Il était temps que je parle devant vous au nom de Cuba. On m’avait informé au départ que je devais parler huit minutes. Alors j’ai fait un gros effort, aidé de mon ministre des Relations extérieures, pour ramener mon discours à ce temps de parole. Mais comme vous me devez six Sommets, ceux d’où nous avons été exclus (rires et applaudissements), j’ai demandé au président Varela, juste avant d’entrer dans cette magnifique salle, de me céder quelques minutes de plus. Surtout après avoir écouté tant de discours si intéressants. Je ne parle pas seulement de celui du président Obama, mais aussi de celui du président équatorien Rafael Correa, de celui de la présidente Dilma Rousseff, et d’autres. Sans plus de préambules, je commencerai donc.
Cher Juan Carlos Varela, président de la République du Panama ;
Chers présidents et présidentes, chers et chères Premiers ministres ;
Chers invités,
Je tiens tout d’abord à exprimer ma solidarité à la présidente Bachelet et au peuple chilien pour les catastrophes naturelles qu’ils sont en train de souffrir.
Je remercie tous les pays latino-américains et caribéens dont la solidarité a permis à Cuba de participer, sur un pied d’égalité, à cette réunion continentale, et le président de la République du Panama de nous avoir si aimablement invité. Mon étreinte fraternelle au peuple panaméen et à ceux de toutes les nations représentées ici.
La création à Caracas, les 2 et 3 décembre 2011, de la Communauté des États latino-américain et caribéens (CELAC) a ouvert une nouvelle étape dans l’histoire de Notre Amérique qui y a manifesté ouvertement le droit qu’elle avait bien gagné de vivre en paix et de se développer selon la libre décision de ses peuples, et qui s’est fixé comme objectif un avenir de développement et d’intégration, fondé sur la coopération, la solidarité et la volonté commune de préserver son indépendance, sa souveraineté et son identité.
L’idéal de Simón Bolívar d’une « grande patrie américaine » inspira de vraies épopées lors des guerres d’Indépendance.
Dès 1800, l’Union du nord pensa ajouter Cuba à sa frontière méridionale. C’est au XIXe siècle qu’apparurent la doctrine du Destin manifeste dans l’idée de dominer les Amériques et le monde, et la théorie du Fruit mûr selon laquelle Cuba devait graviter inexorablement vers l’Union, ce qui revenait à faire fi de la pensée émancipatrice qui se développait dans notre île.
Ensuite, forte de cette conception expansionniste et hégémonique, recourant à des guerres, à des conquêtes et à des interventions, l’Union arracha à Notre Amérique une série de territoires et s’étendit jusqu’au Río Bravo.
À Cuba, après l’échec de longues années de lutte, José Martí organisa « la guerre nécessaire » et créa le Parti révolutionnaire cubain en vue de la conduire et de fonder une république « avec tous et pour le bien de tous » où régnerait « la dignité pleine de l’homme ».
Ayant cerné et prévu avec justesse les traits saillants de son époque, Martí s’imposa le devoir « d’empêcher à temps, par l’indépendance de Cuba, que les États-Unis ne s’étendent dans les Antilles et ne retombent, avec cette force de plus, sur nos terres d’Amérique ».
Notre Amérique était pour lui celle où vivaient le créole, l’Indien, le Noir et le mulâtre, l’Amérique métisse et travailleuse qui devait faire cause commune avec les opprimés et les victimes du pillage. Un idéal qui, au-delà de la géographie, commence à se réaliser sous nos yeux.
Aujourd’hui même, jour pour jour, le 11 avril 1898, voilà donc cent dix-sept ans, le président des États-Unis demanda au Congrès de l’autoriser à intervenir militairement dans la guerre d’Indépendance que les Cubains menaient, avec des interruptions, depuis près de trente ans et qu’ils étaient sur le point de gagner après avoir versé des fleuves de sang, et le Congrès adopta une Résolution conjointe trompeuse qui reconnaissait « que le peuple de l’île de Cuba [était] et, de droit, [devait] être libre et indépendant ». Les États-Unis entrèrent en alliés et s’emparèrent du pays en occupants.
