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Venezuela : Chávez, les putschistes, la télé et le peuple.








Caracas, jeudi 17 mai 2007.


Qui doit décider des choix politiques, économiques, sociaux, culturels dans un pays démocratique ? Un richissime patron de chaîne de télévision, intronisé par ses dollars, ou le président élu par le peuple ? Au Venezuela, la réponse sera bientôt donnée à l’issue d’un bras de fer entre les médias privés et le gouvernement de la nation.


La chaîne vénézuélienne RCTV (Radio Caracas TV) qui appartient au groupe 1BC bénéficiait pour une durée de 20 ans, d’une licence de diffusion par voie hertzienne, venue à expiration le 27 mai 2007. Le gouvernement bolivarien a décidé de ne pas la renouveler, tout en laissant la chaîne libre de diffuser ses programmes par d’autres canaux (câble, satellite).

Cette décision a provoqué une virulente offensive anti-chaviste, relayée en Europe par Reporters sans frontières qui a alerté par courrier l’Union européenne (en invoquant au passage un imaginaire vice de procédure). Robert Ménard, patron à vie de RSF, s’est affiché à Srasbourg aux cotés de Marcel Granier, Directeur de RCTV, venu en appeler à l’aide du parlement européen. La vigilance de RSF dans cette affaire est révélatrice de sa maîtrise de la tyrolienne : elle hurle quand les pays pauvres essaient de contrer la puissance médiatique des oligarchies, elle murmure quand leur presse est malmenée par les tenants d’un néolibéralisme unipolaire. Pour preuve, cette association s’accommode de la fermeture ou de la mise sous tutelle de médias, soit pour cause de concentration de capitaux (les exemples abondent), soit par suite d’occupation de pays par des armées ennemies (Afghanistan, Irak) [1], soit par mesure préventive [2].


Pour bien comprendre ce qui se joue au Venezuela, il est utile de regarder préalablement ce que peut avoir d’ahurissant le comportement de RCTV et de situer la décision gouvernementale dans son contexte.

Dans un paysage télévisuel ou les chaînes patronales occupent presque tout l’espace, il s’agissait de dégager une fréquence pour une nouveau type de chaîne, éducative et culturelle.

Le gouvernement vénezuélien a fait valoir que ce non renouvellement n’est pas une mesure extravagante, ni une interdiction de la chaîne. En effet, si des licences sont accordées pour des temps determinés, sujettes à procédures de reconduction négociées, c’est bien parce qu’elles ne sont pas éternelles (ce qui serait un privilège exorbitant pour le média bénéficiaire). De surcroît, redisons que RCTV pourra, via le câble et le satellite, continuer à émettre l’integralité de ses programmes.

Faisons le constat que, malgré le comportement (inimaginable en France) de la plupart des chaînes de télévision, Chávez n’a jamais pris la moindre mesure de censure, suspension, fermeture. Pour trouver des exemples ou RCTV a connu quelques déboires, il faut remonter à une époque antérieure :

1976 : RCTV suspendue pour trois jours pour diffusion de fausses nouvelles.
- 1980 : RCTV suspendue pour trente quatre heures pour recours au sensationnalisme, noircissement des réalités, relation de faits peu étayés..
- 1981 : RCTV suspendue pour vingt quatre heures pour diffusion d’une émission à caractère pornographique..
- 1984 : RCTV admonestée pour avoir ridiculisé sous une « forme humiliante » le président d’alors.

Bien entendu, aucune de ces mesures n’avait exagérement émue la profession à travers le monde. Nous n’en ferons pas grief ici à RSF, qui n’existait pas encore. Mais il est pertinent de remarquer que, pour moins que cela, cette ONG épingle depuis des années le gouvernement du Venezuela sans se préoccuper, par comparaison ou pour mesurer la tendance, de ce que fut la liberté de la presse sous les gouvernements précédents. Et sans s’apesantir à loisir sur ce qu’elle fut durant le coup d’Etat de 2002.


Pour l’opposition vénézuélienne, pour les médias qui la soutiennent sans nuance (voire qui la remplacent), pour le patronat local, pour RSF, la cause unique de ce changement d’attribution de la fréquence jusqu’alors dévolue à RCTV et l’obligation qui lui est faite désormais de diffuser ses programmes par un autre biais, est politique. Exclusivement politique.

