De grandes espérances, le film : « Dans la vie, rien n’est jamais perdu… »

Une amie très enthousiasmée par le dernier film de Sylvain Desclous avec Rebecca Marder, Emmanuelle Bercot et Benjamin Lavernhe m’a conseillé d’aller le voir. Je ne vais plus beaucoup au cinéma, de même que je ne lis plus de romans français tant la médiocrité/vulgarité américaniste a envahi tout l’espace culturel comme ils appellent, à la TV, la culture subventionnée et réseautée. La culture, dont se gargarise les parasites médiatiques que nous payons pour nous endoctriner, n’est qu’une insipide régurgitation des excès à la mode dans le paradis capitaliste dont nos élites (ceux qui parlent et qui décident comme dit Michel Maffesoli) se sont entichées pour leur plus grand profit et notre plus grand malheur. L’exception culturelle française, sous couvert de défendre la culture française, n’a fait qu’aggraver la situation. Il s’agit là, en fait, d’une vaste escroquerie qui permet à des clans fermée de l’audio-visuel (TV, ciné, théâtre) « dont l’unique objectif semble être la préservation d’une rente ou d’un pactole, sans souci pour la possibilité de nouveaux acteurs de s’implanter (ce qui, soit dit en passant, est la définition même de la corporation conservatrice » de vivre luxueusement aux crochets des Français en produisant de la nullité, comme le dénonce Slate dans un article de novembre 2014 intitulé “ L’exception culturelle, slogan dangereux pour la création française ”.

Dans De grandes espérances, le compagnon de l’héroïne, Madeleine, est issu de l’oligarchie inapte et bornée qui représente en France le pouvoir EU/UE et opprime le peuple, exactement comme à la fin de l’empire romain, si l’on en juge par toute une série de citations taillées sur mesure, qui circulent ces jours-ci sur Internet : « L’Empire romain était devenu un cloaque de corruption et de décadence. Le gouvernement était rempli de fonctionnaires qui ne se souciaient que de leur enrichissement personnel, tandis que le peuple souffrait sous une imposition lourde et des lois oppressives. L’infrastructure était en ruine et les villes étaient remplies de pauvreté et de maladies. » Jordanes, fin du 6ème siècle après J-C.

La lutte sociale

Mais Sylvain Desclous est un optimiste et il croit encore dans les femmes et dans la politique, à condition de faire du partage de la valeur le cheval de bataille de la lutte sociale. Il se situe dans la lignée du Général De Gaulle qui essayait de trouver une troisième voie entre capitalisme et communisme. De Gaulle expliquait en août 1948 : « (...) un jour, la machine a paru. Le capital l’a épousée. Ce couple a pris possession du monde. Dès lors, beaucoup d’hommes, surtout les ouvriers, sont tombés sous sa dépendance, liés aux machines quant à leur travail ; au patron quant à leur salaire, ils se sentent moralement réduits et matériellement menacés. Et voilà la lutte des classes : elle empoisonne les rapports humains, affole les États, brise l’unité des nations, fomente les guerres ». Il a finalisé sa solution, la participation, en 1967. Peu d’entreprises l’ont utilisée mais elle a contribué au succès de celles qui l’ont fait, comme l’entreprise de distribution boulonnaise PG qui comprenait une trentaine de supermarchés et un millier de salariés avant sa vente à un grand groupe par des administrateurs cupides qui avaient pris la majorité par des méthodes douteuses. Obtenir un emploi à PG était le rêve de tous les employés de la région. 

A l’époque, c’était les Trente Glorieuses. On reconstruisait l’économie après la Deuxième Guerre mondiale. Le grand Capital en profitait et il y avait l’URSS en embuscade. On pouvait peut-être espérer moraliser, raisonner, contenir le capitalisme. Mais aujourd’hui que nous voilà revenus au XIXe siècle, peut-on toujours le croire ? Ne voit-on pas ce sont les structures mêmes du système capitaliste, ses piliers institutionnels, à savoir le marché du travail, la propriété privée des moyens de production et le prêt à intérêt, qui permettent l’esclavagisation des populations au profit d’une oligarchie toujours plus avide. Tant qu’il y aura des employeurs, des actionnaires et des prêteurs, il n’y aura pas d’émancipation possible, car les mêmes causes entraînent toujours les mêmes effets.

