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Thomas Frank. Pourquoi les pauvres votent à droite ? Marseille : Agone, 2008.
Bernard GENSANE

Rien que pour la préface de Serge Halimi (quel mec, cet Halimi !), ce livre vaut le déplacement. Le titre d’origine est " Qu’est-ce qui cloche avec le Kansas ? Comment les Conservateurs ont gagné le coeur de l’Amérique. " Ceci pour dire que nous sommes en présence d’un fort volume qui dissèque les réflexes politiques, non pas des pauvres en général, mais uniquement de ceux du Kansas, dont l’auteur est originaire.

Cela dit, dans sa préface, Halimi a eu pleinement raison d’élargir le débat et d’expliciter le vote de droite des pauvres en France. Selon le directeur du Monde Diplomatique (et Frank, bien sûr), le pilonnage que subit la classe ouvrière du monde entier, la guerre de classes enclenchée par l’hyperbourgeoisie mondiale depuis une trentaine d’années ont fait se réfugier le prolétariat, et une bonne partie des classes moyennes, vers un nouvel opium du peuple, celui d’un " univers moral " complètement fabriqué par la superstructure. Les questions socio-économiques ont été laissées en déshérence parce que, de Bush à Ségolène Royal en passant par Blair ou les jumeaux réactionnaires qui gouvernent la Pologne, les dirigeants ont eu « l’habileté », explique Halimi, « de mettre en avant leur conservatisme sur le terrain des valeurs. » Pendant sa campagne électorale, Sarkozy a fait oublier qu’il était le représentant et l’agent des forces d’exploitation et a rassuré en faisant appel à de prétendues valeurs fondamentales, à de prétendus comportements anciens.

Les milliardaires réunis au Fouquet’s on noyé dans le Champagne une victoire qui n’aurait pas été possible sans le vote de droite de nombreux chômeurs d’Hénin-Beaumont, où l’influence lepéniste a miraculeusement reculé. Si, grâce à la bourde de Borloo, les pauvres, et les moins pauvres ont échappé à une TVA " sociale " inique, ils n’en ont pas moins été sensible aux jérémiades de « la France qui souffre » ou qui « se lève tôt ». Cela dit, Halimi fait observe que Sarkozy a opposé cette France matinale à celle des " assistés " mais jamais à celle des rentiers. Pour faire passer les cadeaux à ses amis Bouygues et Bolloré (on en est revenu à l’époque du scandale de Panama : un dirigeant politique fait des cadeaux à ses potes immédiats), Sarkozy a su dresser, écrit Halimi, le prolétariat et les petites classes moyennes tantôt contre les " nantis " résidant à l’étage du dessus (employés avec statuts, syndicats et " régimes spéciaux " ) ; tantôt contre les " assistés " relégués un peu plus loin ; ou contre les deux à la fois. »

De Hollande à Buffet, la gauche traditionnelle fut incapable de contrer le discours sarkozien, terrorisée à l’idée d’être taxée de populisme. On entendit bien le Premier secrétaire du PS tenter un pitoyable et ridicule « Je n’aime pas riches » qui retomba avec la grâce d’un Flambi quelques heures après avoir été proféré. Ce fut tout.

D’évoquer ad nauseam la discipline dans les collèges ou le salut au drapeau a permis à la candidate socialiste de masquer sa connivence avec la classe dominante sur le seul sujet qui importe : la mondialisation capitaliste. Vingt ans de TF1 privatisée (ou, aux États-Unis, de Fox News) ont fait oublier aux catégories populaires qu’il pouvait exister des luttes collectives pour les salaires, pour une gestion démocratique des entreprises, pour une éducation nationale qui ne serait pas au service du patronat.

Le livre de Frank expose, par une étude de cas très bien ciblée (lorsqu’il y a prurit contestataire au Kansas, il peut être d’extrême gauche ou d’extrême droite), comment la droite américaine (légèrement à gauche de Gengis Khan), de Reagan à Bush, a vu ralliés à sa cause les groupes sociaux sur lesquels elle tapait le plus fort. Pendant qu’ils licenciaient des dizaines de milliers de fonctionnaires, qu’ils offraient aux plus riches des cadeaux fiscaux extraordinaires, Reagan ou Bush faisaient vibrer la fibre patriotique des travailleurs. Richard Nixon avait déjà réussi lors de sa campagne électorale de 1968 avec son insistance sur « La loi et l’ordre ». Issu d’une grande famille ultra-chic de la côte Est, George W. Bush émut le Texas profond, où il possède un ranch comme tous les beaufs qui se respectent, et où il posséda et dirigea (fort mal) une équipe de base-ball.

Dans le comté le plus pauvres des États-Unis, situé dans les Grandes Plaines, Bush l’a emporté en 2000 avec plus de 80% des voix. En quoi consiste ce tour de prestidigitation qui voit les ouvriers acclamer ceux qui les martyrisent ? « Votez pour faire la nique à ces universitaires politiquement corrects et vous aurez la déréglementation de l’électricité. Votez pour résister au terrorisme et vous aurez la privatisation de la sécurité sociale. Votez pour interdire l’avortement et vous aurez une bonne réduction de l’impôt sur le capital. Votez pour que votre pays redevienne fort et vous aurez la décentralisation. » Et le tour, pas éventé pour l’instant, est joué. Plus on se révolte, plus on va à droite. La politique, c’est lorsque les habitants des petites villes regardent autour d’eux les dégâts causés par Wal-Mart puis décident de se lancer dans une croisade contre le darwinisme. Pour le Kansas profond, un type qui roule en Volvo est un gauchiste. Si en plus il mange des " French fries " , c’est le diable incarné !

Frank s’attarde sur une grande figure locale : Jim Ryun. Ma génération se souvient de cet athlète prodigieux des années soixante, rival de Michel Jazy sur les cendrées. Aujourd’hui, élu emblématique du Parti Républicain (et officiellement, selon les critères du parti lui-même, l’un des plus réactionnaires) son combat consiste à la fois à protéger la jeunesse contre la culture lascive et à défendre les intérêts de la grande entreprise. Il est allé jusqu’à comparer la politique économique américaine des années préReagan à l’Union Soviétique et a soutenu les cadeaux fiscaux accordés aux riches sous prétexte que ces derniers avaient besoin de motivations pour continuer d’apporter leur contribution au bien-être de tous (du Christine Lagarde dans le texte)… Cet ancien grand sportif met en doute la réalité du réchauffement climatique et explique la crise énergétique californienne par l’incapacité des dirigeants de cet État qui interfèrent avec le libre marché. Il ne semble donc pas savoir ce qu’est la dérégulation. Pour lui, les affaires sont naturelles, hors du champ de la discussion démocratique, hors de la politique. En un seul domaine, Ryun fit preuve d’un peu de sagesse progressiste : il vota contre des mesures présentées par Bush par lesquelles les pouvoirs publics auraient eu encore moins d’emprise sur la santé et l’éducation des enfants. Il est l’auteur d’un ouvrage que je brûle de lire (cum grano salis) : Running to Jesus : The Jim Ryun Story (Jim Ryun : ma course vers Jésus).

Présentation du livre chez l’éditeur :
http://atheles.org/agone/pourquoilespauvresvotentadroite

 
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