C’est une chose consternante qu’au moment où l’on commémore tristement le second anniversaire de l’attaque sanguinaire du peuple de Gaza - opération dont le nom de code israélien était Cast Lead (Plomb Durci) - on puisse déceler des signes qu’une nouvelle attaque d’envergure se prépare contre le peuple assiégé de Gaza.
Le journaliste israélien influent, Ron Ren-Yishai, a écrit le 29 décembre 2010 qu’il était vraisemblable qu’une nouvelle attaque d’importance se préparait et il citait à l’appui de ses dires des officiers militaires israéliens haut placés selon lesquels : "La question n’est pas si mais bien quand", une façon de voir partagée, selon Ren-Yishai, par "des ministres du gouvernement, des membres de la Knesset et des responsables municipaux de la région de Gaza".
Le chef d’état major assoiffé de sang, Lt Général Gabi Ashkenazi, confirme cette éventualité dans sa récente déclaration selon laquelle "tant que Gilad Shalit sera en captivité, la mission ne sera pas terminée". Il ajoute avec une ironie inconsciente "nous n’avons par perdu le droit de nous défendre".
Il serait plus juste de dire : "Nous n’avons pas renoncé au droit de nous lancer dans des guerres d’agression ni à celui de commettre des crimes contre l’humanité".
Et qu’en est-il des 10 000 enfants palestiniens, dont des enfants de moins de 10 ans, qui sont enfermés dans des prisons israéliennes en Palestine occupée ?
Brouiller les pistes
Dans ce contexte, l’escalade de la violence le long de la frontière entre Gaza et Israël devrait déclencher les sonnettes d’alarme dans le monde et à l’ONU.
Ces temps derniers, Israël a, à plusieurs reprises, bombardé impitoyablement des cibles à l’intérieur de la bande de Gaza, dont une près de Khan Younis, un camp de réfugiés civils surpeuplé, tuant ce faisant plusieurs Palestiniens et en blessant d’autres.
Ces attaques sont soit disant des mesures de rétorsion pour les neuf bombes par mortiers qui sont tombées dans une zone inhabitée sans causer de dégâts ni de blessés. Israël a aussi utilisé la force létale contre des enfants de Gaza qui ramassaient des graviers dans la zone tampon pour réparer leurs maisons.
Comme d’habitude le prétexte de la sécurité manque de crédibilité. S’il y avait une situation dans laquelle il aurait été approprié de tirer en l’air en signe d’avertissement c’était bien celle-là . En effet depuis deux ans le calme règne presque sans interruption à la frontière et les bombes par mortiers ou les roquettes rares et inoffensives qui ont été envoyées l’ont été contre le gré du Hamas qui ne veut pas donner de prétexte à Israël pour utiliser la force.
Symptomatiquement, Ashkenazi ment effrontément en présentant ce qui se passe à Gaza comme si c’était une déclaration de guerre : "Nous ne permettrons pas que des roquettes soient tirées sur nos citoyens et nos villes depuis ’des endroits protégés’ au milieu des civils".
Avec une précision digne d’Orwell, c’est juste le contraire qui est vrai : Israël, de son territoire protégé ne cesse d’attaquer, dans l’intention de les tuer, les Palestiniens de Gaza, des civils sans défenses qui ne peuvent pas s’échapper.
Le silence complice
Ce qui est peut-être encore pire que la propagande belliciste d’Israël c’est le silence assourdissant des gouvernements mondiaux et de l’ONU.
L’opinion publique mondiale a été choquée brièvement par le spectacle de cette guerre unilatérale qu’a été l’opération Cast Lead qui a été un immense crime contre l’humanité, mais aujourd’hui il ne voit pas cette escalade de menaces et de provocations destinées apparemment à dresser le décor d’une nouvelle attaque israélienne contre l’infortunée population de Gaza.
Le silence qui accueille les nombreuses preuves qu’Israël se prépare à lancer l’opération Cast lead 2, est une forme extrêmement grave de complicité criminelle de la part des plus hauts niveaux gouvernementaux, spécialement de la part de pays qui sont de proches alliés d’Israël ; ce silence démontre aussi la faillite morale du système des Nations Unies.
Nous avons été témoins du carnage des "guerres préventives" et de la "guerre préventive" en Iraq mais il nous reste à explorer les impératifs moraux et politiques de la "paix préventive". Combien de temps les peuples du monde devront-ils encore patienter ?
