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Begin et Sharon, Prix Nobel de la mort

(juin 1982) - S’il existait un Prix Nobel de la Mort, le lauréat incontesté serait Menahem Begin, et son assassin professionnel, le général Ariel Sharon. En effet, avec le recul nous pouvons affirmer aujourd’hui que les Accords de Camp David n’ont eu d’autre finalité que de lui servir de couverture, pour exterminer l’Organisation pour la Libération de la Palestine d’abord, pour établir ensuite de nouvelles colonies israéliennes en Samarie et en Judée.

Pour ceux dont l’âge leur permet de se souvenir des préceptes nazis, les aspirations de Begin ne manquent pas de susciter d’effroyables réminiscences. Elles rappellent la théorie de l’espace vital, avec laquelle Hitler proposa d’étendre son empire à la moitié de la planète, et ce que lui-même appela la solution finale au problème juif, qui conduisit plus de six millions d’êtres humains innocents aux camps d’extermination.

Que Menahem Begin soit prix Nobel de la Paix est difficile à croire. Mais il l’est bel et bien, depuis 1978, année où le prix fut conjointement décerné à Anwar Sadat, président Égyptien de l’époque, pour avoir signé l’Accord de Paix de Camp David. Cette détermination spectaculaire avait coûté à Sadat le rejet immédiat de la communauté arabe, et plus tard lui coûta la vie. Begin, en revanche, a pu exécuter méthodiquement un projet stratégique encore inachevé, mais qui a causé il y a quelques jours le massacre barbare de plus d’un millier [1] de Palestiniens réfugiés dans un camp de Beyrouth.

S’il existait un Prix Nobel de la Mort, le lauréat incontesté cette année [2] serait ce même Menahem Begin, et son assassin professionnel, le général Ariel Sharon. En effet, avec le recul nous pouvons affirmer aujourd’hui que les Accords de Camp David n’ont eu d’autre finalité que de lui servir de couverture, pour exterminer l’Organisation pour la Libération de la Palestine (OLP) d’abord, pour établir ensuite de nouvelles colonies israéliennes en Samarie et en Judée. Pour ceux dont l’âge leur permet de se souvenir des préceptes nazis, les aspirations de Begin ne manquent pas de susciter d’effroyables réminiscences. Elles rappellent la théorie de l’espace vital, avec laquelle Hitler proposa d’étendre son empire à la moitié de la planète, et ce que lui-même appela la solution finale au problème juif, qui conduisit plus de six millions d’êtres humains innocents aux camps d’extermination.

L’extension de l’espace vital de l’État d’Israël et la solution finale du problème palestinien, telles que les conçoit à ce jour le Prix Nobel de la Paix de 1978, ont débuté dans la nuit du 5 juin dernier [3], avec l’invasion du Liban par les forces militaires israéliennes spécialisées dans la science de la démolition et de l’extermination. Menahem Begin a tenté de justifier cette expédition sanglante par deux arguments fallacieux. Le premier fut la tentative d’assassinat de l’Ambassadeur d’Israël à Londres, Shlomo Argov, à la fin mai. Le second fut le supposé bombardement de la Galilée par l’OLP réfugiée au Liban. Begin accusa la résistance palestinienne de l’attentat de Londres et la menaça de représailles immédiates. Mais Scotland Yard révéla plus tard que les véritables auteurs étaient membres de l’organisation dissidente Abou Nidal, qui dans les mois précédents avait notamment assassiné plusieurs dirigeants de l’OLP.

Quant au second argument, il s’avéra très tôt que les Palestiniens avaient seulement tiré deux ou trois fois contre la Galilée, causant un mort. Ces tirs furent effectués suite aux bombardements israéliens de camps de réfugiés palestiniens, qui avaient causé plusieurs centaines de victimes civiles.En réalité, la guerre sans pitié déclenchée par Begin sur la base de ces deux prétextes n’avait rien de nouveau pour les lecteurs du séminaire israélien Haclam Haze, qui l’avait annoncée dans tous ses détails dès septembre 1981, c’est-à-dire neuf mois plus tôt. Contrairement au refrain selon lequel une guerre annoncée ne tue personne, les troupes israéliennes – qui sont considérées parmi les plus efficaces et les mieux armées du monde – ont tué dans les premières semaines près de 30 000 civils palestiniens et libanais et ont transformé la moitié d’une ville en décombres. Leurs pertes dans la même période n’avaient pas dépassé 300 soldats.

Désormais la stratégie de Begin est très claire. En détruisant l’OLP, il a tenté d’éliminer l’unique interlocuteur palestinien qui paraissait capable de négocier une paix fondée sur l’établissement d’un État palestinien indépendant en Cisjordanie et à Gaza, qu’il a lui-même proclamés comme les territoires ancestraux du peuple juif. Cet accord était à portée de main depuis le 4 juillet dernier, lorsque Yasser Arafat, président de l’OLP, a accepté le principe d’une reconnaissance réciproque des peuples d’Israël et de Palestine, dans un entretien publié par Le Monde, de Paris, à cette date. Mais Begin a ignoré cette déclaration, qui entravait ses projets expansionnistes d’ores et déjà en plein développement, et a poursuivi sur sa lancée par l’établissement d’une ceinture de sécurité autour d’Israël. Un changement de gouvernement en Syrie pourrait être le prochain pas, avec l’extension consécutive d’une guerre inégale et sans merci, dont les conséquences finales sont imprévisibles.

