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"si tous les milliardaires voulaient bien se donner la main"
Y’aura-t-il un jour des géraniums à Wall Street ?
Viktor DEDAJ

Je hais les géraniums. Vous aussi, non ? Comme je vous comprends. Qui pourrait bien aimer les géraniums ? Parfois je me demande même si ce sont réellement des fleurs. Parce qu’une fleur, dans mon esprit à moi, ça évoque quelque chose de plutôt jolie et qui sent plutôt bon. Sur le plan esthétique et olfactif, on peut dire que le géranium est au monde végétal ce que l’hyène est au monde animal. J’affirmerais même que le géranium est au balcon ce que la tour Montparnasse est à Paris ou les Etats-Unis à la scène internationale : une insulte, une injure, un affront. Je ne connais d’ailleurs personne qui aime les géraniums. Personne, à part ma mère. Mais bon, là , ça ne compte pas parce que ma mère elle aime tout le monde. Elle aime tout et même n’importe quoi (comme les géraniums, par exemple).

Ma mère est une sainte enchâlée aux mains magiques qui vous tissent une nappe en dentelle blanche en moins de temps qu’il n’en faut à Sarko pour trahir une promesse électorale. Et si quelqu’un éternue, elle lui tricote une écharpe avant même qu’on n’ait eu le temps de prononcer « à tes souhaits ».

Ma mère a aussi des bras à faire passer un haltérophile bulgare pour un mannequin anorexique. Et ça, ça tombe plutôt mal, parce que ma mère a aussi un sens aigu, très aigu, extrêmement aigu, de la justice, du respect et de l’honnêteté. Et à la moindre violation des principes susmentionnés, une augmentation brutale de la pression atmosphérique se produit, provoquée par le déplacement dans l’air de ses fameux bras et annonçant l’imminence d’un choc. Et jamais le moindre abri en vue. Bref, ma mère avait toutes les qualités requises pour chambouler les affres existentialistes d’un adolescent un tantinet chenapan.

A vrai dire, des fessées, je n’en ai pas pris beaucoup. Mais les rares que j’ai prises, on peut dire que c’était pour de vrai. Des fessées d’une amplitude à faire recomposer ton ADN. Des fessées à chambouler ta perception de la vie. Ton autobiographie, qui avait pour titre provisoire « Ma Vie de Chenapan », s’intitulera désormais « Ma rencontre avec King Kong ».

Ma mère dispense la justice comme elle dispense l’amour : sans compter. Il faut l’avoir vue, au moins une fois dans sa vie, entourée d’un parterre d’une dizaine « d’éléments perturbateurs » de la cité HLM, en train de donner un cours de tricot. Ouais. De tricot. Tu m’étonnes après que même des géraniums aient pu trouver refuge sur notre balcon.

Discrets au début, ces machins ne tardèrent pas à réclamer des « soins ». Comme « être arrosés » par exemple. Tâche ingrate que j’exécutais volontiers à la demande de ma mère, toujours soucieux que j’étais, en bon fils modèle, de répondre aux moindres désirs de celle qui m’avait mis au monde, qui m’avait allaité, qui m’avait soigné, qui avait veillé sur toutes mes nuits enfiévrées, et qui avait aussi fini par céder à mon chantage et me promettre une petite pièce de monnaie en échange de ce geste désintéressé. Après avoir gaillardement rempli un seau, je le vidai prestement sur les pots suspendus dans le vide. Sans surprise, l’eau déborda et, sans surprise, s’en fut en cascades épancher quelques passants aux poings brandis et criant vengeance. L’espace vertical qui nous séparait me garantissait une impunité digne d’un banquier. J’étais en train de leur préparer quelques répliques salaces lorsque la première des plaies d’Égypte s’abattit sur moi. Paf ! « Mais qu’est-ce que tu as fait ? » Ben rien. « Rien ? Mais regarde ! ». Paf ! Deuxième plaie d’Egypte. Quoi ? « Tu arroses les fleurs ou tu arroses les gens ? ». Paf ! Paf ! Troisième et quatrième plaies. « Tu n’as donc aucun respect pour les gens ? ».

