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La différence entre les élections iranienne et mexicaine
JCM

Gouvernements et médias ne désarment pas : M. Ahmadinejad a volé les élections. Pourtant, il semble vraissemblable qu’il ait effectivement obtenu une majorité de voix. Comment expliquer alors le concert d’outrages ? Un coup d’oeil à l’élection présidentielle mexicaine de 2006, elle aussi contestée, nous permet d’y voir plus clair. Un candidat bien élu, c’est un candidat aux ordres, et M. Ahmadinejad ne l’est pas.

Qui a vraiment gagné les élections iraniennes ? L’évidence même

Tout le monde le sait : M. Ahmadinejad a volé les élections.

Le Monde y consacre son éditorial du 16 juin. « Tout indique que la réelection du fondamentaliste Mahmoud Ahmadinejad à la présidence de la république, vendredi 12 juin, a relevé du coup de force. » Oui, « tout », on vous dit. « Trop d’indices font régner plus que de la suspicion sur ses 63% de suffrages favorables soudainement proclamés dans la journée de samedi. » Le lecteur devra aller chercher ailleurs les indices, trop évidents pour que l’éditorialiste se donne la peine de préciser.

La « communauté internationale » n’est pas en reste. L’Union Européenne, les gouvernements britannique, allemand, tchèque, néerlandais, polonais, norvégien, australien, canadien, étasunien, japonais, néo-zélandais, israélien, mettent tous en doute le résultat des élections iraniennes [1]. En France, M. Sarkozy dénonce « l’ampleur de la fraude » et estime qu’elle est « proportionnelle à l’ampleur de la réaction » [2]. « Quand on voit des résultats à ce point incohérents, l’Europe qui se tairait ne correspondrait pas aux valeurs qui sont celles de l’Europe [...] Je suis toujours partisan du dialogue avec l’Iran mais quand nous avons à condamner nous condamnons » [3]. Il se dit « très heureux de voir l’Europe unanime déclarer des choses fortes et sans ambiguïté sur la situation iranienne » [4]. M. Kouchner, qui fin 2007 nous appelait à nous préparer à l’éventualité d’une guerre avec l’Iran [5], se dit « convaincu » de la fraude, et « soutient les réformateurs » [6].

Les fuites des experts

Libération pose quand même la question [7] : « Y a-t-il vraiment eu une fraude et de quelle ampleur ? » La réponse ne tarde pas :

« « Cette fraude est la conséquence d’un plan très sophistiqué, machiavélique, préparé de longue date, avec une feuille de route », souligne le chercheur Michel Makinsky. Selon des fuites obtenues auprès d’experts dans ce même ministère, les vrais scores des candidats sont radicalement différents de ceux annoncés officiellement : le réformateur Mir Hussein Moussavi serait ainsi arrivé en tête avec 19 millions de voix (sur 42 millions de votants), devant le second candidat réformateur, Mehdi Karoubi, qui a recueilli 13 millions de suffrages, Ahmadinejad n’arrivant qu’en troisième position avec 5,7 millions. Dès lors, un second tour aurait dû avoir lieu sans la présence du candidat ultraradical. »

Commençons par remercier Libération qui, pour une fois, veut bien prendre la peine de nous indiquer un de ces fameux « indices » en trop grand nombre selon l’éditorialiste du Monde. L’argument central de Libération est, outre l’avis non argumenté d’un chercheur, une « fuite obtenue auprès d’experts ». C’est maigre. Un détail particulier attire l’attention, c’est le score important attribué à M. Karoubi, les résultats officiels le donnant 4ème avec 0,85% des voix. L’explication, simple, est donnée dans un article du Guardian [8] : c’est Ebrahim Amini, un conseiller de M. Karoubi, l’« expert » qui a donné ces chiffres aux journalistes ! Remarquez au passage comme le journaliste de Libération nous laisse imaginer qu’il est très introduit mais qu’il ne peut pas révéler ses sources, là où les journalistes du Guardian expliquent platement qui est à l’origine de ces chiffres fantaisistes.

