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Mohamed Binyam, détenu à Guantanamo, torturé au Maroc
Luk VERVAET

J’ai rencontré Mohamed Binyam à Londres, le 30 juillet 2009, lors d’une conférence de presse. Il y parlait pour la première fois en public depuis sa sortie de Guantanamo, le 23 février 2009. Mohamed et quatre autres ex-détenus de Guantanamo (1) y ont lancé le « Guantanamo Justice Centre ». Ce centre disposera d’un siège central à Genève et d’une maison à Londres. Il a été mis sur pied « par des ex-détenus de Guantanamo, pour les (ex-)détenus, parce qe nous avons compris que seules les personnes qui ont souffert de la même manière peuvent se comprendre et s’entraider ».

Le « Guantanamo Justice Centre » poursuit trois objectifs. D’abord, venir en aide à ceux qui sont encore emprisonnés - il y a toujours 229 détenus à Guantanamo et un nombre inconnu dans des prisons secrètes -, où ils sont souvent victimes de torture et d’abus, afin qu’ils soient libérés ou aient droit à un procès équitable.

Ensuite, soutenir les 500 ex-détenus de Guantanamo à se « réintégrer dans la société d’une manière positive et pacifique », avec une attention particulière pour ceux « qui se retrouvent dans des pays où il y a peu de moyens disponibles pour les aider et dont les gouvernements ne respectent pas les droits de l’homme ».

Et enfin, soutenir les familles de ceux qui sont toujours détenus.

« La plupart des ex-détenus de Guantanamo ne viennent pas des pays occidentaux », expliquait Moazzam Begg, un des quatre ex-détenus. « Dans leurs pays, ils ne reçoivent aucune aide, même quand ils ont été totalement innocentés. Nous voulons intervenir au niveau de l’éducation et de l’emploi, les aider à réintégrer leur famille, devenir des membres normaux de la société ». A la conférence de presse, Moazzam et les autres parlent peu d’eux-mêmes, mais surtout des ex-détenus qui vivent au Yémen, en Jordanie, en Algérie, au Tchad… Beaucoup d’entre eux sont malades, un a perdu la vue, un autre l’ouïe à cause des bruits auxquels il a été exposé, d’autres encore ont besoin d’une intervention médicale et psychologique urgente mais n’en ont pas les moyens. Un jeune Tchadien, arrêté à l’âge de 14 ans et relâché en juin 2009, vit actuellement dans la rue, rejeté par sa famille. Seuls 25 des 500 ex-détenus ont retrouvé un travail.

Le stigmate de Guantanamo.

Moazzam Begg : « Nous, les détenus de Guantanamo, avons été désignés comme « les pires des pires ». C’était un mensonge, mais le stigmate reste. Nous étions des "suspects terroristes", alors aux yeux des autres, nous devons être coupables de quelque chose, nous vivons dans une démocratie, elle ne peut quand même pas se tromper à tel point.. C’est ça, le stigmate de Guantanamo. »

« Je ne recherche pas une compensation financière », précise Mohamed Binyam. C’est un jeune homme de 31 ans, qui parle de manière calme, modeste, retenue, parfois émue : « Combien d’argent devraient-ils me donner pour que je puisse oublier mes sept années de captivité ? Les Américains m’ont dit : "Tu es coupable jusqu’au moment où tu nous as prouvé le contraire" . Serez-vous étonnés si je vous dis que je ne crois plus que j’ai des droits ? Les gens aiment entendre des histoires sur la torture : quelqu’un pendu ici, un autre battu là -bas, du sang partout. Mais ça, ce n’est que la torture physique. Ils ne se réalisent pas qu’une fois dehors, à chaque fois que vous voyez une corde, ça vous renvoie au temps où vous avez été pendu. Cela ne vous quitte jamais. Chaque fois que vous me posez une question, j’ai l’impression de subir à nouveau un interrogatoire. Quand j’entre dans une chambre et que la lumière s’éteint pour une raison ou une autre, je me retrouve dans la « Prison Noire » (la prison secrète de la CIA près de Kaboul). C’est très dur : nous continuons à vivre dans un monde de torture, dans le système Guantanamo. Je n’arrive pas à retrouver ma place dans la société. Je ne peux penser qu’en termes Guantanamo. Aucune institution d’aide ni aucune fondation médicale au monde ne peut changer ce que je ressens. Si c’est comme cela pour moi, comment cela doit-il être pour un ex-détenu qui vit au Tchad ? De mon point de vue, un mal a été commis, quelqu’un devra le réparer" .

L’histoire de Mohamed Binyam

Mohamed Binyam est né en Ethiopie en 1978. Quand il a 16 ans, sa famille demande l’asile politique en Grande Bretagne. Demande refusée, mais Mohamed reçoit une permission temporaire pour rester. Il travaille dans le nettoyage et entreprend des études. Il se convertit à l’Islam en 2001 et part en voyage au Pakistan et en Afghanistan. En avril 2002, il a 24 ans et, alors qu’il retourne en Grande Bretagne, il est arrêté à l’aéroport de Karachi. Il sera torturé au Pakistan puis transféré à Kaboul dans une prison secrète de la CIA. Avant d’être enfermé à Guantanamo jusqu’en février 2009, il va - ce sont ses mots - "passer 550 jours dans une chambre de torture au Maroc" .

Voici ce qu’a noté Ian Cobain, l’éminent journaliste du Guardian, sur le traitement que Mohamed Binyam a subi au Maroc à la demande des services secrets américains et britanniques. Comme l’a reconnu la Cour suprême de Londres, le 31 juillet dernier, ce sont ces derniers qui ont fourni les questions à lui poser pendant ses interrogatoires. "Pendant 18 mois, il a été battu, exposé à des sons assourdissants, ébouillanté avec un liquide brûlant, ses membres étirés. Des scalpels ont été utilisés pour faire des incisions de quelques centimètres sur sa poitrine et le long de son pénis" (2). Ce n’est qu’en 2008 que Mohamed Binyam sera inculpé formellement par le Pentagone de "conspiration pour commettre des actes terroristes et des crimes de guerre" . Le procès n’aura jamais lieu.

Les inculpés et leurs familles, leurs avocats, The Guardian, des activistes de différentes associations (3) et des écrivains engagés ont mené un combat acharné pendant près d’une décennie pour que Mohamed et les autres soient relâchés de Guantanamo et pour que la justice britannique reconnaisse enfin la torture dont ils ont été victimes et ouvre un examen sur l’implication de « leurs » services secrets dans ces affaires. Un groupe de parlementaires, au-delà des appartenances politiques, a également demandé une enquête dans l’implication des services de sécurité et d’intelligence sur base du travail de la justice.

Luk Vervaet

 
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