Notre puissant voisin imposa à la Constitution cubaine un appendice, l’Amendement Platt – du nom du sénateur qui le proposa – qui annulait de fait la souveraineté nationale, qui l’autorisait à intervenir dans nos affaires intérieures et qui laissa pour séquelle la base navale de Guantánamo, laquelle usurpe toujours une partie de notre territoire.
Quand, au début du XXe siècle, les constituants cubains présentèrent leur projet de Constitution au gouverneur militaire, un général nommé par les USA, celui-ci leur précisa qu’il y manquait quelque chose ; quand ils lui demandèrent de quoi il s’agissait, il répondit : l’amendement du sénateur Platt, qui nous donne le droit d’intervenir à Cuba chaque fois que nous le jugerons nécessaire. Les Cubains protestèrent, bien entendu, mais on leur répondit : Eh ! bien, alors, nous resterons ici.
Et les États-Unis recoururent à ce droit à deux reprises, jusqu’en 1934, nous envahirent de leurs capitaux, et soutinrent de cruelles dictatures.
En Amérique latine, les États-Unis pratiquèrent d’abord la « politique des canonnières », puis celle du « bon voisinage ». Ils y intervinrent à différentes époques, renversèrent des gouvernements démocratiques et installèrent de terribles dictatures dans une vingtaine de pays, au point qu’à un moment donné, il y en eut une douzaine en même temps. Qui de nous ne se rappelle cette étape encore assez récente où il y avait des dictatures partout, surtout en Amérique du Sud, qui assassinèrent des centaines de milliers de personnes ? À ce titre, le président Salvador Allende nous a légué un exemple impérissable.
Voilà exactement treize ans, jour pour jour, notre cher ami, le président Hugo Chávez Frías, fut victime d’un coup d’État, avorté par le peuple, puis d’un coup de main pétrolier.
Le 1er janvier 1959, soixante ans après que les soldats étasuniens furent entrés à La Havane et durant lesquels les États-Unis imposèrent leur domination absolue, la Révolution cubaine triomphait et l’Armée rebelle, commandée par Fidel Castro Ruz, entrait dans La Havane – exactement soixante ans après, par ironie incompréhensible de l’Histoire ! C’est alors que le peuple cubain commença à exercer, à un prix très élevé, sa pleine souveraineté.
Le 6 avril 1960, le sous-secrétaire d’État Lester Mallory décrivit dans un mémorandum pervers – je ne trouve pas d’autre qualificatif ! – rendu public des dizaines d’années plus tard, les visées du blocus : « La majorité des Cubains appuie Castro. […] il n’existe aucune opposition réelle. Le seul moyen prévisible de lui enlever cette assise interne est de provoquer le désenchantement et la désaffection basés sur l’insatisfaction et les difficultés économiques. […] …mettre en pratique au plus vite tous les moyens possibles pour affaiblir la vie économique de Cuba […] en refusant à Cuba de l’argent et des livraisons afin de réduire les salaires nominaux et réels, de provoquer la faim, le désespoir et le renversement du gouvernement. »
Sachez que 77 p. 100 de la population cubain est né sous les rigueurs qu’impose le blocus, plus terribles mêmes que ce que s’imaginent de nombreux Cubains. Mais nos convictions patriotiques se sont imposées, l’agression a renforcé notre résistance et a accéléré le cours de la Révolution. C’est ce qui arrive quand on soumet la révolution naturelle des peuples à un harcèlement : il aboutit à encore plus de révolution, comme le prouve l’Histoire, et pas seulement à Cuba ou sur notre continent.
