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Oubliez le guide.

Le philosophe latin Sénèque disait : "A quoi bon voyager si tu t’emportes avec toi".

C’est-à -dire : si tu pars avec tes idées reçues, tu n’auras de cesse, sur place, de les vérifier, aveugle à ce qui pourrait les infirmer.

Un Anglais du 19ème siècle entend dire par son entourage que les Françaises sont rousses. Il prend le bateau pour Calais et, à peine débarqué, il croise une femme rousse. Il envoie un télégramme dans sa famille pour affirmer que la rumeur disait vrai. Ne l’a-t-il pas vérifié de visu ?

Ainsi voyagent les touristes assoiffés d’exotisme et de bronzage et mal guéris d’un reste de complexe de supériorité colonial. De leurs yeux, ils verront un Mexicain "basané allongé sur le sol, un sombrero sur le nez", un Africain lymphatique inapte à entrer dans le monde moderne, un Chinois avalant son bol de riz dans sa fourmilière jaune.

Moralité : on est les plus malins !

En vérité, si l’on n’emporte pas avec soi quelques épisodes glorieux de l’Histoire de France pour s’en parer comme s’ils étaient des oeuvres récentes auxquelles nous aurions participé avec une clairvoyance qui le dispute à l’héroïsme, nous sommes plutôt flagadas, ramollis, hébétés.

Le citoyen français, l’homme politique français, seraient bien inspirés de descendre du piédestal tricolore et de s’apercevoir que les justes combats à mener pour plus de justice, pour la paix, pour la sauvegarde de la planète ont commencé ailleurs que sous nos fenêtres, ailleurs qu’en Europe.

Un mouvement est déjà bien engagé en Amérique latine que notre classe médiatique occulte, qu’elle caricature avec le même aveuglement qu’il faut pour jurer que les Françaises sont rousses. Pourtant, la déferlante touche pratiquement tout le sous-continent américain qui compte près de 400 millions d’âmes. Déjà , un groupe de pays a rompu spectaculairement avec le mode de développement que la propagande nomme "libéral" pour éviter le mot juste : Cuba, longtemps seule, le Venezuela, la Bolivie, l’Equateur, le Nicaragua, pour les fers de lance. La plupart des autres suivent au rythme imposé par des rapports de force et des niveaux de conscience hétérogènes.

Le week-end-dernier a vu ses dérouler deux élections importantes dans la région.

L’Uruguay a élu un président de gauche, José Mujica, dont personne ne conteste la légitimité. Bienvenu au club !

Au Honduras, la junte militaire avait organisée une farce électorale après avoir destitué le président Manuel Zelaya. Celui-ci parle de 70% d’abstentions. Des pressions énormes ont été exercées par le patronat sur les salariés, par l’armée sur la population tout entière, pour que les Honduriens aillent voter. A l’heure de la clôture du scrutin, le bilan était si mauvais qu’une heure de plus a été offerte aux retardataires. Des informateurs assurent que des camions chargés de faux électeurs munis de faux papiers arrivaient de l’étranger.

Les pays latino-américains qui reconnaissent les résultats de l’élection sont : la Colombie, le Costa Rica, Panama, le Pérou. C’est maigre. A l’exception notable de la "plus grande démocratie du monde", la tendance est à se pincer le nez. L’AFP du 1er décembre indique que 22 pays ibéro-américains réunis à Estoril (Portugal), considèrent comme "fondamental" le rétablissement du président du Honduras, Manuel Zelaya. Le gouvernement français doute de la légitimité des nouvelles autorités.

L’Histoire est en marche en Amérique latine et les Français ne le savent pas. La plupart ont été formatés par la méthode de Pavlov afin de penser "dictateur" et "populiste" à l’évocation des noms de Fidel Castro et Hugo Chávez. Et la réflexion, ne va guère plus loin. A quoi bon ? Les faits ne sont-ils pas démontrés à coups de répétitions par des journalistes propres sur eux, bien peignés et dont la bienveillante gentillesse est traduite par leur sourire permanent tandis que leur franchise s’affiche par leur façon de vous regarder dans les yeux à travers l’écran ?

Donc, les faits sont établis et chaque touriste voyagera à l’étranger en emportant avec lui des informations au-dessus de tout soupçon.