Intermède comique

Une journaliste du Monde nous livre également des chiffres, eux aussi non sourcés, mais ce n’est pas étonnant : « Des sondages, pour ce qu’ils valent, montrent qu’en-dessous de 50 % de participation, 70 % des votes seraient en faveur de M. Ahmadinejad, mais qu’il n’aurait que 30 % seulement de suffrages au-delà de 50 % de participation. » [9]

Le vote des Iraniens

Mais alors, comment ont voté les Iraniens ? Deux ONG étasuniennes, Terror Free Tomorrow et la New America Foundation (que l’on peut difficilement suspecter de complicité avec le régime iranien), ont mené une enquête d’opinion par téléphone quelques semaines avant le scrutin [10]. La méthode de l’enquête téléphonique n’est pas sans défaut (un des problèmes étant que les personnes dépourvues de téléphone en sont exclues), mais elle a le mérite d’exister. Les résultats donnent à M. Ahmadinejad plus du double d’intentions de vote par rapport à son principal opposant M. Moussavi. Rappelons également qu’en 2005, M. Ahmadinejad avait remporté les élections avec 61,7% des voix, comparable aux 62,6% actuels. A l’époque, il affrontait le président sortant Ali Akbar Hashemi Rafsanjani, ce qui ne facilite pas l’organisation d’une fraude massive. La New America Foundation écrit : « Ahmadinejad a gagné, il faut vous en remettre » [11].

Le Monde et les élections mexicaines de 2006

Pour comprendre le comportement des médias et des gouvernements devant une élection contestée, intéressons-nous maintenant au traitement de l’élection présidentielle mexicaine de 2006 par le journal Le Monde.

Rappel des faits

Au Mexique, l’élection présidentielle est un suffrage à un tour. En 2006, les deux candidats principaux étaient Felipe Calderón Hinojosa et Andrés Manuel López Obrador. Le résultat final donne M. Calderón vainqueur avec 35,89% des voix, contre 35,31% pour M. López Obrador. Des irrégularités importantes ont été rapportées [12], et les partisans de M. López Obrador ont massivement contesté les résultats de l’élection, dès le 8 juillet [13]. Pour ne citer que les événements les plus marquants de la mobilisation, plus d’un million de personnes étaient dans les rue de Mexico le 16 juillet [14], et plus de deux millions le 30, jour où un campement permanent a été installé au centre de Mexico [15].

Petits calculs

La réaction des chefs de gouvernement étrangers fut simplement inexistante [16].

Voyons comment les événements mexicains ont été rapportés par Le Monde. Sur la période du 1er au 31 juillet, 16 articles (et aucun éditorial) concernant les élections mexicaines ont été publiés (le vote ayant eu lieu le 2 juillet). A titre de comparaison, entre le 11 et le 20 juin 2009, soit une période trois fois plus courte, 37 articles (dont deux éditoriaux) ont été publiés sur les élections iraniennes (le vote ayant eu lieu le 12 juin) [17]. Mais la différence fondamentale n’est pas là , mais dans la façon dont les événements sont rapportés.

La faute à 1988

Dans l’article annonçant que M. López Obrador conteste le résultat du vote [18], on nous présente le marché de la Merced, qui « regorge de richesses insolites », et où en ce moment, « on y parle aussi politique. » « Le peuple de la Merced » soupçonne en effet « un complot de « ceux d’en haut » ». Ces pauvres gens réagissent sans raison apparente, mais il ne faut pas les blâmer, ils ont subi un « épisode traumatique » en 1988 (année où une « panne du système informatique » a vraissemblablement permis à Carlos Salinas de Gortari de battre Cuauhtémoc Cárdenas, candidat du même parti que M. López Obrador). Car il n’y a pas de doutes, si M. López Obrador parle de fraude, c’est « sans en apporter de preuve » [19], apprend-on dans Le Monde du 13 juillet. Ou alors, peut-on lire dans un autre article du même numéro, c’est que « les « preuves irréfutables » divulguées à la presse par « Amlo » ne sont guère convaincantes. » [20]

Zizou au Mexique

L’une des rares analyses que le lecteur du Monde pourra lire en ce mois de juillet a pour titre « Pyrrhus et Zizou au Mexique » [21].