Le blocus n’a pas démarré, d’ailleurs, en 1962, quand le président Kennedy l’a rendu officiel par sa signature. En tout cas, Kennedy – mais j’y reviendrai – a eu une initiative positive : entrer en contact avec le chef de la Révolution pour engager ce que nous avons engagé maintenant, le président Obama et moi-même, sauf que son message a coïncidé avec l’annonce de son assassinat…
Bref, l’agression s’est durcie. En 1961, ç’a été l’invasion mercenaire de Playa Girón, parrainée et organisée par les États-Unis. Nous avons dû lutter pendant six ans contre des bandes armées qui ont touché à deux reprises tout notre pays. Comme nous n’avions pas de radars, des avions – venus d’on ne sait où – leur larguaient clandestinement des armes ; cette lutte nous a coûtés de milliers de vies ; nous ne sommes pas parvenus à en calculer exactement le prix économique. Nous avons fini par liquider ces bandes armées en janvier 1965, qui ont commencé à agir fin 1959, dix ou onze mois après la victoire de la Révolution, alors que nous ne l’avions pas encore déclarée socialiste. Cette annonce, elle s’est faite en 1961, lors de l’enterrement des victimes des bombardements auxquels nos aéroports avaient été soumis, à la veille de l’invasion. Le lendemain, donc, notre petite armée et tout notre peuple sont partis repousser cette invasion, accomplissant l’ordre du chef de la Révolution de la liquider en moins de soixante-douze heures. Si les envahisseurs étaient parvenus à se consolider à l’endroit du débarquement, protégé par les plus grands marécages des Antilles, les Étasuniens y auraient transféré un gouvernement déjà constitué – avec Premier ministre et les autres ministres – qui se trouvait sur une base militaire de la Floride. Ce qui aurait été très facile. Et aussitôt, l’OEA, qui nous avait imposé des sanctions pour avoir proclamé des idées incompatibles avec notre continent, aurait reconnu ce gouvernement installé sur un petit morceau de notre territoire, et celui aurait alors réclamé son aide, une aide qui se trouvait déjà à bord des bâtiments de guerre qui patrouillaient à trois milles marins de nos côtes. C’était alors les limites des eaux territoriales, qui ont été étendues maintenant à douze milles.
Que devions-nous faire ? Nous rendre ? Que se serait-il passé alors à Cuba ? Combien de centaines de milliers de Cubains seraient morts ? Nous avions alors des centaines de milliers d’armes légères, nous venions à peine de recevoir les premiers chars que nous ne savions pas encore très bien manœuvrer. Nos pièces d’artillerie, nous savions les faire fonctionner, mais sans trop savoir très bien où tombaient les obus. En fait, ce que les servants, des miliciens, apprenaient le matin, ils l’enseignaient à d’autres dans l’après-midi.
En tout cas, ils ont fait preuve de beaucoup de courage. On ne pouvait suivre qu’un seul itinéraire, parce que les marais environnants empêchaient les soldats de se déployer, et que les chars et les véhicules lourds ne pouvaient pas passer par là. Nous avons essuyé plus de pertes que les attaquants. Mais l’ordre de Fidel a été accompli : liquider l’invasion en moins de soixante-douze heures.
Oui, la flotte étasunienne qui avait accompagné cette expédition depuis l’Amérique centrale patrouillait à trois milles de nos côtes, et on pouvait la voir.
Combien la fameuse invasion de 1954 a-t-elle coûté au Guatemala ? Je m’en souviens très bien parce que j’étais prisonnier sur l’île de la Jeunesse – qui s’appelait à l’époque l’île des Pins – à la suite de l’attaque de la caserne Moncada, l’année précédente. Combien de centaines de milliers de Mayas, d’autochtones et d’autres Guatémaltèques sont morts à la suite de cette invasion-là, durant toute une longue étape dont ce pays mettra des années à se remettre ?
Alors que nous avions déjà proclamé comme objectif le socialisme que le peuple défendit de son sang à Playa Girón, le président Kennedy – je viens de le dire – fut assassiné juste au moment où il venait d’adresser au leader de la Révolution cubaine Fidel Castro un message demandant l’ouverture d’un dialogue avec Cuba.
Après avoir vu passer l’Alliance pour le progrès et payé plusieurs fois une dette extérieure qui continuait pourtant de se multiplier, l’Amérique latine se vit imposer, en tant qu’expression de l’impérialisme, un néo-libéralisme sauvage et tous azimuts qui lui fit perdre une décennie.
Le projet d’ « association continentale mûre », autrement dit la tentative de nous imposer la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) en association avec le démarrage de ces Sommets-ci, aurait détruit l’économie, la souveraineté et la destinée commune de nos nations si celles-ci, sous la conduite des présidents Chávez, Kirchner et Lula, ne l’avaient pas torpillé en 2005 à Mar del Plata. Une année avant, Chávez et Fidel avaient lancé l’Alternative bolivarienne, aujourd’hui Alliance bolivarienne des peuples de Notre Amérique (ALBA).