Je l’ai dit, Sylvain Desclous est un optimiste et il croit aux femmes et à l’économie sociale et solidaire. Les trois femmes du film sont géniales. Gabrielle, la député/ministre, Madeleine, sa conseillère, et la syndicaliste qui défend la reprise de son entreprise en faillite par ses employés, incarnent toutes les trois la lutte pour le progrès social. Les hommes eux, à part le père de Madeleine, à qui il reste un brin d’honneur du fait de son origine populaire, représentent le monde actuel complètement pourri. Le chef d’entreprise, le haut fonctionnaire, le ministre du travail, malicieusement incarné par Thomas Thévenoud, l’éphémère secrétaire d’État de François Hollande en 2014, qui ne payait pas ses impôts par « phobie administrative », et le compagnon de Madeleine nous offrent l’habituel festival de veulerie, de vénalité, de cruauté et de bêtise vaniteuse de la Macronie. 

Ce qui intéresse vraiment Sylvain Desclous, c’est de « faire bouger les choses » comme il nous le dit et redit au début du film par la bouche de son héroïne Madeleine. Et il pense que cela passe par un meilleur partage des richesses et du pouvoir. D’où la lutte sociale.

Il nous la montre, la lutte sociale, à travers le projet de loi que prépare Gabrielle, la député, avec l’aide de Madeleine, et à travers le projet de reprise d’une entreprise en difficulté par ses salariés. La mesure phare du projet de Gabrielle et Madeleine est l’écart des salaires de un à 20 dans l’entreprise. Il s’agit d’une vraie proposition des socialistes et de la FI avec, en plus, pour Jean-Luc Mélenchon le plafonnement des hauts salaires ; une proposition qualifiée de « mesure symbolique à laquelle il sera très facile d’échapper en faisant de l’optimisation fiscale » par l’économiste Mireille Bruyère.

Pourtant, Sylvain Desclous ne se fiche pas de nous, et le discours politique, même s’il est, à mon sens, complètement dépassé, tient debout. Déjà, le cinéaste n’est pas un néophyte en politique. En mars 2022, il a réalisé un documentaire, La Campagne de France, sur les élections municipales dans le village de ses grands-parents en Indre-et-Loire. Et, de plus, il a soumis le scénario de son film, qu’il a mis 3 ans à écrire avec Pierre Erwan Guillaume, à Raphaël Chevènement, fils de Jean-Pierre Chevènement et scénariste sur Le Bureau des Légendes et Baron Noir.

La libération intérieure

Vous l’avez compris, pour moi, la politique n’est pas le vrai sujet du film. On ne peut pas dire non plus qu’elle soit un décor, car la vie des trois héroïnes de Sylvain Desclous est bâtie, à des degrés divers, sur leur projet sincère de libérer (un peu) le monde de l’oppression capitaliste. Chez Madeleine, la fusion entre la vie politique et la vie privée est totale. Elle ne fait qu’un avec son projet social. Même en prison, elle ne pense qu’à perfectionner le projet de loi que Gabrielle doit présenter à l’Assemblée. Mais c’est surtout la pression qu’exerce sur elle la nécessité de faire de la politique pour pouvoir « faire bouger les choses » qui va jouer un rôle déterminant sur son évolution et donc sur l’issue du film. C’est cette nécessité qui va lui donner la force de se libérer de tout ce qui l’opprime.

Vous connaissez le synopsis du film : Madeleine, brillante et idéaliste jeune femme issue d’un milieu modeste, prépare l’oral de l’ENA dans la maison de vacances d’Antoine, en Corse. Un matin, sur une petite route déserte, le couple se trouve impliqué dans une altercation qui tourne au drame. Lorsqu’ils intègrent les hautes sphères du pouvoir, le secret qui les lie menace d’être révélé. Et tous les coups deviennent permis.

Après l’ouverture lumineuse du film où, dans le luxe bourgeois où l’a introduit Antoine, elle démontre brillamment à l’ex-ministre Gabrielle qu’elle aurait pu marquer l’histoire en défendant un projet de loi plus ambitieux et progressiste que celui qu’elle a présenté, le film plonge dans le drame. En pleine panique, Gabrielle tue un homme. Au bout de quelques mois, Antoine la dénonce pour se venger d’être un raté. Elle se retrouve en prison, abandonnée de tous, sauf de son père qu’elle a pourtant négligé car elle en avait honte, mais à qui elle s’était confiée. Je ne vous raconte pas la suite pour ne pas gâcher votre plaisir : le dénouement est magique. Mais à partir de là tout se renverse.

En voulant la détruire, le vil rejeton de la vile bourgeoisie la libère à la fois de la culpabilité de son crime et de la honte de ses origines.

Sylvain Desclous a raison d’être optimiste mais, à mon sens, ce n’est pas tant à la politique qu’il croit qu’à l’humanité, à la vie. On le voit au traitement des deux composantes de son film. Ce qui touche la transformation extérieure, la lutte sociale, souffre parfois d’un certain simplisme, d’un manque de fluidité et de naturel, mais la partie intimiste est traitée avec toute la délicatesse, le respect, la souplesse, la nuance et la pudeur que requièrent les processus de guérison intérieure. Bien sûr les deux transformations renvoient l’une à l’autre, un peu comme les deux cotés d’une même pièce, mais une chose est sure, avant de libérer les autres, il faut d’abord se libérer soi-même.

