Der Spiegel : Monsieur le Président, aimez-vous votre pays ?
Bachar al-Assad : C’est une question simple, évidente. Bien sûr. C’est humain d’aimer d’où vous venez. Mais ce n’est pas seulement une question de relation affective. Il s’agit aussi de ce que vous, en tant qu’individu, pouvez faire pour votre pays, surtout lorsque vous êtes dans une position d’autorité. Cela devient particulièrement évident en temps de crise. À l’heure actuelle, à un moment où je dois protéger mon pays, je ressens à quel point je l’aime.
Der Spiegel : Si vous étiez un véritable patriote, vous démissionneriez et ouvririez la voie à des négociations pour un gouvernement intérimaire ou un cessez-le-feu avec l’opposition armée.
Bachar al-Assad : C’est le peuple syrien qui décidera de mon sort. Ce n’est pas à quelqu’un d’autre d’en décider. Qui sont ces factions ? Qui représentent-ils ? Le peuple syrien ? Au moins une partie du peuple syrien ? Si c’est le cas, alors allons nous présenter devant les électeurs.
Der Spiegel : Êtes-vous prêt à vous présenter à une élection ?
Bachar al-Assad : Mon deuxième mandat prendra fin en août prochain. Deux mois avant, nous allons organiser une élection présidentielle. Je ne peux pas décider maintenant si je vais courir. Il est encore trop tôt, parce qu’il faut sonder l’humeur et la volonté du peuple. Si je n’ai plus la conviction que le peuple me soutient, alors je ne me présenterai pas.
Der Spiegel : Vous envisagez donc réellement d’abandonner le pouvoir ?
Bachar al-Assad : Que je l’envisage ou non, c’est au peuple d’en décider, parce que c’est son pays. Pas seulement le mien.
Der Spiegel : Mais vous êtes la cause de la rébellion. Les gens veulent se débarrasser de la corruption et du despotisme. Ils appellent à une véritable démocratie et l’opposition croit que ce ne sera possible que si vous quittez le pouvoir.
Bachar al-Assad : Encore une fois, quand vous parlez de factions, qu’ils soient d’opposition ou partisans, vous devez vous poser la question suivante : qui représentent-ils ? Eux-mêmes ou le pays qui les ont créées ? Parlent-ils au nom des États-Unis, du Royaume-Uni, de la France, de l’Arabie saoudite et du Qatar ? Je dois répondre franchement et sans détours. Ce conflit a été importé dans notre pays depuis l’étranger. Ces gens se trouvent à l’étranger, ils vivent dans des hôtels cinq étoiles et ils disent et font ce que ces pays leur disent de faire. Mais ils n’ont pas de base en Syrie.
Der Spiegel : Contestez-vous qu’il y existe une forte opposition contre vous dans votre pays ?
Bachar al-Assad : C’est normal. Si je n’ai pas d’opposition, cela signifie que tout le monde me soutient, ce qui est impossible.
Der Spiegel : Mais nous ne sommes pas les seuls à contester votre légitimité. « Un leader qui a massacré ses citoyens et gazé ses enfants à mort ne peut pas retrouver la légitimité pour diriger un pays très divisé », a déclaré le président américain Obama à l’Assemblée générale des Nations Unies à la fin du mois de Septembre.
Bachar al-Assad : Tout d’abord, vous parlez du président des États-Unis, pas du président de la Syrie - il ne peut donc parler que de son pays. Il n’a pas de légitimité pour juger la Syrie. Il n’a pas le droit de dire au peuple syrien qui sera leur Président. Deuxièmement, ce qu’il dit n’a rien à voir avec la réalité. Il parle de la même chose - que le président doit partir - depuis un an et demi maintenant. Il s’est passé quelque chose ? Rien ne s’est passé .
Der Spiegel : De notre point de vue, il semble que ce soit plutôt vous qui niez la réalité. En démissionnant, vous épargneriez à votre peuple beaucoup de souffrances.
Bachar al-Assad : Le problème n’était pas le président. Qu’est-ce que l’assassinat d’innocents, les attentats et le terrorisme importés par al-Qaida ont à voir avec ma présidence ?
Der Spiegel : Cela a à voir avec le président parce que vos troupes et services de renseignement sont responsables d’une partie de ces horreurs. C’est votre responsabilité.
