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De « l’ultra Gauche » à « l’ultra Droite » ou la politique de la dérive

Il ne manquait qu’une tragédie à la campagne pour l’élection présidentielle 2012. Quand la plupart des citoyens n’y songeaient aucunement, certains la craignaient et d’autres en convoitaient le coup de pouce décisif. Elle survint à Toulouse le 19 mars, la veille d’un nouveau printemps. Et de la pire des façons que nul n’aurait songé à imaginer : le meurtre de trois enfants et de l’un de leurs professeurs dans l’enceinte même d’une école juive. L’horreur absolue du crime imposa le réflexe unanime - du moins en paroles - de la suspension momentanée des hostilités d’une campagne où la violence le dispute trop souvent au criant manque d’imagination. On en profita néanmoins pour nous suggérer de tourner notre regard du côté de « l’ultra Droite ». La minable dérive de la politique sarkozienne ne saurait donc s’interrompre.

Disons-le tout de go : l’ultra-Droite n’existe pas. Tout comme n’existe pas davantage l’ultra-Gauche, épouvantail brandi voilà trois ans par Mme Alliot-Marie dans l’affaire dite de Tarnac. Dans les deux cas, il s’est agi d’instrumentaliser un fait isolé - plutôt anodin dans l’affaire de Tarnac, barbare dans celle de Toulouse - afin d’accréditer la thèse de l’existence d’organisations politico-criminelles fomentant dans l’ombre de la République sa déstabilisation voire sa destruction. Les esprits suffisamment éclairés ne voient dans ces manoeuvres stupides que la bouffée délirante d’une démocratie malade. Ce n’est évidemment pas à eux que s’adresse le grossier et imbécile message mais à la nébuleuse des « indécis » dont on nous dit qu’à un mois du scrutin majeur, ils représentent 50 % des citoyens ayant l’intention de voter. Dans l’affaire de Tarnac la stupidité - où le cynisme politique - est porté à son comble : le dossier est vide, il n’existe aucun début de preuve de l’acte que l’on impute aux accusés. Julien Coupa sera pourtant maintenu des mois en détention. Dans les deux affaires, on aura pu admirer la facilité express avec laquelle les médias de masse firent voler de rédaction en rédaction la baudruche coupablement gonflée par le ministère de l’Intérieur. Ce sont là de grands moments de journalisme de révérence, gangrène d’une profession sinistrée.

L’invention du dernier concept à la mode au magasin des fantasmes sarkoziens était habile, convenons-en. La pancarte « Ultra Droite » a deux grands mérites sournoisement calculés. D’abord, elle joue avec la confusion possible entre « ultra » et « extrême » au sein d’une partie de l’opinion. L’océan Opinion, aux rivages flous et profondeurs obscures, sondés malgré tout chaque jour afin de combler le vide du continent Politique, renferme des trésors que les meilleurs inventeurs d’épaves savent faire remonter à la surface au moment opportun. Il suffirait qu’un tout petit nombre de gens fort mal avisés de la chose politique confonde l’ultra-Droite - qui n’existe pas - avec l’extrême Droite largement incarnée par le Front national - qui séduit désormais trop d’anciens supporters de l’hôte de l’Elysée - pour que ces derniers envisagent un maintien salutaire au bercail. Ensuite, en se gardant de désigner l’extrême Droite, la trompeuse pancarte ne froisse pas les électeurs du FN dont les voix pourraient être précieuses, le cas échéant, lors du second tour de l’élection suprême. A part cela, on faisait une trêve !

Nous n’avons pas abordé ici la question du rôle éventuel que pourrait avoir joué dans l’affaire toulousaine le contexte politique et social où le rejet de l’autre, parce qu’il est différent, a fait d’énormes progrès au cours des cinq dernières années. Qui oserait imaginer une quelconque relation entre ce contexte ô combien nauséabond et un crime raciste au plus haut degré d’abjection qui, souhaitons-le, n’en précédera pas d’autres ? Qui oserait établir un lien entre l’invention inédite en 2007 du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale et la banalisation de l’exclusion sur des critères raciaux ? Qui oserait donc encore prétendre que les mots peuvent être des armes de destruction du lien social, tels les mots racaille ou karcher ? Qui oserait en appeler à l’Histoire et avancer l’idée que la promotion, tout au long des années 1930, de la figure du Juif accapareur et profiteur a participé de l’indifférence générale quand survinrent les rafles pour le voyage ultime ? Chacun sait, au contraire, que les comportements individuels, notamment les plus pathologiques, n’ont jamais rien à voir avec le contexte socio-politique. Ils sont de génération spontanée !

