Lettre de l’avocat des parents de Rémi

Conflit de pouvoirs : pour Rémi Fraisse

Arié Alimi

Je ne connaissais pas Rémi Fraisse. Et je ne pensais pas en acceptant de défendre ses parents, en qualité de parties civiles, que j’aurai également à le défendre. Car depuis une semaine, depuis le moment où il s’est effondré, touché par une grenade lancée par un membre de la gendarmerie mobile, il ne se passe pas un moment sans que l’on fasse offense à sa personne et à sa mémoire.

Casseur, djihadiste vert, ecoloterroriste…. Le discours du gouvernement ou de certains syndicats agricoles s’est établi et n’a cessé de monter en puissance. D’abord pour tenter de nier l’existence même des origines de sa mort. Rappelons-nous que dans les premiers moments, on ne parlait que d’un corps découvert dans la foret. On apprendra plus tard que le parquet, la direction de la gendarmerie et le gouvernement savaient déjà ce qu’il s’était passé puisque les gendarmes avaient quelques instants après sa mort ramassé le corps de Rémi.

Alors pourquoi pendant deux jours, ce silence assourdissant, pourquoi cette absence de réaction du parquet, du gouvernement, pourquoi le refus de dire cette vérité que l’on connait depuis le début ? Pourquoi le parquet a-t-il tenté de semer une confusion indécente sur les circonstances de sa mort en ne donnant que des bribes d’informations, en ne parlant lors de la première conférence de presse que d’une explosion, laissant croire à la possibilité d’un décès dû à un Cocktail Molotov, pourquoi avoir lancé de fausses pistes, comme celles du sac à dos disparu, volontairement récupéré par les manifestants, et qui aurait pu contenir des substances explosives ? Simplement pour discréditer un jeune homme pacifiste, militant de la fédération Nature Environnement, botaniste, qui n’a jamais fait usage de violence ou eu maille à partir avec les forces de l’ordre. Salir l’image d’un jeune homme mort qui militait pour l’environnement et pour les générations avenir ?

Y a-t-il attitude plus basse et plus veule ?

Pourquoi ne pas assumer ses responsabilités et dire : nous l’avons tué. Notre politique l’a tué. Nous n’avons pas voulu choisir la voie du dialogue, nous avons voulu montrer que nous sommes forts aux yeux des Français, et cela passe par des démonstrations de violences contre ces militants majoritairement pacifistes. Nous les avons harcelés, frappés, nous avons brulé leurs effets personnels, les avons délogés sans autorisations judiciaires, puis nous avons fait usage de Flash balls, de grenades fumigènes et de désencerclement. Et comme ils ne partaient toujours pas, nous avons fait lancer des grenades contenant des explosifs, en les jetant sans sommations, sans respecter les règles élémentaires d’usage de ces grenades, en l’air directement sur les manifestants, ou même dans des lieux clos, comme dans une caravane occupée. Nous les avons blessés, alors qu’ils tentaient simplement de sauver notre patrimoine naturel, eux qui ont cette conscience que nous n’avons plus, à force de vouloir produire et gagner toujours plus.

Je suis désolé de dire cela, je ne suis qu’avocat. Je ne devrais pas parler de ce qui me dépasse, de ce qui dépasse mon champ d’action, le droit. Mais c’est plus fort que moi. Je me dois aujourd’hui de défendre Rémi Fraisse, ou plutôt ce qu’il en reste. Un corps dans une morgue. Un corps au centre d’un conflit de pouvoir. De tous les pouvoirs, politiques, judiciaires, militaires, médicaux, médiatiques. Un corps autopsié, malmené, disséqué par la France entière qui se le déchire, comme Damiens (1) supplicié en place publique, objet de la toute-puissance de la souveraineté. Un corps auquel le pouvoir refuse de redonner un nom, une dignité. Un corps que le pouvoir refuse de rendre à ses parents qui à ce jour n’ont toujours pas pu voir leur enfant, auquel ils ont donné naissance, qu’ils ont vu faire ses premiers pas, dire ses premiers mots, crier ses premières révoltes, et qu’ils ne pensaient pas devoir inhumer, envers et contre toute logique générationnelle.

