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Singulier bras de fer entre 300 fétus de paille du Sud-Ouest et des négociateurs réfugiés à … Chicago.

Les Molex pour mémoire ou le dinosaure piteux.

En a-t-il assez fait, cette année, LGS, dans sa dénonciation du journalisme laquais pacsé avec le Pouvoir, maqué avec la Finance et en divorce d’avec l’information ?

En a-t-il dénoncé des mauvais coups en tous genres et des malfrats sans scrupules (mais pas sans moyens) ?

Et donc, n’a-t-il pas trop porté atteinte au moral de ses lecteurs sous prétexte qu’ils sont de la trempe à voir le monde tel qu’il est, ainsi que le conseillait Voltaire : « Je n’aurais pas voulu être heureux à condition d’être imbécile » ? Dans le doute, voici (enfin !) un conte vrai, celui de la rencontre d’un journalisme debout et de citoyens conscients et organisés. C’est l’histoire d’une lutte.

Trois cents salariés d’un paisible village du Sud-Ouest sont pris à la gorge par un mastodonte sans foi ni loi (du genre « ça passe ou ça casse » : dans les deux cas, il s’en fiche).

Ils sont fourmis, il est dinosaure : 15 mètres au garrot, 26 mètres de long, une queue puissante capable de pulvériser l’usine, l’école, les commerces, la mairie après avoir décapité l’église. Emmanchée sur un long cou, sa petite tête est programmée pour une mission sommaire : je broute là où c’est le meilleur pour moi.

Finalement (vous en lirez les détails édifiants ci-après), le monstre préhistorique est cerné et éperonnée de toutes parts. Sa bestialité est telle que la presse, les élus locaux, l’Eglise, le gouvernement même la condamnent. Les tribunaux aussi. Et plutôt quatre fois qu’une.

En vain : « Gros-cul-petite-tronche » a filé aux USA, home, sweet home. Sous l’aile d’Obama, les lois françaises ne valent pas. L’application de nos jugements de Justice non plus.

Heureusement, avant la fuite, la bête a dû se délester de quelques tonnes du gras de son bide et d’une partie de son gouvernail caudal. Les lilliputiens n’ont pas tout perdu. Vous verrez.

De surcroît, ils ont vécu une extraordinaire aventure et ils ont été pris (le savent-ils ?) dans une de ces formidables et rares accélérations du mûrissement des consciences par lequel il advient qu’en quelques semaines des individus révèlent des qualités hors pair, que des stratèges, des tribuns se mettent à pulluler sur des lieux où la division du travail voulait qu’on exécute et qu’on se taise : chacun à sa place, Ford et Taylor l’avaient jadis expliqué depuis les States.

J’ai eu l’occasion de rencontrer plusieurs fois quelques-uns de ces phénomènes qu’on appelle « les Molex ». Pour bien le connaître, je sais qu’ils ont bouleversé Eric Cabanis, photographe de presse qui a tiré leur portrait dans un livre qui embaume la bonté et qui resplendit de beauté et d’intelligence.

Il est des récits, des écrits, dont on sort avec la rage au ventre, d’autres avec du baume au coeur car ils font reculer la désespérance (« Les Français sont des veaux », vous vous rappelez ?) en faisant surgir des lions calmes et fiers, dont la hyène ne peut supporter le regard et dont elle a peur, jusque dans son antre d’outre-Atlantique où son ricanement et son odeur déprécient les alentours.

C’est une tranche d’Histoire que vous allez découvrir ici à travers des textes de Stéphane Beaud et Michel Pialoux, sociologues (auteurs de « Retour sur la condition ouvrière », Fayard, 1999), d’Eric Darras (professeur des Universités en Science politique), d’Alexandra Oeser (Maîtresse de conférences en sociologie), qui accompagnent des textes et les photos du livre d’Eric Cabanis.

Le livre s’appelle PORTRAITS DUNE LUTTE. « Les Molex » pour mémoire » (éditions Arcane 17).

Eric Cabanis a tiré le portait de 54 « Molex » en leur laissant un espace pour qu’ils disent leur sentiment en une phrase ou deux. Le résultat est saisissant.