Bachar al-Assad : Notre décision dès le début était de répondre aux demandes des manifestants, mais dès le début il ne s’agissait pas de manifestations véritablement pacifiques. Dès les premières semaines, nous avions déjà perdu des soldats et des policiers. Néanmoins, un comité a modifié la constitution (pour tenir compte des préoccupations des manifestants ), et plus tard il y a eu un référendum. Mais nous devons aussi lutter contre le terrorisme pour défendre notre pays. Je reconnais que des erreurs ont été commises lors de la mise en œuvre de cette décision.
Der Spiegel : Les victimes dans les premières manifestations à Deraa, où l’insurrection a commencé, étaient en grande partie des manifestants qui ont été battus et tués par balles. Cette brutalité fut une erreur de la part de votre régime.
Bachar al-Assad : Dans toute action humaine, partout dans le monde, des erreurs sont commises. C’est humain.
Der Spiegel : Vous admettez donc que la brutalité contre les manifestants fut une erreur ?
Bachar al-Assad : Il y a eu des erreurs personnelles commises par des individus. Nous commettons tous des erreurs. Même un président commet des erreurs. Mais même si des erreurs ont été commises dans leur mise en œuvre, nos décisions étaient fondamentalement justes.
Der Spiegel : Le massacre de Houla n’était que le résultat de défaillances individuelles ?
Bachar al-Assad : Ce sont les gangs et les militants qui ont attaqué les habitants du village, pas le gouvernement ou ses partisans. C’est exactement ce qui s’est passé. Et si vous parlez de preuves, personne n’a la preuve du contraire. En fait, ce qui s’est passé, c’est que ce sont nos partisans qui ont été tués, et nous pouvons vous donner les noms des familles des victimes parce qu’ils appuyaient notre action contre le terrorisme.
Der Spiegel : Nous avons beaucoup de preuves. Nos reporters étaient à Houla, où ils ont mené une enquête approfondie et ont parlé aux survivants et aux proches des victimes. Des experts de l’ONU sont également arrivés à la conclusion que les 108 habitants du village qui ont été tués, dont 49 enfants et 34 femmes, ont été victimes de votre régime. Alors, comment pouvez-vous nier toute responsabilité et accuser les soi-disant terroristes ?
Bachar al-Assad : Avec tout le respect dû à vos enquêtes, nous sommes Syriens . Nous vivons ici et nous connaissons la réalité mieux que vos journalistes. Nous savons ce qui est vrai et nous pouvons le prouver.
Der Spiegel : Les auteurs font partie de Shabiha, une milice proche de votre régime.
Bachar al-Assad : Permettez-moi d’être franc avec vous. Votre question est pleine d’inexactitudes. Vous pouvez la formuler comme vous voulez mais au final un mensonge reste un mensonge. Donc, ce que vous dites n’est pas exact.
Der Spiegel : Vous niez donc l’implication de la milice Shabiha ?
Bachar al-Assad : Qu’entendez-vous par « Shabiha ? »
Der Spiegel : Cette milice, les « fantômes », qui sont proches de votre régime.
Bachar al-Assad : C’est un nom turc. Il n’y a rien nommé « Shabiha » en Syrie. Dans de nombreuses régions éloignées où il n’y a aucune possibilité pour l’armée et la police de s’y rendre pour sauver les personnes et les défendre, les gens ont acheté des armes et ont mis en place leurs propres petites forces pour se défendre contre les attaques des militants. Certains d’entre eux ont combattu avec l’armée, c’est vrai. Mais ce ne sont pas des milices qui ont été créées pour soutenir le président. Ce qui est en jeu, c’est le pays, qu’ils veulent défendre contre al-Qaida .
Der Spiegel : Les massacres et la terreur seraient donc perpétrés uniquement par l’autre camp ? Vos milices, forces de sécurité et services secrets n’ont rien à voir avec cela ?
Bachar al-Assad : On ne peut pas aller à l’extrême et rendre les choses absolues - ils ont tout fait et nous n’avons rien fait, 100 pour cent et zéro pour cent. La réalité n’est pas noir et blanc comme ça. Il y a des nuances de gris. Donc, si vous voulez parler de notre camp, si vous parlez des décisions, nous défendons notre pays. Les erreurs sont individuelles et, en tant que président, je ne veux pas discuter d’erreurs individuelles parce qu’il y a 23 millions de Syriens. Dans chaque pays il y a des criminels qui doivent être combattus. Ils peuvent être n’importe où, y compris au gouvernement ou dans l’armée - ou à l’extérieur du gouvernement et de l’armée. C’est normal, mais nous n’avons pas suffisamment d’informations à ce sujet. Vous me demandez de généraliser, mais je ne peux pas généraliser.
