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Premier séminaire écomarxiste international : La Chine et l’Amérique latine à l’honneur !
Guillaume SUING

Dans les locaux d’une université vénitienne, l’IUAV, un colloque international innovant s’est tenu en mars sur le thème “Marx dans l’anthropocène”. Des chercheurs et universitaires de tous les continents s’y sont retrouvés pour s’exprimer et échanger sur un sujet dont la centralité est de moins en moins discutée à gauche : l’écosocialisme.

Le terme écosocialisme évoque peut-être quelque chose aux militants éloignés des amphithéâtres. Pour beaucoup d’universitaires progressistes, les recherches en économie, en sociologie, en philosophie se concentrent depuis quelques années sur la nécessité d’une “réforme” ou d’une “adaptation” théorique du marxisme aux nouvelles questions écologiques. Une grande diversité de courants de pensée a émergé de ces recherches. Certains considèrent le marxisme périmé, “productiviste” et “prométhéen”. D’autres considèrent au contraire qu’il faut retrouver dans les textes de Marx des conceptions ensuite malheureusement oubliées, notamment en Union Soviétique, et qui d’une certaine façon auraient anticipé la “décroissance” défendue par le mouvement écologiste occidental.

Peu considèrent enfin, pour une troisième partie d’entre eux, que toutes ces questions sont d’une certaine façon déjà traitées dans le réel, au-delà des débats théoriques entre exégètes, par les pays en lutte pour leur souveraineté et les pays en transition vers le socialisme. Dans un nécessaire pluralisme idéologique, disciplinaire, géographique, qui reflète bien les débats existants, le colloque de Venise donne la parole à ces derniers, avec force. C’est une première.

Il ne faut sans doute pas considérer le titre du colloque, “Marx dans l’anthropocène”, comme un clin d’oeil : “Marx et l’anthropocène” est aussi le titre d’un récent best seller du philosophe japonais Koheï Saïto, dont le sous-titre est “pour un communisme décroissant”. Le programme de Venise était tout autre.

D’abord parce que cette formule, “décroissantiste”, qui donne une tonalité malthusienne et occidentalo-centrée au parti pris de Saïto, ne convient pas pour décrire beaucoup d’interventions de Venise, et en particulier celles d’auteurs connus pour leur engagement marxiste, “écomarxiste” diront certains, et leur intérêt pour les avancées écologiques de la Chine et de l’Amérique Latine, Cuba en tête. Parmi eux le célèbre John Bellamy Foster, théoricien incontournable de la “rupture métabolique entre l’Homme et la nature” formulée par Marx, son collègue non moins fameux Brett Clark, co-auteur et directeur de publication de la revue universitaire Monthly Review, mais aussi Salvatore Engel di Mauro, auteur de “Les Etats socialistes et l’environnement, leçons pour un futur écosocialiste” et d’ouvrages sur l’agroécologie cubaine. A ces trois auteurs s’ajoute le philosophe italien Jacopo Nicola Bergamo, auteur de “Marxisme et écologie”. Ce dernier, co-organisateur du colloque, est d’ailleurs explicitement critique vis-à-vis du décroissantisme de Saïto et de son désintérêt pour les voies cubaine et chinoise.

Invité moi même au colloque, ce dont je remercie infiniment les organisateurs, j’ai pu également exposer les avancées concrètes de l’URSS pré-khrouchtchévienne (1921 - 1952), de Cuba depuis la “période spéciale” et de la Chine après le congrès du PCC de 2012 (On trouvera cet exposé et ses illustrations sur ce lien) dans une commune logique de construction du socialisme et de résistance à l’encerclement impérialiste.

