu de poker menteur, si les élus obtiennent la notoriété et les entreprises les bénéfices, ce sont les contribuables qui paient.

Rien ne dit qu’un mouvement d’opinion ne puisse pas naître et empêcher la réalisation des jeux. La fabrique du consentement se bâtit sur l’absence de sens critique. Nous avons ici quelques clés de compréhension pour rejeter ce projet dispendieux et néfaste pour la grande majorité des habitants de l’Île-de-France.

Caroline ANDREANI

(1)Sylvain MOUILLARD, « L’olympisme n’a jamais été un progressisme », Libération, http://www.liberation.fr/sports/2012/07/26/l-olympisme-n-a-jamais-ete-un-progressisme_835692, juillet 2012

(2) Jean-Marie BROHM, Marc PERELMAN, Patrick VASSORT, « Non à l’imposture olympique », Le Monde Diplomatique, http://revueillusio.free.fr/textes%20en%20ligne/imposture_olympique-2.pdf, juillet 2005

(3)Voir le tableau des palmarès publié par Wikipédia :
Londres : http://fr.wikipedia.org/wiki/Tableau_des_m%C3%A9dailles_des_Jeux_olympiques_d%27%C3%A9t%C3%A9_de_2012
Pékin : http://fr.wikipedia.org/wiki/Tableau_des_m%C3%A9dailles_des_Jeux_olympiques_d%27%C3%A9t%C3%A9_de_2008
Athènes : http://fr.wikipedia.org/wiki/Tableau_des_m%C3%A9dailles_des_Jeux_olympiques_d%27%C3%A9t%C3%A9_de_2004

(4)Jean-Marie BROHM, Marc PERELMAN, Patrick VASSORT, op. cité

(5)Wladimir ANDREFF, « Un Mondial de football toujours plus cher que prévu : la malédiction du gagnant », Huffington Post, http://www.huffingtonpost.fr/wladimir-andreff/cout-organisation-coupe-du-monde_b_5528385.html, 25 juin 2014

(6)Cédric REICHENBACH, « Les villes olympiques se ruinent depuis trente ans », Echo Magazine, http://www.echomagazine.ch/index.php?option=com_content&view=article&id=573&Itemid=2, 17 janvier 2014

(7)Alain ECHEGUT, « JO d’Athènes : les plus coûteux », Les Echos, http://www.lesechos.fr/27/06/2005/lesechos.fr/300033611_13-08-2004---jo-d-athenes---les-plus-couteux-de-l-histoire.htm, 27 juin 2005

(8)Annabelle GEORGEN, « Comment les JO ont ruiné la Grèce », slate.fr, http://www.slate.fr/economie/60043/jo-2004-athenes-ruine-grece, 30 juillet 2012

(9)Olivier PETITJEAN, « Derrière les Coupes du monde et les Jeux olympiques, un néolibéralisme de choc ? », http://multinationales.org/Derriere-les-Coupes-du-monde-et, 21 janvier 2014

(10)Cédric REICHENBACH, op. cité

(11)Alexandre BOUDET, « JO 2024 à Paris : organiser les Jeux Olympiques est-il rentable économiquement ? », Huffington Post, http://www.huffingtonpost.fr/2015/02/12/jo-2024-paris-organiser-jeux-olympique-rentabilite-economique_n_6654004.html, 18 février 2015

(12)« JO 2024 : ces entreprises cotées qui pourraient bénéficier de l’événement », L’Express Votre Argent, 13 avril 2015, http://votreargent.lexpress.fr/bourse/jo-2024-ces-entreprises-cotees-qui-pourraient-beneficier-de-l-evenement_1670663.html

(13)Patrick BASHAM, « Le grand perdant des Jeux Olympiques : le contribuable britannique », Libre Afrique, http://www.libreafrique.org/Basham_JO_010812, 3 août 2012

(14)Alexandre BOUDET, op. cité

(15)Olivier DELAHAYE, « Jeux Olympiques : la malédiction des “éléphants blancs” »,WE Demain, http://www.wedemain.fr/Jeux-olympiques-La-malediction-des-elephants-blancs_a422.html, 4 février 2014