Der Spiegel : La légitimité d’un président n’est pas une question de phrases et de déclarations. Vous êtes jugé selon vos actes. Après l’emploi d’armes d’armes chimiques contre votre propre peuple, vous avez définitivement perdu la légitimité d’occuper votre poste.
Bachar al-Assad : Nous n’avons pas employé d’armes chimiques. C’est une affirmation incorrecte. Tout comme l’image que vous donnez de moi, d’un homme qui tue son propre peuple. Qui n’est pas contre moi ? Il y a en face les États-Unis, l’Occident, les pays les plus riches dans le monde arabe et la Turquie. Tout ça et moi je tuerais mon peuple et il me soutiendrait encore ! Suis-je un Superman ? Non, alors comment puis-je rester encore au pouvoir après deux ans et demi ? Parce qu’une grande partie du peuple syrien me soutient, moi, le gouvernement et l’État. Ce chiffre est-il supérieur ou inférieur à 50 pour cent ? Je ne dis pas que c’est la majorité de notre population. Mais une grande partie signifie que vous êtes légitime. C’est très simple. Et où trouverait-on un autre dirigeant aussi légitime que ça ?
Der Spiegel : Le Président Obama a déclaré après l’enquête effectuée par les Nations Unies sur ce crime qu’il n’y avait « aucun doute » que votre régime a utilisé des armes chimiques le 21 août lors d’une attaque qui a tué plus de 1.000 personnes.
Bachar al-Assad : Encore une fois, je défie Obama d’apporter une seule preuve, le début d’un commencement de preuve. La seule chose qu’il a, ce sont des mensonges.
Der Spiegel : Mais les conclusions des inspecteurs de l’ONU…
Bachar al-Assad : Quelles conclusions ? Lorsque les inspecteurs sont venus en Syrie, nous leur avons demandé de poursuivre l’enquête. Nous espérons une explication de qui est responsable de cet acte.
Der Spiegel : En se basant sur la trajectoire des fusées, il est possible de calculer d’où elles ont été tirées - à savoir à partir des positions de votre quatrième division.
Bachar al-Assad : Cela ne prouve rien, parce que les terroristes peuvent être n’importe où. Vous pouvez les trouver à Damas en ce moment même. Ils pourraient même tirer un missile à côté de ma maison.
Der Spiegel : Mais vos adversaires ne sont pas capables de tirer des armes contenant du Sarin. Cela nécessite un équipement militaire, une formation et une précision.
Bachar al-Assad : Qui a dit qu’ils n’en sont pas capables ? Dans les années 1990, les terroristes ont utilisé du gaz Sarin dans un attentat à Tokyo. On l’appelle le « gaz de cuisine », parce qu’on peut le fabriquer n’importe où.
Der Spiegel : Mais vous ne pouvez pas vraiment comparer ces deux attaques de sarin - elles ne sont pas comparables. Il s’agissait d’une action militaire.
Bachar al-Assad : Personne ne peut dire avec certitude que des roquettes ont été utilisées - nous n’avons pas de preuves. La seule chose certaine est que du Sarin a été libéré. Peut-être cela s’est passé lorsqu’une de nos roquettes a frappé une des positions des terroristes ? Ou peut-être ont-ils fait une erreur de manipulation et quelque chose s’est passé. Parce qu’ils ont du Sarin - ils l’ont déjà utilisé avant, à Alep.
Der Spiegel : Au total, on a repéré 14 cas où des armes chimiques ont été utilisées, mais jamais à l’échelle de celui du mois d’Août. Avez-vous réellement commencé votre propre enquête ?
Bachar al-Assad : Toute enquête doit commencer par l’identification du nombre de victimes réelles. Les militants ont parlé de 350 victimes, les États-Unis ont parlé de 1.200 victimes. Il y a quelque chose de faux dans cette histoire. Il y a aussi des incohérences dans les images. Un des enfants morts est visible à deux endroits dans deux photos. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il faut vérifier ce cas de façon très précise, mais personne ne l’a fait jusqu’à présent. Nous ne pouvons pas le faire non plus parce que c’est une zone contrôlée par les terroristes.
Der Spiegel : Si près de la capitale ?
Bachar al-Assad : Ils sont très proches de Damas et très proches de nos casernes. Ils pourraient tuer nos soldats, et nous ne pouvons permettre une telle chose.