Mais, chacun sait aussi que, ni les leçons de l’Histoire, ni les avertissements de sages penseurs, ne parviennent jamais à entraver la spirale de la haine lorsqu’elle est vraiment lancée. Et là , subitement, on n’a plus envie de seulement se moquer d’une classe politique à la dérive. On réalise soudain que la société en tant que telle est déboussolée. Trente ans de néolibéralisme ça vous chavire les sociétés les mieux armées pour tenir la vague. Le creusement des inégalités, la mise au fossé des moins « performants » nourrissent des rancoeurs que les boucs émissaires désignés essuieront jusqu’au tragique. Pourtant, la campagne a repris son cours ordinaire comme si rien ne s’était passé. Oui, mais voilà  : il s’est réellement passé quelque chose…

Yann Fiévet

COMMENTAIRES  

22/03/2012 13:30 par rouge de honte

Magnifique !
Ces histoires de politique me font penser à la publicité pour de la lessive...Il y a celle qui lave, celle qui détache, celle qui lave plus blanc que blanc, celle qui renforce les couleurs, etc. Et toutes ces lessives sont fabriquées par la même usine.
Le socialisme en europe n’est-il pas déjà très à droite ? Alors qu’il prend la place de la droite, la droite prend la place de l’extrême droite, alors il faut créer une ultra droite et après ? une ultra extrême droite, une ultra extrême ultra droite...
L’ultra gauche ...Ce sont les inamovibles qui regardent glisser le monde ?
Et puis nous continuons à voter pour l’étiquette d’un emballage don le contenu a changé.
C’est la dérive fasciste.

22/03/2012 16:25 par Mikel

L’événement n’est pas survenu le 19 mars, mais une semaine avant, quand le premier militaire a été abattu.
Devant un tel oubli de la réalité objective des faits, je ne prends même pas la peine de lire la suite du texte. Quel délire ! face à une réalité un petit peu plus complexe.
Un fidèle lecteur de LGS.
Mikel

22/03/2012 17:05 par Anonyme

Bien d’accord avec Rouge de honte... ce n’est pas lui qui devrait rougir.

1 point Godwin à LGS pour la cravate...

Michel Rolland (dit Anonyme malgré lui…)

22/03/2012 21:19 par patrice sanchez

S’il n’y avait que les politiques qui partaient à vau-l’eau, les médias sont tout autant à la dérive quant aux pseudos intellectuels, cela fait bien longtemps qu’ils brillent par l’absence de pensée critique et il faut le reconnaitre nous sommes entrés de plain pied dans un monde Orwellien aux mains de la finance internationale !

23/03/2012 00:52 par Roger Lafosse

Il y a 20 ans des statisticiens du CEA travaillaient sur les conflits en France. Un conflit c’était - par exemple - la résistance d’une partie de la population au nucléaire. En fait ils travaillaient aussi sur les partis politiques, notamment depuis le vocabulaire employé par ces partis. Ils avaient constaté que ce qui importait à chaque parti ce n’était pas de conserver une ligne politique précise, mais c’était de pouvoir se distinguer des partis les plus proches d’eux. C’est ainsi qu’ils avaient constaté que l’ensemble de tous les partis dérivaient vers la droite.
De mon point de vue d’observateur de ce phénomène depuis cette époque, cette dérive ne s’est jamais arrêtée. Aujourd’hui effectivement le PS est vraiment à droite, l’UMP à l’extrême droite carrément sur le terrain du FN, avec un Front de Gauche presqu’au centre, et des éléments d’une nouvelle gauche naissante.

23/03/2012 06:52 par babelouest

D’accord avec Roger Lafosse, le FdG est devenu "le parti acceptable" parce que lui-même n’a plus aucune connotation extrême-gauchiste. Ce n’est plus que la gauche ordinaire, celle d’alternance en somme. C’est bien d’ailleurs pourquoi le PS n’a plus sa place, devenu une simple droite molle et inconsistante.

