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Le visage du recentrage : Jean-Christophe Le Duigou
François RUFFIN

Le journal Fakir vient de paraître avec un long dossier intitulé "Mais que font les syndicats ?" Dedans, des reportages de l’usine Goodyear au procès des Continental, jusqu’à une carte postale apportée à Bernard Thibault. Cet article trace le portrait du méconnu, et néanmoins influent, n°2 de la CGT, Jean-Christophe Le Duigou.

« Bonne nouvelle » se réjouit Valeurs actuelles, « le premier hebdomadaire libéral de droite » : « Le secrétaire confédéral de la CGT, Jean-Christophe Le Duigou vient de rejoindre son corps d’origine, l’administration des impôts, avec une promotion : il sera conservateur des hypothèques. (…) Tout cela montre quand même une formidable capacité de récupération de notre système. »

Rares sont les syndicalistes, luttant dans leur entreprise, à obtenir ainsi une « promotion ». D’autant plus après trente années d’absence comme permanent. A moins que l’Etat ne délivre ici une récompense.

« Confrontations » feutrées

Peu d’hommes, en effet, auront autant oeuvré pour l’abandon, à la CGT, du syndicalisme de lutte. Pour l’acceptation, en 2003, de la réforme des retraites - puis des régimes spéciaux en 2007. Pour le « Oui », évidemment, au Traité Constitutionnel Européen. Pour la transformation de l’ « adversaire patronal » en « partenaire social » - et pas seulement à la table des négociations.

Il a ainsi co-fondé, en 1991, le « lobby d’intérêt général » « Confrontations Europe ». Où il côtoie Jean Gandois (ex-n°1 du CNPF, ancêtre du MEDEF), Jean Peyrelevade (ancien PDG du Crédit Lyonnais), Michel Pébereau (PDG de BNP-Paribas), Franck Riboud (PDG de Danone), Francis Mer (ex-PDG d’Usinor, ministre de l’Economie de Raffarin). Nul doute que ce « mouvement civique », financé par l’Union Européenne, contribue à une violente « confrontation » des points de vue…

La preuve : siégeant au Fonds de Réforme des Retraites, Le Duigou a approuvé, sans tiquer, que cet argent public soit placé sur les marchés financiers : « Le choix, dès 2002, a été d’investir dans des entreprises cotées pour soutenir l’économie », explique-t-il. Spéculer en bourse devient « soutenir l’économie » : Christine Lagarde ou Laurence Parisot ne diraient pas mieux. Grâce à ce choix judicieux, le FRR vient de perdre 7 milliards d’euros. Notre avenir est assuré…

Direction intellectuelle

Sa pensée sociale-libérale n’est pas isolée. Elle irrigue tout l’appareil.

« Pourquoi Bernard Thibault n’est pas venu à Goodyear ? »

Je questionne Christophe Saguez, cette fois. Le secrétaire de l’Union Départementale de la Somme.

« On l’a sollicité, mais son emploi du temps ne le permettait pas. Et l’objectif, pour la CGT, c’est d’être dans la proposition, plus que dans la contestation - qui est bien souvent une fausse radicalité. »

Il me tend un quatre pages, «  Défendre et développer l’emploi et l’industrie. »

Ancien salarié de Procter, Christophe est un gars sympa.
Qui ne veut se fâcher ni avec la base ni avec le boss.
Qui n’affirme rien de trop tranché.
Qui prête sa voix à l’appareil.
Je le titille sur ma marotte :
« Qu’est-ce que tu penses du protectionnisme ?

- Les hommes ont toujours tenté de développer le commerce avec d’autres pays, ce qu’il faut c’est un développement harmonieux… Les choses se jouent dans le cadre de la Confédération Européenne des Syndicats, c’est au niveau européen qu’on peut gagner des droits…

- Mais c’est du vent, la CES ! je le brusque.

- Pas du tout : malgré des limites, on trouve là des points d’appuis importants. »

La vulgate, encore.
Tant mieux : preuve que l’organisation fonctionne.
Qu’elle tient un discours, de ses dirigeants à ses permanents.

Mais d’où lui viennent ces idées ? Je lui demande :
« On a plein de littérature syndicale, notre revue d’abord. » Il me montre « Analyses et documents économiques, n°111-112 ». « Tu peux l’emporter. »
Merci.

Je le feuillette.

En page 2, « Analyses et documents économiques est placé sous la direction de Jean-Christophe Le Duigou. »

En page 9, le dossier « Face à la crise, quelle politique de relance ? » offre un papier du même Jean-Christophe Le Duigou : « Cinq priorités pour une politique industrielle » : 1, « Donner la priorité au développement des emplois et des qualifications » ; 2, « Accroître l’effort de recherche et d’innovation » ; 3, « Une politique de l’énergie cohérente » ; 4, « Assurer le financement de la croissance des entreprises » ; 5, « Recréer les conditions d’une démocratie économique en France et en Europe. »

Je survole, maintenant, le quatre pages « Défendre et développer l’emploi et l’industrie », avec ses « Cinq priorités pour une politique industrielle et de développement de l’emploi ». Les mêmes que dans la revue (« reconnaissance des qualifications », « recherche et innovation », etc.), sauf que la 4 et la 5 sont inversées. Aucune proposition « démagogique », par exemple sur des « taxes douanières contre le libre-échange », ou sur « la confiscation des profits », etc.

C’est un levier discret, mais essentiel : la fraction la plus centriste détient, à la CGT, l’outil intellectuel. Qui maintient le débat économique dans les limites convenues. Dont les propositions mesurées sont reprises dans des tracts, sur des affiches. Bref, qui orientent la réflexion des militants.

Représentatif

L’ironie, bien sûr, c’est que Le Duigou a, sur les retraites, accompagné les reculs successifs. Tandis que la sienne, fin 2009, s’annonce dorée : « Sa promotion lui permettra de partir dans de bonnes conditions, relate Le Monde, la pension des fonctionnaires étant calculée sur les six derniers mois de salaire » - qui s’effectuent, pour lui, dans « un des postes les mieux payés de Bercy ».

C’est un indice, à coup sûr, d’une évolution de la CGT : centrale ouvrière désormais guidée par un haut fonctionnaire - qui ne saborde pas sa carrière. La confédération est désormais truffée d’« experts » : depuis 1965, le nombre de permanents au sommet était multiplié par cinq - tandis que les adhérents étaient divisés par trois. Et cette CGT respectable se tourne vers les cadres supérieurs - plus volontiers qu’elle ne cause de « prolétaires »…

François Ruffin

Le journal Fakir est un journal papier, en vente chez tous les bons kiosquiers ou sur abonnement. Il ne peut réaliser des enquêtes, des reportages, que parce qu’il est acheté.

http://www.fakirpresse.info/

 
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