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«  Rififi à Beyrouth » Le Liban au coeur de la tourmente arabe

1. Le modèle libanais

Par l’analyse concrète d’une situation concrète, politique, économique ou militaire, l’observateur cherche à connaître les protagonistes, les forces, les faiblesses et les objectifs stratégiques de l’acteur dominant, mais il est indispensable qu’il se préoccupe également de bien connaître les forces, les faiblesses et les objectifs stratégiques de l’autre camp, ce qui fait défaut le plus souvent.

Les États-Unis d’Amérique ne sont pas aussi puissants qu’il n’y paraît et il n’est pas exact de prétendre que l’empire déclinant, son agressif petit satellite israélien, leurs alliés saoudien et égyptien décident seuls du sort des peuples arabes. Ce qui survient présentement en Tunisie, en Égypte et au Liban en sont des démonstrations évidentes.

Depuis des années un tout petit peuple, encadré par un ensemble d’organisations patriotiques déterminées, muni d’une conscience politique anti-impérialiste et anti-sioniste bien aiguisée tient tête à cette « Sainte-alliance ». Bien avant la « Révolution du Jasmin » (1), le « Mal-vivre algérien », le « Printemps égyptien » et les autres soulèvements arabes pour le pain, le travail, la liberté et la dignité, le peuple libanais avait amorcé sa libération. C’est la raison pour laquelle ce petit pays fait l’objet d’autant « d’attention » de la part du satellite sioniste américain et que ce dernier peut compter sur le soutien en sous-main des dictatures arabes du Levantin. Le « mauvais exemple » vient parfois des plus petits.

Le Liban est pratiquement le seul pays arabe dont une partie substantielle du territoire national est libérée et administrée par les partisans et dont le gouvernement national officiel ne parvient pas à reprendre le contrôle, ni même à désarmer la résistance. Contrôle du territoire et milice populaire sont les conditions essentielles du succès d’une Révolution du jasmin, d’une Révolution du Mal-vivre, d’une Révolution égyptienne ou de toute autre révolution populaire. Le pouvoir est au bout du fusil, disait un personnage dont j’ai oublié le nom, mais dont Hassan Nasrallah applique les préceptes sans en être un adepte. Les zones libérées et armées par la résistance, la conscience politique et une organisation patriotique déterminée sont les secrets du modèle libanais.

Nous pouvons d’ores et déjà constater que les Étatsuniens et les sionistes israéliens ont renoncé à balkaniser-irakiser (2) le Liban pour en faire un amalgame de petites principautés scindés sur une base religieuse ou confessionnelle. La défaite israélienne de l’an 2000, qui s’est soldée par le retrait humiliant de ses troupes, puis l’assaut meurtrier de 2006 contre le Sud-Liban où la soi-disant 4e armée la plus puissante a été honteusement battue par la résistance libanaise, ont mis fin à cette chimère de balkanisation du Liban. Il n’est pas requis de ressortir ce vieil épouvantail que la résistance a contré définitivement, même si le clan Hariri tente de faire ressurgir ce fantôme du placard où Sharon, en son temps, a bien dû l’y remiser après la désintégration de son Armée du Sud- Liban.

2. Le satellite israélien et le front libanais

Présentement, les sionistes en sont à consolider leur force intérieure par la judaïsation toujours plus poussée du territoire conquis et occupé depuis 1948. Ils poursuivent le nettoyage ethnique de Jérusalem (Al Quds), que les collabos de l’Autorité de Ramallah auraient souhaité abandonner définitivement aux sionistes selon des révélations récentes relayées par la chaîne El Jazzera (3). Se poursuit également le verrouillage du ghetto de Gaza que l’armée israélienne a abandonné au Hamas et où un génocide est en cours dans l’indifférence totale de la soi-disant « communauté internationale ».

