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Vers un nouvel Etat providence ? par Andrea Fumagalli.


Le Courrier, lundi 24 Octobre 2005.


Désormais, la distinction entre « travail » et « absence de travail » est arbitraire et relative. Il faut penser l’Etat providence autrement, afin d’assurer une allocation digne et inconditionnelle à tout individu.
Analyse.


Fin septembre, le colloque « Rive gauche » organisé par il manifesto a abordé le concept de « Welfare state » (Etat providence) et d’intervention publique. Une semaine avant ce colloque a eu lieu à Bruxelles la rencontre annuelle des économistes européens en faveur d’une politique économique alternative. On y a discuté de « flexibilité et sécurité du travail » et de droit aux allocations comme base possible pour un nouvel Etat providence, capable d’outrepasser le traditionnel Welfare keynésien. C’est finalement une bonne chose que la gauche radicale et alternative se pose la question d’une réforme de l’Etat social. Toutefois, les points de vue divergent passablement.

Un des principaux experts du Welfare scandinave, Jesper Jespersen, a tracé les problématiques du modèle social européen. Il a notamment détaillé les avantages et les obstacles en vue de la création d’un nouvel Etat providence capable d’affronter le modèle « darwiniste-libéral » anglo-américain.

Le modèle social européen apparaît à la fin du XIXe siècle avec les politiques du modèle Bismarck, puis avec le Plan Beveridge de décembre 1942 et la diffusion des idées keynésiennes qui appliquent un compromis social entre le capital et le travail. Le but était, pour les deux parties « contractuelles », de réduire les effets inégalitaires de la domination des grandes entreprises de l’après-guerre. L’Etat providence européen est le contrepoids du développement du fordisme. Le Welfare, c’est la nécessaire existence d’un Etat-nation suffisamment fort pour contrer les assauts du libéralisme, mais il assume des modalités différentes selon le pays dans lequel il se développe.

Aux Etats-Unis, par exemple, la parabole du Welfare s’épuise avec la transition du capitalisme industriel fordiste au capitalisme flexible, et avec l’émergence de catégories d’exclus de plus en plus importantes. Parmi ces catégories nouvelles : les minorités ethniques et les femmes. Aux Etats-Unis, de nombreuses femmes finissent par abandonner leur emploi et on devine le retour d’une certaine forme de patriarcat. Une partie du mouvement féministe avait pourtant perçu dans ce nouveau capitalisme, avec ses potentialités nouvelles de flexibilité, une possibilité d’émancipation et de libération.

Malgré les situations divergentes, nous nous trouvons face à des problématiques communes qui rendent inévitable une pensée analytique permettant d’imaginer un nouvel Etat providence, adapté aux transformations sociales et économiques des vingt dernières années.

Désormais, le processus de production se caractérise toujours davantage par des éléments immatériels, liés à la capacité cérébrale et cognitive (en particulier dans le secteur tertiaire, mais aussi dans les domaines à haute valeur ajoutée comme la haute technologie). Par conséquent, la distinction essentielle entre travail et chômage n’existe plus. Il n’y a plus que du travail intermittent, plus ou moins précaire ou spécialisé. De façon provocatrice, on pourrait même affirmer que le chômage est du travail non rémunéré et que le travail est du chômage rémunéré

Dans ce sens, on peut ajouter que l’on ne cesse jamais vraiment de travailler (le temps de travail s’allonge), ou alors que l’on travaille toujours moins et que le travail nécessaire se réduit. L’ancienne distinction entre travail et absence de travail se réduit à celle entre « vie rémunérée » et « vie non rémunérée ». La frontière entre l’une et l’autre est devenue arbitraire, variable, dépendante de choix politiques.

C’est avec ces éléments de réflexion qu’il faut débattre afin de pouvoir redéfinir l’Etat providence. Son but n’est plus de créer les conditions pour accéder au marché du travail et de valider le fameux « droit au travail ». Le nouvel Etat providence doit créer les conditions pour que chaque individu ait la garantie, de façon inconditionnelle, de recevoir une allocation stable.

Cette allocation doit lui permettre de développer ses capacités cognitives et créatives d’une part, et d’autre part lui conférer le droit de pouvoir choisir la prestation de travail la mieux adaptée à sa situation. Le droit au choix du type de travail est conceptuellement différent du simple droit au travail.

Il faut également ajouter que le lieu de travail ne se limite pas à un seul endroit (usine, bureau, maison), mais s’étend sur tout un territoire, qui est à la fois physique et virtuel. Activité productive et espace ont tendance à coïncider, tout comme l’activité de travail devient de plus en plus activité relationnelle et communication en réseaux. Ceci signifie que l’activité de travail coïncide avec la vie. Il n’y a pas que la distinction entre travail et absence de travail qui disparaît ; il devient aussi difficile de distinguer clairement production et consommation, production et reproduction.

L’existence des individus, en tant qu’interne à un processus de coopération sociale, est absorbée par l’activité de travail qui se déroule dans un cadre toujours plus coopératif.

Le cadre qui délimite l’espace du nouvel Etat providence est donc le territoire défini par la coopération sociale. Un tel espace peut être représenté par des réalités supranationales. Cela signifie que le nouvel Etat providence, en garantissant un revenu digne et inconditionnel, doit adopter comme référence un double niveau spatial : le supranational (l’Europe, par exemple) et le local. Le développement d’un Etat providence municipal (local) est la condition nécessaire pour que les réalités productives, qui varient en fonction du territoire d’appartenance, puissent disposer d’interventions adaptées. Tout ceci à l’intérieur d’un cadre normatif et social commun supranational (l’UE).


La dichotomie public-privé doit être dépassée par le concept de « propriété commune ».

Il est nécessaire de considérer que le développement du modèle cognitif d’accumulation (capitalisme) a toujours davantage tendance à se baser sur l’exploitation de biens « communs », à savoir les biens et les ressources qui sont le fruit de l’action sociale humaine. Il ne s’agit pas seulement des biens primaires de la terre (eau, énergie...), mais surtout des biens tels que la connaissance, les communications, l’information. Ces biens sont la résultante des interconnexions sociales à la base de la coopération sociale productive et dont l’expropriation fait la puissance et la richesse de sociétés privées (cf. directive Bolkestein). Il s’agit de biens qui sont à la fois individuels et sociaux.
Dans un tel contexte, la dichotomie public-privé doit être dépassée par le concept de « propriété commune », donc « d’autoréappropriation » sociale. La préservation de tels biens communs et la distribution sociale des bénéfices de leur exploitation sont les nouveaux objectifs d’un possible Etat providence adapté aux structures productives actuelles.

Etant donné que ces biens sont indissociables des personnes, voir même sont le fruit de leur capacité existentielle, le nouvel Etat providence ne peut que se placer au niveau d’une critique de la politique de l’existence. C’est à ce degré d’analyse qu’il faut amener le défi d’un avenir fait de cohabitation civile. La poursuite unilatérale de politiques keynésiennes nationales n’est pas seulement insuffisante, mais risque aussi de devenir désuète et impraticable.

Andrea Fumagalli


 Source : Le Courrier de Genève www.lecourrier.ch

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