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Du « Goulag Tropical » au « Désert des Tartares »

Le modèle cubain : « l’annonce de ma mort est très exagérée »

DU « GOULAG TROPICAL » AU « DESERT DES TARTARES »

A force de sortir précipitamment leurs valises à chaque annonce de l’imminence de la « chute du régime castriste » et de les ranger aussitôt devant le constat amer d’une fausse alerte, les anticastristes primaires sont probablement les seuls à posséder des valises usées jusqu’à la corde mais qui n’ont jamais servi.

Voici un enregistrement effectué il y a deux ans au lendemain de la passation de pouvoir de Fidel Castro à Raoul : « ah, ça y’est, c’est la fin du régime ». Le léger tremblement d’émotion à la fin sont dues aux larmes de joie versées par Jacobo Machover, anticastriste primaire et notoire, qui écrivait au même moment dans le Nouvel Observateur que Fidel Castro « était probablement déjà mort ». Comme on peut le constater, Fidel était bel et bien déjà mort - de rire.

Et voici maintenant un autre enregistrement (prêtez bien l’oreille) : « ah, ça y’est, c’est la fin du régime ». Celui-ci a été effectué lors de l’annonce de la « dédollarisation » de l’économie Cubaine en 2004.

Comment s’en lasser ?

1996 - adoption de la loi US Helms-Burton : « ah, ça y’est, c’est la fin du régime ».
1993 - « dépénalisation du dollar » : « ah, ça y’est, c’est la fin du ».
1992 - adoption de la loi US Torricelli : « ah, ça y’est, c’est la fin ».
1991,1990,1989 - chute de l’Union Soviétique et introduction du tourisme de masse à Cuba : « ah, ça y’est, c’est la ».
1975 - intervention militaire cubaine en Angola pour repousser les troupes racistes sud-Africaines. « ah, ça y’est ... ».
1966 - adoption de la loi sur l’immigration « Cuba Adjustment Act » : « ah, ça... ».
1961,1960 - premières tentatives de sabotage économique de la part des Etats-Unis : « ah... »
1959 - Révolution cubaine : « rassurez-vous, Mister President, cette révolution ne durera pas 6 mois »

L’anticastriste primaire annonce la « fin du régime » à Cuba comme l’idiot du village saharien annonce chaque matin la pluie. Oui, je sais, même au Sahara il arrive de pleuvoir, et peut-être qu’un matin il pleuvra pour de vrai, mais ça ne rendra pas l’idiot du village plus intelligent pour autant. Alors, lorsque les autorités cubaines ont annoncé récemment la suppression de 500.000 postes du secteur public d’ici le mois de mars 2011, que croyez-vous qu’il arriva ?

Faire et refaire la même erreur pendant cinquante ans, ça doit bien avoir un nom ?

DES PETITES PHRASES AUX ONOMATOPEES ?

Il serait évidemment tentant de s’attarder sur la « petite phrase » de Fidel Castro. Et ce serait assez typique du fonctionnement des médias et des pratiques du monde politique chez nous. A quoi bon dérouler une pensée ou expliquer une situation ? A l’allure où vont les choses, même les « petites phrases » seront de trop et un jour on n’aura plus droit qu’aux onomatopées.

Un journaliste : « Il a dit QUOI ??? »
Un autre journaliste : « Hum, je crois qu’il a dit "Oh" »
Un journaliste : « C’est bon, on le tient. On ouvre le journal de 20h avec ça, les gars ».

Mais il y a ceux qui commettent systématiquement l’erreur de tenter de comprendre Cuba à travers Fidel Castro alors que pour comprendre Fidel Castro il faut d’abord avoir compris Cuba.

Pour un homme réputé pour ses « discours fleuves », il y a une certaine ironie à s’attarder sur une poignée de mots. D’ailleurs, Fidel n’a jamais fait de « discours fleuves ». Fidel a fait de longues interventions, nuance. Les « discours », c’est ce que prononcent nos responsables politiques à nous, ceux qui font des promesses qui n’engagent que ceux qui les croient. Ceux qui promettent une chose en campagne électorale et qui font le contraire une fois élus. Ceux qui embauchent des doués de la plume pour leur tourner de belles « petites phrases » qui feront le buzz de la semaine. Le discours, c’est pour celui qui n’a pas honte de prononcer quarante fois (sic) le mot liberté dans une intervention de 20 minutes (sic), exploit réalisé par George Bush, par exemple. Un discours, chez nous, c’est l’opération qui consiste à trouver les mots justes pour remporter l’adhésion d’une population à une politique injuste.