Enfin, dernier élément des activités anti-palestiniennes de l’État pour les « juifs » seulement, le nettoyage ethnique contre le peuple palestinien de Cisjordanie force le regroupement des habitants dans quelques villes emmurées qui seront bientôt rétrocédées en gestion exclusive aux gardes-chiourmes - aux « kapos » palestiniens rassemblée sous l’Autorité de Ramallah - qui recevront pour leur peine des centaines de millions de dollars de l’Union européenne. Ce sera l’État palestinien bantoustan que plusieurs pays à travers le monde s’empressent de reconnaître symboliquement au grand plaisir du chef des « kapos », Mahmoud Abbas, et de son ami Avigdor Lieberman, qui prépare en sous-main un accord intérimaire pour la rétrocession de ces bagnes à gestion privilégiée par l’Autorité sans autorité ni légitimité.

Il est vrai que les sionistes préparent une nouvelle agression contre le Liban, mais ils ne sont pas pressés de s’y lancer. Avec le soulèvement populaire égyptien à sa frontière ouest, les marches de protestations en Jordanie à sa frontière est, le renversement de son allié Hariri à sa frontière nord, les sionistes en ont plein les mains et s’inquiètent de leur avenir. Ils doivent d’abord consolider leurs positions intérieures. De toute façon ce nouvel assaut contre le Liban s’inscrira en complément à l’attaque que les Américains préparent contre l’Iran ; mais le temps n’est pas encore venu pour cette guerre contre l’Iran visant à rétablir l’hégémonie du dollar en coupant la moitié des approvisionnements mondiaux en hydrocarbures. Tel que nous l’avons déjà expliqué dans un document précédent, les Américains doivent d’abord compléter leur retrait d’Irak pour ne pas être coincés par les milices pro-iraniennes qui vont s’y déchaîner dès que l’attaque aura débuté. Les Américains doivent également faire avancer leur réalignement en Afghanistan et forcer des négociations avec les Talibans dit « modérés » de façon que leur armée ne se trouve pas prise en souricière entre la résistance afghane, la résistance pakistanaise et les troupes iraniennes (4).

C’est dan ce contexte qu’il faut situer les tribulations qui ont cours présentement à Beyrouth. Depuis quelques années les Américains ont imaginé créer le Tribunal Spécial sur le Liban (TSL) qui devait enquêter pour identifier et sévir contre ceux qui ont assassiné le Premier ministre Rafic Hariri en février 2005 (5). Depuis lors, tout un rififi entoure les travaux de ce tribunal international spécial constitué sous le chapitre VII de la Charte de l’ONU afin de permettre aux États-Unis et à la France de s’en servir comme cheval de Troie pour s’ingérer dans les affaires intérieures du Liban.

Cette commission, avec le concours d’agents politiques et parfois même d’agents secrets de l’OTAN, sous étiquette onusienne, était payée et soutenue par l’ex-gouvernement Hariri pour semer la discorde entre les groupes politiques et les communautés religieuses au Liban et tenter de coincer la principale organisation de la résistance, l’isoler des ses alliés et préparer les conditions pour éventuellement l’écraser et ramener le peuple libanais dans le giron américano-sioniste. Mais cette machination n’a pas fonctionné « par la faute » d’un homme politique qui dirige les destinées du Hezbollah. L’enquêteur Bellemare de la TSL s’apprête à déposer son rapport et ses actes d’accusation mais il lui faudra ensuite arraisonner les faux accusés et c’est là que le bât blesse : comment poursuivre sa mascarade s’il ne peut même pas aller quérir au Liban les faux accusés après avoir élargit les faux témoins ?

3. La déchéance de Saad Hariri et du Courant du Futur

Examinons maintenant les récents événements qui ont précipité la chute du gouvernement d’unité nationale que dirigeait Saad Hariri. Depuis quelques années, s’appuyant sur les accords de compromis de Taëf (1989 - Arabie Saoudite), qui ont officialisé la répartition des pouvoirs de l’État du Liban sur une base religieuse et confessionnelle, la coterie de Saad Hariri, d’obédience sunnite, faisait la pluie et le beau temps au pays du Cèdre, même si la communauté sunnite ne représente que 23 % de la population totale du pays. Pour sa part la communauté chiite regroupe 37% de la population, les chrétiens et les druzes formant le 40 % restant (4 millions d’habitants au total et 300 000 réfugiés surtout palestiniens d’obédience sunnite) (6).