Si tel était le cas, la mesure semblerait tardive et trop clémente à un observateur français se référant aux lois de son pays et de la plupart des grands pays dits démocratiques. Un peu partout sur la planète, pour un comportement analogue à celui de RCTV durant le coup d’Etat, la sanction aurait plutôt été une fermeture immédiate et définitive, une saisie des biens, un jugement des dirigeants et/ou proprietaires des médias.

En vérité, si les autorités voulaient « punir » un adversaire politique déguisé en média d’information et de divertissements, le choix etait vaste parmi les médias de grande audience ayant joué un rôle actif dans le putsch.

78 % des stations de télévisions en VHF appartiennent a des groupes privés (22 % au secteur public), ainsi que 82 % de celles qui utilisent la bande UHF (7% pour le secteur public et 11% pour les services communautaires). Deux mastodontes privés dominent les autres : Venevision et RCTV. Les deux s’accaparent 85% des ressources publicitaires de la presse et contrôlent 80% de la production et de l’élaboration des informations relatives au Venezuela.

Alors, pourquoi RCTV ? Tout bonnement parce que, on l’a dit, c’est la licence de cette chaîne qui arrivait à expiration et que le gouvernement avait besoin de libérer une fréquence pour initier des programmes éducatifs et culturels dans ce pays où l’analphabétisme n’a été que tout récemment éradiqué.

Il n’est cependant pas saugrenu d’imaginer que le comportement de RCTV, s’il n’a pas dicté le choix gouvernemental, a facilité la prise de décision, la rendant pour le moins peu corneillienne.

Durant le putsch, les informations et la programmation de RCTV ont foulé au pied la Constitution, compromis la paix civile, nié le choix des électeurs, oublié la déontologie journalistique et le droit des citoyens à recevoir une information, sinon impartiale, du moins vraie et non tronquée. Dans un « Livre blanc sur RCTV » [3]
publié en mars 2007, le Ministère du Pouvoir Populaire pour la Communication et l’Information du Venezuela a recensé près de cent cinquante faits qui constituent des manquements graves aux obligations de toute chaîne de télévision dans le monde. Pour l’essentiel, il s’agissait, pour RCTV, en s’érigeant porte-parole des factieux, de soutenir une opération susceptible de provoquer des troubles sanglants : incitations à des manifestations insurrectionnelles, appel à la démission du président élu, répétition de slogans anti-chavistes comme « Fuera, fuera » (dehors, dehors), « Se va, se va » (il s’en va, il s’en va), appels à la démission des nouveaux directeurs de PDVSA (compagnie du pétrole remises aux mains de la nation), diffusion des exhortations de Pedro Carmona (chef de putschistes et de Fedecámaras, le syndicat des chefs d’entreprise), diffusion des propos d’un chef félon de la sécurité prévenant que la sécurité de Miraflores (palais gouvernemental) ne serait pas assurée, diffusion des directives des insurgés appelant la foule à marcher sur Miraflores, diffusion répétitive des images montrant des blessés, imputation au président de la responsabilité des violences mortelles, annonce (inexacte comme on le sait) de la démission de Chávez, puis de son arrestation (il était précisé qu’il devra « payer pour les crimes commis » et « planifiés » par lui).

Dans les premières heures du putsch, Chávez, soucieux d’éviter des affrontements, a usé de son droit constitutionnel en s’adressant aux vénézuéliens sur toutes les chaînes. RCTV choisit de couper l’image en deux, une partie pour l’allocution du président, l’autre montrant des manifestants hurlant contre lui, tandis que le bas de l’écran affichait un texte protestant contre la réquisition, qui « viole le droit sacré à l’information du peuple » et qui altère « l’indispensable équilibre et pluralisme politique nécessaire à toute démocratie. »

Ce pilonnage va revêtir une intensité frénétique puisque certaines de ces « informations » se succèdent avec des intervalles de trois minutes à peine aux moments forts du « golpe ».
Puis, la situation politique commence à virer. Le peuple est dans la rue, une partie de l’armée se proclame légaliste. Dans la soirée du 13 avril et durant toute la journée du 14, quand l’échec du putsch est évident, la mission sacrée d’information (?) en rafales passe à la trappe. RCTV n’offre aux téléspectateurs avides de suivre les événements que des films, dessins animés, rencontres sportives, entrecoupés de publicité commerciale.