Der Spiegel : Pensez-vous pouvoir reprendre le terrain que vous avez perdu ?
Bachar al-Assad : Notre combat n’est pas de gagner ou de perdre du terrain. Il ne s’agit pas de deux pays où l’un occupe une partie du territoire de l’autre, comme Israël le fait avec nos hauteurs du Golan. Il s’agit de se débarrasser de terroristes. Si nous libérons un morceau de territoire - et c’est ce qui se passe dans de nombreuses zones en Syrie - cela ne signifie pas que nous sommes victorieux, parce que les terroristes vont aller dans une autre région et la détruire. Si les gens nous soutiennent, alors nous gagnons.
Der Spiegel : Des agences de renseignement occidentales ont intercepté des conversations téléphoniques de vos officiers où ils exhortent les dirigeants à utiliser des armes chimiques.
Bachar al-Assad : C’est totalement bidon (« That’s completely fake »). Je ne veux pas que notre entretien s’appuie uniquement sur de telles allégations.
Der Spiegel : Est-il irritant pour vous que nous, en Occident, percevons la situation de manière différente ?
Bachar al-Assad : Votre région arrive toujours en retard quand il s’agit de comprendre la situation réelle. Lorsque nous parlions de manifestations violentes, vous parlez encore de « manifestations pacifiques ». Et quand nous avons commencé à parler des extrémistes, vous avez commencé à parler de « certains » militants. Quand vous avez parlé d’extrémistes, nous parlions déjà d’Al-Qaïda. Puis ils ont commencé à parler de « quelques » terroristes à un moment où nous parlions déjà d’une majorité. Maintenant, ils ont commencé à dire 50-50. Évidemment, John Kerry est encore dans le passé - il parle d’environ 20 pour cent.
Der Spiegel : Serait-ce parce que nous hésitons à suivre vos évaluations de la situation parce que nous manquons de confiance en vous ? Et comment expliquez-vous ce manque de confiance ?
Bachar al-Assad : Il me semble que l’Occident fait plus confiance à al-Qaida que moi.
Der Spiegel : C’est absurde.
Bachar al-Assad : Non, c’est la liberté d’expression, s’il vous plaît. C’est mon opinion, je vous le dis franchement. Tout ce que l’Occident a fait ces 10 dernières années a aidé al-Qaida. Ce n’était peut-être pas dans leurs intentions, mais le fait est là. Pour cette raison, nous avons maintenant al-Qaida ici, avec des combattants venus de 80 pays. Nous devons faire face à des dizaines de milliers de combattants. Et je ne parle là que des étrangers.
Der Spiegel : Vous avez perdu beaucoup de soldats qui sont passés à l’opposition. Est-ce que vous essayez de nous dire qu’ils sont devenus du jour au lendemain des partisans d’Al-Qaïda ?
Bachar al-Assad : Non, je n’ai pas dit que tout le monde était maintenant d’al-Qaida. J’ai dit la majorité. La minorité est composée de déserteurs ou de hors-la-lois. Au début de la crise, 60.000 hors-la-lois syriens se promenaient librement hors des prisons. À eux seuls ils sont suffisamment nombreux pour créer une armée. Je ne peux pas vous dire le nombre de personnes qui se battent contre nous parce que la plupart arrivent illégalement à travers les frontières. Ils viennent pour aller au paradis dans leur djihad contre les athées ou les non-musulmans. Même si vous vous débarrassez de milliers d’entre eux, il y aura toujours un flot constant arrivant de l’extérieur.
Der Spiegel : Et vous pensez toujours que vous avez une chance de gagner cette guerre ?
Bachar al-Assad : Même si nous ne l’avons pas, nous n’avons pas d’autre choix que de nous battre et défendre notre pays.
Der Spiegel : Revenons à la question des armes chimiques. Nous tenons à vous rappeler que vous avez toujours nié posséder des armes chimiques. Mais maintenant, après les crimes contre l’humanité du 21 août et la menace d’une frappe militaire par les États-Unis, vous l’avez admis.
Bachar al-Assad : Nous n’avons jamais dit que nous n’avions pas d’armes chimiques. Nous avons toujours dit : « Si nous en avions, alors... »
Der Spiegel : Les armes chimiques ne sont pas matière à plaisanterie, mais nous ne pouvons rien faire d’autre.
Bachar al-Assad : En tout cas, nous n’avons jamais menti.