Disposant d’un blanc-seing de la part de ses alliés américains et israéliens, le jeune homme politiquement inexpérimenté se croyait invulnérable et se permettait même de manigancer des faux témoignages pour incriminer le Hezbollah dans l’assassinat de son père en plus d’insulter sans vergogne ses alliés saoudiens comme l’ont révélé des vidéos rendues publiques récemment (7).

Le Courant du Futur, protégé par les Américains et les Israéliens, ne percevait pas que le Liban changeait sous leurs yeux. Les clivages confessionnels et religieux s’estompaient peu à peu alors que montaient en force les segmentations sociales entre pauvres, travailleurs, petite-bourgeoisie et grande-bourgeoisie parasitaire, comptant quelques milliardaires comme les familles Hariri et Mikati (actuel premier ministre sunnite). Ce qui devait arriver arriva : le cabinet Hariri fut renversé la semaine où l’ex-premier ministre était en visite à Washington pour prendre des ordres sur la conduite à tenir sur le Tribunal spécial pour le Liban et pour soutenir les préparatifs de guerre israélienne dans la région (8).

Comme le souligne le journaliste Abdel Bari Atwan : « La carte politique actuelle du Liban diffère du tout au tout de celle des années 1970, au moment où la guerre civile a éclaté. Il y avait alors deux camps opposés, un camp islamiste « progressiste » soutenu par la Résistance palestinienne et regroupant les sunnites, les chiites et les druzes, et un camp purement chrétien, avec l’existence de quelques poches, très limitées, « neutres » ou « opposées à la guerre ». Aujourd’hui, rien de tel : nous avons des sunnites avec Hariri et des sunnites contre Hariri, nous avons un courant chrétien maronite puissant allié au camp de la Résistance, sous la direction du général Michel Aoun, regroupant M. Suleïman Franjiéh et d’autres personnalités, de même que nous avons des chiites réunis sous la bannière du Courant du 14 mars, opposé au Hezbollah et au courant Amal que dirige M. Nabîh Berri, qui est le président de l’Assemblée nationale libanaise. » (9).

Le Liban de 2011 n’est plus le Liban de 1970 si bien que les alliances déjà formées se déforment et se reforment non pas sur une base confessionnelle mais sur la base des intérêts régionaux, des intérêts économiques et des intérêts de classe, comme Wallid Joumblat, Najib Mikati et d’autres l’ont démontré.

Il ne semble pas que le clan Hariri, même avec l’appui étatsunien et israélien, parviendra à provoquer une guerre civile au Liban. Les milices de Samir Geagea et les Phalanges d’Amine Gemayel ne sont pas en mesure de tenir tête aux soldats du Hezbollah comme il a été démontré il y a quelques années quand le ministre libanais des communications avait tenté de porter atteinte au réseau de communication de l’organisation. Il a suffi d’une semaine aux partisans de Hassan Nasrallah pour contrer cette opération de sabotage. Seule une intervention inopinée des troupes d’invasion israélienne pourrait modifier ce rapport de force interne au Liban, mais Israël a été pris de court tout comme les Américains par le renversement du cabinet de Saad Hariri.

Pour gagner tu temps, jusqu’à cette intervention à venir, il ne reste que deux options pour le Camp du Futur de Hariri le démis ; a) ou bien il négocie sa participation au nouveau gouvernement d’unité nationale dirigé par Mikati, aspirant ainsi participer à la curée des fonds publics et internationaux, comptant espionner le gouvernement d’unité nationale de l’intérieur et espérant aider aux préparatifs de la prochaine invasion israélienne qui les remettra en selle, subodore-t-il ; b) soit, il refuse toute participation au gouvernement d’unité nationale ; reste en retrait et collabore de l’extérieur du gouvernement à la préparation de l’invasion israélienne à venir. Cette voie a l’avantage de permettre à la soi-disant « communauté internationale » de mener ses activités de boycott, de sabotage de l’économie libanaise et d’isolement du gouvernement libanais légitime, mais cette option présente aussi l’inconvénient d’isoler le Courant du Futur de la société libanaise.

