« En temps de paix, le mercenaire dérobe ; en temps de guerre, il déserte. »
Nicolas Machiavel
Environ 90 personnes ont été tuées le 1er septembre dans un bombardement de l’OTAN en Afghanistan. L’ONU avait auparavant demandé l’ouverture d’une enquête « approfondie ». D’une façon tout à fait hypocrite l’UE fait part de son incompréhension.
Bernard Kouchner a fait valoir que les Européens devraient revoir à la hausse leurs contributions financières. « Les taliban offrent 50 dollars par famille, ce qui permet de vivre un mois entier, alors que nous payons seulement la moitié. Bien sûr que nous devons payer plus ».(1) Pour Bernard Kouchner, le sort de l’Afghanistan est une mercuriale au plus offrant, il dénie du même coup tout patriotisme aux Afghans qu’il traite indirectement de mercenaires au plus offrant même s’ils ont une façon de gouverner discutable ; il sont chez eux. Apparemment, la démocratie aéroportée est infligée au peuple afghan pris en tenaille entre les taliban et les Occidentaux. Il faut le rappeler que près de 800 personnes dont deux tiers sont des civils, notamment des enfants, sont mortes en 2008. Le vrai mercenariat est du côté de la coalition qui fait la guerre aux peuples irakien et afghan en faisant appel à des mercenaires. Il est né dans le sillage de la « guerre de l’information » et de la doctrine du « zéro mort » suite aux guerres perdues du Vietnam et du Cambodge, expérimenté notamment au Kosovo dans les années 1990 par les forces de l’OTAN. Les Etats-Unis sont aujourd’hui déployés dans plus de 50 pays. Les raisons du recours à des sociétés militaires privées sont multiples : politiques : contourner le Parlement américain et éviter la critique populaire. Contourner le contrôle administratif : ne pas irriter l’opinion publique. Les morts BW ("BlackWater" NdE) ne sont pas décomptés comme des soldats.
Qu’est-ce qu’un mercenaire ?
Un mercenaire, du mot latin merces qui signifie salaire, est un combattant étranger aux parties en conflit, « spécialement recruté dans le pays ou à l’étranger » et qui « prend une part directe aux hostilités ». Ce combattant doit également avoir un « avantage personnel » à participer à ce conflit, qui prend souvent la forme d’une rémunération « nettement supérieure à celle » de ses homologues de l’armée régulière. On peut citer la Légion étrangère française ou les Gurkhas anglais. Si, après un procès régulier, le soldat capturé est jugé coupable d’être un mercenaire, il peut s’attendre à être traité comme un simple criminel et peut aussi faire face à la peine de mort. Au cours de la Première guerre punique, les Carthaginois firent amplement appel à des mercenaires. Les républiques italiennes de la Renaissance firent souvent appel à des mercenaires, nommés condottieres, pour leur défense. (1) Les Britanniques ont utilisé des mercenaires suisses et allemands plus particulièrement dans leurs colonies d’Amérique. Depuis 1859, la Garde suisse pontificale est la seule force mercenaire autorisée par le droit suisse. Elle a pour mission de protéger le pape au Vatican. A partir des années 1960, des mercenaires sont présents dans plusieurs conflits en Afrique, comme au Katanga en République démocratique du Congo (RDC) (Bob Denard spécialiste français des coups d’Etat dans les républiques bananières) ainsi qu’au Yémen. A partir des années 2000, parallèlement à la disparition progressive du mercenariat traditionnel, se sont développées les sociétés militaires privées (SMP) anglo-saxonnes, parfois en renfort d’une milice. Afghanistan (DynCorp) et surtout en Irak (Military Professionnal Ressources Inc, Blackwater, Erinys, Aegis) depuis 2003.Ils fournissent différents services comme la protection d’installations, l’entraînement des troupes, la maintenance du matériel militaire et participent même, dans certains cas, aux combats armés. (2)
La contribution suivante nous permet de comprendre le mécanisme de recrutement.
