RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

À la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, les garde-frontières s’entrainent pour la guerre (NACLA)

En tenue de camouflage "désert" et portant des casques de combat, les agents du Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis (US Customs and Border Protection - CBP) s’abritent, un genou à terre, derrière un pickup blanc.

Un des agents braque son pistolet en direction d’un ennemi invisible. Un autre tient un fusil d’assaut semi-automatique. Au loin, s’étendent le désert brun, les montagnes et le vaste ciel.

A première vue, les agents sont aux aguets et prêts comme s’ils étaient dans une zone de combat au Moyen-Orient. A la base de lancement de missiles de White Sands au Nouveau-Mexique, et, sachant la persistance depuis ces trente dernières années à militariser la frontière entre les U.S. et le Mexique, peut-être n’est-ce pas si loin que cela.

Cette force d’intervention spéciale du CPB – qui, à l’entraînement, crache des "torrents de feu" - fait partie de la plus grande agence fédérale de maintien de l’ordre des Etats-Unis.

Avec plus de 60.000 agents, le CBP, branche du département de la Sécurité intérieure des États-Unis (United States Department of Homeland Security) est devenu une armée intérieure redoutable.

Le gouvernement US qualifie souvent les agents du CBP — notamment les "hommes en vert" de la police des frontières – de combattants professionnels qui, comme l’a dit l’ancien chef du CBP, David Aguilar, "protègent notre mode de vie".

Ces agents sont en première ligne pour repousser les ennemis de toutes les couleurs, aux visages et aux idéologies multiples, censés chercher à tout prix à franchir les frontières des Etats-Unis avec de noirs desseins.

Cependant, un article du Los Angeles Times , qui commente un rapport indépendant réalisé par des spécialistes du maintien de l’ordre sur le recours aux armes létales des gardes-frontières US montre une réalité complètement différente.

Ce rapport affirme que des gardes-frontières se sont plantés devant des véhicules en marche pour justifier du fait qu’ils avaient été obligés de tirer. Il indique, également, que des agents, par frustration, ont tiré sur des gens qui jetaient des pierres.
Et en effet, pour l’exercice de 2012 seulement, l’année où le CBP a acheté 36 millions, quatre-cent-soixante-quinze mille cartouches, les agents ont ouvert le feu 22 fois contre des lanceurs de pierres.

Brian Bennett, le journaliste du LA Times, écrit que le CBP, qui avait commandé ce rapport, a tenté d’empêcher la publication de ce compte-rendu très critique de 21 pages, paru en février 2013.

Et, comme pour corroborer les conclusions de ce rapport, cet article suivait de près un autre incident , où un garde-frontière avait tiré sur et tué un homme de 41 ans, Jesus Flores-Cruz près de San Diego le 19 février.

Cette fois encore, ce sont les jets de pierres qui justifiaient cette action. Le bureau du chef de la police du comté de San Diego allait jusqu’à prétendre que ce ressortissant mexicain avait lancé aux agents un roc de la taille d’un ballon de basket.

Ce rapport, qui a enquêté sur 67 affaires qui ont entraîné la mort de 19 personnes, recommandait que la Police des Frontières interdise à ses agents de tirer sur des gens qui lancent des objets qui ne peuvent pas provoquer de blessures graves et de ne tirer sur des véhicules que si "leurs occupants cherchent à les tuer".

Bennett cite le rapport mot pour mot : "« Il faut comprendre qu’une balle de 200-grain a peu de chances d’arrêter un véhicule de 2 tonnes qui avance, et que si le conducteur ... est touché par une balle, le véhicule deviendra un danger totalement incontrôlable. Il est évident que tirer sur un véhicule qui avance peut représenter un risque pour des tierces personnes, y compris d’autres agents »".

Au départ, le Service de Protection des Frontières avait réagi en publiant un document qui expliquait que si des trafiquants de drogue savaient que les gardes-frontières ne pouvaient pas tirer sur les véhicules, ils pourraient être davantage enclins à foncer sur un agent.

Et si les agents ne pouvaient pas tirer sur les lanceurs de pierres, cela créerait un "milieu encore plus hostile", dans la mesure où les gardes-frontières opèrent souvent dans des endroits isolés.

En d’autres termes, la police des frontières explique qu’il lui faut traiter les régions frontalières comme des pseudo-zones de guerre, où prolifèrent les ennemis potentiels.

Et pourquoi penseraient-ils autrement ?

C’est un endroit au-dessus duquel tournent, comme en Afghanistan, les drones Predator B - certains étant équipés de radars destinés à la "chasse à l’homme", et où des véhicules blindés ultramodernes comme les Strykers circulent à des vitesses allant jusqu’à 90 km à l’heure.
Les bases opérationnelles avancées, naguère réservées aux guerres des US à l’étranger, sont maintenant là et "prennent possession du terrain, le conservent" et s’étendent jusqu’à des sites isolés au Texas, au Nouveau Mexique et en Arizona.

Le département de la Sécurité intérieure des États-Unis vient de signer un contrat de plus d’un million de dollars avec la compagnie israélienne Elbit Systems – qui se prévaut de "plus de dix ans d’expérience dans la sécurisation des frontières les plus problématiques du monde" ou de la "pacification israélienne de la résistance palestinienne", comme le dit le journaliste Jimmy Johnson, pour construire des tours de surveillance en Arizona.

Le 7 mars dernier, toutefois, quand le gouvernement fédéral a rendu publique la politique d’utilisation de la force par l’agence de protection des frontières, parallèlement à une directive du directeur de la police des frontières, Mike Fisher, on aurait pu penser qu’il y avait du changement dans l’air.