Ce n’est pas qu’un drame ou une tragédie qui s’est nouée autour de Rémi. Il est mort parce qu’il s’est retrouvé par hasard au milieu d’une déflagration de pouvoir et d’expression de la violence publique. Ce qui a tué Rémi Fraisse, ce n’est pas seulement un gendarme jetant une grenade offensive en pleine nuit en direction de jeunes manifestants, quelle que soit la violence de ceux-ci. Ce qui a tué Rémi, c’est la violence Etatique. Un Etat gouverné par des hommes dont la boussole n’est orientée que vers la prochaine échéance électorale, des hommes motivés par leur stratégie de communication, et qui en ont oublié que l’Etat dont ils sont les représentants n’était finalement qu’une simple fiction destinée en premier lieu à protéger ceux qui avaient accepté de se soumettre à sa violence légitime. Mais lorsque la violence n’est plus légitime, lorsque l’on utilise des armes de guerre non pas contre un autre Etat belligérant, mais contre sa propre population, lorsque l’Etat tue ceux qu’il est sensé protéger, alors la question de l’Etat, de son fonctionnement, de ses intérêts et de ses représentants doit inéluctablement être posée.

 Dimanche à 16H00, je serai devant le mur de la paix, avec une renoncule à feuille d’ophioglosse sur le torse, et je penserai aux parents de Rémi Fraisse, je penserai à Rémi, et à toute cette vie, plus importante que tout le reste, qui s’est en allée. Pour Rémi Fraisse.

Arié Alimi
2 novembre 2014, |

Note  : (1) Robert François Damiens, condamné pour avoir tenté d’assassiner Louis XV, fut la dernière personne à subir le supplice du régicide : l’écartèlement.

COMMENTAIRES  

04/11/2014 13:44 par J.J.

Nous avons, avec quelques utilisateurs d’un forum de botanique et l’accord des rédacteurs, organisé un hommage à Rémi Fraisse, en précisant bien : en dehors de toute intention politique ou polémique, et invité pour ceux qui le pouvaient à assister à la manifestation pacifique au Mur de la Paix.
Nous avons obtenu un assourdisssant silence et de rares mais néanmoins très sincères réponses.
Mais également, ce qui est plus déplorable, la réaction (au sens politique du terme) paranoïaque d’un internaute qui part en guerre contre casseurs, anarchistes, terroristes et autres fauteurs de troubles.
Exemple d’un message : SI LE FORUM SE MET A L’ANARCHIE Où VA T’ON ?

IL ME SEMBLE QUE LE RESPECT DES ACTEURS DU FORUM EST

PLUS IMPORTANT !

Nous avons décidé de ne pas céder à la provocation et de ne plus corespondre que par mesages privés.

04/11/2014 14:44 par Geb.

Quoi ajouter à ça ???

Ca dit bien ce que ça veut dire.

Comme le précise très bien l’avocat de la famille Rémy n’était pas un "casseur" ou un "terroriste" mais un jeune homme confiant dans ce qu’il pensait être un droit. Le "Droit à la manifestation" dans une vraie République.

Une République ou les Citoyens ont droit à la parole à travers leurs "élus" et leurs "actes" de dénégation..

Déjà, ceux qui l’ont envoyé là ont "oublié de lui préciser que cette "République" n’existait pas. Et encore moins ces derniers temps.

C’est à dire que tant que nous n’aurons pas compris que la luttes contre le Système, tout le Système, (et pas simplement contre des objectifs saucissonnés pour mieux diviser), il y aura des Remy à qui on aura fait croire qu’il suffit d’aller au devant des assassins une fleur contre des fusils et qui continueront à mourir ou à finir estropiés.