Alors oui, dans ce cas, un discours de deux heures, d’une demie-heure et même de dix minutes, c’est long. Moi, j’entends « Français, Françaises... » et ça y est, je baille.

Fidel Castro ne faisait pas de discours, Fidel délivrait des cours magistraux à la population cubaine. Il ne promettait pas du sang, des larmes et de la sueur, comme ça, juste pour entrer dans le dictionnaire des citations ; il « expliquait » à la population et la conviait à ses côtés, pour lui préciser quel sang, pourquoi des larmes, avec quelle sueur. Oui, expliquer exige un effort, une analyse, une compréhension, les mots pour le dire, la volonté de le faire et du temps. Essayez de retrouver un seul de ces éléments parmi nos responsables et on en reparlera.

C’est ça la politique chez nous. Dites « je vous aime » et vous passerez au 20h de TF1. Dites pourquoi et comment « je vous aime » et vous aurez de la chance si vous arrivez à vous caser à 23h30 sur ARTE.

LE PREMIER DEVOIR D’UN FONCTIONNAIRE...

Ca fait vingt ans et plus que les médias nous serinent que « le peuple cubain a envie de changement », « il faut que ça bouge », « l’immobilisme cubain », etc. Si le régime ne bouge pas (sous-entendu vers plus de libéralisme) ça va péter. Et lorsque le régime bouge (vers ce qui est décrit comme plus de libéralisme) ça va péter aussi. Ca fait aussi vingt ans et plus que les mêmes médias aiment à répéter qu’un « Cubain qui travaille dans le privé gagne en un jour ce que son père fonctionnaire gagne en un mois ». Autrement dit, toujours selon la logique des médias, dans les prochains mois, 500.000 cubains vont voir leur revenus multipliés par 30. Qui dit mieux ?

Toujours selon les commentateurs des médias, cette soudaine et massive « libéralisation » est le signe patent d’un échec et la fin d’un modèle (encouragés qu’ils étaient par la récente « petite phrase » prononcée par Fidel Castro).

On en déduirait que le « modèle cubain » reposait sur l’idée suivante : faire une révolution à 150km de Miami pour pouvoir embaucher un maximum de fonctionnaires.

Ainsi, la célèbre phrase « le premier devoir d’un révolutionnaire, c’est de faire la révolution » n’aurait été qu’une mauvaise traduction de « le premier devoir d’un fonctionnaire, c’est de faire remplir le formulaire ». Et « socialismo o muerte » en réalité voulait dire « nous sommes ouverts de 9h30 à 11h00 et de 13h45 à 16h30, du mardi au jeudi ». Vous avez cru comprendre « soyons réalistes, demandons l’impossible » ? Que nenni. Il fallait comprendre « revenez demain avec tous les documents ».

Qui pourrait résister à un tel objectif - au point d’y consacrer (et risquer) sa vie ?

CUBA : UN « MODELE » DE RESISTANCE

Certains prédisent que la société cubaine « n’y résistera pas ». Alors remontons par exemple à l’année 2003, lorsque l’industrie sucrière à Cuba, qui était une des principales ressources économiques du pays, a été réduite de moitié. 200.000 travailleurs ont alors « perdu leur emploi », selon la terminologie consacrée. Prenons un pari peu risqué : si les travailleurs et leurs familles s’étaient retrouvés à vagabonder et mendier sur les routes, comme cela se serait passé en d’autres temps ou en d’autres lieux, il ne fait aucun doute que les médias du monde entier se seraient précipités pour illustrer « la faillite du modèle cubain ». Mais les médias n’ont pas pipé mot. Nous racontons dans notre livre Cuba est une île (D. Bleitrach et V. Dedaj avec la participation de J-F Bonaldi) comment les suppressions d’emploi ont été accompagnées par des restructurations, des reconversions, etc., pour aboutir à ce qu’aucun travailleur ne soit abandonné à son sort.