« Londres, septembre 2004. Les locaux d’une société de sécurité, dirigée par un ancien officier d’infanterie français, sont le théâtre d’auditions un peu particulières. (...) La société de sécurité, qui recrute au nom de commanditaires souvent américains ou britanniques, leur propose une mission de 45 jours, rémunérée 7000 livres (10.200 euros), afin de protéger des sites sensibles en Irak. (...) Selon la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) [française Ndlt], qui a rédigé plusieurs rapports sur le sujet à la mi-novembre, « 37 ressortissants français seraient actuellement employés par sept sociétés de sécurité privée en Irak ». (...) En octobre 2005, c’est la société américaine Executive Security and Aviation Solutions (Esas) qui lançait une campagne de recrutement en France, afin de dénicher une cinquantaine de gardes de sécurité. (..) Il suffisait, pour s’inscrire, d’envoyer par e-mail son CV à l’adresse électronique de Glenn F. (...) Les mercenaires français travaillent donc pour une demi-douzaine de sociétés, essentiellement anglo-saxonnes. (...) Depuis le début des activités des sociétés de sécurité privées (SSP) en Irak, la DGSE a recensé quatre morts de nationalité française. Selon une estimation réalisée par les services secrets en juin 2005, les pertes des sociétés de sécurité, toutes nationalités confondues, atteindraient le chiffre de 238 personnes, pour un effectif global de 50.000 hommes, employés par quelque 400 sociétés. (...) » (3)
« La seule société française à évoluer sur le marché irakien s’appelle Allied International Consultants and Services (Aics). (...) « On ne peut pas concurrencer les boîtes anglo-saxonnes, remarque Jean-Philippe L., on ne ramasse que les miettes. Jamais une société américaine ne fera appel à nous (....) Autre SSP en pointe, Aegis, qui compte d’anciens militaires et diplomates de haut rang dans son conseil de surveillance, a "gagné", elle, un contrat de 293 millions de dollars lancé par le Pentagone ».(3)
En Irak, plus de 180.000 salariés de sociétés privées assurent de nombreuses missions qui, dans d’autres conflits, auraient été confiées à des soldats. Cette véritable armée parallèle agit en toute impunité. Les armées occidentales n’arrivent plus à mobiliser assez d’hommes pour maintenir la paix ou mener des guerres (exemple : le conflit irakien). La guerre en Irak nécessite selon les experts 400.000 hommes sur le terrain. La coalition n’a réussi à réunir que 160.000 soldats (dont 130.000 américains) Les militaires manquants ont été remplacés par des contractants privés : 180.000 civils travaillent en Irak pour les armées occidentales. La CIA avait secrètement sous-traité à Blackwater la traque et la capture du chef d’Al Qaîda. Bien que le ministère des Affaires étrangères ait publiquement rompu avec Blackwater, cette société de sécurité privée bénéficie toujours de 400 millions de dollars de contrats avec le gouvernement américain. (...) Ces contrats illustrent la dépendance des autorités américaines à l’égard d’entreprises privées comme Blackwater. Derniers exemples en date, des projets d’assassinat contre des chefs d’Al Qaîda qui lui auraient été confiés par la CIA ont récemment été révélés, soulevant de vives réactions au Congrès le 21 août.(4)
Blackwater est une multinationale rentable...1 milliard de dollars de contrats avec l’Etat américain. En 2006, le nombre de soldats de Blackwater déployés dans le monde était estimé à 23.000. Le chiffre d’affaires de Blackwater a augmenté de 80.000% entre 2001 et 2006.Premier contrat majeur : la protection de Paul Bremer en Irak (20 hommes de BW sont employés à 600 dollars par jour pour protéger le représentant US). On la trouve sous contrat en Irak, Afghanistan, Azerbaïdjan, Afrique orientale, Moyen-Orient, USA, 90% des revenus de Blackwater. Entre 2000 et 2007 Blackwater se vante que toutes les personnes ayant été sous sa protection n’ont jamais eu aucun problème. Entre 2005 et octobre 2007 on a dénombré plus de 195 incidents impliquant Blackwater. Dans 80% des cas les hommes de Blackwater ont tiré les premiers.
« Que s’était-il passé lors de cette bavure de Blackwater ? s’interroge le New York Times. Une fusillade au coeur de Baghdad impliquant la société de sécurité privée Blackwater, le 16 septembre, a soulevé la question de la responsabilité des mercenaires en Irak. Le New York Times, pour sa part, se base sur de récents témoignages pour revoir à la hausse les conditions et le bilan de cet incident meurtrier (...). D’après le quotidien américain, dix-sept personnes ont été tuées et vingt-quatre blessées lorsque les gardes privés ont "traité" ce qu’ils pensaient être une attaque-suicide. Le véhicule visé transportait en fait un jeune médecin et sa mère en route vers l’hôpital, qui allaient chercher le père de famille. Lorsqu’un garde a ouvert le feu dans leur direction, le médecin a été atteint mortellement à la tête, perdant ainsi le contrôle du véhicule, qui a continué de progresser vers le convoi de Blackwater. Les mercenaires ont réagi immédiatement en tirant des dizaines de balles qui ont tué la mère ainsi que de nombreux Irakiens qui tentaient de fuir. » (5)
L’impunité des mercenaires
Jusqu’à ce jour, aucun homme de Blackwater n’a été inculpé car en juin 2004, Paul Bremer, peu avant son départ d’Irak, signe un décret qui empêche la justice irakienne de juger des contractants privés de l’armée américaine Cette situation leur accorde de fait une immunité quasi-totale. Quand les Etats-Unis ont envahi le pays en 2003 sans l’accord de l’ONU, la question juridique de l’occupation a été immédiatement posée, mais, dès la fin des combats, les principales puissances ont avalisé cette invasion par la résolution 1483 de mai 2003. Le 27 octobre 2008, le « Parlement » irakien a approuvé « l’accord de sécurité » entre Baghdad et Washington. L’occupation fut légalisée jusqu’au 31 décembre 2008. Ce texte prévoit un retrait des forces combattantes américaines d’ici 2011. (...) Au mieux, « l’accord de sécurité » fait revenir l’Irak aux années 1930 quand les Britanniques dirigeaient en sous-main le pays. Au pire, la Mésopotamie restera cette zone grise où soldats et mercenaires occidentaux agissent impunément au nom des multinationales...De plus, l’accord garantit une impunité totale aux Occidentaux armés qui ont agi en Irak depuis 2003 (article 12), or, mercenaires et soldats sont déjà soupçonnés ou coupables de multiples exactions rarement poursuivies aux Etats-Unis comme ailleurs...Les mercenaires sont donc assurés qu’ils n’encourent rien.