Il serait bon de se rappeler les paroles d’un habitant anonyme de Gaza en réaction aux attaques d’il y a deux ans : "Pendant que les Israéliens bombardaient nos quartiers, l’ONU, l’UE, la Ligue Arabe et la communauté internationale sont restés silencieux devant ces atrocités. Les centaines de cadavres d’enfants et de femmes n’ont pas réussi à les convaincre d’intervenir."
L’opinion publique libérale internationale s’enthousiasme au sujet de la nouvelle norme mondiale de "la responsabilité de protéger" mais personne ne dit que pour que cette idée soit crédible, il faudrait l’appliquer de toute urgence à Gaza. Sa population qui endure un cruel blocus depuis plus de trois ans est aujourd’hui sérieusement menacée par de nouveaux dangers.
Et bien que le Rapport Goldstone, le rapport exhaustif de la Ligue Arabe, Amnistie Internationale et Human Rights Watch aient confirmé que des atrocités avaient bien été commises en 2008-2009, personne ne s’attend à ce qu’Israël soit obligé de rendre des comptes et les USA, avec la complicité des médias, utilisent à plein leur muscles diplomatiques pour qu’il n’en soit plus question et que tout cela soit oublié.
Quelques vérités
Il n’y a que la société civile qui ait offert des réponses appropriées sur le plan moral, légal et politique, à la situation. Si oui on non ces réponses atteindront leurs objectifs seul l’avenir nous le dira.
Le Free Gaza Movement et la Flottille de la Liberté se sont opposés au blocus d’une manière plus efficace que l’ONU et les gouvernements en forçant Israël, du moins théoriquement, à annoncer qu’il allait alléger le blocus et permettre l’entrée de l’aide humanitaire et de matériaux de construction.
Evidemment, les faits sur le terrain contredisent la rhétorique israélienne : il n’arrive toujours pas à Gaza suffisamment de marchandises pour satisfaire les besoins de première nécessité des habitants ; il n’y a pas assez d’eau et le système d’égout est sérieusement endommagé ; il n’y a pas assez de fuel pour avoir assez d’électricité ; et les maisons que l’opération Cast Lead a détruites n’ont pas été reconstruites de sorte qu’il y a un manque terrible de logements (plus de 100 000 logements seraient nécessaires rien que pour donner un toit à tous ceux qui vivent dans des tentes).
De plus la plupart des étudiants ne sont pas autorisés à quitter Gaza pour aller étudier à l’étranger et la population vit emprisonnée dans un territoire constamment menacée de violences, de jour comme de nuit.
Cette description de Gaza n’offre pas des perspectives très réjouissantes pour 2011. Cependant il ne faut pas sous estimer la force d’âme du peuple de Gaza.
J’ai rencontré des Gazaouis, spécialement des jeunes gens, qui auraient pu être détruits par les souffrances que la vie leur a infligées à eux et leurs familles depuis qu’ils sont nés, et pourtant ils ont une vision positive de la vie et de ce qu’elle leur réserve et ils profitent de toutes les opportunités qu’ils rencontrent, ils minimisent leurs problèmes, se montrent chaleureux envers ceux qui sont moins fortunés qu’eux et partagent avec enthousiasme leurs espoirs d’avenir.
Ces contacts m’ont inspiré et ont renforcé ma détermination et mon sens des responsabilités : ce peuple fier doit être libéré d’un pouvoir oppressif qui n’a de cesse de l’emprisonner, le menacer, l’appauvrir, lui enlever la santé, le traumatiser, l’estropier, le tuer.
Jusqu’à ce que ce soit le cas, aucun d’entre nous ne devrait dormir sur ses deux oreilles !
Richard Falk est professeur émérite Albert G. Milbank de droit international à l’Université de Princeton et professeur éminent invité en études mondiales et internationales à l’université de Santa Barbara, Californie. Il a écrit et dirigé de nombreuses publications sur une période de cinq décennies, il a publié récemment le volume "International Law and the Third World : Reshaping Justice" (Droit international et tiers-monde : réorganiser la justice) (Routledge - 2008).
Il remplit actuellement la fonction de Rapporteur Spécial de l’ONU sur les droits civils des Palestiniens et il est dans la troisième année de son mandat de six ans.
Pour consulter l’original : http://countercurrents.org/falk050111.htm
Traduction : D. Muselet