Ce que vous lirez dans ce livre et dont vous sont offerts ci-après quelques échantillons, n’est pas un épisode tragique de la vie ouvrière en province, un appel à la compassion, mais bien un récit qui montre comment un groupe de femmes et d’hommes modestes, qui se fichaient d’Andy Warhol et de sa promesse de gloire due, sont entrés dans l’Histoire. Car il ne sera plus possible de parler désormais de droits du travail, de respect des lois sociales, de syndicats, de délocalisation, de patron-voyou, de Villemur-sur-Tarn sans dire : « Molex ».

Maxime Vivas.


« Il y a des gens qui vous laissent tomber un pot de fleurs sur la tête d’un cinquième étage et qui vous disent : je vous offre ces roses » (Victor Hugo).

MOLEX et « les Molex »

Eric Cabanis (Texte d’introduction du livre).

L’histoire de Molex à Villemur-sur-Tarn, c’est l’histoire de l’industrialisation de la France dans les années 20 par un patronat propriétaire-fondateur, voisin géographiquement des salariés, auquel se sont substitués, au fil du siècle, des restructurations et des fusions, des haut-cadres dirigeants agents d’exécution choisis et nommés par des conseils d’administration insaisissables, souvent basés hors des frontières et régis par d’autres lois.

Ventes, rachats, privatisations, délocalisations et bénéfices sous la tutelle des « marchés » ont conduit à la situation que vivent aujourd’hui, comme tant d’autres, « les Molex ». Les paroles et les regards recueillis dans cet ouvrage en disent long.

A Villemur, comme ailleurs, le tournant décisif a lieu dans le milieu des années 80 par un accord de partenariat -actionnariat, prise de participation- conclu entre le nouveau propriétaire de l’usine et une société financière. Au capitalisme industriel succède un capitalisme financier et spéculatif.

Mais ici la désindustrialisation s’est assortie du pillage de sa technologie et de ses outils. Plusieurs centaines de personnes sont licenciées pour des raisons « économiques » jamais démontrées et néanmoins validées par le pouvoir politique en place en toute illégalité. Les décisions de justice, comme les enquêtes de l’inspection du travail, le confirment.

L’histoire du site c’est la fabrication du câble électrique, le début des faisceaux pour l’automobile, la Connectique Modulaire pour Calculateurs (CMC) avec ses développements ultérieurs durant plus de trente ans grâce à un savoir-faire quasiment unique.

La présence du groupe américain de composants électroniques MOLEX à Villemur date seulement d’avril 2004.

Au début fut la Société Générale d’Equipements (SGE), créée dans les années 1920 par Pierre Compte, basée à Vire en Normandie (voir historique) qui, travaillant pour l’aéronautique, décida en 1941 de s’installer près de Toulouse, en zone non-occupée. Dans les années 1970, le groupe compte plus de deux mille salariés.

C’est en 1958 que la SGE est achetée par le groupe LABINAL. Elle change de raison sociale en 1977 pour devenir CABLAUTO. Dans les quinze années qui suivent et après diverses péripéties de transferts de siège et de créations d’établissements distincts dans des localités avoisinantes, l’activité câblage est dissociée de l’activité connectique automobile. Cette dernière s’appelle désormais CONNECTEURS CINCH, réside à Villemur et appartient toujours à LABINAL.
En juin 1987, LABINAL prend une participation de 45% dans le capital de la société financière TURBOMECA.

En 2000 un groupe privé, VALEO, s’associe avec la Société Nationale d’Etude et de Construction de Moteur d’Avions (SNECMA, nationalisée en 1945) pour racheter LABINAL, se partageant ainsi les activités. SNECMA conserve CINCH et les activités aéronautiques, VALEO prend le reste.

Mais le 9 octobre 2003, le gouvernement présente un plan de privatisation de plusieurs entreprises publiques dont la SNECMA.

Hasard ou nécessité ? Vingt et un jours plus tard, la SNECMA fait savoir qu’elle cède l’activité connectique de CINCH au bénéfice du groupe étasunien MOLEX. Ce dernier hérite du savoir-faire technologique et de clients comme PSA, BMW, Daimler-Chrysler, Renault, prenant ainsi des positions sur les marchés européens.