Cette année-là , la société cubaine a résisté, et bien résisté. Comme elle a résisté aux cyclones. Comme elle a résisté à la dollarisation/dédollarisation. Comme elle a résisté au tourisme. Comme elle a résisté à la Période Spéciale. Comme elle a résisté aux lois Torricelli, Helms-Burton et autres plans de l’administration US visant à fournir à Cuba « une assistance pour une transition vers la démocratie ». Comme elle a résisté à l’agression économique et paramilitaire la plus longue de toute l’histoire.

A observer le « modèle cubain », la seule chose que l’on puisse affirmer avec certitude, vue d’ici, est qu’il a maintes fois démontré sa capacité à absorber des changements qui auraient été vécus ailleurs comme de véritables traumatismes.

Jacques-François Bonaldi, à la Havane, précise : « Le licenciement durant plusieurs fois concernera 500 000 travailleurs (à terme, ce sera un total d’un million), et non 500 000 fonctionnaires. La mesure touche l’ensemble de l’activité économique, et non les employés de l’administration publique. Je rappelle qu’à Cuba, l’énorme majorité de l’activité économique est aux mains de l’État. » et rappelle que « cette énorme quantité de travailleurs excédentaires est tout simplement le fruit aussi bien des bienfaits que des méfaits d’un socialisme cubain qui s’est toujours voulu et continue de se vouloir à la mesure de l’homme et non de l’économie, de la parfaite utopie qui voulait, dans un pays pauvre (et victime d’un blocus), en faire plus que ne pouvaient les conditions matérielles , de vouloir forcer le destin au point de convertir « l’étude en une forme d’emploi » (ce qui sera aussi supprimé, ainsi que d’autres formes de subventions). Bref, qui continue de croire dans un monde qui n’y croit plus (guère : il reste encore quelques îlots) qu’un autre monde est possible. »

Une telle capacité ne s’obtient pas avec des bataillons de consultants élevés en batterie dans des « sociétés d’audit et de conseil », mais par un « modèle » dont les observateurs ici n’ont apparemment toujours pas compris la nature exacte.

Alors la société cubaine résistera-t-elle cette fois-ci ? Si vous me posez la question, je vous répondrai « probablement ». Si vous posez la question à l’idiot du village saharien, il vous répondra « j’ai mal aux genoux, signe qu’il va pleuvoir ».

TOUT ENTENDRE, TOUT VOIR ET TOUT SUPPORTER

Mais la censure exercée par les médias et le discours servi sur les antennes par les anticastristes un tantinet mythomanes peuvent parfois faire illusion. Comme cette écrivaine qui s’est réinventé un passé pour s’attirer les sympathies du monde de l’édition, qui tient un langage «  progressiste » ici et défendra l’agression contre l’Irak ailleurs. Comme cet autre écrivain qui admet (hors antenne) à un journaliste qu’il s’était « récemment » rendu à Cuba alors même qu’il avait insisté et répété sur France Inter qu’il était « exilé », « interdit de séjour » et qu’on lui « refusait le visa pour revoir le pays où il était né ». Comme cette blogueuse sacrée «  une des personnalités les plus influentes au monde » par le presse US mais qui s’avère être incapable d’aligner trois phrases cohérentes lorsqu’elle est interviewée. Comme ce « spécialiste » membre d’un « centre d’études » qui lance une nouvelle légende urbaine sur Cuba en déclarant sans hésitation que le « principal fournisseur d’aliments à l’île sont les Etats-Unis » (*). Comme ce « prisonnier politique » gréviste de la faim qui se trouvait enfermé pour cause d’un coup de machette malencontrueux et qui n’avait de politique qu’une tardive reconversion au martyr. Comme ce « poète emprisonné » poseur de bombes. Comme les sidatoriums, « prisons pour sidéens », etc.

L’anticastrisme mène-t-il à tout ? L’expérience démontre qu’il ne mène pas souvent vers la vérité et assez fréquemment vers les studios.