Le constat est accablant : la seule censure que la chaîne RCTV a subie depuis l’arrivée de Hugo Chávez au pouvoir lui a été imposée par... elle-même. La seule instance qui lui a interdit d’informer les téléspectateurs siègeait dans ses propres bureaux, tout au sommet de sa hiérarchie. Dans le camp d’en face, on ne souhaitait rien d’autre que la diffusion des nouvelles d’actualité. Et si possible reflétant la réalité.

Comment les ONG ont-elles apprécié le rôle de RCTV et de ses consoeurs privées pendant le putsch ? Elles ont massivement constaté leur activisme politique, les fautes graves eu égard aux lois comme à l’éthique, à la morale, au respect dû aux citoyens.

Lisons-en quelques-unes :

Consejo para Asuntas Hemisféricos (COHA), 20 décembre 2002 :
« Les médias vénézuéliens ne rapportent pas des événements, ils aident à les créer. » et COHA dénonce la « scandaleuse contradiction avec tout sentiment de responsabilité professionnelle. »
La même, le 10 mars 2003 : « ... les journaux et stations de télévision servirent de tribunes aux porte-paroles d’extrême droite... »
La même encore, le 11 mars 2003 : « Les médias vénézuélien agirent en vociférant d’une manière peu professionnelle, avec peu d’exactidude et se présentant eux-mêmes, plus comme des adversaires de Chávez que comme des opérateurs neutres et responsables... Quand la grève (lancée par le patronat et qui dura de décembre 2002 à février 2003. Note de MV) entra dans son second mois, les leaders de l’opposition [...] appelèrent les téléspectateurs à ne pas payer les impôts pour saboter le gouvernement ».

Human Rights Watch, le 3 juillet 2002.
Notant la pleine liberté dont bénéficient les médias pour dire et publier tout ce qu’elles veulent, l’ONG déplore : « En fait, la majortité des médias de communication sympathisent clairement avec l’opposition, agissant comme défenseurs de ses positions et employant un langage agressif contre le gouvernement. »
La même, le 21 mai 2003 : « .... Les programmes de nouvelles et des débats ont fait preuve d’une hostilité extrême contre le gouvernement de Chávez. »
La même encore, le 1er juillet 2003 : « ...la presse a pu exprimer ses opinons critiques sans restrictions. Par suite, nous reconnaissons que son gouvernement ne pratique pas la censure... »

Committee to protect Journalist (CPJ) :
« Attaques contre la presse en 2002. Amériques : « Dans les jours qui ont suivi le coup d’Etat, les quatre principales chaînes privées de télévision couvrirent peu les manifestations en faveur de Chávez. Les vénézuéliens durent se reporter sur CNN, des chaînes colombiennes et espagnoles par câble ou satellite pour avoir des nouvelles sur les protestations. »

Centro de Derechos Humanos de la Universidad Católica André Bello (CDH-UCAB).
2002. Après avoir noté que, durant le « golpe », les médias ont transmis uniformément la même information sans laisser d’espace à la diversité informative et sans refléter la pluralité politique existante dans le pays, CDH-UCAB raconte ce qu’il advint au procureur général Isaà­as Rodriguez quand, au début d’une conférence de presse il déclara que Chávez n’avait pas démissionné et qu’il s’était produit un coup d’Etat : « Immédiatement, tous les canaux privés cessèrent de transmettre l’événement. Le matin du samedi (13 avril 2002)(...) commencèrent à apparaître sur les écrans des vieux films, dessins animés, feuilletons et reportages sportifs. »

Amnesty International, le 10 avril 2003.
En des termes diplomatiques mais néanmoins fermes, l’ONG invite l’opposition, « y compris les médias d’opposition » à contribuer à faire la lumière sur les événements d’avril 2002, « même si les résultats ne coïncident pas nécessairement avec leurs intérêts politiques immédiats. »

Comité de Protección a los Periodistas (CPJ), New York, 2003.
« Attaques contre la presse en 2003 : « les médias privés continuèrent leur participation sur la scène politique en 2003, promouvant sans aucune objection la plateforme politique des partis d’opposition au détriment du professionnalisme et de l’équilibre de l’information... »

Reporters sans frontières, le 11 avril 2003.
Comme pour faire oublier son attitude durant le coup d’Etat de l’année précédente, et son acharnement constant contre le Venezuela, RSF note quelques anomalies dans le comportement de la presse : « ...Diffusion de spots incitant à la désobéissance civile, retransmission d’appels au soulèvement de l’armée, diffusion de fausses informations... les principaux médias privés font en réalité plus que soutenir la grève, ils y participent à leur manière, au prix d’entorses aux principes les plus élémentaires de la déontologie. Huit mois plus tôt déjà , ils avaient approuvé un coup d’Etat ayant conduit au renversement, l’espace de quarante-huit heures, du président Chávez. »
Coup d’Etat dont RSF ne se démarqua guère en qualifiant illico de « président » Pedro Carmona, chef des putschistes.