C’est à peine moins de cinq ans après ce rachat, le 23 octobre 2008, que MOLEX annonce devant le comité d’entreprise son intention de fermer le site de production, dans le prolongement d’un plan de réorganisation mondial annoncé en juin 2007. Quelque 300 salariés sont concernés. Le combat « des Molex » commence (voir chronologie) et jusqu’au bout leur devise restera « les Molex en lutte pour l’emploi ».

Tous les salariés rencontrés ici affirment que MOLEX n’a jamais eu le désir de s’implanter durablement à Villemur, « dès le début, tout était déjà prémédité ». Pour eux, il s’agit d’une stratégie financière et commerciale concoctée dès le départ à leurs dépens.

Que, lors du rachat, le groupe américain ne reprenne que les outils et les clients et non les murs (loués par CINCH), que les doubles des moules et de l’outillage soient transférés aux USA bien avant l’annonce du 23 octobre, prouve à leurs yeux l’unique intention de MOLEX d’éliminer un concurrent afin d’absorber ses parts de marché.
De même, ils évoquent la « complicité » du gouvernement en notant que le cabinet d’avocat américain conseillant MOLEX et SNECMA était dirigé au moment de la revente par une avocate d’affaires française, qui deviendra ministre de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi par la suite.

Au-delà de leur propre aventure, nombre d’entre eux constatent plus largement une fuite programmée de l’industrie au profit de nébuleuses multinationales, le pillage des compétences façonnées et acquises durant plusieurs dizaines d’années de labeur, voire du siècle, malgré les silences des dirigeants et les dénégations des gouvernements sur ce sujet (1).
Les Molex ressentent aujourd’hui encore une profonde injustice, « il y avait du boulot, le site était bénéficiaire et les carnets de commandes pleins ».

En 2009, MOLEX-Villemur, repris par le fonds d’investissement américain HIG, devient Villemur Industries (VMI). 39 Molex sont embauchés, entre autre grâce aux aides financières provenant majoritairement de l’Etat. Leur ancienneté maison est remise à zéro. VMI sous-traite pour MOLEX, son principal client pour le moment.
Le ministre de l’Industrie assure que d’ici fin 2010, VMI emploiera « 50 à 60 personnes ». « VMI ne restera pas. Ils nous l’ont dit. Ils vendront aussitôt après avoir rentabilisé le site » dénoncent les Molex, repris ou non.

L’histoire « des Molex », c’est l’histoire d’un combat symbolique de salariés contre les délocalisations sauvages, la désindustrialisation, le piratage industriel. Ils luttent pour la sauvegarde de l’outil de travail et le maintien de l’emploi. Ils résistent durant onze mois pour faire reconnaître l’illégalité de la fermeture et démontrer la viabilité de l’entreprise.
Ils n’ont de cesse de tenter d’infléchir la décision et engagent quatre procédures en justice. Les quatre sont gagnées.
Tout au long du conflit, les élus syndicaux et leur avocat alertent les médias. Quant à la direction, elle s’adjoint les services d’une agence de communication pour diffuser son point de vue.

La bataille juridique démarre le 5 février 2009 mais la presse n’en fait que peu écho. Ce jour-là , le TGI de Paris condamne MOLEX à communiquer à la société d’expertise comptable les éléments d’information sollicités par cette société, sous astreinte de 1.500 euros par jour de retard.

Les 20 et 21 avril 2009, les salariés retiennent deux dirigeants durant quelques heures. L’ensemble des médias relaie la « séquestration » à grand renfort de reportages. Le lendemain, lors d’une intervention sur les conséquences de la crise financière, le Premier ministre fustige la direction de Molex qui n’a pas communiqué aux salariés des informations importantes notamment sur le déménagement d’une activité qui peut s’apparenter à « un délit d’entrave ».