J’étais à Paris en juin dernier, lorsque les troupes israéliennes ont envahi le Liban. Par hasard, j’y étais également l’année dernière, quand le général Jaruzelski a instauré le pouvoir militaire en Pologne contre la volonté évidente de la majorité du peuple polonais. Et, encore une fois par hasard, je me trouvais là-bas lorsque les troupes argentines ont débarqué sur les Îles Malouines. Les réactions des médias face à ces trois événements, tout comme celles des intellectuels et de l’opinion publique en général, ont été pour moi une leçon inquiétante. La crise en Pologne a produit en Europe une sorte d’émoi social. J’ai eu l’occasion d’ajouter ma signature à celle des intellectuels et artistes de renom qui prirent part à un hommage à l’héroïsme du peuple polonais, organisé l’Opéra de Paris et parrainé par le Ministère de la Culture français. Toutefois, quelques anticommunistes professionnels affirmèrent publiquement que ma protestation n’était pas aussi historique que la leur. Dans ce climat passionnel, toute attitude non manichéenne était considérée comme ambiguë.

En revanche, lorsque les troupes d’Israël ont envahi et ensanglanté le Liban, le silence fut quasi unanime même parmi les Jérémie les plus exaltés de la Pologne, bien que ni le nombre de morts ni l’ampleur des dégâts ne justifie la comparaison entre les tragédies des deux pays. En outre, à ces mêmes dates les Argentins avaient récupéré les Îles Malouines, le Conseil de Sécurité des Nations Unies n’attendit pas 48 heures pour ordonner le retrait des troupes, et la Communauté Économique Européenne ne tarda pas à imposer des sanctions commerciales à l’Argentine. En revanche, ni cet organisme ni aucun autre de son envergure n’ordonna le retrait des troupes israéliennes du Liban à cette occasion.

Le gouvernement du président Reagan, bien sûr, fut le complice le plus zélé de la bande sioniste. Finalement, la prudence quasi inconcevable de l’Union Soviétique et la fragmentation fraternelle du Monde Arabe achevèrent de réunir les conditions propices au messianisme dément de Begin et à la barbarie guerrière du général Sharon. J’ai de nombreux amis dont les voix pourrait s’entendre sur la moitié de la planète, qui auraient voulu et continuent sans aucun doute de vouloir exprimer leur indignation face à ce bain de sang, mais certains d’entre eux confessent à voix basse qu’ils n’osent le faire de peur d’être accusés d’antisémitisme. Je ne sais pas s’ils sont conscients qu’ils cèdent – au prix de leur âme – à un chantage inadmissible.

La vérité est que personne n’a jamais été aussi seul que le peuple juif et le peuple palestinien au milieu de tant d’horreurs. Depuis le début de l’invasion du Liban, à Tel Aviv et dans d’autres villes, des manifestations populaires se sont organisées en protestation, et elles continuent de rassembler jusqu’à aujourd’hui. Elles avaient, le 4 juillet, atteint une ampleur émouvante. Ils étaient plus de 100 000 israéliens solitaires à proclamer dans les rues que cette guerre sale n’était pas la leur car elle n’était en rien celle de leur Dieu, qui durant tant de siècles s’était complu de la coexistence de Palestiniens et de Juifs sous les mêmes cieux. Dans un pays de 3 millions d’habitants, une manifestation de 100 000 personnes équivaudrait proportionnellement à près de 2 millions de personnes à Paris, et 8 millions à Washington.

C’est à cette protestation de l’intérieur que je m’identifie chaque fois que me parviennent les nouvelles des bestialités des Begin et des Sharon, au Liban et n’importe où dans le monde, et c’est à elle que je veux prêter ma voix d’écrivain solitaire, de par la grande affection, et l’immense admiration que je ressens pour un peuple que je n’ai pas découvert dans les journaux d’aujourd’hui, mais à travers la lecture émerveillée de la Bible.

Je ne crains pas le chantage de l’antisémitisme. Je n’ai jamais craint le chantage de l’anticommunisme professionnel. Qu’ils se trouvent associés ou qu’ils se présentent séparément, ils font toujours de semblables ravages dans ce triste monde.

Gabriel García Márquez

[1] Les estimations actuelles concernant le nombre de Palestiniens morts lors du massacre de Sabra et Chatila oscillent entre 700 (Bayan Nuwayhid al-Hout, Sabra And Shatila - Septembre 1982, Pluto Press, 2004) et 5000 (Pierre Péan, Sabra et Chatila, Retour sur un massacre, Le Monde Diplomatique, septembre 2002).

[2 et 3] Il s’agit du 5 juin 1982, année de rédaction de l’article.

Traduit du castillan par Robin Waldman et Laura Cottard

Source : Expreso de Guayaquil, 3 octobre 1982

»» http://www.michelcollon.info/Begin-et-Sharon-Prix-Nobel-de-la.html++cs_INTERRO++lang=fr
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