Elle décida de prendre les affaires en main et je la revois encore, avec son petit arrosoir, verser l’eau avec toutes les précautions du monde et toute la solennité d’un prêtre pendant un baptême. Par petites doses, avec une pause entre chaque, opération ponctuée de petits coups d’oeil - pas inquiets, mais préoccupés quand même - vers le trottoir en dessous, car une goutte aurait pu échapper à sa vigilance… « Et tomber ? » Ben oui. « Sur quelqu’un ? » Possible. « Un…un passant ? » Tant qu’à faire. « un passant… INCONNU ?!? » Probablement. Et ça, c’est une chose que ma mère n’aurait jamais acceptée, ni admise, ni tolérée, ni avalisée, ni cautionnée, ni pardonnée.

Alors, sur le trottoir en dessous du balcon de ma mère, à l’ombre de ses géraniums, tout passant occasionnel, sans distinction de sexe, de religion ou d’opinion politique, pouvait se reposer, assuré d’y trouver un espace de tranquillité, un havre de paix, un lieu de méditation, que dis-je, un salon VIP en classe affaires (« avec une connexion Wifi ? ». Nan, pas encore inventé à l’époque). Simple question de respect pour l’autre, malgré tout ce qu’elle avait elle-même endurée.

Et alors, me demandez-vous ? Alors, rien.

Vous connaissez le boulevard de Courcelles à Paris ? Non ? Alors vous ne fréquentâtes pas les bonnes Grandes Ecoles mon pauvre ami(e). Le boulevard de Courcelles pourrait figurer dans un ancien jeu de Monopoly. A certaines intersections, le temps pour vous d’acheter à la pharmacie locale votre crème antirides « parce-que-vous-le-valez-largement », des voituriers se chargeront prestement de garer votre Maserati, votre Ferrari ou votre Hummer.

Dans les immeubles qui longent le boulevard de Courcelles, une certaine distinction est de rigueur. Ce jeune homme qui aujourd’hui cire le marbre du hall d’entrée, n’était-il point là hier à épousseter quelque statue ? Oui, il l’était. Et n’était-il point là avant-hier à astiquer les pièces en laiton des portes ? Oui, c’était bien lui. Et n’était-il point là avant-avant-hier…

On peut aussi croiser, au hasard, d’anciens premiers ministres, d’anciens chanteurs à succès, des journalistes, et même Dominique Strauss-Kahn (ancien d’un peu de tout, avant d’être appelé à de plus hautes besognes). Les hommes là -bas portent des costumes sombres et parlent à d’autres costumes sombres. Les « businessmen » portent le journal les Echos, les « politiques » portent le journal le Monde, les « un nom avec une particule mais j’hésite encore à vous dire laquelle » portent le Figaro.

Pour entrer dans l’immeuble, il faut pousser une porte lourde comme un pont-levis. Alors, disons que par politesse, il m’arrive de tenir cette porte ouverte à ceux et celles qui suivent.

Le modèle « businessman » réagira selon qu’il vient d’être viré, qu’il vient de signer un contrat ou que la CGT soit majoritaire. Ca sera donc, dans l’ordre, un sourire crispé, un hochement de tête, ou un « merci, oh merci » en présentant sa carte de visite.

Le modèle « politique » vous regardera avec hésitation, en essayant de se souvenir si nous sommes en période électorale ou pas. Si oui, il vous serrera chaleureusement la main et vous présentera à la ronde comme « un exemple pour la France ». Sinon, c’est plutôt le désormais classique « casse-toi pauv’con ».

Le modèle « avec particule », s’il est en « bonne compagnie », vous sourira de toutes ses couronnes et peut-être même vous aurait-il invité à monter boire un thé - s’il n’était pas aussi pressé. Sinon, il ne vous remarquera pas et ne s’étonnera qu’à peine de voir la porte rester ouverte par une sorte de miracle, le temps pour lui de se frayer un auguste passage.