Excellences,
J’ai fait savoir au président Barack Obama – et je le réitère aujourd’hui – que Cuba était prête, malgré nos profondes différences, à nouer un dialogue respectueux et fondé sur la coexistence civilisé entre nos deux États.
Je juge comme un pas dans la bonne direction sa récente déclaration que Cuba sera rayée rapidement de la liste – imposée par le président Reagan et sur laquelle elle n’aurait jamais dû être inscrite – des États parrainant le terrorisme.
Nous, un pays terroriste ! Oui, nous avons eu des gestes de solidarité avec d’autres peuples, mais qu’on ne saurait taxer de terroristes, quand nous étions encerclés, acculés et harcelés sans répit et que notre alternative était : nous rendre ou nous battre. Vous savez très bien quel a été notre choix, avec l’appui de notre peuple. Comment supposer qu’on puisse obliger tout un peuple à faire les sacrifices qu’a faits le peuple cubain pour survivre et aussi pour appuyer d’autres nations ? (Applaudissements.) N’empêche qu’on entend dire que « la dictature castriste » a obligé le peuple cubain ! Tout comme, sans doute, elle a obligé 97,5 p. 100 de la population à voter pour le socialisme !
Quand on nous a inscrits sur cette liste, c’était pourtant nous, les terroristes, qui comptions nos morts ! Je n’ai plus en tête les chiffres exacts des Cubains victimes du terrorisme à Cuba et aussi à l’étranger, puisque nos diplomates en ont été aussi victimes à d’autres endroits du monde… Mes compagnons me fournissent le chiffre exact : 3 478 morts et 2 099 invalides, autrement dit des handicapés à vie ! Mais bien d’autres ont été blessés…
C’étaient donc nous, les terroristes, qui comptions nos morts ! D’où provenait donc cette terreur ? Quels sont ceux qui la provoquaient ? Certains sont mêmes ici, au Panama, ces jours-ci, comme l’agent de la CIA, Félix Rodríguez, qui a assassiné le Che et qui lui a coupé les mains pour prouver grâce aux empreintes digitales – mais je ne sais où – qu’il était bel et bien mort. Nous avons pu ensuite récupérer son cadavre grâce à un gouvernement ami en Bolivie. Oui, mais c’était nous, les terroristes !
Je demande pardon au président Obama et à d’autres personnes présentes dans cette salle de m’exprimer ainsi. Mais je lui ai dit que la passion me sort par tous les pores quand il s’agit de la Révolution. Je lui demande, donc, de m’excuser parce que le président Obama n’a aucune responsabilité dans tout cela. Combien de présidents étasuniens avons-nous vus avant lui ? Dix. Qui sont tous en dette envers nous, sauf lui.
Après avoir dit tant de choses dures contre un système, il est juste que je lui fasse mes excuses au président Obama, parce que je pense – et je l’ai dit en privé à un certain nombre de chefs d’État et de gouvernement ici présent quand je les ai accueillis à Cuba – que c’est quelqu’un d’honnête. J’ai lu une partie de sa biographie dans les deux livres qu’il a publiés – pas au complet, je le ferai quand j’aurai plus de tranquillité. J’admire son origine modeste, et je pense que sa façon d’être répond à cette origine (applaudissements prolongés).
J’ai beaucoup réfléchi avant de dire ce que je viens de dire. Je l’ai même écrit, et je l’ai supprimé ; puis je l’ai remis et ensuite je l’ai de nouveau supprimé. Finalement, je l’ai dit et j’en suis satisfait.
Toutefois, le blocus économique, commercial et financier continue de s’appliquer à notre île dans toute sa rigueur, de provoquer par conséquent des dommages et des pénuries à notre peuple et s’avère l’obstacle essentiel à notre développement économique. De portée extraterritoriale, il lèse les intérêts de tous les autres États. Il constitue une violation du droit international.