La morale du film c’est que dans la vie, rien n’est jamais perdu. Tout peut se retourner à tout moment, pour peu qu’on change son regard sur les évènements, qu’on se prenne en main et qu’on puisse compter sur quelqu’un. Débarrassée de ses illusions et de ses complexes, Madeleine va pouvoir se consacrer pleinement au combat politique qui n’était jusqu’alors que l’écrin de sa libération personnelle. 

Une libération qui ne serait pas morale, selon La Croix qui confond morale et conformisme : « Étrange alliance que ce thriller et ces grandes espérances – celles que conçoit Madeleine pour la politique de son pays et pour elle-même, aussi bien que celles que son entourage place en elle. Le suspense repose sur la révélation (ou pas) de sa culpabilité tandis qu’elle déploie son combat pour plus de justice sociale. En filigrane, Sylvain Desclous semble défendre la légitimité des moyens mis en œuvre pour le triomphe d’une juste cause. Ce qui peut conduire à s’interroger sur le positionnement moral des personnages et sur le soutien pour le moins ambivalent qu’apporte son film à ces justes causes. » C’est pathétique, non ? La Croix est un ancien organe de presse catholique qui a consenti à toutes les compromissions pour rester dans le vent, au point qu’on pourrait considérer la manière qu’il a de s’accrocher à son nom chrétien, symbole par excellence de droiture, fidélité et courage, comme relevant du blasphème et méritant l’excommunication, si le journal La Croix savait encore ce que c’était.

Le titre du film de Sylvain Desclous reprend celui du roman de Dickens Great Expectations (1861). Ce n’est évidemment pas par hasard. Dickens n’a cessé de dénoncer dans son œuvre la misère des ouvriers et la brutalité et l’hypocrisie des possédants. La description que fait wikipedia de son roman convient tout à fait au film : « En un long et convulsif processus de changement, les thèmes conflictuels, classiques chez Dickens, de la richesse et de la pauvreté, de l’amour et du rejet, du snobisme et de l’amertume, finissent par céder peu ou prou le pas au pouvoir de la bonté et à sa victoire sur les forces de l’obscurantisme et du mal ».

Ce sont ces victoires-là qui enflammaient la ferveur de saint Paul : « Quelle profondeur dans la richesse, la sagesse et la science de Dieu ! Ses décisions sont insondables, ses chemins sont impénétrables ! »

Et c’est parce qu’il nous laisse entrevoir le mystérieux, fragile et tortueux cheminement d’une de ces victoires que le film de Sylvain Desclous est si captivant.

 http://domimuse@yahoo.com

COMMENTAIRES  

05/04/2023 00:43 par Erno Renoncourt

Merci de nous offrir, en ce temps d’incertitudes, cette lecture profondément humaine. Pour moi qui vis dans la conviction que l’indigence à laquelle notre monde est confronté est avant tout une défaillance humaine, j’ai particulièrement aimé, entre autres phrases, celle-ci : « Tout peut se retourner à tout moment, pour peu qu’on change son regard sur les évènements, qu’on se prenne en main et qu’on puisse compter sur quelqu’un. ».

Il y a dans ces mots, des notes de vibrations d’une profonde innovation Po-éthique pour repenser les enfermements militants, de gauche comme de droite, et vivre l’engagement pour le changement en termes liens autour de soi, de responsabilité, d’authenticité, de dignité et d’humanité. Autant de valeurs qui peuvent donner aux plus foudroyantes des colères des notes lentes d’une douce aigreur.

Au-delà des mots enivrants d’espérance que nous livre ce récit pour agir sur nos maux déshumanisants d’indigence, on retiendra ces mots non-dits, ou dits entre les creux des silences inter-dits : c’est le contexte qui offre les clés des perspectives situationnelles. Dès lors, changer de perspective, c’est aussi admettre que les mêmes causes peuvent ne pas produire les mêmes effets selon le contexte.

05/04/2023 10:57 par Dominique Muselet

@Erno Renoncourt
Ah merci, je me demandais si je m’étais fait comprendre. J’ai écrit ce texte parce que j’ai été déçue par les critiques qui, à mon sens, sont passées à côté de ce qui fait la grandeur de ce film et ne parlent que de l’aspect politique et thriller du film. En fait le film s’attaque brillamment à un sujet beaucoup plus large et philosophique : Le passage de l’ordre au chaos et du chaos à l’ordre.