Avant de partir pour le Venezuela, vous voulez acheter un guide de voyage. Vous écartez d’emblée Le Guide du Routard qui fait des pages de pub pour une fausse ONG française financée à ce jour par six officines états-uniennes. Vous optez pour Le Petit Futé avant de vous apercevoir que c’était bonnet blanc et blanc bonnet. Toujours feuilleter avant. Premier constat dramatique : pour ce qui touche à l’Amérique latine, nos médias vont puiser leurs informations dans la presse de droite de ces pays et dans les communiqués mensongers de Reporters sans frontières.

Le Petit Futé, page 79 : "27 mai 2007, fermeture de la chaîne de télévision vénézuélienne RCTV." Page 631 : "Après la chaîne RCTV, Chávez s’attaque à Globovisión, seule chaîne privée d’opposition." Sous ce titre : un article d’une demie-page, garanti anti-chaviste pur jus et signé... "Reporters sans Frontières, 31 mai 2007".

Deuxième et affligeant constat : ils se lisent entre eux et ne vérifient rien. Enfin, sauf si l’information s’écarte de la pensée unique.

Quand la CONATEL (équivalent de notre CSA) a décidé de ne pas renouveler la licence d’exploitation hertzienne de RCTV, arrivée à expiration de son contrat de 20 ans, les Vénézuéliens disposaient de 20 chaînes hertziennes VHF privées et une publique. S’y ajoutaient 28 chaînes hertziennes UHF privées, 6 publiques et 44 communautaires. Avec la récupération de la fréquence hertzienne de RCTV, le service public dispose de deux chaînes hertziennes VHF, de deux chaînes UHF et de deux chaînes sur le câble.

Voilà pour Globovisión, la "seule chaîne privée d’opposition".

Quatre informations encore :

- Deux ans et six mois après l’"attaque" de Chávez contre Globovisión, celle-ci ne présente pas une égratignure.

- Quiconque regarde la télévision à Caracas peut choisir RCTV . Il ne lui a jamais été interdit d’émettre par satellite, câble, Internet.

- Devant cette évidence, RSF a cessé discrètement de dire que RCTV est fermée. Elle a simplement oublié d’informer les médias qu’elle avait persuadé du contraire.

- Trois pages après avoir laissé RSF parler de fermeture de RCTV, Le Petit Futé ( Ah, il faut se relire !) nous donne une liste de chaînes de télévision vénézuéliennes parmi lesquelles RCTV. Le guide nous invite même à aller la regarder sur www. RCTV.net

La question se pose donc de savoir s’il faut vraiment s’en remettre à un guide, mot dont la traduction en d’autres langues est fâcheuse (caudillo, führer, duce), raison de plus, pour les petits futés qui prétendent nous instruire sur les pays touristiques, de faire preuve d’une vigilance extrême afin de ne pas tomber dans la propagande. A éviter surtout, celle de RSF ; autre guide suprême de la pensée journalistique qui s’égosille devant les militaires au service de leur peuple et qui s’accommode de ceux qui, à choisir un ennemi, le préfèrent de l’intérieur, c’est-à -dire, désarmé. Comme ce fut le cas au Venezuela en avril 2002, date mémorable du coup d’Etat qui vit la correspondante de RSF à Caracas se pâmer devant "les militaires vertueux", tandis que de Paris, RSF reconnaissait de facto les putschistes en les appelant "les autorités" et en qualifiant Hugo Chávez d’"ex-président" ayant signé sa démission.

Allez, décidément, oublions le guide !

Maxime Vivas.
Caracas, décembre 2009.

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Maxime VIVAS
Des années de travail et d’investigations (menées ici et sur le continent américain) portant sur 5 ans de fonctionnement de RSF (2002 à novembre 2007) et le livre est là . Le 6 avril 2006, parce que j’avais, au détour d’une phrase, évoqué ses sources de financements US, RSF m’avait menacé dans le journal Métro : " Reporters sans frontières se réserve le droit de poursuivre Maxime Vivas en justice". Au nom de la liberté d’expression ? m’étonné-je. Quoi qu’il en soit, j’offre aujourd’hui (…)
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