GRATTEZ UN ANTICUBAIN, VOUS TROUVEREZ UN REACTIONNAIRE

Comme si cela ne suffisait pas, une fois ce brouillard dissipé, il reste encore à se coltiner les errements de la Gauche la Plus Conne de la Planète (la nôtre), celle dont José Saramago disait qu’elle « n’a pas la moindre putain d’idée du monde dans lequel elle vit ». Lorsqu’il s’agit de Cuba, la voilà soudainement détroussée de tout esprit critique, du moindre recul, de la méfiance la plus élémentaire. On remarquera que c’est souvent la même qui avale tout ce qui a eut été raconté sur l’Irak, tout ce qui s’est raconté sur le Venezuela, tout ce qui se raconte sur l’Iran, et tout ce qui se racontera sur le prochain sur la liste.

Dans ce domaine, Cuba est un instrument de mesure à l’efficacité redoutable, un véritable détecteur d’opportunistes et de retourneurs de vestes en tous genres.

Prenez un José Bové, par exemple. Longtemps icône de l’altermondialisation, José Bové, lors de la campagne de récolte de signatures pour sa candidature à l’élection présidentielle, s’est cru en devoir de se démarquer de Cuba, où il avait été très correctement reçu et où il avait pu s’exprimer librement - de son propre aveu dans son propre livre. Sans même y avoir été invité, il s’est lancé dans deux diatribes consécutives contre ce pays pour se poser en victime et inventer une expulsion et une censure inventées de toutes pièces. (1) Ses futurs renoncements et compromissions s’annonçaient et Cuba en fut l’annonciatrice.

J’invite le lecteur à tenter l’expérience suivante : prenez une personnalité. Examinez ses positions, ses déclarations sur Cuba. Comparez avec le reste de ses actions et positions. Ca ne rate pour ainsi dire jamais et ça vous fera gagner beaucoup de temps.

Autrement dit, c’est tellement plus simple de « balancer » sur Cuba pour s’acheter un passe-droit dans les médias que cela en dit long sur l’esprit qui est derrière. Et lorsque pour ces cinq minutes de gloire on est prêt à passer par-dessus bord une extraordinaire aventure humaine et qu’on n’a plus que les mots « droits de l’homme » et « démocratie » à la bouche, vous pouvez être sûr et certain que le dernier de ses soucis sont - justement - les droits de l’homme et la démocratie.

Pour paraphraser Lénine, «  grattez un anticubain, vous trouverez un réactionnaire ».

UNE SOLIDARITE PLUS GRANDE QUE L’ILE

Comment éviter l’éternelle comparaison avec les anciens pays communistes de l’Est ? Comment éviter d’entendre « oui, oui, on nous a déjà fait le coup, mais la réalité est... ». Soulignons le phénomène suivant : dans le cas des ex-pays communistes, les visiteurs sympathisants a priori revenaient « plutôt déçus » (le degré de déception pouvant énormément varier d’un pays à l’autre, d’ailleurs). Dans le cas de Cuba, c’est plutôt le phénomène contraire - et il ne fait que s’amplifier au fur et à mesure que la réalité de l’île est connue de visu. Je ne parle évidemment pas du visiteur qui pense que le président s’appelle Che Guevara (véridique) ni de celui qui voit des statuettes de José Marti devant toutes les écoles et s’exclame « Ha ! Lénine, bien-sûr ! » (véridique) ni de celle qui râle parce qu’elle ne trouve pas sa marque d’après-shampooing et « qu’il doit bien y avoir un Monoprix quelque part sur cette foutue île, quand même ? »

Le fait est que nous sommes nombreux à défendre Cuba. Je l’affirme avec une grande sérénité, car lorsque tous les médias relaient les appels à manifester contre Cuba lancés par Reporters Sans Frontières et que les manifestants se retrouvent à 12 (littéralement) devant l’ambassade, les contre manifestants, mobilisés par la bouche à oreille, se comptent par centaines. Du dirigeant d’un mouvement de jeunesse de droite (eh oui), aux communistes « purs et durs », en passant par les sans-carte, l’éventail politique de la solidarité avec Cuba est large et ne correspond en rien à l’image « crypto » assénée par les médias. On trouvera aussi des dirigeants d’églises protestantes, un ancien ministre de la Justice US, d’anciens représentants des Etats-Unis à Cuba, des prix Nobel à la pelle, etc. La liste est impressionnante par sa longueur et sa diversité et devrait mettre la puce à l’oreille de plus d’un critique.

Il y a bien une raison à cela et ce n’est pas le « modèle bureaucratique » présenté par les médias qui peut l’expliquer.