Le programme de Venise était tout autre, ensuite, parce que plusieurs universitaires chinois ont pu renseigner le public, de façon équilibrée et nuancée, sur les avancées et résultats concrets de leur planification écologique. Ce fut le cas notamment de Qingzi Huan, auteur et chercheur de l’Université de Beijing, qui a exposé en détail les réalisations et perspectives de la Chine Populaire depuis 20 ans dans le cadre de ce que les communistes chinois appellent la “civilisation écologique socialiste”. On a pu entendre de nombreuses conférences mentionnant le rôle de la Chine Populaire dans le cadre des recherches dites “écosocialistes” : Siqi Li, The International Communication of Ecological Civilization as a Green Discourse ; R. Peneluppi, Analysis of Marxist and Xi Jinping Thought on Ecological Civilization in the Context of South American Ecological Transformation Initiatives ; Yongheng Li, Study on China’s Achievements in Mitigating Global Climate Change since 1990 ; S. Choudhury, Poverty Alleviation Drive in China : Joining Technological Advancement and Geographical Knowledge ; Yilei Liang, Navigating Global Technological Sovereignty : A Marxist Analysis of Resource-Intensive Innovation and Ecological Transformation ; Yang Xuegong, Marx’s View of Nature and Contemporary Environmental Issues.

A ce jour, la Chine est la seule à offrir une perspective écosocialiste théorisée et planifiée, sous le titre de “civilisation écologique socialiste”, qui contraste avec les perspectives floues et essentiellement déclaratives des acteurs occidentaux des COP. Cette perspective, ce modèle n’est pas seulement une source d’inspiration pour le Sud global, où sévit le plus vite et le plus fort le dérèglement climatique. C’est aussi une politique théorisée qui s’offre à la critique et à l’autocritique concrète, là où les engagements sur l’honneur en occident reposent bien souvent sur du vide et de la procrastination invérifiable. Les chinois répondent ici logiquement, pour la question écosocialiste – englobant le socialisme –, à l’adage léniniste “pas de révolution sans théorie révolutionnaire”.

Une place importante dans le programme du colloque était réservée à la lutte contre l’impérialisme et ses agressions sociales et environnementales, en Amérique Latine notamment. Or, lier la question de la protection des écosystèmes et de la biodiversité à celle de la souveraineté nationale ou régionale annonce en soi une distance critique vis-à-vis d’un écosocialisme trotskisant et occidentalo-centré, disons de “première génération”, concentré sur la lutte “mondiale” contre le dérèglement climatique aussi abstraite et utopique que la formule trotskiste de “révolution permanente”.

Le colloque a été enfin l’occasion d’une tribune pour l’organisation Science for the People, organisation dont la vocation militante affichée est de prolétariser la science, autrement dit de lutter contre l’emprise du grand capital sur les programmes de recherche et les formes oppressives du travail scientifique. Une perspective qui réaffirme la lutte des classes y compris dans le domaine de la recherche, mais qui tente aussi, en occident, de réorienter cette recherche sur les problématiques les plus urgentes (quoique les moins lucratives) pour l’ensemble des humains, et parmi elles le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité. Science for the people, mouvement fondée aux EU dans les milieux pacifistes, où de grands chercheurs marxistes des années 70 tels que Stephen Jay Gould, Richard Lewontin, Richard Levins ont milité, notamment pour réhabiliter le matérialisme dialectique, se concentre aujourd’hui sur la nécessité d’une science pour les peuples et non pour la guerre ou le profit, d’un progrès scientifique qui rompt avec l’hégémonie postmoderne occidentale “antiprogrès”, quoi qu’en restant globalement décroissantiste. Des liens se tissent pour l’occasion avec l’Amérique Latine, la Chine, et la Palestine notamment, dans une perspective antifasciste et anti-impérialiste assumée.

“Marx in the Anthropocene” est, on l’espère, une initiative qui, au coeur de l’Europe, tranche enfin avec l’hégémonie culturelle occidentalo-centrée et trotskisante pour restaurer une approche non plus morale mais matérialiste et marxiste des questions environnementales actuelles, fondée sur la nécessité d’une science plus autonome et plus forte. C’est peut être le signe d’une nouvelle étape de la recherche écosocialiste, revendiquant la souveraineté des peuples comme axe d’un internationalisme conséquent intégrant la protection des richesses naturelles nationales contre l’agrobusiness et les grands lobbies pétroliers.

 
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