Par la suite, les gouvernements américain et irakien ont cherché à résoudre le problème de la responsabilité des gardes privés en Irak. « Selon le New York Times, un projet de loi qui annule l’immunité dont bénéficient les sociétés de protection privées en Irak a reçu l’accord du gouvernement irakien mardi 30 octobre, et doit maintenant être approuvé par le Parlement. (...) Le journal new-yorkais établit un parallèle entre le projet de loi irakien et l’annonce, lundi 29 octobre dans la presse, de l’échec possible des poursuites aux Etats-Unis contre les gardes responsables de la fusillade du 16 septembre : « La décision du gouvernement irakien fait suite à des rapports indiquant que, pendant son enquête, le département d’Etat a promis aux gardes de Blackwater l’immunité contre d’éventuelles poursuites. Le 30 octobre, ce dernier a confirmé que des employés de Blackwater impliqués dans la fusillade s’étaient vu offrir une certaine forme d’immunité en échange de leurs dépositions. » (6)
Mais, bien que Baghdad ait interdit à Blackwater d’opérer sur le territoire irakien après la fusillade de 2007, dans l’espoir de faire oublier son passé, Blackwater a d’ailleurs changé son nom, en février 2009, pour « Xe Services LLC ». Xe assure toujours le transport aérien des diplomates américains qui y sont envoyés. Son contrat de deux ans, d’un montant de 217 millions de dollars, arrive à expiration le 3 septembre. « Mais nous en passer complètement ne serait guère envisageable dans les circonstances actuelles », avait déclaré la secrétaire d’Etat. D’ailleurs, le 3 septembre 2009, le département d’Etat américain a fait part de la prolongation du contrat de la société américaine Blackwater pour protéger la vie des diplomates américains en Irak, selon certaines sources d’information. Pourtant, le gouvernement de Nouri al-Maliki a interdit d’activité en Irak la société de sécurité Blackwater. C’est dire si la souveraineté de l’Irak est limitée...
« Si l’on croit la théologie catholique "une guerre juste" doit obéir à trois conditions, (...) La première des trois conditions énoncées par saint Thomas est que la guerre ne peut être légitimement décidée que par l’autorité politique souveraine qui a pour fin principale de connaître et de promouvoir le bien commun de la cité ou société politique parfaite. (...) La deuxième condition de la guerre juste est que la guerre soit entreprise pour une cause juste (..°) La troisième condition de la guerre juste est ainsi la rectitude de l’intention de celui qui fait la guerre. L’autorité politique suprême peut entreprendre une guerre pour une cause juste mais en étant mue principalement par une intention mauvaise. (...) On pourrait ajouter une condition que saint Thomas n’affirme pas explicitement : il faut que le belligérant use de moyens militaires légitimes. Il n’est donc pas permis d’user de n’importe quel moyen militaire pour vaincre son ennemi. Il y a des actes qui sont toujours mauvais en eux-mêmes et il n’est jamais permis de les poser. L’intervention des armées américaines et anglaises en Irak, décidée sans l’assentiment du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies »(7)
Les guerres que mène l’Occident ne sont pas justes et partant pas morales. Quand Bush avait envahi l’Afghanistan, c’était pour délivrer les Afghanes, maintenant c’est pour combattre le terrorisme. Et demain ? Cette guerre dissymétrique de 1 pour 1000 est encore plus amorale quand on utilise les satellites, les drones et les robots. On tue son adversaire sans le connaître à des milliers de kilomètres, à partir d’une salle climatisée du fin fond des Etats-Unis...
Chems Eddine Chitour
professeur à l’Ecole Polytechnique Alger
1. Un raid de l’OTAN fait 90 morts en Afghanistan : Le Monde.fr AFP, Reuters et AP 04.09.09
2. Les mercenaires Encyclopédie libre Wikipédia
3. Gérard Davet, Fabrice Lhomme, Profession : mercenaire français en Irak. Le Monde 25 112005
4. M.Landler, M.Mazzetti Washington a du mal à rompre avec Blackwater. NYTimes 24.08.09
5. Affaire BW : Que s’est-il vraiment passé le 16 septembre ? Courrier international 03.10.2007.
6. Barnabé Chaix. Quelle responsabilité pour les mercenaires américains ? Courrier International 31.10.2007
7.Qu’est-ce qu’une guerre juste ? http://www.etudesfda.com/SPIP/spip.php?article48