Der Spiegel : Il est prouvé que les entreprises allemandes ont livré à la Syrie des produits chimiques qui peuvent également être utilisés dans la fabrication d’armes chimiques. Avez-vous plus de détails à ce sujet ?
Bachar al-Assad : Non, je ne sais pas. Ce n’est pas mon affaire. Mais par principe, nous ne recevons aucune aide de l’étranger quand il s’agit de fabriquer des armes. Nous n’en avons pas besoin. Nous sommes nous-mêmes experts dans ce domaine.
Der Spiegel : Combien de tonnes d’armes chimiques Sarin ou autre avez-vous actuellement à votre disposition ?
Bachar al-Assad : C’est une information secrète jusqu’à ce que nous la donnons à l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques.
Der Spiegel : Nous savons que les services secrets occidentaux soupçonnent l’existence d’un millier de tonnes.
Bachar al-Assad : En fin de compte, il s’agit de la chose, pas de la quantité. Nous avons comme principe que nous possédons des armes chimiques, mais nous pensons que le Moyen-Orient devrait être une zone débarrassée des armes de destruction massive.
Der Spiegel : Ça aussi, c’est une question de confiance. Si vous admettez avoir 45 dépôts de stockage de ces armes, comment savoir si c’est vrai ?
Bachar al-Assad : Le président ne traite pas avec les chiffres. Il s’occupe de la politique. Nous sommes très transparents. Les experts peuvent se rendre sur chaque site. Ils auront toutes les données fournies par notre gouvernement, et ensuite ils les vérifieront avec les données sur le terrain. Ensuite, ils pourront dire si nous sommes crédibles ou non. Lorsque nous acceptons et nous engageons dans un accord, nous le faisons dans sa totalité. Nous l’avons toujours fait. Cela dit, nous n’allons pas payer pour la destruction de ces armes.
Der Spiegel : La communauté internationale est censée croire que vous n’avez pas de dépôts secrets ?
Bachar al-Assad : Dans les relations internationales, la notion de confiance n’existe pas, mais il existe des mécanismes. Ils n’ont pas à me faire confiance personnellement. Ce qui compte, c’est que les institutions travaillent ensemble - mon gouvernement et l’OIAC - et si j’ai la confiance du peuple syrien. Je ne suis pas le produit de l’Occident. Je suis le produit du peuple syrien.
Der Spiegel : Vous n’avez pas besoin de l’Occident ?
Bachar al-Assad : Bien sûr que si, mais pas à la place des Syriens, et pas à la place de nos véritables amis tels que les Russes. Les Russes comprennent beaucoup mieux la réalité d’ici. Je ne suis pas simplement en train de les louer parce que nous avons de vieilles relations. Ils sont plus indépendants que l’Europe, qui est trop alignée sur la politique américaine.
Der Spiegel : Les Russes ne se préoccupent que de leurs intérêts stratégiques.
Bachar al-Assad : Vous pouvez en discuter avec le président Vladimir Poutine. Mais laissez-moi vous dire ceci : certains Européens nous ont approché à travers différents canaux pour nous dire qu’ils sont d’accord avec notre position et notre analyse, mais qu’ils ne peuvent pas le dire à voix haute.
Der Spiegel : Est-ce également vrai en ce qui concerne votre version de l’attaque aux armes chimiques ?
Bachar al-Assad : les mensonges d’Obama n’ont même pas réussi à convaincre le peuple américain. Selon un sondage, 51 pour cent étaient contre une frappe militaire contre la Syrie. Le parlement britannique aussi était contre. Le parlement français a tenu un débat houleux à ce sujet. L’ambiance en Europe était contre une telle attaque. Pourquoi ? Parce que la majorité n’a pas cru à cette histoire.
Der Spiegel : Parmi les contacts européens que vous maintenez, y en a-t-il qui viennent d’Allemagne ?
Bachar al-Assad : Nous avons des relations avec certaines institutions, et nous avons récemment utilisé des canaux qui n’existaient pas auparavant. Nous échangeons des informations, mais nous ne pouvons pas dire que nous avons des relations politiques.
Der Spiegel : Est-ce que l’Allemagne joue un rôle particulier pour vous ?
Bachar al-Assad : Quand je pense à l’Europe, je me demande qui est plus proche de la réalité dans ma région. Chaque position européenne est encore loin de notre réalité. L’Allemagne et l’Autriche ont la position la plus objective et la plus proche de la réalité. La position allemande est la plus proche.