Le 19 mai, le TGI de Toulouse ordonne de suspendre la mise en oeuvre du projet de restructuration et des licenciements pour motifs économiques. Le 11 août, le juge des référés de Toulouse rejette la demande de la direction de fermer provisoirement l’usine par mesure de sécurité. Le 18 septembre, le conseil des prud’hommes de Toulouse donne satisfaction aux salariés et ordonne le paiement des salaires d’août.
Le 6 mai 2010, près de vingt mois après l’annonce, le tribunal correctionnel de Toulouse confirme le bien-fondé du combat « des Molex ». Il condamne deux des dirigeants à 6 mois de prison avec sursis et 10.000 euros d’amende chacun pour « délit d’entrave » au comité d’entreprise.

Pourtant, en décembre 2009 MOLEX-Villemur fermait puis, après moult négociations, était repris par le fonds d’investissement américain HIG. De son côté, en mars 2010 le ministère du Travail, sans attendre la dernière décision de justice et contre les avis de l’inspection du Travail, un de ses services, prête la main publiquement à la direction en validant le licenciement des élus pour « motif économique ».

Malgré les 1.2 M.EUR de bénéfice affichés pour l’année fiscale 2008, une forte médiatisation du conflit, les déclarations au plus haut niveau de l’Etat désignant les patrons-voyous, cinq décisions de justice, le groupe américain laisse, cinq ans après son arrivée à Villemur, plus de 200 salariés sur le carreau.

Ce travail leur rend hommage.

Pour l’effectuer j’ai contacté plusieurs dizaines d’entre eux par l’intermédiaire de l’association « Solidarité des Molex » avec l’aide substantielle de son président, Patrick Frégolent.

Peu ont catégoriquement refusé mais ils l’ont fait de façon légitime et argumentée, « je veux tourner la page MOLEX au plus vite mais hélas cela reste très difficile, on n’efface pas 33 années de travail du jour au lendemain », « à ce jour nous constatons, mon épouse et moi, que notre combat a servi à du copinage (VMI)…. J’aurais plutôt souhaité que les journalistes travaillent sur la façon dont l’Etat (SNECMA) nous a vendu à MOLEX. C’est pourquoi, je ne réponds pas positivement à votre requête » ou plus simplement « je ne souhaite pas participer à votre projet mais je vous remercie de l’intérêt que vous portez aux ex-Molex »
D’autres n’ont jamais donné signe de vie. Leurs raisons sont sans doute analogues. De même, la lassitude est compréhensible.

Mais avec toutes celles et ceux qui ont bien voulu poser, m’accueillant soit chez eux soit ailleurs et acceptant de répondre à mes quelques questions, le contact a toujours été chaleureux et enrichissant pour moi. Ils (elles) m’ont accordé un peu de leur disponibilité et aidé à mieux comprendre en profondeur « les Molex » face à MOLEX par des mots toujours exprimés avec sensibilité, parfois avec émotion.

Ceux-là ont posé devant mon objectif avec patience, je dirais presque « avec professionnalisme », répondant à mes sollicitations et exigences de photographe mais toujours conscients du devoir de mémoire « afin que ce type de situation ne se reproduise plus ». Je les en remercie.

Tous se sont accordés à dire que la lutte n’a pas été inutile « pour montrer à ces messieurs qu’ils ne s’en sortiraient pas comme ça », « on s’est battu pour garder un savoir-faire. L’industrie est en train de partir ailleurs », « si on avait dit amen à tout, on aurait été rayé de la carte », « faut jamais lâcher », pour constater au final que « le Code du travail ne prévoit rien » et « solidarité et injustice. Avec ça j’ai dit l’essentiel ».

Pour l’ensemble des salariés apparaissant ici ce combat se veut exemplaire. Des mois après la fermeture, ils gardent encore le souci de l’exporter aux quatre coins du pays et de le faire connaître aux travailleurs en difficulté.
Plusieurs d’entre eux se tenaient « devant » lors du conflit, « quand il faut y aller, je pars. J’ai toujours été là pour aider les syndicats », « quand on m’a appris que la direction était retenue je suis aussitôt partie sur les lieux. Fallait assumer », « à n’importe quelle heure j’étais disponible et prêt, mon épouse le comprenait », « j’ai passé des dimanches devant l’usine pour surveiller s’ils ne la dépouillaient pas de l’outillage », « notre seul but était de lutter pour garder l’emploi ».

