C’est une victoire déterrée de la tombe que vient d’arracher la gauche colombienne à l’oligarchie. Le samedi 16 et dimanche 17 novembre 2013 s’est tenu à Bogota le Vème Congrès National du parti de l’Union Patriotique, dont le simple nom résonne comme l’écho d’un espoir assassiné en plein vol. C’est en 1985 que commence l’histoire de cette formation politique qui se crée à l’initiative des FARC-EP qui l’année précédente avait signé un cessez-le-feu avec le président Belisario Betancur. Front politique de gauche qui se veut le plus large possible. L’UP comme on l’appelle englobe des forces de la guérilla bien sûr, mais aussi (et surtout) les communistes, des syndicalistes, des militants civiques, et même des libéraux. L’étendard vert et jaune du nouveau parti s’étend alors dans tout le pays, du Putumayo jusqu’à la côte caribéenne. Le pari prend vie.
Face à cet enthousiasme populaire et politique que réveille l’UP toute la machine répressive de l’état colombien et de la bourgeoisie va se mettre en place. Les harcèlements et les menaces à l’encontre des militants vont rapidement s’accompagner d’enlèvements, d’assassinats sélectifs et de massacres. Les guérilleros démobilisés, devenus cadres politiques, sont tués. Les militantes violées, abattues par des "sicarios" à moto. Les dirigeants de l’UP subissent des attentats à la bombe ou sont tout simplement assassinés chez eux, dans la rue, dans les parcs, dans les aéroports, dans leurs voitures. L’armée, les policiers, les services de renseignements, tous les éléments des forces armées de l’état participent de loin ou de près à ce "génocide politique". Ils sont secondés amplement par les forces paramilitaires qui prennent alors tout leur essor militaire à cette époque. Ces groupes armés sont au service de riches paysans, puissants agriculteurs et chef d’entreprises ; des « groupes d’autodéfenses » comme ils aiment à se définir qui cherchent à enrayer toute influence de la gauche et de la guérilla dans leur zone d’exploitation et pratiquent pour cela des massacres et répandent la terreur. Sous les coups de boutoir des cercles militaristes l’Union Patriotique s’est éteinte lentement. Les guérilleros sont retournés dans les montagnes dés 1987 et le parti a pleuré ses mort jour après jour jusqu’à son extinction à l’aube des années 2000.
Le rétablissement de l’entité juridique de la défunte organisation en Juillet 2013 a été l’étincelle de la dynamique qui semble embraser aujourd’hui la gauche colombienne. L’émotion que ravive le retour de l’étendard jaune et vert se devine aisément. « Tout s’est passé en un clin d’oeil. Après tant d’années dans le coma l’Union Patriotique (UP) s’est réveillée dans une salle vétuste. Personne ne le pronostiquait. Même ses proches ne misaient pas un centime sur elle. Ses parents et ses frères ont vieilli et ses fils et ses filles sont devenus adultes » écrit l’ancien guérillero et militant du parti Yezid Arteta (1).
1.287 délégués provenant de tout le pays se sont réunis dans la capitale et ont, pendant presque 3 jours, remémoré les vieilles années et débattu sur les prochaines. Revenue pour l’occasion sur le sol colombien, l’ancienne militante Aida Avella est devenue la candidate de cette UP ressuscitée pour les élections présidentielles qui auront lieu le 25 mai 2014. Ayant échappé à un grave attentat au bazooka sur son véhicule dans la capitale en mai 1996, la militante communiste avait dû renoncer à vivre en Colombie sous la pression paramilitaire et a vécu 17 ans en Europe. Après tant d’années d’exil, elle est accueillie par une foule de militants à son arrivée à l’aéroport El Dorado sous le chant traditionnel du mouvement politique : « Yo te daré, te daré patria hermosa, te daré una rosa, esa rosa se llama “UP” ! UP ! » (Moi je te donnerai, je te donnerai belle patrie, je te donnerai une rose, cette rose s’appelle UP ! UP !). « Nous venons convaincus que nous allons obtenir la paix dans ce pays, que les changement devront se faire, nous venons convaincus que la lutte de nos camarades, de nos amis, de nos militants, n’a pas été en vain, nous venons demander au Président de la République qu’il reconnaisse qu’ici un génocide politique a été commis contre l’Union Patriotique ! » (2) a-t-elle déclaré.