Quant aux femmes, que vous dire ? Leur tenir la porte provoque ce regard qui dit « je ne souris qu’aux hedge funds, pas aux Livrets d’Epargne de l’écureuil »

Lorsque le temps est au beau, en passant sur le boulevard de Courcelles, là où vivent et travaillent moult décideurs et faiseurs d’opinion, vous aurez peut-être la chance en début de matinée d’assister à une scène réservée à quelques initiés : l’arrosage des plantes des balcons le matin. Sur plusieurs centaines de mètres, j’ai bien dit plusieurs centaines, comme si tout le monde s’était donné le mot en même temps, les trottoirs se retrouvent inondés et glissants. Levez les yeux et observez ces ruissellements qui tombent des balcons, les uns sur les autres, et ce jusqu’en bas. Tout passant tenant un tant soit peu à sa dignité se verra obligé de marcher sur la route ou, au mieux, au bord du trottoir.

Mais ce n’est pas que de l’eau qui coule, c’est aussi du mépris distillé, de l’indifférence qui dégouline pour tous les « autres ».

Et alors, me demandez-vous ? Alors, rien.

George W. Bush, en annonçant « son » méga plan de sauvetage de ces gens-là , n’a pas eu un seul mot pour leurs victimes. Ce plan de sauvetage (qui n’en est évidemment pas un), le « marché » vient de le saluer à sa manière : en plongeant.

« Il faut prendre des mesures contre la crise » disent ces gens-là . De quelle crise parlent-ils ?

- De la crise des plus de 20.000 personnes qui meurent de faim par jour ? « Une crise désigne une exception, or vous me parlez d’une règle. La faim, c’est plus compliqué que ça. ».

- De la pollution ? « C’est pas une crise ça, c’est un problème de mode de développement. L’écologie, c’est plus compliqué que ça. »

- La maladie ? « C’est pas une crise ! Sauf si c’est une crise de foie, évidemment. Oh, et puis, c’est plus compliqué que ça. »

- La misère ? « J’ai moi-même réussi à devenir milliardaire mais j’ai du bosser pour ça. Résoudre la misère, c’est plus compliqué que ça. »

- Le chômage ? « Dites-vous que si c’était simple, ça fait longtemps qu’on l’aurait réglé. Car, voyez-vous, c’est plus compliqué que ça. »

- Nous expliquer pourquoi un euro fort c’est bien pour notre économie, ou pas bien pour notre économie (ou l’inverse) selon la direction du vent ? « Vois-tu, mon petit, l’économie, c’est plus compliqué que ça. »

- Nous dire en mots clairs en quoi la baisse du CAC40 devrait provoquer autre chose que des fous rires chez les gens normaux ? « La bourse, c’est un peu comme le Casino, mais je dis ça j’ai rien dit parce qu’en fait, c’est plus compliqué que ça ».

- Nous expliquer pourquoi la France est en guerre ? « Sans entraînement, je ne suis pas certain… la politique, ah ça oui, c’est vachement compliqué. »

- le Rubik’s Cube ? « Fastoche. Tu le démontes, tu le remontes. Ni vu, ni connu. Ca c’est pas compliqué ». Ca s’appelle tricher. « Pas s’il n’y a pas une loi contre. Et encore… ».

Oui, je sais : « c’est plus compliqué que ça ».

- Pour résoudre la plus grave crise financière de l’histoire ?
- « Tu prends 700 milliards de dollars … »
- Tu les sors d’où, d’un seul coup comme ça ?
- « j’peux pas t’expliquer, c’est trop compliqué - et tu les donnes à  … »
- à ceux qui en ont besoin ?
- « tu raisonnes vraiment en termes simplistes… parce que c’est … »
- je sais : « … plus compliqué que ça ».

Il n’aura pourtant fallu que quelques jours, à ces gens-là , pour se mobiliser et concocter des plans, pour trouver les sommes, des méga-sommes, destinés à sauver des riches, des méga-riches. Et là je sens poindre comme qui dirait une méga-colère contre ces méga-salauds. Alors, la prochaine fois qu’un de ces gens-là commencera une phrase par « c’est compliqué vous savez », allez-y, cédez à vos pulsions.

En marchant le long du Boulevard de Courcelles, lorsque le temps est au beau, je pense souvent à ma mère. Elle qui ne sait ni lire ni écrire n’aurait probablement pas « réussi » à Wall Street. Mais une chose est sûre, ses géraniums et ses fessées auraient été d’une beauté à vous faire chanter l’Internationale.

Viktor Dedaj
« ça ressemble à un film de banksters »

 
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