Alors je ne sais pas ce que Fidel avait à l’esprit lorsqu’il a parlé de « modèle » en répondant à un journaliste occidental réactionnaire. Mais on dit aussi que le poisson ne perçoit pas la nature de l’eau... (Notons au passage qu’il a souvent été dit que le premier dissident de l’île était Fidel lui-même dont les critiques et mises en garde ont toujours jalonné l’histoire de la révolution cubaine.)

Mais si vous voulez la définition d’un « modèle cubain », je vous propose modestement celui-ci.

PARLONS DE MODELE, MAIS MODELE DE QUOI ?

Prenez la France. Installez-la sur une table. Invitez vos amis et voisins et demandez-leur « que voyez-vous ? »

« Des mangeurs de grenouilles » dit l’Anglais. « Des types qui se lavent pas souvent » dit le Latino. « Des grandes-gueules » dit l’Allemand. « C’est joli, mais qu’est-ce que c’est ? » demande l’Américain.

Vous pouvez prendre n’importe quelle société et l’analyser selon plusieurs axes.

Alors que certains ne verront à Cuba que des magasins moyennement achalandés, d’autres remarqueront la distribution équitable sur toute l’île des rares denrées. Certains ricaneront au diplômé qui conduit un taxi. D’autres s’émouvront d’un fils d’ouvrier qui a pu faire de hautes études. Certains feront remarquer qu’un médecin cubain pourrait gagner mille fois plus à Miami. D’autres s’étonneront de voir tous ces médecins qui restent. Certains rappelleront que des Cubains rêvent de tenter leur chance aux Etats-Unis (car ils savent qu’ils seront reçus comme des rois). D’autres se souviendront que les enfants des bidonvilles de Bogota qui trompent leur faim en sniffant des chiffons imbibés d’essence ne sauraient même pas vous dire dans quelle direction se trouvent les Etats-Unis. Certains se lamenteront que les Cubains ne travaillent pas. D’autres s’étonneront que les Cubains arrivent à vivre sans travailler.

LE MODELE CUBAIN : «  L’ANNONCE DE MA MORT EST TRES EXAGEREE »

Personne, je crois, n’est solidaire de Cuba à cause du nombre de salariés employés par l’Etat. Jamais des larmes d’émotion ne nous sont montées aux yeux devant la répartition des employés entre le secteur public et le secteur privé. «  Combien vous dites qu’ils sont ? 80 % ? C’est tellement beau que j’ai envie de pleurer... ». Vraiment ? Pour comprendre si peu, il faut n’avoir rien compris du tout.

Je ne vais pas vous rechanter le couplet de toutes les réussites sociales à Cuba. D’ailleurs, la réussite peut-elle être un critère de jugement ? Lorsque la réussite devient le critère de jugement, nous ne faisons que reproduire les valeurs du libéralisme, n’est-ce-pas ? Mario Bennedetti disait que « le développement [économique] n’est pas en soi une qualité éthique, ni une valeur morale ». Il y a aussi la question des priorités face aux possibilités. Il y a des pains partagés, mêmes secs, qui contiennent plus d’humanité que toutes les bonnes oeuvres d’un Bill Gates.

Nous ne sommes pas solidaires de Cuba à cause de tous les enfants scolarisés, car dans ce cas nous serions solidaires aussi du Canada. Nous ne sommes pas solidaires de Cuba à cause des enfants vaccinés, car dans ce cas nous serions solidaires aussi de la Suède. Nous sommes solidaires de Cuba à cause des choix et des priorités qui ont été donnés et d’une éthique sans faille et d’une détermination à résister dans les conditions extrêmement difficiles qui lui ont été imposées.

De même que si les médias s’obstinent à focaliser sur les « prisonniers politiques » (dont chaque cas examiné de prés se dégonfle comme une baudruche) et sur les « dissidents » (dont chacun pour les mêmes actes commis en France écoperait des mêmes peines), personne ne s’aventurera à mentionner le nombre incroyable de « réfugiés politiques » qui ont foulé cette île. Personne n’a jamais su me donner un chiffre précis, mais les estimations sont de l’ordre de plusieurs dizaines de milliers. Pratiquement toute la gauche latino-américaine, et même d’ailleurs, toutes tendances confondues, a une dette envers Cuba - si ce n’est pas toute l’Amérique latine. (2)

