Chronique de mots pervers : le "capital humain"

Le « capital humain » fut précédemment appelé « ressources humaines » et, il y a plus longtemps encore, « personnel ». Pourquoi cette évolution ? Sans prendre le risque de se tromper lourdement, il est permis d’avancer que la transformation du lexique est au cœur d’un vaste travail politique de marchandisation de la relation salariale.

La définition du dictionnaire

Le personnel est l’ensemble de personnes employées dans une catégorie d’activités. La gestion du personnel est entendue dans une perspective opérationnelle, il s’agit de l’administrer selon ses différents niveaux de qualification. Les ressources sont les moyens matériels (hommes, réserves d’énergie) dont dispose ou peut disposer une collectivité ou une entreprise. La gestion des ressources humaines est l’ensemble des pratiques mises en œuvre pour les administrer, les mobiliser et les développer au bénéfice de l’activité d’une organisation. Et, dans certaines organisations, elle est considérée comme coresponsables de la production et de la qualité. Le capital est une richesse destinée à produire un revenu ou de nouveaux biens, c’est aussi l’ensemble des choses qui servent à la satisfaction de besoins. Plus spécialement, en économie, le capital est un instrument de travail employé à la production.

La dérive néo-libérale

Le capital humain est un réservoir de ressources au service de l’entreprise. Ce capital désigne des aptitudes, physiques ou intellectuelles, d’une main d’œuvre pouvant être exploitée avec profit dans la production économique. Dans ce sens, le capital humain est un investissement qui a un coût mais qui augmente la productivité et est censé rapporter un revenu bien supérieur au coût. Dans la dérive économique actuelle, le capital humain est un facteur de production au même titre que le capital physique et, comme les coûts de production doivent être « maîtrisés », la rémunération de ce capital, le salaire, évolue en fonction de la fluctuation des marchés, c’est-à-dire à la baisse. La suppression d’emplois devient alors un mode de gestion, une variable d’ajustement, une source d’économies, un agent essentiel du profit. Tous les séminaires organisés pour amener les managers à optimaliser la gestion du capital humain ont pour but de rendre ce « capital » responsable des aléas de son parcours professionnel. On fait donc appel à son principe de responsabilité et d’exemplarité, à son désir de reconnaissance et d’appartenance, à son souci du dépassement des limites et à l’exigence de sa mobilisation totale. L’assujettissement du salarié sera complet sauf quand, sans doute insuffisamment formaté et au risque de ne plus pouvoir subvenir à ses besoins vitaux les plus élémentaires, celui-ci fera comprendre au capitaliste que le jeu ne l’amuse plus.

Donc, en réalité

L’employé est le plus parfait exemple du capital « circulant » : transformé ou détruit pendant le cycle de production. La gestion du capital humain confiée aux entreprises a pour but de diminuer progressivement ce capital qui est par trop aléatoire. Puisque l’employeur désire maximiser ses profits, il exigera beaucoup de son salarié et lui donnera peu en retour. L’individu aura la responsabilité du choix : soit être exploité au travail, soit être exclu du travail. Une situation très confortable pour l’employeur magnanime qui ne pourra qu’entériner la responsabilité du travailleur et, en fonction de la décision de celui-ci, faire rédiger par un de ses subordonnés une belle lettre de préavis. S’il n’est pas complètement dégoûté, l’individu s’inscrira alors à une « bourse de l’emploi » pour se remettre sur le « marché » du travail.

Elisabeth Beague

Source : Investig’Action

Lire aussi :Chronique de mots pervers : la "compétence" : http://www.michelcollon.info/Chronique-de-mots-pervers.html

 http://www.michelcollon.info/Chronique-de-mots-pervers-le.html

COMMENTAIRES  

07/08/2015 11:40 par Calame Julia

Ainsi que j’avais déjà eu l’occasion de le mentionner sur LGS, et comme corollaire au billet de Théophraste R.
de ce jour, la double peine a été dès 1973 lorsqu’il a fallu déposer ses salaires dans les banques.
A partir de cette date l’ouvrier, l’employé ainsi que le cadre divers et varié (y compris le manadgeur (!)) cédaient
au capital les moyens de prendre le contrôle sur sa vie... puisqu’il ne pouvait disposer du fruit de son travail
qu’après l’avoir cédé à un intermédiaire !
(A ce moment là, il y avait ceux qui écoutaient les anciens et ceux qui les traitaient de rétrogrades parce que,
pour certains, ils s’exprimaient en patois !).

07/08/2015 14:23 par Arthurin

Je remets ça là à toutes fins utiles :

« quand nous parlons de « capital », sans autre précision, nous excluons toujours ce que les économistes appellent souvent - et à notre sens assez improprement - le « capital humain », c’est-à-dire la force de travail, les qualifications, la formation, les capacités individuelles. » (Piketty, Le Capital au XXI siècle)

Pour reprendre la formulation en vigueur dans les entreprises Capital des ressources humaines serait plus adapté, il s’agit évidemment des ressources qui intéressent le « capital », la dénomination exacte doit être quelque chose comme : Capital des ressources humaines du capitalisme financier.