Der Spiegel : l’Allemagne pourrait jouer le rôle d’intermédiaire ?
Bachar al-Assad : Bien sûr, j’aimerais voir des émissaires d’Allemagne venir en Syrie pour voir et discuter de la réalité. Et venir ici ne signifie pas soutenir le gouvernement. Mais si vous venez ici, vous pouvez le faire, vous pouvez parler, vous pouvez discuter, vous pouvez convaincre. Si vous pensez que vous devez nous isoler, vous finissez par vous isoler vous-même. Il s’agit aussi de vos propres intérêts : vous voulez vraiment vous retrouver avec une arrière-cour remplie d’al-Qaida ? En soutenant la déstabilisation ici ? Au bout de deux ans et demi, vous devriez revoir votre politique.
Der Spiegel : Compte-tenu des troubles dans votre pays, avez-vous encore votre arsenal d’armes chimiques sous contrôle ?
Bachar al-Assad : Bien sûr, sous contrôle total. Parce que laissez-moi vous dire ceci : le matériel qui pourrait être utilisé par n’importe quelle armée régulière n’existe pas dans les entrepôts sous forme activée. Personne ne peut donc l’utiliser avant qu’il ne soit activé.
Der Spiegel : Est-ce aussi le cas pour les dépôts contenant des armes biologiques, que vous possédez également ?
Bachar al-Assad : cette information est classifiée. Nous n’abordons jamais les questions militaires classifiées, mais ceci ne doit pas être interprété comme la confirmation que nous en possédons.
Der Spiegel : Comprenez-vous les craintes de la communauté internationale que ces armes de destruction massive pourraient tomber entre les mains de terroristes ?
Bachar al-Assad : La situation n’est pas aussi mauvaise que décrite dans les médias et l’Occident. Il est inutile de s’affoler pour rien.
Der Spiegel : Selon nos informations, l’opposition armée contrôle au moins 40 pour cent du pays, et selon certaines estimations, le chiffre pourrait être aussi élevé que plus des deux tiers du pays.
Bachar al-Assad : Ces chiffres sont exagérés. Soixante pour cent de la Syrie est un désert. Qui est dans le désert ? Personne. Dans le reste du pays, ils ne contrôlent pas une seule zone en totalité.
Der Spiegel : Ce n’est pas vrai pour la zone le long de la frontière turque.
Bachar al-Assad : Ils sont sur les frontières dans le nord d’Alep avec la Turquie, mais seulement dans cette partie, pas entièrement. Ils contrôlent certains zones, mais uniquement des points précis. Il ne s’agit pas d’un front. Parfois, ils sont isolés dans des zones où il n’y a pas d’armée pour les combattre. Mais il ne s’agit pas de pourcentages. La solidarité de la population est beaucoup plus importante pour nous. Et c’est de plus en plus le cas parce que beaucoup ne veulent plus des terroristes qui détruisent le pays.
Der Spiegel : La brutalité du conflit a transformé un quart de la population - environ 6 millions de personnes - en réfugiés.
Bachar al-Assad : Nous n’avons pas de chiffre précis. Même 4 millions pourrait être exagéré, car de nombreux Syriens se sont déplacés à l’intérieur de la Syrie pour une autre maison ou chez des proches et ne se sont pas signalés.
Der Spiegel : On dirait que vous parlez d’une augmentation de taxe et non d’une catastrophe humanitaire.
Bachar al-Assad : En fait, non. En Occident, quand vous posez des questions sur le nombre, vous en parlez comme d’une feuille de calcul. Qu’il y en ait 1 ou 5 millions, vous allez faire la même chose. 70.000 victimes, 80.000, et puis 90.000 ou 100.000, on dirait une vente aux enchères. Ce n’est pas une vente aux enchères - c’est une tragédie. Que ce soit 1000 ou 10000, c’est la même chose.
Der Spiegel : Le flot de réfugiés existe pour une raison – à cause de vous et votre régime.
Bachar al-Assad : Désolé, mais est-ce que c’est une question ou une affirmation ? Si c’est une affirmation, elle est incorrecte. Si c’est une question, la première chose qu’il faut se demander est pourquoi les gens partent ? Il n’y a pas une raison mais plusieurs. Une des raisons est que beaucoup de gens ont quitté leur foyer et leur maison à cause de la menace des terroristes.
Der Spiegel : Personne ne fuit vos soldats et vos forces de sécurité ?
