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Venezuela
"Le Monde" : Jean-Pierre Langellier procède à une nouvelle dévaluation du journalisme
Thierry DERONNE, Grégoire SOUCHAY

Les coupes claires dans le poste « international » des médias obligent à de périlleuses acrobaties. Par exemple, « Informer » sur le Venezuela de Chavez depuis... Rio de Janeiro (soit à 4500 Km de distance...).

Cela ne semble pourtant pas effrayer le trapéziste Jean-Pierre Langellier. D’autant plus que le filet est solide : 99 % des médias du Venezuela et du monde le confortent d’avance dans son aversion pour Hugo Chavez et son « socialisme du XXIème siècle ».

En août 2009, le très contesté « correspondant régional » du Monde dénonçait depuis Rio la nouvelle Loi d’Éducation. Elle ouvrait la voie à la « censure de la presse », expliquait-il gravement, en prévoyant une « éducation critique aux médias » (réforme que proposait pourtant l’ex-directeur du Monde Jacques Fauvet, cité pour l’occasion par Hugo Chavez). Hélas, en janvier 2010, aucun commissaire politique n’est en vue dans les cours de récré. Au point que l’opposition vénézuélienne et ses médias ont oublié leur campagne contre la loi.

Répondant aux critiques d’un lecteur en mai 2009, Langellier disait aussi sa crainte de voir Chavez fermer Globovision, chaîne privée de droite. Or, six mois plus tard, celle-ci continue en toute liberté à exiger le départ du président « par tous les moyens ». (1)

La technique du trapèze est simple et nécessite une simple connexion internet : papillonner de thème en thème, reprendre les « informations » des médias d’opposition (majoritaires au Venezuela), refuser le droit de suite au lecteur, ne jamais enquêter sur les réformes en cours.

Cette fois cela s’appelle « Pour financer ses dépenses publiques, Hugo Chavez dévalue le bolivar ».

Aux fins d’objectivité, Mr. Langellier commence par la conclusion : « Cette dernière mesure est un sérieux échec pour le chef de l’État, qui s’était toujours refusé à envisager un tel recours, que la dégradation continue de la situation économique et financière du Venezuela a rendu inéluctable. »

Passons sur les incohérences de l’auteur qui nous explique que « la dépréciation massive du bolivar est un camouflet pour le président Chavez, que les médias pro-gouvernementaux tentent de dissimuler en parlant de simple ajustement » alors que le président a d’emblée annoncé : « nous procédons à une dévaluation » (discours du 8 janvier).

Langellier ne dit pas à ses lecteurs que l’économie du Venezuela reste largement dominée par un « faux » libre marché où de grands groupes comme Polar fixent les prix en monopolisant sous des marques diverses la commercialisation de la plupart des articles - farine, bière, dentifrice, électroménager, etc. Ce secteur a toujours préféré spéculer en important les biens au lieu de les produire sur place, tout en profitant largement… des subsides d’un État rentier-pétrolier ! Si ce secteur critique le président Chavez c’est parce que celui-ci a décidé d’investir dans la production nationale, renvoyant le libre marché à son propre jeu.

« "La crise ne touchera pas à un seul de nos cheveux", clamait le président au début de 2009. Elle a pourtant "décoiffé" toute l’économie » jubile Mr. Langellier. Elle a surtout mis en lumière ces quarante ans d’économie artificielle, non-productive, reposant sur l’importation des biens et la spéculation sur les prix de vente, facteur majeur d’inflation et obstacle au développement du pays.

« La double dévaluation, selon M. Chavez, a trois objectifs : renforcer l’économie, freiner les importations qui ne sont pas strictement nécessaires, stimuler les exportations. » Mr. Langellier ne retient qu’il s’agit de « financer les dépenses de Chavez » à travers un « État contrôlé par lui » pour « fidéliser l’électorat ».

En réalité il s’agit de rééquilibrer la balance commerciale et à plus long terme de construire une véritable économie productive. Tâche d’ampleur, qui se poursuit à travers l’amélioration du contrôle des changes, l’octroi simplifié de devises aux entrepreneurs (un décret de janvier 2010 permet aux exportateurs de retenir 30% des devises pour leur marché intérieur) et une meilleure méthodologie de contrôle des mouvements de capitaux.