Il n’est pas du tout fortuit que, depuis tant d’années, l’Assemblée générale de l’ONU vote presque à l’unanimité sa levée, hormis Israël et les États-Unis eux-mêmes. Et tant que ce blocus existera – dont le président n’est pas responsable, puisque des accords et des lois postérieurs l’ont codifié en une loi que seul le Congrès peut annuler – il faudra continuer de voter contre et appuyer le président Obama dans son intention de le supprimer (applaudissements).
Une chose est de nouer des relations diplomatiques, et une autre le blocus. Je vous demande donc à tous – et la vie nous oblige – à continuer d’appuyer cette lutte contre le blocus.
Excellences,
Nous avons déjà exprimé publiquement notre reconnaissance au président étasunien – qui est né avant même qu’il ait été décrété - pour son intention d’engager un débat au Congrès sur la levée du blocus.
Ce point précis et d’autres doivent être réglés si l’on veut normaliser les relations bilatérales.
Quant à nous, nous continuerons d’actualiser notre modèle économique en vue de perfectionner notre socialisme, de progresser vers le développement et de consolider les acquis d’une Révolution qui s’est proposé de « conquérir toute la justice » pour le peuple. Ce que nous faisons et ce que nous ferons apparaît dans le programme que le congrès de notre parti a adopté en 2011. Au prochain congrès, qui se tiendra l’année qui vient, nous réviserons ce que nous avons fait et tout ce qu’il nous reste encore à faire pour y arriver.
Chers collègues,
Je dois vous avertir que je n’en suis qu’à la moitié. Si vous voulez, je coupe ; si ça vous intéresse, je continue. Je vais me hâter un peu (rires).
Le Venezuela n’est pas ni ne saurait être une menace à la sécurité nationale d’une superpuissance comme les États-Unis (applaudissements). Il est bon que le président étasunien l’ait reconnu.
Je tiens à réaffirmer notre appui le plus décidé et le plus loyal à la République bolivarienne sœur du Venezuela, à son gouvernement légitime et à l’union civico-militaire que conduit le président Nicolás Maduro, au peuple bolivarien et chaviste qui lutte pour suivre sa propre voie et fait face à des tentatives de déstabilisation et à des sanctions unilatérales dont nous réclamons la levée, de même que nous réclamons l’abrogation du décret de la Maison-Blanche, même si c’est difficile parce qu’il s’agit d’une loi, ce que notre CELAC considérerait comme une contribution au dialogue et à la compréhension sur le continent.
Je crois que, de tous ceux qui sont réunis ici, nous sommes de ceux qui connaissent le mieux la révolution au Venezuela, non parce que nous sommes là-bas ou que nous y exerçons une influence ou qu’eux nous racontent tout, mais parce qu’ils passent par les mêmes problèmes par lesquels nous sommes passés, nous, et qu’ils souffrent les mêmes agressions ou une partie des agressions que nous avons souffertes, nous.
Nous continuerons d’appuyer les démarches de la République argentine pour récupérer les îles Malvinas, Georgia du Sud et Sandwich du Sud, et sa lutte légitime pour défendre sa souveraineté financière.
Nous continuerons d’appuyer les actions de la République équatorienne face aux sociétés transnationales qui causent des dommages écologiques à son territoire et prétendent lui imposer des conditions abusives.
Je tiens à reconnaître la contribution du Brésil, sous la conduite du gouvernement démocratiquement élu de la présidente Dilma Rousseff, au renforcement de l’intégration régionale et au développement de politiques sociales qui ont apporté à de vastes secteurs populaires de gros bénéfices que l’on prétend maintenant annuler dans le cadre de l’offensive en cours contre différents gouvernement de gauche dans notre région.
Nous continuerons invariablement d’appuyer le peuple portoricain - latino-américain et caribéen – qui aspire à l’autodétermination et à l’indépendance, selon les termes répétés des dizaines de fois au Comité de décolonisation des Nations Unies.
Nous continuerons aussi de contribuer aux négociations sur la paix en Colombie jusqu’à leur heureux dénouement.
Nous devrions tous redoubler d’efforts pour appuyer Haïti, en lui fournissant non seulement une aide humanitaire, mais aussi des ressources qui contribuent à son développement, et défendre l’idée que les pays caribéens fassent l’objet d’un traitement juste et différencié dans leurs relations économiques et reçoivent des réparations pour les dommages que leur ont causés l’esclavage et le colonialisme.