(16)Voir le reportage photo de slate.fr, Grégoire FLEUROT, « Les sites abandonnés des Jeux olympiques d’Athènes 2004, 10 ans plus tard, en photos », http://www.slate.fr/grand-format/sites-abandonnes-jeux-olympiques-athenes-2004-photos, 14 août 2014

(17)Olivier DELAHAYE, op. cité

(18)Emmanuel FROT, Julien GOORIS, « Quels effets économiques peut-on attendre de l’organisation des Jeux Olympiques à Paris ? », Microeconomix, http://www.microeconomix.fr/sites/default/files/150210_couts_des_jo_-_version_finale.pdf

(19)Olivier DELAHAYE, op. cité

(20)« JO 2012 : sponsors, droits de diffusion... combien touche le CIO ? », http://www.reponseatout.com/jo-2012-d-7870/jo-2012-sponsors-droits-de-diffusion-combien-touche-le-cio-a107877

(21)« JO : les entreprises qui pourraient en bénéficier », ING Direct, 16 avril 2015, https://communaute.ingdirect.fr/t5/Le-Blog/JO-les-entreprises-qui-pourraient-en-b%C3%A9n%C3%A9ficier/ba-p/46591

(22) Jean-Marie BROHM, Marc PERELMAN, Patrick VASSORT, op. cité

(23)Center on housing rights and evictions, « Les Jeux olympiques, médaille d’or des expulsions », revue Agone, n°38-39, http://revueagone.revues.org/208, 2008

(24)« JO 2024 : ces entreprises cotées qui pourraient bénéficier de l’événement », op. cité

(25)Christophe DEROUBAIX, « Ici Londres 2012 : le sanglot long des jeux », L’Humanité, http://www.humanite.fr/ici-londres-2012-le-sanglot-long-des-jeux, 27 juillet 2012

(26)Emmanuel FROT, Julien GOORIS, op. cité

(27)Olivier PETITJEAN, op. cité

(28)Le dossier de présentation de l’opération peut être consulté sur le site de la pétition “Non au bétonnage du Parc Georges Valbon”, http://www.petitions24.net/stop_au_projet_central_park

(29)Center on housing rights and evictions, op. cité

(30)Olivier PETITJEAN, op. cité

(31)Bernard DURAUD, « Londres 2012 : les habitants de Clays Lane chassés par le “cirque olympique” », L’Humanité, http://www.humanite.fr/londres-2012-les-habitants-de-clays-lane-chasses-par-le-cirque-olympique, 27 juillet 2012

(32)Center on housing rights and evictions, op. cité

(33)« Mondial 2014 et J.O. 2016, deux plaies pour Rio », http://www.jolpress.com/article/bresil-coupe-du-monde-de-2014-et-jo-de-2016-les-deux-plaies-de-rio-population-affectees-616538.html, 10 août 2012

(34)Center on housing rights and evictions, op. cité

(35)Geoffroy CLAVEL, « JO 2024 : le conseil de Paris vote en faveur d’une candidature aux Jeux olympiques », Huffington Post, http://www.huffingtonpost.fr/2015/04/13/jo-2024-conseil-paris-vote-faveur-candidature-jeux-olympiques_n_7052784.html, 13 avril 2015

3 juin 2015

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Que fait l’armée française en Afrique ?
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Préface d’Odile Tobner-Biyidi Que fait l’armée française en Afrique ? Et de quel droit s’y trouve-t-elle encore aujourd’hui ? Si l’on en croit les discours officiels, elle n’y aurait plus depuis longtemps que des missions humanitaires et de maintien de la paix. La page du néocolonialisme et de la Françafrique aurait été tournée en même temps que finissait la guerre froide. Ce « Dossier noir » examine, à travers de nombreux exemples concrets, la réalité de cette présence depuis deux (…)
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C’est seulement quand le nombre de cadavres de l’oppresseur est suffisamment grand qu’il commence à écouter.

Amilcar Cabral

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