« La patrie de Pancho Villa a aussi sa version tropicale de « Zizou ». Comme le héros des Bleus, le champion de la gauche mexicaine, Andrés Manuel López Obrador (dit « Amlo »), est un joueur talentueux et vénéré des foules. Aujourd’hui, il ressemble à un footballeur outragé qui, juste après la fin du match, accuserait son adversaire de l’avoir insulté, l’arbitre d’être acheté, le ballon d’être truqué et certains de ses coéquipiers de le trahir, tout cela sous les clameurs indignées de la moitié du stade. »

A ceux qui se demanderaient quand même pourquoi des gens manifestent : « La réponse est sans doute plus complexe que la « fraude généralisée » dont [M. López Obrador] accuse le gouvernement. » On cherchera les appels à des « réponses complexes » quand il s’agit de l’Iran.

Quand Zizou devient la bête immonde

Le 15 août paraît un article au titre prometteur : « La démocratie mexicaine prise en otage ». « En contestant les résultats de la présidentielle, le candidat de gauche Andres Lopez Obrador tente de jouer la rue contre les institutions. » Il s’agit selon l’auteur de « la méthode ad terrorem employée par les idéologies totalitaires pour imposer leur vérité à la société ». Car M. López Obrador « employa le mot le plus terrible du vocabulaire politique mexicain, « fraude ». Ce dénigrement de l’institution électorale [...], et les discours incendiaires qui se sont multipliés, jusqu’à un appel à la « résistance civile », font partie d’une stratégie qui représente une grave menace pour la paix au Mexique. [...] Voilà un film que le monde a déjà vu et revu. C’est la naissance de la bête dictatoriale. Un homme sourd à la réalité objective entend prendre en otage la démocratie mexicaine. »

Enfin, des explications claires

Tout venant à point à qui sait attendre, un éditorial sera finalement consacré à la question mexicaine, le 7 septembre, intitulé « danger au Mexique ».

Pour lancer le mouvement de protestation, selon l’éditorialiste, « il a suffi d’un résultat encore plus serré que ce que prévoyaient les sondages, et d’un mot - « fraude » - lancé par le perdant, le candidat de la gauche Andres Manuel Lopez Obrador [...] Le précédent de 1988 [...] était encore trop vif dans les mémoires. [...] Depuis cette époque, le système électoral mexicain a été doté d’une série de « verrous » rendant impossible toute fraude massive. Mais la méfiance demeure. » Saluons les Mexicains qui doivent être les premiers à avoir un système où la fraude électorale est tout simplement « impossible ». Sur de telles bases, on ne peut que conclure que « le nouveau décompte des bulletins [réclamé par M. López Obrador] ne se justifiait pas. »

La conclusion de cet éditorial nous éclaire davantage sur ce qui qualifie une bonne ou une mauvaise élection :

« M. Lopez Obrador semble pencher vers une gauche plus populiste que social-démocrate, tentée par les ambiguïtés du Bolivien Evo Morales et de son mentor, le Vénézuélien Hugo Chavez, plutôt que le réformisme responsable du Brésilien Lula da Silva ou de la Chilienne Michelle Bachelet. On peut dès lors se demander jusqu’où ira le « sous-commandant AMLO » [22] dans sa volonté de susciter, par des moyens pacifiques, une nouvelle révolution au Mexique. »

Une bonne élection, c’est une élection où le vainqueur est une personne « responsable ». Comprendre : aux ordres des grandes puissances.

La violence du régime

Certains pourraient penser que ce sont les violences contre les manifestants qui ont rendu la présidence de M. Ahmadinejad illégitime. Mais la situation n’était pas meilleure au Mexique. Un conflit extrêmement violent, qui commença en mai 2006 et prit fin sept mois plus tard, eut lieu dans l’état d’Oaxaca. De nombreux participants furent tués dans l’indifférence générale, notamment un journaliste étasunien, Bradley Roland Will [23].

Retour sur l’élection iranienne

Il est donc probable que M. Ahmadinejad ait récolté la majorité des suffrages aux élections du 12 juin dernier. Je n’ai pas préparé une sélection d’extraits d’article du Monde traitant des élections iraniennes, mais en jetant un coup d’oeil sur le premier article qui vous tombe sous la main, vous devriez constater une légère différence de point de vue avec les extraits concernant le Mexique que l’on vient de voir. Cela s’explique facilement. Ce qui préoccupe les grandes puissances, ce n’est pas le manque de démocratie ou la violence du régime. Ces raisons ne sont invoquées que pour gagner le consentement de la majorité, et masquer leur vrai problème : ne pas pouvoir contrôler le dirigeant d’un pays considéré comme stratégique.

JCM
21 juin 2009

 
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