Echange doux-amer entre Paris et Berlin

L’échange entre la chef de la CDU allemande et le président français montre une distance qui s’élargit entre Berlin et Paris.

Le 4 mars, le maître de l’Elysée avait pris sa plus belle plume – et mobilisé modestement vingt-huit quotidiens nationaux du Vieux continent – pour s’adresser aux « citoyens d’Europe ». Moins d’une semaine plus tard, la chef des chrétiens-démocrates allemands publiait, en guise de réponse, une tribune qui livrait sa propre vision de l’avenir de l’UE. Annegret Kramp-Karrenbauer (« AKK »), qui vient de succéder à Angela Merkel à la tête de la CDU, n’est certes pas encore chancelière, mais elle a de bonnes chances de le devenir en 2021 – ou même avant.

Naturellement, les deux dirigeants partagent les mêmes fondamentaux. A commencer par l’amour de la langue de bois européenne. Pour Emmanuel Macron, l’UE, « projet inédit de paix, de prospérité et de liberté (est) un succès historique ». Pour Mme Kramp-Karrenbauer, celle-ci est une « réussite incomparable ». Et même un produit à exporter, puisqu’il faut défendre « notre mode de vie européen (...) pour nous-mêmes et pour le monde entier » ; de son côté, le président français affirme sans ciller que « l’Europe entière est une avant-garde, elle a toujours su définir les normes du progrès » dans le monde.

Ce dernier commence cependant sa missive en alertant : « jamais l’Europe n’a été autant en danger ». Sa collègue allemande opine d’emblée : « il a raison, il faut agir de toute urgence ». Une fois asséné que « la civilisation européenne nous unit, nous protège et nous libère », Emmanuel Macron enchaîne une série de propositions dans l’espoir de freiner le délitement de l’intégration européenne et de calmer les inquiétudes populaires. Il faut pro-té-ger martèle le chef de l’Etat. Par exemple en créant une agence de sauvegarde de la démocratie, explicitement conçue contre la malveillance russe... Il faut aussi augmenter les dépenses d’armement, et créer un conseil de sécurité extérieure pour faire progresser l’Europe militaire. Il faut en outre « tourner toutes les institutions » vers l’engagement climatique, et réguler les géants de l’Internet. Sur tous ces points, la nouvelle patronne de la CDU n’a pas d’objection de principe, même si elle reste en retrait sur la création d’institutions nouvelles.

Sur l’espace de libre circulation Schengen – sujet jugé hypersensible puisqu’il touche aux migrations et à l’asile – les points de vue de Paris et de Berlin ne coïncident plus tout à fait. L’approche allemande est plus conciliante avec les pays d’Europe centrale. Et sur d’autres aspects, les divergences se multiplient entre les deux rives du Rhin. Ainsi, les gesticulations de l’ancien de la banque Rothschild sur le « bouclier social » sont fraîchement accueillies à Berlin. Plus généralement, tous les appels macédoniens à une intégration plus fédérale se heurtent désormais à une réticence marquée : « aucun super Etat européen ne saurait répondre à l’objectif d’une Europe capable d’agir ; (...) refonder l’Europe ne se fera pas sans les Etats nations » affirme ainsi Mme Kramp-Karrenbauer. C’est un tournant majeur : traditionnellement, la CDU défendait une Europe à vocation fédérale, là où les dirigeants français traînaient plutôt les pieds.

Déjà, le président français avait dû ravaler ses projets ambitieux de réforme de la zone euro et la plupart des fantasmes exprimés lors de son discours de la Sorbonne (septembre 2017). Mais la dirigeante allemande juge utile d’effectuer quelques piqûres de rappel : « le centralisme européen, l’étatisme européen, la communautarisation des dettes, l’européanisation des systèmes de protection sociale et du salaire minimum seraient la mauvaise voie ». Et d’ajouter quelques chiffons rouges qui déplaisent souverainement à Paris, comme la demande de mise en commun du siège français au Conseil de sécurité de l’ONU.