Capitalisme financier est en effet la formulation la plus correcte pour définir ce « capital », voici la définition que donne le Larousse de la finance : « Ensemble des professions qui ont pour objet la monnaie, l’argent et ses moyens représentatifs, notamment les valeurs mobilières », le Capitalisme financier a donc pour objet la monnaie, l’argent et ses moyens représentatifs, notamment les valeurs mobilières.

D’évidence nous avons affaire à plusieurs forme de capitalisme, la définition générique que j’en donnerai est : système visant à l’accroissement de valeur de ressources données.

Dans le cas du Capitalisme financier il s’agit de l’accroissement de valeur en argent et de valeurs mobilières, soit de fait l’accumulation de ces ressources (ce que je dis n’entre donc pas en contradiction avec le marxisme et sa théorie de la valeur mais en hérite, seulement l’objet de Marx est le Capitalisme financier, pas le capitalisme dans son ensemble) (notez que le Capitalisme financier que nous observons est soumis à une organisation néo-libérale).

Dans le cas du Capitalisme des ressources humaines du capitalisme financier, les ressources sont la force de travail, les qualifications, la formation, les capacités individuelles nécessaires à l’accroissement d’argent et de valeurs mobilières ; toutes autres qualités humaines n’étant pas pertinentes ici (alors certes l’humain n’est pas une marchandise mais tout de même une ressource comme une autre, la réification est moindre mais bien réelle).

Il existe un Capital humain humaniste qui vise à l’accroissement des qualités essentielles de l’être humain ; sans autres précisions c’est ce capitalisme là qui se cache derrière « capital humain » et paraît donc effectivement impropre pour la discipline strictement économique (surtout dans le cadre du Capitalisme financier néo-libéral).

(oui, la formulation complète et définitive est : Capitalisme des ressources humaines du capitalisme financier néo-libéral, pour ce qui nous concerne) (soit en clair : Système d’accroissement de valeur des ressources humaines nécessaires au système d’accroissement de valeur des ressources financières dont l’organisation est soumise à une idéologie visant à la domination).

« Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde. » (Camus, Sur une philosophie de l’expression)

07/08/2015 14:40 par Aris-Caen

Il est aussi intéressant de noter que les animaux de la ferme, enfin le bétail en tout genre de l’agriculture est aujourd’hui dénommé "minerai" dans les exploitations agricoles..
Les plantes par l’intermédiaire de l’agro-éco-capitalisme sont devenue de la "bio-masse".
Comment vont-ils bientôt appeler les enfants ?

Dico Larousse :
cheptel, nom masculin, ancien français chetel, altération de chatel, du latin capitalis, principal, de caput, tête)

"LQR : la propagande du quotidien" ; Éric Hazan
http://www.dailymotion.com/video/x11a7r4_novlangue-lqr-la-propagande-du-quotidien_webcam
Entretien à "Là-bas si j’y suis" à partir de la 5ème minute

Franck Lepage : conférence gesticulée
https://www.youtube.com/watch?v=oNJo-E4MEk8

08/08/2015 11:56 par triaire

A Julia Calame : comme vous le dites justement , quand nous avons accepté de déposer les miettes de notre labeur chez les banquiers voyous, nous avons perdu la partie .Et pourtant, " la gauche dite radicale " en parle peu, encore moins que de la zone euro !

09/08/2015 11:34 par olivier imbert

la critique de la mythologie des ressources humaines est nécessaire et juste mais ,il me semble qu’il faut compléter par un topos sur capital variable dont la somme est égale au salaire et qui dans le produit du travail vivant est la partie qui n’est pas de la plus value ni du profit. L’activité animale même est du capital constant ce qui est variable et producteur de richesse, amortissement et plus value brut dans l’année, dans la reproduction élargie donc c’est bien le capital humain que représente la force de "travail abstrait".

13/08/2015 01:37 par BRUNO

Il fut un temps noir ou l’on faisait du savon avec des humains et des coussins avec les cheveux des millions de cadavres, les millions de personnes Juives assassinées dans les chambres à gaz. Il ne faut pas l’oublier.

Personnellement je ne l’oublie pas. Je me souviens.

Comment ne pas nous étonner alors dans ces conditions devant la dérive contemporaine de la langue. Et de tous ses louvoiements hypocrites pour ne pas trop apparaitre comme l’essence d’un nouveau totalitarisme en acte ?

Voyez-vous ça... un jour à la radio sur France Inter, une députée PS, cardiologue de son état, et littéralement dithyrambique à la radio. Elle reprenait en boucle avec une joie non dissimulée un terme que je qualifie personnellement et sans aucune hésitation de fasciste :

" LA SILVER ECONOMIE "

La dame promouvait à une heure de grande écoute la "Silver Economie " - Elle n’en pouvait plus la dame, elle en bavait sur les ondes de son " Economie des Cheveux Argentés " - Et voilà comment soudainement, nos aïeux deviennent sous l’effet d’une propagande idéologique infâme, de simples produits de vente courante avec des marchés spécifiques et ultra spécialisés. Une véritable matière première. Un nouveau filon économique. Papi & Mamie devenus de simples " biens meubles " comme autrefois les esclaves ou il y a encore peu, les animaux.