Mais Je l’ai écrit un peu vite et j’ai peur de n’avoir pas été assez claire. Ce qui fait la beauté du film et son originalité c’est qu’il montre une remise en ordre du petit monde que le cinéaste nous décrit. Un évènement dramatique vient perturber la course normale des évènements ; le désordre, la frustration, la haine s’installent. Les vraies natures se révèlent et les rapports changent. Madeleine méprisait son père, il se révèle un être noble. Elle aimait Antoine, il se révèle un être abject, Gabrielle est moins idéaliste et pus pragmatique qu’elle ne le pensait, elle même ne sait pas trop qui elle est mais elle se révèle plus forte qu’elle ne croyait.
Ce n’est pas la morale qui préside au rétablissement de l’ordre, de l’harmonie après un bouleversement quelconque. Les forces qui y président sont des forces qui nous dépassent : "les impénétrables" chemins de dieu. Qui comprend comment est régi l’ordre et l’harmonie qui règnent dans la nature ?

La morale, ou plutôt l’éthique (car pour la plupart des gens morale = bien pensance), intervient dans les choix humains. Suivant leur qualité humaine les gens vont se conduire d’une manière plus ou moins éthique, c’est à dire plus ou moins élevée, désintéressée. J’ai décrit la différence de qualité humaine entre la bourgeoisie représentée dans le film par des hommes et les gens du peuple ou issu du peuple, principalement des hommes dans le film. Par ex, si à moment donné, Madeleine s’abaisse à faire un peu de chantage au patron de l’entreprise, ce n’est pas pour son profit personnel, ce n’est pas pour s’accrocher à ses privilèges comme les bourgeois, c’est pour que les salariés puissent reprendre la boîte. Quand elle tue, c’est pour protéger Antoine. Et quand elle ne va pas à la police, c’est parce qu’Antoine ne veut pas... De sorte que la fin du film, quoiqu’en dise l’inepte La Croix est parfaitement éthique, parfaitement juste, selon l’ordre cosmique et divin. Il n’aurait pas été juste du tout, que Madeleine se retrouve en prison, pendant qu’Antoine et son père, des parasites sans qualité ni honneur, continuent de jouir de l’estime générale et de tous les privilèges.

La mort d’un innocent est un drame, mais en l’occurrence elle n’a pas été inutile, elle a permis une libération, une renaissance. C’est magnifique de voir la main de dieu (destin, vie) à l’œuvre dans l’univers dont, dit la bible, nous ne sommes qu’une poussière, et c’est pourquoi ce film fascine. Enfin, c’est mon humble avis !

06/04/2023 00:12 par Erno Renoncourt

La vérité est souvent enchevêtrée dans un détail, et c’est pourquoi beaucoup n’arrivent pas à la trouver. Les gens oublient qu’en raison des boucles de rétroactions entre les contextes problématiques, les intentions des acteurs, les intérêts en jeu, les incertitudes, les stratégies peuvent dévier de leurs finalités. C’est du reste pourquoi, modestement, je pense que l’action politique doit être dimensionnée par l’éthique pour mieux prendre en compte les détails que les stratégies tendent toujours à mettre de côté. Or justement dans un monde chaotique, ce sont souvent les signaux faibles qui disent les frémissements des défaillances de demain

06/04/2023 09:24 par Corinne

Brillant. Et mon Dieu (si j’ose ainsi m’exprimer), comme il est jubilatoire de voir un auteur de gauche ne pas avoir peur des mots ! Pas d’autocensure étouffante, pas d’affectation de vertu, des mots vrais et des sentiments sincères, ça repose. Dominique Muselet est assez sûre d’elle et de ses idées pour les exposer clairement. Ce n’est pas la première fois qu’elle montre la voie de la réappropriation par la gauche des valeurs de droiture et d’espoir en l’humain qui ont bâti son histoire, avant qu’elle se perde dans les sables mouvants du postmodernisme et des caprices d’enfants gâtés des campus nord-américains woke.
Puissions-nous écouter ce genre de voix avant qu’il ne soit trop tard pour la gauche française et qu’elle disparaisse tout à fait...

19/04/2023 21:43 par CAZA

C’est français de 2017 c’est sur France TV en accès libre et c’est jubilatoire .
Une histoire de voyage au delà de l’onirique pour rejoindre son nouveau poste de travail après délocalisation de son entreprise .
C’est politique et poétique . On a beaucoup aimé .
Dans la vie tu peux toujours gagner ( peut être )
https://www.france.tv/films/4577860-crash-test-aglae.html

Pour les nouveaux amis ( Le mariage dans le film )
https://www.youtube.com/watch?v=d6Y7o9QTzW8

(Commentaires désactivés)