Nous vivons sous la menace d’énormes arsenaux atomiques qu’il faut éliminer et de changements climatiques face auxquels le temps presse. Les menaces à la paix s’aggravent et les conflits prolifèrent.
Comme l’a dit Fidel Castro : « Les causes essentielles des conflits actuels sont la pauvreté et le sous-développement, ainsi que la distribution inéquitable des richesses et des connaissances en place dans le monde. On ne saurait oublier que le sous-développement et la pauvreté actuels proviennent de la conquête, de la colonisation, de l’asservissement et du pillage de la plus grande partie de la Terre par les puissances coloniales, de l’apparition de l’impérialisme et des guerres sanglantes déclenchées en vue d’un nouveau partage du monde. […] L’humanité doit prendre conscience de ce que nous avons été et de ce que nous ne pouvons continuer d’être. Notre espèce a engrangé suffisamment de connaissances, de valeurs morales et de ressources scientifiques pour s’acheminer vers une nouvelle étape historique de justice et d’humanisme véritables. Rien de l’ordre économique et politique actuel ne répond aux intérêts de l’humanité. Cet ordre est insoutenable. Il faut le changer. »
Cuba continuera de défendre les idées pour lesquelles son peuple a fait les plus grands sacrifices et couru les pires risques, et au nom desquelles il s’est battu aux côtés des pauvres, des malades privés de soins médicaux, des chômeurs, des garçons et des filles livrés à leur sort ou contraints de travailler ou de se prostituer, des affamés, des discriminés, des opprimés et des exploités, autrement dit de l’immense majorité de la population mondiale.
La spéculation financière, les privilèges issus de Bretton Woods et de la liquidation unilatérale de l’étalon-or sont toujours plus asphyxiants. Nous avons besoin d’un système financier transparent et équitable.
On ne saurait accepter qu’une petite dizaine de sociétés, surtout étasuniennes – quatre ou cinq sur sept ou huit – décident de ce qui se lit, se voit ou s’écoute sur la planète. L’Internet doit faire l’objet d’une gouvernance internationale, démocratique et participative, surtout quant à la production de contenus. La militarisation du cyberespace est inacceptable, tout autant que l’emploi secret et illégal de systèmes informatiques pour agresser d’autres Etats. Nous ne nous laisserons pas une nouvelle fois abuser ni coloniser. Quant à l’Internet, qui est une invention fabuleuse, parmi les plus importants de ces dernières années, on pourrait dire, pour paraphraser ce que disait Ésope de la langue, que c’est la meilleure et la pire des choses
Monsieur le président,
À mon avis, les relations continentales doivent changer en profondeur, surtout dans les domaines politique, économique et culturel, afin que, fondées sur le droit international et sur l’exercice de l’autodétermination et de l’égalité souveraine, elles entraînent des liens mutuellement avantageux et soient axées sur la coopération dans l’intérêt de toutes nos nations et sur les objectifs fixés.
L’adoption au Deuxième Sommet de la CELAC (La Havane, janvier 2014) de la Proclamation de l’Amérique latine et des Caraïbes comme Zone de paix, signée par tous les chefs d’Etat et de gouvernement de Notre Amérique, a constitué une contribution capitale à cet égard, fruit de la reconnaissance de l’unité latino-américaine et caribéenne dans sa diversité
Les mécanismes d’intégration authentiquement latino-américains et caribéens en cours : CELAC, UNASUR, CARICOM, MERCOSUR, ALBA-TCP, SICA et Association des États des Caraïbes (AEC), soulignent que nous sommes toujours plus conscients de la nécessité de nous unir si nous voulons garantir notre développement et mettre en place un ordre international plus juste.
Dans cette Proclamation, nous affirmons que « les différends entre nations se régleront pacifiquement, par le dialogue et les négociations ou par d’autres formes de règlement, en plein accord avec le droit international ».
Il est absolument impérieux de vivre en paix, de coopérer mutuellement pour relever des défis et régler des problèmes qui, somme toute, nous touchent et nous toucheront tous.
