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Mortel travail
Yann FIEVET

L’un des signes majeurs de la décrépitude du politique entamée voilà trois bonnes décennies est la grande capacité des élites gouvernantes et intellectuelles à prendre le citoyen pour un crétin. L’exemple du travail et de ses avatars morbides actuels va nous offrir l’occasion de dépeindre une réalité peu flatteuse pour la « clique néolibérale » si prompte à culpabiliser les gens de peu et les cadres rétifs, tous accusés de faire prendre du retard à « l’entreprise France ». Les « suicidés du travail » n’ont pourtant rien pour nous étonner. La croissance très sensible de leur nombre encore moins. Avoir le culot monstrueux de parler à cet égard d’une mode comme l’a fait M. Lombard, patron impitoyable de France Télécom, révèle de façon magistrale une époque déboussolée et une économie criminogène construite patiemment depuis la fin des années 1970. La fausse naïveté n’est donc pas de mise en la dramatique circonstance ; elle est une insulte à la mémoire des victimes du travail, à la douleur de leur famille et de leurs collègues se débattant encore dans le piège duquel la mort les a, eux, enfin délivrés. Terrifiante réalité !

Est-il vraiment nécessaire d’inventorier les si nombreux ingrédients qui ont contribué à façonner le monde du travail tel que le rêvait le Medef et tel que le loue les économistes orthodoxes ? La feinte et indécente surprise de trop nombreux observateurs nous incite à un bref passage en revue. Le fort développement conjoint de la flexibilité du travail et de la précarité de l’emploi, l’individualisation des rémunérations et des carrières au service de la concurrence entre salariés, l’acceptation de conditions de travail dégradées par des salariés craignant le chômage, la suspicion généralisée envers les arrêts de travail pourtant très majoritairement justifiés, l’introduction brutale des méthodes managériales privées dans les services publics, les atteintes répétées à l’expression du droit syndical et l’intimidation caractérisée envers les velléités d’adhésion syndicale des salariés dans les entreprises de taille modeste, etc. Tel est le funeste florilège des bouleversements subis dont le but unique déclaré - mais jamais clairement défini - est la recherche systématique de l’Efficacité. La capacité de travail des salariés est bel et bien redevenue en quelques décennies une marchandise vulgaire dont il convient de tirer tout le parti au nom du prétexte commode de l’impitoyable concurrence internationale.

Les éternels étonnés toujours tombés de la dernière pluie ne devraient pas pouvoir plaider l’ignorance. Ils sont souvent de grands lecteurs ou devraient l’être au regard de leurs éminentes fonctions. Il semble qu’ils ne lisent pas les bons livres et les bons rapports ! Cela fait déjà dix ans que Christophe Dejours a alerté l’opinion avec son ouvrage remarquable de lucidité sur le présent de l’époque et d’inquiétude pour l’avenir. « Souffrances en France » avait comme sous-titre « la banalisation de l’injustice sociale ». On a tellement sombré dans le banal qu’une vague de vingt-cinq suicides dus au travail parmi les salariés d’une seule et même entreprise peut aujourd’hui être présentée par son PDG comme une simple mode impulsée par la médiatisation de « quelques accidents de parcours » inévitables au temps de l’adaptation des structures productives. Il y a beau temps également que Jean-Pierre Le Goff a publié « la barbarie douce » renforcée elle aussi par un sous-titre sans équivoque : « la modernisation aveugle de l’école et de l’entreprise ». Mais dans un monde tout dévoué au commerce et au business, qui s’arrête sérieusement sur les écrits d’un psychiatre spécialisé en pathologies mentales du travail ou d’un sociologue à l’indépendance d’esprit ? Qui en fait une lecture suffisamment attentive et objective dans le but d’aider à enrayer les dérives mortifères clairement dénoncées par des hommes scrutant les méandres tortueux de la société marchandisée ?

Nos innocents aux mains coupables de ne pas avoir agi et au cerveau totalement occupé par la vulgate néolibérale ont encore moins lu les rapports alarmants du Collectif des médecins du travail de Bourg-en-Bresse. Chaque année depuis 2000, ils nous alertent inlassablement eux aussi sur la double difficulté d’exercer leur métier - ô combien indispensable dans le contexte de dégradation grave des espaces de travail - et de faire reconnaître la pertinence du concept de « santé au travail ». Des professionnels à la conscience chevillée au corps et qui ne confondent pas le serment d’Hippocrate avec un sermon hypocrite servi trop souvent au travailleur forcément flemmard. « D’abord ne pas nuire » au salarié n’est malheureusement pas le credo de trop nombreux médecins du travail qui préfèrent ne pas nuire au patronat.

Hélas ! le pire semble à venir. Le gouvernement Fillon sous insistance du Medef souhaite réformer la médecine du travail dans un sens bien peu progressiste. Les médecins du travail n’assureraient plus officiellement le service de santé au travail, mais seraient remplacés par un nébuleux « service de santé au travail » (SST). La « pénurie » de médecins du travail serait entérinée puisque infirmiers, personnel médical, médecins de ville s’y substitueraient. Les visites avec de vrais médecins du travail n’auraient plus lieu que tous les quatre ans « sur demande » et si « l’infirmier en santé au travail évalue le besoin de voir le médecin du travail ». La visite d’embauche aurait désormais un but de sélection et d’éviction. Actuellement, l’aptitude et l’inaptitude se définissent exclusivement en fonction des risques pour la santé du salarié à son poste de travail. L’aptitude deviendrait, comme sous Vichy, « l’absence de contre-indication physique ou psychique à la tenue par le salarié du poste de travail » et l’inaptitude comme « la contre-indication physique ou psychique entraînant une restriction pour le salarié de remplir une ou plusieurs tâches liées à son poste de travail ». Les mots « santé » et « risques » ne figurent même plus dans la définition de l’aptitude. Et tout cela avec des SST ayant des conseils d’administration où les employeurs disposent des deux tiers des siéges !

Aucun syndicat n’a accepté de signer ce texte en l’état, texte qu’il convient de qualifier de scélérat puisqu’il intervient au moment où au lieu de démanteler la médecine du travail il faut impérativement la renforcer. Terrifiante réalité, vous disait-on !

Yann Fiévet

 
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