Le gouvernement a créé le 13 janvier 2010 le Fonds du Bicentenaire : un milliard de dollars pour financer la substitution des importations, l’appui aux productions stratégiques et les exportations de produits agricoles (cacao, café, riz..) ou de production légère (plastique, acier, aluminium, alimentation..) grâce à un taux de change favorable aux petits et moyens entrepreneurs. A la différence du grand patronat, ceux-ci ont bien accueilli ces mesures.

Le commerce privé indexait ses prix sur le dollar parallèle, surévaluant artificiellement les prix (1 dollar pour 7 bolivars). La Banque Centrale du Venezuela vient d’injecter 100 millions de dollars sur les marchés, faisant immédiatement baisser le dollar parallèle de 25%. La conséquence devrait être une baisse des prix de la part du secteur privé. En outre la dévaluation ne peut avoir d’effet concret sur les prix (si tant est qu’elle en ait) que dans deux mois, au renouvellement des stocks de certains produits d’importation. Les augmentations actuelles de prix ne sont donc que spéculatives et totalement illégales.

« Pendant le week-end, les habitants de Caracas ont pris d’assaut les magasins pour acheter téléviseurs et ordinateurs, avant que leurs prix n’augmentent » raconte Mr. Langellier. Les chaînes privées ont en effet transmis les scènes risibles d’une classe moyenne achetant fébrilement des écrans plats, victime de la psychose entretenue par ces mêmes médias. Mais au Venezuela, 80 % des habitants appartiennent aux secteurs populaires. Ce sont les associations de consommateurs populaires et l’Institut qui défend leurs droits (INDEPABIS) qui ont « pris d’assaut les magasins » pour contrôler les prix.

La mobilisation sociale est un réel succès. La population s’est unie aux fonctionnaires pour empêcher les augmentations illégales et fermer le cas échéant les commerces qui s’obstinent á frauder.

Une fois n’est pas coutume, un gouvernement défend les droits des « petits ». En décembre il a également nationalisé plusieurs banques coupables de malversations, remboursé immédiatement les épargnants, tandis que la justice poursuit les hauts responsables, dont certains ont fui aux États-Unis.

Pour Mr. Langellier, seul compte le fait que « le Venezuela est entré en récession : - 2,9 % en 2009 ». En réalité, face à la crise économique mondiale, les Vénézuéliens sont plus protégés que leurs voisins grâce a une politique anti-austérité qui a multiplié les budgets sociaux. Résultat : un taux de chômage tombant à 6,6% en décembre 2009, la pauvreté en baisse continue (30% aujourd’hui contre 65% en 1998). Le Venezuela monte dans le classement du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et entre dans le club fermé des pays à « indice de développement humain élevé ».

De tout cela, Mr. Langellier ne dit rien. Il préfère dénoncer ce « gouvernement qui aura plus d’argent, mais qu’il prendra dans la poche des gens ». Sauf que c’est pour l’y remettre aussitôt et en plus grande quantité. L’État poursuit sa politique de missions sociales, notamment par le biais du Fonds du 19 avril, garantissant ainsi la gratuité de l’éducation, l’accès aux soins pour tous, cassant les prix des aliments de base. Le président Chavez a décidé ce 15 janvier une augmentation de 25 % du salaire en 2010 (sans compter les avantages dont bénéficient les travailleurs comme les tickets-restaurants, etc...). Ce qui fait du salaire minimum le plus élevé de toute l’Amérique Latine.

Mr. Langellier « oublie » même la naissance d’une nouvelle monnaie régionale, le SUCRE (Système Unique de Compensation Régionale) qui permet de libérer de la dictature du dollar les échanges commerciaux entre les pays de l’ALBA (Venezuela, Cuba, Bolivie, Nicaragua, Dominique, Equateur, Saint-Vincent et les Grenadines, Antigua-et-Barbuda, soit 71 millions de personnes et un PIB d’environ 540 milliards de dollars, système ouvert à d’autres États d’Amérique Latine.) Cette union régionale non-concurrentielle, basée sur la complémentarité des économies, est cohérente avec la vision non-monétariste, sociale de l’économie vénézuélienne qui récupère des secteurs-clefs comme la sidérurgie, les télécommunications, le ciment, le pétrole, l’agriculture, la banque.