Fisher écrivait que "le degré de force employée doit correspondre à l’ensemble des circonstances relatives à chaque situation". Il invitait les agents à trouver des alternatives à l’usage de la force létale, sauf si leur vie était en danger ou s’ils risquaient d’être blessés sérieusement.

Même si cette note a été largement décrite comme étant un changement significatif, selon à la fois l’ACLU et le Syndicat de la police des frontières, c’était beaucoup de bruit pour rien. Les deux organisations ont déclaré qu’il s’agissait grosso modo de la même politique que précédemment.

Et, alors que les hauts responsables de la Sécurité Intérieure se précipitaient pour gommer ce cauchemar sur le plan des relations publiques avec ces changements cosmétiques, la militarisation de la frontière physique se poursuivait sans faiblir.
Un article daté du 3 mars intitulé "l’armée de l’Arizona et les services US de surveillance des frontières joignent leurs efforts pour sécuriser les endroits à risques" donne une fois de plus cette image de champ de bataille à la frontière.

L’article commence par :

« Alors que les contingents et les déploiements des forces armées US à l’étranger diminuent, les soldats citoyens de l’Arizona se tournent vers des missions à l’intérieur du pays pour acquérir de l’expérience dans le monde réel et conserver l’état de préparation opérationnelle », ce qui montre le flou de plus en plus grand qui existe entre "la sécurité des frontières" et la guerre. A la guerre, on apprend aux soldats qu’il faut éliminer l’ennemi.

En en 1999 que le sociologue Timothy Dunn écrivait que la frontière servait de "terrain d’expérimentation de l’époque actuelle" à la militarisation du maintien de l’ordre. Il affirmait que cette militarisation avait lieu à une échelle bien plus importante aux frontières que partout ailleurs aux US.

Bien avant la recrudescence importante, si ce n’est épidémique, de l’emploi des armes à feu par les gardes–frontières, comme on le voit aujourd’hui, Dunn tirait la sonnette d’alarme : « cette évolution justifie qu’on s’intéresse de près à la militarisation du maintien de l’ordre aux frontières et au respect des droits humains ».

Mais un masque sympathique dissimule cette nouvelle zone de guerre de l’après-11 sept..

Fin janvier, ont été publiées plusieursphotographies d’enfants apprenant à tirer avec des pistolets à balles de peinture avec des gardes-frontières près du mur de séparation US-Mexique à San Diego.

Sur une des photos, on voit un agent accroupi, le bras entourant une petite fille en rose qui regarde un mannequin vêtu d’un t-shirt large et de jeans placé devant le mur.

On ne peut pas savoir exactement ce que l’agent expliquait à la petite fille en tenant le pistolet à la main, mais certains articles de presse ont présumé que/ le CBP apprenait aux enfants à "attaquer des migrants".

Peut-être était-ce seulement destiné, comme persiste à le dire le CBP, à "établir des relations [avec la population] et lui permettre de mieux connaître le travail des représentants de la loi", et pour apprendre aux enfants "les règles de sécurité sur le maniement des armes".

Toutefois, si on se fie à ce rapport très critique et les prédictions de Dunn, une telle violence d’état de la part de cette branche du Département de Sécurité Intérieure est le résultat logique de la réalisation d’une zone militarisée qui ne cesse de dire que les ennemis sont partout.

Les armes à feu des zones frontalières de plus en plus militarisées sont effectivement souvent pointées sur des gens habillés comme le mannequin devant le mur, en dépit de ce qu’affirme le baratin officiel.

Todd Miller

Todd Miller fait des recherches et écrit sur la question de la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique depuis plus de dix ans. Il a travaillé des deux côtés de la frontière pour BorderLinks à Tucson, Arizona, et pour Witness for Peace à Oaxaca, Mexique. Actuellement, il écrit des articles sur les questions concernant la frontière et l’immigration, entre autres, pour le magazine NACLA Report on the Americas et sur son blog "Border Wars"

traduction de R.R. pour le Grand Soir

Articles complémentaires (en anglais)

Un adolescent de 16 ans, accusé par les gardes-frontières d’avoir lancé des pierres, abattu de 11 balles dans le dos

Ici, divers reportages concernant le comportement des gardes-frontières

Outre les gardes-frontières, des milices privées se sont créées pour traquer les Mexicains qui tentent de franchir la frontière sous prétexte de lutter contre les trafiquants de drogue.

Et, enfin, l’ascension et la chute du syndicat des agriculteurs, l’United Farm Workers (UFW) et le mythique Cesar Chavez http://dissidentvoice.org/2014/01/the-boycott-legend-sacrifices-the-movement/

»» http://nacla.org/blog/2014/3/12/border-patrol-agents-train-war-us-mexico-border
URL de cet article 24831
   
Même Thème
Une histoire populaire des États-Unis - De 1492 à nos jours
Howard ZINN
Cette histoire des États-Unis présente le point de vue de ceux dont les manuels d’histoire parlent habituellement peu. L’auteur confronte avec minutie la version officielle et héroïque (de Christophe Colomb à George Walker Bush) aux témoignages des acteurs les plus modestes. Les Indiens, les esclaves en fuite, les soldats déserteurs, les jeunes ouvrières du textile, les syndicalistes, les GI du Vietnam, les activistes des années 1980-1990, tous, jusqu’aux victimes contemporaines de la (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

Si vous avez déjà accordé de l’importance à ce qui se diffuse pendant un journal télévisé, si vous vous êtes déjà intéressé à ça pendant, disons, plus de 30 secondes, c’est que vous êtes soit un de ces étudiants en comm’ qui y croit encore, soit un de ces journalistes qui voudrait nous y faire croire encore, soit vous étiez malade et alité devant la télé. Sinon, vous avez un sérieux problème de perception.

Viktor Dedaj

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.