LA REVOLUTION CUBAINE N’A PAS ETE UN DINER DE GALA

Cuba n’est ni le fantasme d’une révolution par procuration, ni un paradis socialiste sur terre. C’est juste la convergence, dans un même espace-temps, d’un groupe de personnes nourries de 150 ans de luttes de libération qui réussissent à renverser un ordre établi et qui lancent une entreprise de changement social radical et qui, de leur propre aveu, parfois ne savaient pas où ils allaient car en investissant les lambris dorés des palais abandonnés, ils n’ont trouvé ni mode d’emploi, ni porte dérobée vers une société idéale, juste des caisses vides et les graffitis obscènes de leurs prédécesseurs. Les lendemains de fête - à 150 km d’un empire qui avait déjà largement démontré sa capacité à écraser toute velléité de résistance sur le continent - peuvent se révéler très difficiles. Et ils le furent.

Alors sur quoi faut-il revenir, sur quel point insister ? En matière d’errements, de tâtonnements, d’hésitations et d’impasses, d’agressions et de trahisons, de catastrophes et de cyclones, Cuba a tout connu, tout vécu et survécu à tout. Et à voir les Cubains dans la rue, le modèle cubain - celui que je vois - a parfaitement fonctionné.

Alors ne serait-ce pour que pour cette raison, et au nom de mon modèle à moi, permettez-moi de leur tirer mon chapeau et faire ma petite révérence et de vous rappeler qu’il n’est jamais trop tard pour leur dire « merci ».

Viktor Dedaj
« avec quelques cm de plus et 20kg de moins, moi aussi j’aurais pu être un modèle »

(*) erratum du 8/10/2010 : des informations contradictoires circulent sur ces chiffres et selon la source consultée. A vérifier donc. Cela dit, la vérité n’étant pas le fort des dits anticubains, ce ne sont pas les exemples qui manquent.

(1) voir http://www.legrandsoir.info/Cuba-Jose-Bove-savate-le-tiers-monde.html

(2) Du 2 au 4 juin de l’année 2005, s’est tenue à la Havane (Cuba) la première rencontre internationale « Contre le Terrorisme, pour la Vérité et la Justice ». Plus de 700 délégués venus du monde entier ont participé aux trois jours de débats et de témoignages retransmis en direct sur les chaînes de télévision nationales et internationales. Trois jours pendant lesquels ont été dénoncées la nature et l’étendue d’un terrorisme qui sévit depuis des décennies sur le continent latino-américain, d’un terrorisme mis en oeuvre dans le cadre d’une politique décidée à la Maison Blanche et baptisée du doux nom de « plan Condor ». Pendant trois jours ont été démontrées, en direct et sans fioritures, les liens étroits qui existent entre les autorités états-uniennes et le terrorisme de masse. Pendant trois jours ont été exposées les découvertes des archives du plan Condor, découvertes presque par hasard dans un coin perdu du Paraguay. Trois jours pendant lesquels tous ceux qui se sont intéressés à l’Amérique latine ont pu ENFIN voir s’énoncer quelques vérités ailleurs que dans le cadre des cercles d’initiés. Trois jours pendant lesquels, en pleine « guerre mondiale contre le terrorisme », les sièges réservés à la presse étrangère sont restés désespéramment vides. Aucune (insistons sur « aucune ») information n’est passée dans la presse occidentale, car…

…pendant ce temps, au procès du chanteur Mickael Jackson, 1400 journalistes (insistons sur « 1400 ») piaffaient d’impatience depuis des mois pour savoir si oui ou non, Mickael avait bien touché quelque chose qui n’était pas à lui. Mickael Jackson fût finalement acquitté le 13 juin.

Quant aux centaines de milliers de victimes du plan Condor états-unien (insistons sur « des centaines de milliers »), une chose dont on est sûr c’est qu’aucun ne s’appelait « Mickael Jackson ».

extrait de Les Etats-Unis, DE MAL EMPIRE - Ces leçons de résistance qui nous viennent du Sud par Danielle Bleitrach, Viktor Dedaj, Maxime Vivas - éd. Aden - 2005
http://www.legrandsoir.info/Les-Etats-Unis-de-mal-empire-Ces-lecons-de-resistance-qui-nous.html

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