Bachar al-Assad : L’armée représente la Syrie, sinon il n’y aurait pas d’armée, elle se serait décomposée il y a longtemps. Elle n’est pas une menace. Pour ce qui est des réfugiés, vous devez vous poser une question sur les autres gouvernements, notamment le gouvernement turc. Quel est leur intérêt dans des chiffres élevés ? Vous voulez le savoir ? Leur intérêt est de les utiliser comme une carte humanitaire à l’ONU. D’autres pays les ont utilisés pour obtenir de l’argent pour eux-mêmes, pas pour les réfugiés. Vous avez donc de la corruption, des intérêts personnels et certains qui ont fui par peur du gouvernement, mais nous n’avez rien contre eux. Et au cours des deux dernières semaines, plus de 100.000 ou 150.000, selon les estimations, sont revenus en Syrie. Le flot s’est donc récemment inversé.
Der Spiegel : Comment avez-vous convaincu les gens à rentrer ?
Bachar al-Assad : Nous avons travaillé dur pour les ramener. Nous avons pris contact avec tout le monde pour atténuer leurs craintes. Pour ceux qui n’ont pas violé la loi, nous n’avons aucun problème avec eux. Si vous êtes contre le gouvernement, venez vous opposer au gouvernement ici en Syrie. Nous n’avons pas de problème. Cela a très bien réussi.
Der Spiegel : D’un point de vue militaire, cependant, vous n’avez pas eu de succès. La capture d’Alep qui a été promise ne s’est pas réalisée. Maaloula reste un problème majeur, et il y a même des combats dans les faubourgs de Damas. Nous avons entendu des explosions de grenades sur le chemin de votre palais.
Bachar al-Assad : Quand vous avez ce genre de crise, vous ne pouvez pas dire que vous êtes aussi fort qu’avant. Les dégâts sont beaucoup trop importants. Pour être réaliste, il faudra du temps pour surmonter ce problème. Nous n’avons pas d’autre choix que de croire en notre victoire.
Der Spiegel : Comment pouvez-vous être si confiant en la victoire lorsque vous avez besoin de l’aide de groupe militant Hezbollah au Liban ?
Bachar al-Assad : Le Liban est un petit pays avec une population de 4 millions. Rien qu’à Damas, il y a 5 millions. La Syrie est trop grande pour le Hezbollah, même s’ils voulaient envoyer leurs troupes. Nous nous sommes battus avec eux sur la frontière avec le Liban contre les terroristes qui ont attaqué leurs alliés, et nous avons collaboré, et c’était bien.
Der Spiegel : Vous pouvez donc réellement vous passer de l’aide du Hezbollah ?
Bachar al-Assad : Ce n’est pas ce que j’ai dit. Je parle de la perception en Occident et dans les médias que le Hezbollah se battrait parce que l’armée syrienne en serait incapable. Même si vous voulez en faire une réalité, vous ne le pouvez pas parce que les proportions ne collent pas.
Der Spiegel : Le Hezbollah est parmi les rares qui vous soutiennent encore. Le président russe Vladimir Poutine semble perdre patience avec vous. Et le nouveau président iranien, Hassan Rohani, pourrait trouver qu’un rapprochement avec les États-Unis est plus important que votre survie.
Bachar al-Assad : Poutine est plus favorable que jamais. Cela a été prouvé par trois vétos de la Russie contre des sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies.
Der Spiegel : Mais il a voté en faveur d’une résolution visant à détruire vos armes chimiques.
Bachar al-Assad : C’est une bonne résolution.
Der Spiegel : Parce qu’il a empêché une attaque aérienne américaine ?
Bachar al-Assad : Il n’y a pas un seul point dans cette résolution qui est contre nos intérêts. Les Russes voient très clairement ce que nous faisons ici parce qu’ils ont souffert du terrorisme en Tchétchénie, et ils connaissent la signification du terrorisme.
Der Spiegel : Cela signifie-t-il que vous êtes assuré que Moscou livrera le système de défense aérienne S-300 que vous attendez depuis des mois ?
Bachar al-Assad : Il a dit très clairement à plusieurs reprises qu’il allait continuer à soutenir la Syrie, et qu’il respectera le contrat - non seulement sur la défense aérienne, mais aussi sur toutes sortes d’armements.
Der Spiegel : La communauté internationale fera tout son possible pour vous empêcher d’acquérir plus d’armes.