Il faut, comme l’affirme la Proclamation de l’Amérique latine et des Caraïbes comme Zone de paix, respecter « le droit inaliénable de tout État de choisir son propre système politique, économique, social et culturel… condition essentielle pour assurer la coexistence pacifique entre les nations ».
Dans cette même Proclamation, nous nous sommes engagés à « respecter strictement [notre] obligation de ne pas intervenir, directement ou indirectement, sous quelque motif que ce soit, dans les affaires intérieures de n’importe quel autre État, et d’observer les principes de l’égalité souveraine des États, de l’égalité des droits et de l’autodétermination des peuples », ainsi que « les principes et normes du droit international… et les buts et principes de la Charte des Nations Unies ».
Ce document historique invite instamment « tous les États membres de la communauté internationale à respecter pleinement cette Déclaration dans leurs rapports avec les États membres de la CELAC ».
Nous avons maintenant l’occasion d’apprendre ici, tous autant que nous sommes, à, comme le dit encore la Proclamation, « pratiquer la tolérance et [à] coexister en paix en tant que bon voisins ».
Malgré nos divergences de fond, il est des points communs sur lesquels nous pouvons coopérer afin de pouvoir vivre dans un monde où planent tant de menaces à la paix et à la survie de l’espèce humaine.
Qu’est-ce qui empêche notre continent – comme l’ont déjà affirmé certains des présidents qui m’ont précédé – de coopérer face aux changements climatiques ?
Pourquoi les pays des deux Amériques, celle du Nord et celle du Sud, ne pourraient-ils pas, sans positions politiquement biaisées, lutter de concert contre le terrorisme, le trafic de drogues ou la criminalité organisée ?
Pourquoi ne pas rechercher à l’unisson les ressources nécessaires pour équiper notre continent d’écoles et d’hôpitaux – même s’ils ne sont pas luxueux, des hôpitaux modestes, là où les gens meurent faute de médecins – créer des emplois, hâter l’élimination de la pauvreté ?
Ne pourrait-on pas diminuer l’iniquité dans la distribution des richesses, réduire la mortalité infantile, éliminer la faim, éradiquer les maladies qu’il est possible de prévenir, supprimer l’analphabétisme ?
Les pays des deux Amériques ont, l’an dernier, noué une coopération continentale pour prévenir et juguler l’Ébola et ont œuvré de concert dans ce sens, ce qui devrait nous encourager à nous fixer des objectifs supérieurs.
Cuba, petit pays sans grandes ressources naturelles, a pu, malgré un contexte extrêmement hostile, garantir la pleine participation de ses citoyens à la vie politique et sociale de la nation, assurer une couverture universelle et gratuite en éducation et santé, un système de sécurité sociale grâce auquel aucun Cubain n’est laissé à l’abandon, faire des progrès significatifs vers l’égalité des chances et dans la lutte contre toute forme de discrimination, garantir aux enfants et aux femmes le plein exercice de leurs droits, l’accès au sport et à la culture, ainsi que le droit des citoyens à la vie et à la sécurité.
Malgré nos carences et nos difficultés, nous maintenons notre consigne : partager ce que nous avons. Actuellement, 65 000 coopérants cubains travaillent dans 89 pays, surtout en médecine et éducation. Soixante-huit mille élèves étrangers, dont trente mille en santé, de cent cinquante-sept pays, ont fait des études de niveau universitaire et technique.
Si Cuba l’a pu avec de très maigres ressources, que ne pourrait faire notre continent s’il se dotait de la volonté politique requise pour conjuguer ses efforts et coopérer avec les pays qui en ont le plus besoin ?
Nous sommes venus ici, grâce à Fidel et à l’héroïque peuple cubain, accomplir le mandat de José Martí : après avoir conquis la liberté de nos propres mains, « fiers de Notre Amérique, prêts à la servir et à l’honorer… décidés à contribuer – et nous en sentant capables – à ce que l’on estime pour ses mérites et qu’on la respecte pour ses sacrifices ».
Je vous demande pardon, monsieur le président et vous tous, de vous avoir pris tant de temps.
Je vous remercie tous. (Applaudissements.)
Traduction J-F Bonaldi, La Havane