La grande majorité s’est sentie lâchée par le pouvoir politique, révoltée mais lucide face à l’injustice, « dans les réunions, la direction détournait les questions sous une pointe de chantage. C’est une violence morale », « de toute façon ils avaient les moyens d’avoir ce que eux voulaient », « on est revenu au temps de Louis XIV ou de Napoléon. C’est un système à plusieurs étages », « j’ai un sentiment d’injustice encore présent à ce jour », « de constater notre impuissance, ça m’a fait mal ».

Ils m’ont raconté le grand raout organisé dans une salle municipale par la direction quelques mois avant l’annonce avec petits fours, grand écran, vidéo et graphiques, où « ils nous ont dit qu’on était les champions alors qu’ils étaient déjà en train de nous pirater », « en tant qu’agent de maîtrise, la dernière année j’ai effectué des formations sur l’éthique et l’équité dans le travail alors que eux nous racontaient des craques », « on a tout fait pour que tout marche correctement même s"il a fallu nous adapter à leurs méthodes à l’américaine. C’était un autre esprit ».

Un des derniers embauchés m’expliquait, « on avait fait des efforts pour améliorer les résultats de l’entreprise pour, au final, être foutus dehors. Il n’y a aucune reconnaissance du travail et des efforts fournis ». « J’étais artisan en région parisienne, spécialiste de marque de presse à découper le métal, et ai été recruté par MOLEX deux ans et demi avant l’annonce. Je suis descendu avec ma famille, j’ai acheté un terrain et commencé à faire construire. Ma maison n’est toujours pas finie », « au départ je partais perdant, j’étais même opposé aux syndicats mais si on n’avait rien fait, on n’aurait rien eu ».

Un autre, pourtant menacé une première fois d’un licenciement sec pour avoir envoyé un mail à la direction au plus fort du conflit, dénonçant « les procédés de bandits de grands chemins » arrangés entre celle-ci et certains clients, m’a détaillé ses conversations avec des cadres français, européens et américains qui l’avaient recontacté, neuf mois après la fermeture de l’usine.
Ils lui proposaient de façon insistante une réembauche avantageuse, « pour l’argent on s’arrangera toujours », « c’est très intéressant pour vous », et lui conseillaient d’accepter… puis demeuraient surpris par le mystère de son refus, invraisemblable pour eux.
Manifestement, tenter de fabriquer à qualité égale à partir de moules clonés, sans la maîtrise du savoir-faire, ne va pas de soi et provoque quelques incidents avec anciens et nouveaux clients…

L’histoire « des Molex » ne se résume pas à un conflit dû à une fermeture d’usine dans une petite ville au décor rural du sud-ouest de la France. Des centaines de MOLEX ferment chaque jour dans le monde, des millions de « Molex » se retrouvent sans emploi.

Ils sont les témoignages des logiques financières, les visages des plans « sociaux » cités quotidiennement entre deux faits-divers dans les 20 heures télévisés ou en quelques lignes dans les colonnes des journaux, là où les maîtres des marchés, les économistes et les penseurs bien en vue ont leurs pages spécialement dédiées.

Les portraits qui suivent sont un constat brut, sans artifice et sans parti-pris. Des femmes, des hommes, signifiant derrière leur regard des vies.

J’aimerais que le lecteur s’attarde sur chacun. Pour mémoire.

Eric Cabanis

(1) Selon les chiffres définitifs de Pôle emploi (opérateur public du service de l’emploi créé en octobre 2008) publiés le 5 août 2010, l’emploi salarié en France a reculé de 1,5% en 2009 pour atteindre « un niveau jamais observé depuis l’après-guerre ». 256.100 postes de travail ont été perdus en 2009, portant à 16.287.700 le nombre de salariés des secteurs concurrentiels. Le secteur industriel, dans lequel travaillent 19% des salariés français, a été le plus touché (- 5,2 %, soit moins 168.200 postes).

Chronologie et acteurs impliqués.

Eric Cabanis n’a pas fait que photographier et entendre les acteurs de cet incroyable feuilleton. Il a reconstitué, semaine par semaine, parfois jour par jour quand l’actualité l’exigeait, la saga des Molex entre le 23 octobre 2008 et le 4 novembre 2010.