4. La conjoncture régionale

La question libanaise, tout comme la stratégie américaine au Liban, doivent être analysées dans le contexte encore plus large du soulèvement des populations arabes contre les régimes autoritaires, corrompus et dictatoriaux qui les accablent, que ce soit au Maghreb, en Égypte ou au Machrek - c’est d’ailleurs sur ce constat que les sionistes ont constamment cherché à tabler, en se qualifiant eux-mêmes de « seule démocratie de la région ».

Le discours d’Obama, mardi sur l’État de l’union, a traité sommairement de politique internationale ; il a rapidement fait le point sur l’Irak et l’Afghanistan ; et redit sa confiance dans le processus diplomatique pour ce qui a trait à l’Iran, indice que l’attaque anti-iranienne n’est pas imminente ; il a salué l’indépendance du Sud-Soudan ; il n’a pas mentionné le conflit Palestine/Israël ; mais il a salué la démarche du peuple tunisien. Il a synthétisé le tout de la façon suivante : « Ce qui doit nous distinguer par rapport aux autres, ce n’est pas que le "power", c’est "le purpose behind" qui se résume à appuyer les "democratic aspirations of all the peoples. ». Il semble que les Américains ont réalisé le coût énorme de cette enchaînement de guerres, coûts monétaire et humain qu’ils peuvent de moins en moins justifier et supporter ; ils ont aussi réalisé que plusieurs régimes et dictateurs ne font pas le travail attendu et qu’au contraire ils provoquent des rébellions de plus en plus nombreuses, le courant Obama a l’intelligence de se présenter comme le " bon gars" en feignant d’appuyer la démarche des peuples - ce qui ne veut pas dire qu’ils le fera au détriment des intérêts des États-Unis, mais justement dans le but de mieux les protéger.

L’examen concret de la situation concrète au Liban et dans la région démontre que les forces populaires ont pris l’offensive et que les forces de la première puissance impérialiste mondiale déclinante et de ses alliés sont présentement sur la défensive, rien n’est pourtant joué ni à Beyrouth, ni au Caire, ni à Tunis. Mis à part le Liban, partout ailleurs, la faiblesse des organisations patriotiques et révolutionnaires sera probablement le chaînon manquant pour reproduire le modèle libanais.

Robert Bibeau

(1) « Le Printemps de Tunis ». Robert Bibeau. 24.1.2011. http://www.oulala.net/Portail/spip.php?article4928

(2) « Message du Parti communiste libanais. ». 21.01.2011.
http://www.aloufok.net/spip.php?article3090

(3) « L’Autorité palestinienne dans de beaux draps ». 25.01.2011.
http://www.elwatan.com/international/l-autorite-palestinienne-dans-de-beaux-draps-25-01-2011-108684_112.php et http://www.almanar.com.lb/NewsSite/NewsDetails.aspx?id=171151&language=fr

(4) « La guerre contre l’Iran aura-t-elle lieue ? ». Robert Bibeau. 14.01.2011. http://bellaciao.org/fr/spip.php?article112543

(5) « Rafic Hariri ». http://fr.wikipedia.org/wiki/Rafiq_Hariri

(6) « Le Liban ». http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/asie/liban.htm

(7) « Hariri : un document audio révèle la fabrication des faux témoignages ». http://www.voltairenet.org/article168156.html et « Marquer contre leur but - contre leur camp. » http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/monde/20110125.REU0288/le-hezbollah-enfonce-le-coin-entre-liban-et-occident.html

(8) « L’opposition ne nommera pas Saad Hariri ». Hassan Nasrallah. 16.01.2011. http://www.almanar.com.lb/NewsSite/NewsDetails.aspx?id=170396&language=fr

(9) « Le Liban au bord de la guerre. ». Abdel Bari Atwan. 20.01.2011 http://www.ism-france.org/news/article.php?id=14901&type=analyse

(10) « Déconstruire le chaos pour construire à nouveau »
http://www.almanar.com.lb/NewsSite/NewsDetails.aspx?id=171024&language=fr
« Nouveau premier ministre au Liban. » http://mai68.org/spip/spip.php?article2089

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