Bref des "sous-hommes".

Mais " démocratie-libérale-oblige ", des sous-hommes et des sous-femmes que l’on se propose de " Soigner " et " d’aider " et dont on va soutirer surtout, un maximum d’’argent. Une autre acception du terme "SILVER " sans aucun doute.

Quand les cheveux argentés se confondent avec la "Main invisible du marché", il est vrai que la mort n’est plus très loin et que la main dangereusement s’agite. Humainement bien dépréciée, la matière première dite " SILVER " n’ a cas bien se tenir.

Madame Michèle Delaunay (PS), pardonnez-moi, mais je ne vous salue pas.

Votre parti est définitivement perdu pour lui -même et ... pour nous. Mais en ce qui nous concerne, nous nous y ferons sans plus de regrets aucun, étant donné que vous êtes passé, tout corpus confondu de l’autre côte de la frontière et du manche. Votre langage de mort n’y changera désormais plus rien. Il n’est que la confirmation de l’Etant comme dirait l’autre.

" Silver économie " - Beurk ! Honte à vous, Madame !

Pour poursuivre la réflexion :

LTI : https://fr.wikipedia.org/wiki/Lingua_Tertii_Imperii

https://fr.wikipedia.org/wiki/Victor_Klemperer

15/08/2015 01:45 par alain harrison

Bonjour. Calame Julia__

« « 1973 lorsqu’il a fallu déposer ses salaires dans les banques. » »__
En plus Pompidou a "libéralisé" les banques, belle coïncidence.__

Les travailleurs-citoyens n’ont aucun contrôle de leur argent, et se font voler en plus les profits que font les banques privées avec l’argent qui ne lui appartient pas, celui des citoyens-travailleurs.__

Mais c’est l’état de droit qui permet cela.__

Albert Einstein nous donne un avertissement que nous devons prendre au sérieux:__
Un problème sans solution est un problème mal posé.__
Il y a dans votre intervention un élément de diagnostique qui mérite toute notre attention.__
Comme il est dit en physique la simplicité démontre la beauté et la puissance d’une théorie , du moins de la formule___
Et que de puissance réside dans cette formule en physique:__ E=Mc2.__
Votre petite intervention me fait penser au battement de l’aile de papillon qui ammène la tempête ailleurs.__

Merci pour vote contribution , anodine en apparence.

15/08/2015 11:41 par Autrement

Et que dire (à propos du rappel par Calame Julia de la loi de 1973) de la baisse des intérêts du livret A, refuge de l’épargne modeste, à 0,75% depuis le 1er août 2015 ? Ne faudrait-il pas appeler cela du racket légal ? ce qui aussitôt remet en question le mot de "légalité", puis celui d’’"institution" qui consacre la "légalité" de ce racket, puis celui d’ "Etat", qui apparaît dès lors pour ce qu’il est : l’auguste désignation d’un rapport de force organisé au service des possédants ? Décidément oui, la langue est un enjeu de première importance dans le processus de domination ou au contraire d’émancipation...Et donc aussi l’enseignement de la langue, de la lecture, et des textes auxquels on a recours pour l’enseigner.
Le site de Sauver les Lettres, qui défend l’enseignement de la littérature, avait par exemple cité un Livre de lecture destiné au collège, dans lequel l’une des lectures benoîtement recommandées comme particulièrement utiles pour former de futurs citoyens, consistait dans le Mode d’emploi d’une machine à laver ! Le temps de cerveau disponible des enfants pour le français et autres disciplines fondamentales est ainsi l’enjeu d’infâmes petits calculs "pragmatiques" et "numériques", dans la réforme du collège actuellement promue par une autre madame SILVER, opérant cette fois-ci dans la tranche d’âge opposée (sur ce point, voir BRUNO)...

15/08/2015 20:48 par Calame Julia

Pour compléter sur ce sujet et rebondir sur les commentaires, nous avons constaté qu’en dix années de temps
(enfants ayant grandi) nous sommes passés, en primaire, à la forme grammaticale interrogative de :
"qui est-ce qui fait" à "c’est qui"- pour trouver le sujet du verbe - et/ou "ce sont qui" soit "ce sont kiki" (cad ce
sont qui ? qui font ? par exemple).
Mais enrichi le vocabulaire s’agissant de mots de sens contraire qui sont devenus "antonymes" (qui vient du
grec ancien anti (contre) et onoma (nom)
parce que -sens contraire- faisait popu. Ledit grec ancien qui ne mérite
pas d’être enseigné pour laisser le choix des vocables, en relevant, aux concepteurs des programmes.
Ce qui d’une certaine manière concerne directement le sujet : vous comprendrez ce que l’on vous dit de comprendre
et comme on vous le dira...
Nous avons aussi découvert le temps "futur proche" ex : je vais parler ou mieux "je vaits ê tre" . Autrement
écrit : je n’étais pas avant de connaître le futur proche !
Le futur simple existe toujours : ouf !

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