Il est de fait que, loin d’adopter un profil bas après les échecs du putsch militaire et du putsch énonomique, RCTV poursuivit de plus belle sa tâche de relais de l’opposition extrémiste.

Elle dédaigna les remarques des ONG, les protestations de téléspectateurs, celles de ses employés écoeurés par le rôle qu’on leur faisait jouer. Elle rejeta les offres de dialogue de la Commission nationale des télécommunication (CONATEL). Pis, elle fit obstinément la sourde oreille aux observations répétées de la CONATEL et de la Direction de la responsabilité sociale, y compris sur des questions relatives à l’obligation de respecter la loi sur la publicité pour l’alcool lors de manifestations sportives. Les invitations à venir discuter, dont certaines furent répétées jusqu’à six fois, ont été accueillies par le silence ou traitées par de simples accusés de réception parfois émis après la date de la réunion. L’insuccès des tentatives patientes pour tenir une réunion de conciliation fut total, même quand il a été précisé à RCTV que la Direction invitante était disponible en session permanente. Au cours des années 2005 et 2006, RCTV a ainsi opposé le mutisme du mépris et de la morgue à plus d’une vingtaine de lettres d’observations et d’invitations à s’asseoir autour d’une table.

Cette arrogance tranche avec le visage de victime innocente que RCTV présente aujourd’hui à l’opinion internationale. Le loup s’est déguisé en mouton et bêle sa plainte, soutenu par le berger Robert Ménard, en équilibre instable sur ses gros sabots.


Le peuples d’Amérique latine ont droit à une information honnête, à la séparation des télés et des partis, à des compléments d’éducation, au respect de leurs choix électoraux, à la prééminence de l’intérêt collectif sur les égoïsmes privés.

C’est de tout cela qu’il est question ces jours-ci au Venezuela.

D’après des informations parvenues à Caracas, il semble établi que l’Union européenne publiera dans quelques jours un communiqué condamnant dans cette affaire le gouvernement bolivarien. Il sera utile de noter les noms des groupes parlementaires, des députés français qui auront ainsi exprimé leur vision du rôle de la télévision, des droits et devoirs des journalistes, des rapports des médias vec l’Armée, du respect dû par la presse à la Constitution et aux citoyens.

La position prévue de l’Europe a de quoi désoler les Européens, les Français que nous sommes. Au Venezuela, elle ne surprend ni n’inquiète : Caracas et Strasbourg ne boxent pas dans la même catégorie. Ici, on écrit des pages inédites d’Histoire avec la mobilisation d’un peuple, là on mord les talons de qui marche devant.

Maxime Vivas




La guerre de désinformation de Reporters Sans Frontières contre le Venezuela, par Salim Lamrani.


- A LIRE aussi <BR>
Venezuela - Affaire RCTV et nationalisation de la CANTV : mensonges médiatiques et éclairage
, par Romain Migus.



Les USA financent Reporters Sans Frontières, par Diana Barahona.







 Photo : Maxime Vivas


[1Le 22 juillet 2003, sous le titre « Les médias irakiens trois mois après la guerre : Une liberté nouvelle mais fragile », RSF publiait un rapport qui débutait ainsi : « Voici trois mois qu’un vent de liberté souffle sur la presse irakienne. » (Source : www.rsf.org/article.php3 ?id_article=7570) Signalons au passage que la guerre ne s’est pas terminée en 2003 contrairement à ce qu’affirma Bush, contredit par les faits et par le monde entier, mais relayé par RSF.

[2RSF. Espagne - Rapport annuel 2004 : « [...] la lutte nécessaire contre le terrorisme a eu des incidences sur la liberté de la presse, avec la fermeture provisoire par "mesure préventive" du journal basque Euskaldunon Egunkaria, dont les dirigeants sont soupçonnés de collaboration avec l’ETA... ». Des « soupçons » rendant « nécessaire » la répression « préventive », RSF ne s’indigne pas. (Source : www.rsf.org/article.php3id_article=9844 )

[3 « Libro blanco sobre RCTV » www.rnv.gov.ve/noticias/docs/libro_blanco_RCTV-Web.


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