Bachar al-Assad : Pour quelles raisons ? Ils n’ont pas le droit. Nous sommes un État, et nous avons le droit de nous défendre. Nous n’avons pas occupé le territoire d’un autre pays. Pourquoi la communauté internationale ne s’oppose-t-elle pas à Israël lorsqu’il obtient tous ces armements ? L’Allemagne a envoyé trois sous-marins à Israël qui occupe notre territoire. Nous n’avons pas confiance en l’Occident en raison de ses doubles standards.
Der Spiegel : Même si Poutine livre le nouveau système de défense aérienne, ne craignez-vous pas qu’Israël le détruise ?
Bachar al-Assad : Vous ne pouvez pas avoir peur. Lorsque vous êtes dans une situation de guerre, vous ne faites pas quelque chose parce que vous avez peur de le faire. Vous devez vous renforcer afin de ne pas permettre à l’ennemi de détruire votre armement ou de gagner.
Der Spiegel : Et s’ils essaient ?
Bachar al-Assad : Nous en reparlerons lorsque cela se produira.
Der Spiegel : Dans le passé, vous sembliez plus confiant par rapport à Israël.
Bachar al-Assad : Non, nous avons toujours dit que nous avons besoin de paix et de stabilité dans cette région. Même si vous voulez exercer des représailles, vous devez vous poser la question suivante : quel serait le résultat ? Maintenant que nous combattons al-Qaida, en particulier, nous devons veiller à ne pas déclencher une nouvelle guerre.
Der Spiegel : À quel moment allez-vous être en mesure de revendiquer la victoire sur Al-Qaida ?
Bachar al-Assad : La victoire c’est la stabilité. La première phase est de se débarrasser des terroristes. La seconde, qui est plus difficile et dangereuse, est de se débarrasser de leur idéologie, qui a infiltré certains secteurs en Syrie. Il est inconcevable qu’un garçon de huit ans tente de décapiter quelqu’un, comme cela s’est produit dans le nord. Ou que des enfants assistent à une décapitation avec jubilation, comme s’ils regardaient un match de foot, par exemple. Si nous ne nous attaquons pas à ce problème, qui est plus dangereux que les terroristes eux-mêmes, nous allons être confrontés à un avenir très sombre .
Der Spiegel : Une telle scène n’aurait rien de surprenant si elle s’était déroulée en Somalie. Mais en Syrie ?
Bachar al-Assad : La brutalité que nous vivons en Syrie est incroyable. Des gens ont massacré un évêque chrétien en lui tranchant la gorge avec un canif.
Der Spiegel : Croyez-vous encore que vous pouvez ramener la Syrie à son état d’avant-guerre ?
Bachar al-Assad : En termes de stabilité, bien sûr, nous le pouvons. Si nous arrêtons les milliards de dollars d’aide aux terroristes en provenance d’Arabie saoudite et du Qatar, et le soutien logistique de la Turquie, nous pourrions résoudre ce problème en quelques mois .
Der Spiegel : Est-il encore possible de trouver une solution par la négociation ?
Bachar al-Assad : Avec les militants ? Non, la définition d’une opposition politique ne comprend pas une armée. Nous allons négocier avec tous ceux qui veulent déposer les armes et retourner à la normalité. Puisque nous avons parlé avant des déserteurs, je tiens à souligner que cela se produit aussi dans l’autre sens. Les gens qui étaient des militants se battent maintenant avec l’armée.
Der Spiegel : La communauté internationale vous accuse d’avoir provoqué l’escalade dans ce conflit, dont la fin n’est pas encore en vue. Comment vivez-vous avec cette culpabilité ?
Bachar al-Assad : Il ne s’agit pas de moi, mais de la Syrie. La situation en Syrie m’inquiète et m’attriste, c’est là mon souci. Je ne suis pas inquiet pour moi-même.
Der Spiegel : Est-ce que votre épouse et vos trois enfants vous soutiennent encore ?
Bachar al-Assad : Bien sûr, ils n’ont jamais quitté Damas, même pour un moment.
Der Spiegel : Craignez-vous parfois que quelque chose vous arrive comme pour le président roumain Ceausescu ? Après un procès expéditif, il a été fusillé par ses propres soldats.
Bachar al-Assad : Si j’avais peur, j’aurais quitté la Syrie il y a longtemps.
Der Spiegel : Monsieur le Président, nous vous remercions pour cet entretien.
Par Dieter Bednarz et Klaus Brinkbäumer
Traduction "il existe donc des journalistes plus arrogants que ceux du Monde ?" par Viktor Dedaj avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.