Et à ceux qui argumentent sur la beauté du fait de "mourir pour des idées", outre que je ne suis pas sûr que Rémy était d’accord pour le faire, je répondrait qu’envoyer les autres mourir en ne mettant pas en place le nécessaire pour que cette mort n’amène pas au moins des résultats positifs ça relève de la manipulation gratuite.

Les stratégies baba-cool employées contre des mercenaires surarmés chauffés par des provocateurs, ç’est beau à raconter au coin du feu, comme la Chanson de Roland, mais comme je l’ai dit dans un autre post sur LGS ça n’a JAMAIS depuis les 60 dernières années amené le pouvoir à changer ses stratégies en la matière.

Si il y a des exemples dans le temps ou ça a marché, je ne demande qu’à rectifier sur le sujet.

Et pour mon compte, Rémy, comme toutes les autres victimes, est non seulement victime de ceux d’en face, mais aussi de ceux qui sont incapables de mettre en oeuvre, d’imaginer, ou refusent de tenter d’autres moyens plus proportionnés, pour changer les choses.

Ainsi que de contrôler les provocateurs stipendiés par la police... Et quand je dis "contrôler" ça veut dire les inciter "rudement" à ne plus jamais y revenir

Un Général qui envoie ses hommes à l’abattoir tout en sachant que ça ne servira à rien, et cela par couardise, incompétence, ou gain, est un criminel. Et si ses hommes meurent ça n’est pas la faute première des ennemis de l’autre côté.

Un, ou des, responsables d’Orgas qui "organisent" sans analyser le danger encouru pour ceux qui leur font confiance, ne valent pas mieux.

Parce qu’excusez-moi, mais les élus, les agrariens, et les entreprises qui ont monté le coup au niveau local et national, et qui encaissent ou vont encaisser les dividendes, eux, ils comptent les points pendant que les opposants meurent ?

Et la population qui va "pleurer" Rémy, ou le "condamner", au choix, va continuer à élire ces connards, à payer ses impôts à la Dictature, à acheter les produits des céréaliers, à utiliser les services des entreprises concernées et à y bosser dedans et encaisser les salaires, sans tout bloquer, etc...

Et le "barrage" qui c’est qui va le construire et réaliser les infrastructures ???

Les Zoulous ou les Travailleurs du coin ???

Et tout ça ans que les Organisations opposantes n’appellent au moins à des actions plus larges ???

Vous trouvez ça logique ???

Tant que les action et les analyses resteront aussi primitives il y aura d’autres "Rémy" qui mourront...

Peut-être pour des "idées" mais aussi certainement pour "RIEN" au bout.

Geb.

05/11/2014 10:30 par Christophe

Assassinat de Rémi Fraisse : appel à une mobilisation

En moins d’une semaine, on peut dénombrer des centaines d’arrestations, avant, pendant et après les manifestations, rien que sur Paris. Un type a perdu son œil, un autre son nez, d’autres se sont fait casser des bras, des
jambes, etc. L’année dernière, au moment des blocus pour Léonarda et Khatchik, des policiers avaient gazé et brutalisé plusieurs centaines de lycéen·ne·s.

Appel au blocus généralisé, jeudi 6 novembre, contre la violence policière instituée par l’État et contre l’utilisation de grenades et du Flashball !

08/11/2014 11:26 par SERGAL Daniel

On nous fait croire que la police et l’armée, payées par nos impôts, sont là pour nous protéger. La vérité est bien différente. Le vrai rôle de la police et de l’armée est essentiellement de protéger les intérêts privés, les intérêts capitalistes et d’assurer le bon fonctionnement de l’économie libérale. La protection du citoyen viendra bien après, si elle vient. Et quand on sait que les grandes entreprises capitalistes sont assez habiles pour ne pas payer d’impôts (cf : Total), on peut donc dire en simplifiant que nos impôts servent à la protection de ces entreprises. Quand vous verrez les CRS asséner des coups de matraques aux ouvriers qui manifeste contre leur licenciement, vous comprendrez.

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