La vraie gauche de combat reste l’anarchisme, avec ses valeurs prônant l’égalité au-dessus de tout le reste, et ses exigences de responsabilité individuelle oeuvrant pour un collectif avec fierté et discernement. Pas la voie la plus facile ! C’est pourtant un avenir nécessaire.

Le reste s’est droitisé gentiment. Même LO. Holala, je vais me faire bien voir, tiens !

23/03/2012 08:06 par Touzensemble

La vraie gauche de combat reste l’anarchisme, [...] C’est pourtant un avenir nécessaire.

Exact, et ça ne m’étonnerait pas que nos camarades anarchistes règlent les problèmes vers l’an 3050.

Je vote Jean-Luc Mélenchon.

On dirait que les citoyens sont de plus en plus nombreux à comprendre (14 %) pourquoi il faut le faire. Après une première scission du NPA sur ce sujet l’an dernier et des cadres qui ont rejoint le F de G, voici que trois nouveaux dirigeants du NPA rejoignent J-L M.

23/03/2012 08:59 par christian

Le seul candidat a avoir mis le doigt sur le problème est Poutou, qui propose de retirer tous les soldats français de là où ils n’ont rien à chercher, par exemple d’Afrique.
Ce fait divers est la conséquence de la politique guerrière et d’agression occidentale. La France récolte la violence qu’elle sème à travers le monde, France comprise.
Quant aux politiciens est leur compassion, c’est de la pure hypocrysie. La France est un état policier avec ses services spécialisés de la violence raciste (la BAC) et une nation criminelle avec son armée, qui fait de la publicité de sa violence à la télévision, cherchant à embrigader des jeunes. La France, nation extrémiste et violente, qui dénonce l’extrémisme... Orwell a vu juste : la guerre c’est la paix, l’ignorance est une force, qui permet à toute une frange de la population et des médias de condamner la violence en toute bonne conscience malgré le fait que l’ultra-violence systémique est l’essence de l’état français, et l’esclavage c’est la liberté.
Et comme toujours, les innocents trinquent, que ce soit ces 4 personnes de l’école juive ou les centaines voire miliers ou dizaine de milliers de morts, blessé et vicitmes de la torture occidentale en Afghanistan, au Pakistan, en Côte d’Ivoire, en Lybie, en Somalie, et ailleurs ou la France et l’OTAN on disposés leur troupes d’assassins au service du capital.
Pauvre monde.

23/03/2012 11:26 par babelouest

@ Touzensemble
Je suis parfaitement d’accord. L’anarchisme EST une utopie. Une utopie nécessaire, parce qu’elle donne un cap. L’atteindre présuppose des citoyens vrais, conscients de tous leurs droits et de tous leurs devoirs, conscients que le PROFIT ne se réalise qu’aux dépens d’autrui, toujours. Des citoyens nécessairement écologistes, respectueux de tout leur environnement. Pas forcément des végétariens, ou pire, des végétaliens : UN le végétal est un être vivant comme les autres, DEUX il est possible de se nourrir d’autres animaux (biologiquement nous sommes des animaux) en surnombre, sans pour autant mettre en batterie des bovins, porcins ou gallinacés, ou même poissons, comme actuellement.

Le grand challenge est à mon avis la poursuite du PROFIT pour l’occire, car il est la source des aberrations actuelles. Cela risque de nécessiter une prise en main psychologique de ceux qui ne pensent que par son canal. Il y en a probablement moins qu’on ne le pense, car beaucoup sont forcés à ne penser qu’ainsi. L’éducation y est pour beaucoup. Il suffit de voir le contexte où vivent les petits étatsuniens très jeunes, enrôlés de force dans un système dont ils n’auront aucun moyen de sortir. Il suffit d’imaginer qu’au lieu de les baigner dans un océan de profits, d’incitations à consommer, on leur donne le goût de l’altruisme dès le plus jeune âge. Quel changement, nécessairement !

A ce propos, je me souviens d’avoir été pour le nouvel an chez mon fils : par hasard, à l’occasion des fêtes une chaîne était en clair pour les tout-petits, et l’une des héroïnes du dessin animé disait vouloir être une vedette. Sa fille de 3 mois était scotchée. Intelligemment il a arrêté la télévision. Pour ceux qui continuent jour après jour à laisser le poison s’insinuer, on imagine les dégâts.

23/03/2012 15:19 par Sam

Un vrai problème et une analyse que je ne partage pas.