Outre l’ancienne militante, la nouvelle direction de l’UP se compose de plusieurs personnalités de la gauche colombienne parmi lesquelles Omer Calderon, président de l’organisation, Jaime Caycedo, secrétaire général du Parti Communiste Colombien, José Antequera Guzman, militant de gauche et fils de communiste assassiné, ou encore Jahel Quiroga, militante des Droits de l’Homme. Entre 3.000 et 5.000 personnes ont été victimes de la brutale répression à l’encontre du parti politique entre 1985 et 2002 (date de disparition de sa personnalité juridique). Militants de base, dirigeants, cadres régionaux, et même deux candidats à la présidence de la République ont été les cibles de la vague de terreur : Jaime Pardo Leal, abattu en 1987 dans sa voiture devant sa famille, et Bernardo Jaramillo, assassiné à l’aéroport de Bogota en 1990. Malgré les innombrables preuves et témoignages démontrant l’étroite participation des Forces Armées colombiennes dans les différents attentats et enlèvements de militants, seul le cas du sénateur Manuel Cepeda Vargas (élu sous l’étiquette de l’UP, assassiné en août 1994) a donné lieu à des excuses publiques du gouvernement de Juan Manuel Santos en 2011.
Pour l’heure, la situation reste délicate, voire floue. Le phoenix de l’Union Patriotique rappelle qu’il n’est pas le celui de 1985. La gauche politique est plus divisée qu’elle ne l’était à l’époque : aux côtés de l’UP on retrouve le mouvement politique Marche Patriotique qui, même si il ne s’est pas prononcé sur sa forme finale (mouvement ou parti politique classique), englobe des secteurs populaires, principalement la paysannerie, proche des revendications sociales de la gauche. Son apparition en 2012 avait déjà été l’objet de comparaison avec la feu Union Patriotique. Enfin, le Polo democrático, dont le Parti Communiste a été expulsé (pour son soutien à la Marche Patriotique) reste l’élément principal de la gauche social-démocrate. « Si le “Polo” veut se joindre à nous qu’il fasse les démarches, ce n’est pas à nous de le faire » témoigne Yessica, déléguée de l’Union Patriotique pour la région du Tolima. « Pour le moment, la moelle épinière de l’UP reste le Parti Communiste Colombien, mais notre ambition est de rassembler toute la gauche comme cela s’est dit durant le Congrès. Mais tout en gardant un positionnement de classe » (3).
Autre élément de taille à relever est l’absence des FARC-EP dans la formation politique ressuscitée alors qu’ils en avaient été les principaux artisans à l’époque. Ces dernières restent occupées par le dialogue entamé avec Bogota depuis maintenant un peu plus d’un an et qui se poursuit toujours à la Havane. Bien que celui-ci semble avancer de façon positive (les deux premiers points de l’agenda, sur les réformes agraires et la participation politique, ont, semble-t-il, débouché sur un accord) les débats s’annoncent encore longs et les ennemis du dialogue impatients de les rompre. Quant à leur hypothétique participation à la vie politique « elle ne se traduira pas par une insertion dans l’Union Patriotique comme l’a rappelé Omer Calderon, le président » (4). C’est la Marche Patriotique qui semble être le réceptacle défini pour accueillir une future reconversion de la guérilla en mouvement politique comme le souligne une militante communiste (5).
Face aux fantômes qui planent sur l’histoire du parti jaune et vert il est a noté la participation au V Congrès d’Andrés Villamizar, directeur national de l’Unité Nationale de Protection (UNP). Symbole du compromis étatique, celui-ci a témoigné de « l’engagement du gouvernement à donner à Aida Avella, ainsi qu’à tous les membres de l’UP, toutes les garanties pour que la campagne puisse se réaliser » (6). Pour les militants « il est évident que si on nous tue le premier militant, nous n’attendrons pas que meurt le second. Nous devrons avoir une réponse immédiate du mouvement social » (7)
Dans l’immédiat, ce qui est certain, c’est que l’Union Patriotique va porter son étendard aux élections législatives (mars 2014) et présidentielles (mai 2014) avec à sa tête Aida Avella. Une façon plus que magistrale de faire un pied de nez à ses adversaires qui pensaient l’avoir enterrée sous une montagne de cadavres. Quant au Pôle Démocratique une brèche semble s’être ouverte avec les déclaration de Clara Lopez sur la possibilité d’une candidature unique : « Maintenant, le dialogue avec Aida Avella et l’UP est une possibilité » (8).
Quant à l’UP, un long travail l’attend. « A mon avis, nous nous sommes précipités par rapport aux échéances de 2014. Car dans l’urgence c’est le Parti Communiste qui va quasiment tout porter à bout de bras. Il s’agit pour nous de recréer les Comités populaires et l’ancienne Union des Jeunes Patriotes. Nous devons recréer tout le tissu militant, nous implanter auprès des masses pour retrouver la force d’antan ». (9) Un grand défi à relever pour que, comme le dit Yezid Arteta, « l’Histoire rejoigne le présent ». (10)
Loïc Ramirez