La Banque Centrale que l’Europe a réduit, par dogmatisme néolibéral, à un robot monétariste, devient au Venezuela un levier d’investissement au service du développement national. En Argentine la présidente Cristina Fernandez affronte, elle, une Banque Centrale archaïque qui refuse d’éponger les dettes de l’État au moment où le pays veut sortir de la crise dans laquelle l’a plongé le néolibéralisme.

Des émeutes de la faim réprimées par la social-démocratie (1989) à la première élection de Chavez (1998), le Venezuela a connu une lente gestation politique. Dix ans de gouvernement bolivarien ont ensuite permis de changer les lois et de procéder aux premières modifications structurelles. On passe en 2010 à la construction d’un nouveau modèle de production et de nouvelles relations sociales basées sur des instruments juridiques, politiques, sociaux, économiques (démocratie participative, structures communales, entreprises de production sociale,...). Plusieurs sondages indiquent que 60 % des vénézuéliens préfèrent aujourd’hui le socialisme au capitalisme. Changement profond dans un pays ultra-consommateur et culturellement nord-américanisé. C’est toute l’importance du temps comme clef d’une transition d’un modèle a l’autre.

C’est évidemment cette transformation « socialiste » que Le Monde se doit d’attaquer. Mr. Langellier cite un économiste : « Il est rare dans le monde d’aujourd’hui de voir un système de change qui privilégie autant le secteur public ». Dans un article de mai 2009, Mr. Langellier écrivait : « ce socialisme du XXIe siècle que Chavez affirme vouloir enfanter, ressemble beaucoup à celui, autoritaire et étatiste, qui, rappelle le philosophe et opposant Antonio Pasquali, "a échoué au XXe siècle dans 46 pays" ».

D’autres dangereux révolutionnaires étatistes en Allemagne, en France, durant la bien-nommée période des « Trente Glorieuses » ont suivi une politique de dévaluation du franc et fait intervenir l’État dans l’économie, tout en augmentant les salaires et en prenant des mesures de protection sociale.

« La seule chose que les Américains n’ont jamais pardonné à De Gaulle, m’a dit Pierre Messmer peu avant sa mort, ça n’est pas sa sortie de la défense intégrée de l’OTAN, (où Sarkozy veut nous faire rentrer), ni son fameux discours de Phnom-Penh dénonçant la guerre au Vietnam, c’est sa remise en cause du « privilège exorbitant du dollar » (...) De Gaulle avait pour opposants les mêmes gens, haute finance et classe moyenne, qui firent tomber le gouvernement Blum dans les années trente en spéculant contre le franc et en plaçant leur argent à l’étranger (écrit Hannah Arendt dans une lettre à Mary Mc Carty fin 68). Le tout non pas en réaction aux émeutes étudiantes, mais aux idées de De Gaulle sur la participation des travailleurs dans les entreprises » (2).

Certes demander au "Monde" de passer de l’imputation au journalisme reviendrait à exiger du trapéziste aveugle un triple saut périlleux sans filet et sans trapèze.

Thierry Deronne
licencié en Communications Sociales (Bruxelles)

Grégoire Souchay
étudiant de l’Institut d’Études Politiques (Toulouse)

Caracas, janvier 2010.

(1) Autre exploit : le 2 octobre 2009, Mr. Langellier avait relayé la campagne du Parti de la Presse et de l’Argent brésilien reprochant au président Lula d’accueillir dans son ambassade au Honduras le président Zelaya victime d’un coup d’État qui a ramené son pays à l’ère des escadrons de la mort et du libre commerce.

(2) Extrait de : « Le mai 1968 dont les médias n’ont pas voulu parler » Morgan Sportes.

 
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