Ce qui est visé au travers de l’instrumentalisation, ce sont trois choses.

Un, contrer la montée de Mélenchon, crédité de plus de voix potentiellement que la fille le Pen, notamment. Même Marianne lui fait une double page presque complice ! La mort est tombée comme un coup de masse pour occulter l’effet-Bastille.
Deux, redonner la main au candidat Sarkozy, complètement à la ramasse, sans programme, lesté d’un bilan minable et détesté d’un bout à l’autre comme les citoyens de Narbonne le lui ont fait entendre, en lui offrant un tremplin pour les trémolos de la peur, pour penser répression et faire donner le pitt de l’Intérieur.
Trois, déployer au niveau international, le paradigme fasciste sous lequel on entend noyer tout changement possible de société, tout arraisonnement de l’UE ultra-libérale, bref toute remise de clés politiques et sociales aux citoyens.

Tout cela est trop bon pour le candidat sortant pour ne pas s’interroger sur qui a laissé la main libre à ce tueur ; sur ce que savait la DCRI de Sarquini, l’homme qui fait à peu près ce qu’il veut en dehors de la loi, soutenu à mort par le chef élyséen.

Il faut le dire clairement, cette affaire a de troublantes ressemblances avec celle du 11 Septembre 2001 aux USA. Il ne faudrait que Sarkozy en tire avantage comme le fit Bush, ni que le plus grand parti numériquement de gauche, le PS, s’aligne pour une nouvelle régression parano-terroriste, une nouvelle étape dans la fascisation du pays, grace aux médias complices - la rédaction de France-Inter, "exemplaire" de servilité, répète mot pour mot la com gouvernementale et repasse en boucle les fan du GIGN comme les sanglots indignés des victimes.

Il ne faudrait pas non plus qu’on oublie l’envolée hallucinante des prix, le laisser-faire total de Sarkozy et même l’acharnement extrême d’un gouvernement depuis 2007 pour exempter de leur devoir fiscal les Bettencourt et les multinationales, accorder l’impunité aux fraudeurs, tout en nous assommant de réformes qui n’auraient aucunement lieu d’être car l’excuse des "caisses vides" ne servirait pas si on récupérait l’impôt comme il se doit.

Et d’ailleurs le PS à sa bonne part de responsabilité, notamment avec les réalisations ultra-libérales d’un DSK et autres, ce qui l’oblige à se taire ou presque et laisser filer des centaines de milliards/an par des impôts totalement "dérégulés", comme vient de le révéler le dernier rapport de la Cour des Comptes.

Résultat des courses, on licencie plus que jamais et ce n’est pas Calvi ou Elkabach qui vont dévoiler la chose. Des centaines de familles s’enfoncent chaque semaine dans la misère, emploi perdu, plus assez d’argent, expulsion. Déjà que personne n’en parlait, il ne faudrait pas qu’à la faveur d’un fait-divers on serre plus fort le bâillon et taise à jamais ce qui est la réalité de nos vies aujourd’hui, tant au niveau de valeur que des moyens d’existence : ils partent à la dérive et ce n’est pas un fait de société, mais la faute d’une poignée de canailles qui ont pour la plupart des écharpes tricolores ou des macarons de PDG.

23/03/2012 18:46 par Christophe

Il n’y a pas tant de surenchère que la poursuite de l’idéal néolibéral qui doit tout résoudre en privatisant tout à l’exception de l’armée et de la police et donc en achevant de détruire les acquis sociaux.

Les incompétents d’hier (PS peut-être un peu moins qu’UMP), qui se sont laissés baratiner par les économistes et autres philosophes de la pensée néolibérale (Attali, Minc, Cohen, etc.) sont devenus les impuissants d’aujourd’hui (en restant tout aussi incompétents).

Pour continuer la recette, il leur faudra donc sortir le bâton si la carotte ne suffit plus. Mais la propagande peut se targuer d’un réel succès puisque plus de 80% des électeurs français voteraient pour un capitalisme de droite ou de gauche, et encore si on ne compte pas le FDG.

Cette majorité de français vient de se voir conforter dans son sentiment (de bien être ontologique et télévisuel) que nous sommes bien en démocratie puisque l’état nous protège. Il y aura assurément une participation plus importante aux Érections Pestilentielles.
Entre plusieurs puanteurs je choisirai peut-être la moins désagréable. What else ? Continuons le combat !

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