Les deux protagonistes ont chacun des préoccupations politiques qui ne coïncident pas nécessairement. Le premier travaille en France à l’émergence d’un « parti européen » associant gauche et droite ; la seconde veut donner des gages à l’aile la plus ultralibérale et conservatrice de la CDU, qui n’est plus forcément convaincue que l’intérêt de l’Allemagne soit de tout subordonner à l’intégration européenne.

Et ce au moment où l’UE – dont le but ultime est d’effacer la souveraineté de chaque peuple – se retrouve de plus en plus sous tension à mesure que montent les mécontentements, les colères et les frustrations. Sauf bien sûr à considérer, comme l’énonce sans rire AKK, que « jamais l’idée européenne n’a connu de tels niveaux d’approbation ».

Bon courage...

Pierre LEVY

rédacteur en chef du mensuel Ruptures

Editorial paru dans l’édition de Ruptures datée du 29 mars.
(informations et abonnements : https://ruptures-presse.fr/abonnement/)

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COMMENTAIRES  

02/04/2019 22:56 par irae

aut pro-té-ger martèle le chef de l’Etat. Par exemple en créant une agence de sauvegarde de la démocratie, explicitement conçue contre la malveillance russe

Les usa étant comme chacun le sait à notre égard d’une bienveillance extrême. Ce président quel visionnaire, lui qui dès 2008 à la veille des subprimes prédisait un avenir neolibéral radieux. Ce qu’il y a de bien avec lui c’est qu’avec son entourage politique et ses ralliements de tous bords il dépasse largement Audiard en bouffonnerie mais sans le faire exprès et il ne s’en rend pas compte. Comme disait l’autre ce qu’il y a de bien avec lui c’est qu’on se sent tout de suite plus intelligent...et plus humain, charitable, honnête, courageux, humble, altruiste, etc...

02/04/2019 23:04 par irae

sans rire AKK, que « jamais l’idée européenne n’a connu de tels niveaux d’approbation ».

Dans le genre guignolesque prêt à asséner n’importe quoi sans le moindre fondement mais toujours du haut de sa superbe la concurrence s’annonce rude. Je suis gâtée.

03/04/2019 09:49 par J.J.

Le premier travaille en France à l’émergence d’un « parti européen » associant gauche et droite.....

On aimerait que ce citoyen nous donne une idée de ce qu’il entend par gauche.
Qu’est-ce qu’il entend par là ?
Comme disait le Le Sâr Rabindranath Duval : Par là je n’entends rien.

03/04/2019 12:42 par Toff de Aix

S’il en existe encore, dans quelques siècles les historiens du futur se pencheront avec une perplexité mêlée d’horreur et de fascination sur le cas de ceux qui prétendent "être aux commandes" aujourd’hui. Sur cet europeisme béat, forcené et aliéné qui les conduisit à refuser de voir le naufrage auquel nous assistons en direct : désindustrialisation massive, vente à la découpe des services publics, destruction du Code du travail, des conquis sociaux du CNR explosion du chômage et de ce qu’ils appellent pudiquement "inégalités", préparation de l’accession au pouvoir du fascisme, qu’il s’appelle LREM ou RN.... Destruction de la société française en fait, sous les applaudissements hilares d’une bande de psychopathes bardés d’oeillères. Oui, fascinant, vraiment.

03/04/2019 15:21 par irae

Psychopathes d’une avidité maladive à faire étudier en école de psychiatrie. Un pdg qui détruit Airbus et part avec 36 millions quand darmanin chipote 14 millions à 17 000 douaniers qui se font déjà bien **** avec le brexit et qu’un directeur Dgfip assigne ses agents au TA pour grève. Un carlos qui fait valoir ses droits à retraite plus de 700 000 euros annuels jusqu’à sa mort à planquer au plus vite aux Bahamas non sans avoir fait financer, les études de sa progéniture 500 000 euros, ses nombreuses résidences de par le monde et leurs luxueux aménagement sur buget Renault dans un bel esprit de détournement de biens sociaux.
Oui ces types ont un grain un vrai.

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