Ce travail, qui occupe 11 pages de son livre est une mine pour les historiens et les sociologues.

On y croise le directeur des ressources humaines de Molex, la Dépêche du Midi, Nicolas Sarkozy, François Fillon, Luc Chatel, Christian Estrosi , Bernard Thibaut de la CGT, Jean-Claude Mailly de FO. On y voit aussi Gérard Bapt, Pierre Cohen, Martin Malvy, Pierre Izard, élus du coin, Martine Aubry, Benoît Hamon, des juges et des avocats, l’inspection du travail, le conseil des prud’hommes de Toulouse, le parti communiste, le Préfet de la Haute-Garonne, le consul des Etats-Unis, le curé de Villemur, les patrons-voyous (selon une expression employée par un ministre), des négociateurs réfugiés à … Chicago (ça ne s’invente pas), Eric Woerth (hélas !), un syndicaliste états-unien, 300 salariés et des militants locaux des différents syndicats français parmi lesquels, Guy Pavan, élu CGT du personnel, sorti de l’ombre (à son corps défendant) pour devenir un porte-parole au redoutable talent pédagogique fait de logique cartésienne et de pondération.

La participation et le soutien de sociologues.

Le texte et les photos d’Eric Cabanis sont enrichis d’une préface d’Alexandra Oeser, Maîtresse de conférences en sociologie et d’Eric Darras, Professeur des Universités en Science politique.

Extrait : « Eric Cabanis ne conçoit certainement pas ses photographies tel un piège qui profiterait à un anti-américanisme facile : des situations comparables existent aujourd’hui partout dans le monde, les multinationales françaises ferment elles-aussi régulièrement des sites de production rentables à l’étranger, tel aujourd’hui Valéo en Corée ».

Sous le titre : « Vous avez dit « lutte des classes », un autre texte du livre est signé Stéphane Beaud et Michel Pialoux, sociologues, auteurs de « Retour sur la condition ouvrière », Fayard, 1999.

Extrait : « Du côté de « l’homme aux écus » comme disait Marx, du Capital et de ses alliés objectifs, qu’a-t-on vu ? La fermeture d’une usine rentable située dans un petit coin de France par un groupe américain avide de satisfaire ses actionnaires pansus ; l’annonce brutale - toujours « brutales » ces annonces, il faut frapper vite et fort, assommer d’entrée (on doit apprendre cela en cours de gestion dans les Business Schools à dix mille dollars l’année de frais d’inscription…) - du licenciement consécutif de près de trois cent salariés en majorité qualifiés du site ; une longue liste d’infractions au code du travail par l’employeur comme si le mot même de « droit du travail » n’existait pas à ses yeux ; la tentative de Molex de récupérer le précieux savoir-faire local par des manoeuvres informatiques de bas étage, dignes de mauvais polar ; enfin, pour abréger, la duplicité/complicité dans cette affaire du gouvernement français (côté pile, Fillon fustige la transgression des règles élémentaires de droit par l’entreprise américaine ; côté face, les ministres du travail et de l’industrie négocient, s’aplatissent et cautionnent le tout pour « sauver » au bout du compte trente emplois) ».

«  PORTRAITS DUNE LUTTE. Les Molex pour mémoire » Eric Cabanis.
Editions « Arcane 17 ». 96 pages, 54 photos. 23 euros.

(Ce dossier a été établi pour LGS avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur).

PS. Le 27 octobre 2010, « En début de matinée, Molex publie un communiqué signé du PDG Martin Slark annonçant que « les revenus et le bénéfice par action ont atteint un record absolu en septembre », « les recettes étant même supérieures à ce qu’elles étaient avant la récession », « compte tenu de ces revenus et profits record, couplés à une organisation plus efficace qui résulte de la restructuration, nous augmentons le dividende (des actionnaires) de 14,8% ». Le groupe révèle avoir réalisé un chiffre d’affaires de 897,7 millions de dollars, en hausse de 33% sur un an et un bénéfice net de 75,1 millions de dollars » (Extrait de l’ouvrage).

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