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Quand l’Afrique du Sud des attentes trahies trahit aussi son héros Dimitri Tsafendas !
Yorgos MITRALIAS

« On est coupable non seulement quand on commet un crime, mais aussi quand on ne fait rien pour l’empêcher quand on en a l’occasion. »
(Dimitris Tsafendas)

Pourquoi avons-nous recours à l’histoire du ”tyrannicide” greco-mozambicain Dimitri Tsafendas, pour tenter d’expliquer le résultat désastreux du parti de Mandela aux récentes élections sud-africaines ? La raison en est simple : l’histoire à la fois héroïque et tragique de Tsafendas, qui a tué en 1966, « l’architecte de l’apartheid » et premier ministre de l’Afrique du Sud « blanche » d’alors, Hendrik Verwoerd, est au cœur de la situation critique du pays et met en lumière l’incapacité du Congrès National Africain (ANC), autrefois puissant mais aujourd’hui corrompu et en crise profonde, à améliorer la vie quotidienne de ses habitants africains, 30 ans après la fin de l’apartheid. En effet, les raisons qui expliquent le scandale du traitement ignoble réservé par les dirigeants sud-africains au héros Tsafendas, sont essentiellement les mêmes que celles qui expliquent la frustration et la colère profondes que suscite le bilan de leurs politiques chez la grande majorité de leurs concitoyens africains.

Voici donc de quoi il s’agit. Quand Tsafendas, au riche passé de militant anticolonialiste, communiste et révolutionnaire en Afrique, en Europe et en Amérique, (1) a poignardé et tué -le pronazi déclaré - Verwoerd, le régime d’apartheid s’est empressé de dépeindre Tsafendas comme « déséquilibré » et « apolitique », tandis que le président du tribunal qui l’a jugé persistait à le qualifier de « créature insignifiante ». Er cela pour plusieurs raisons : d’abord pour éviter d’en faire un héros populaire qui trouverait des imitateurs parmi les victimes de l’apartheid, puisque son procès serait purement politique et attirerait l’attention internationale à un moment où les crimes de l’apartheid n’étaient qu’effleurés par la presse internationale. Et aussi pour ne pas révéler aux yeux de tous les opprimés la fragilité du prétendument tout-puissant État policier sud-africain. Cette mise en scène n’a bien sûr pas empêché ses bourreaux de torturer Tsafendas plus que tout autre et durant des longs années (!), ni de l’embastiller (à l’isolement et dans une cellule spécialement construite pour lui à côté de la salle où se déroulaient les exécutions !) jusqu’à la fin du régime d’apartheid, soit pendant 28 années !

Mais le scandale inouï, c’est que l’ANC, qui a pris les rênes du pays en 1994, a non seulement continué à qualifier le martyr Dimitri Tsafendas de « déséquilibré », mais l’a laissé croupir en prison, se contentant de le transférer dans une clinique psychiatrique/prison jusqu’à la fin de sa vie, en 1999 ! Et comme si cela ne suffisait pas, l’ANC continue à ce jour de refuser obstinément d’honorer Tsafendas, malgré le nombre croissant de voix émanant même d’anciens dirigeants de l’ANC, des personnalités du monde entier, et même des gouvernements d’autres pays africains qui demandent non seulement que ce scandale sans précédent cesse mais aussi que Dimitri Tsafendas soit officiellement reconnu comme un héros national de l’Afrique du Sud et comme un protagoniste et un martyr des luttes anti-coloniales des peuples d’Afrique (2)

Alors, pourquoi cette attitude ignoble, et à première vue incompréhensible, de l’ANC à l’égard du militant révolutionnaire Dimitri Tsafendas ? Mais, apparemment, pour que les anciens dirigeants et partisans de l’apartheid et leurs épigones ne soient pas contrariés et irrités par la reconnaissance officielle du « meurtrier » de leur leader historique Verwoerd comme « héros » et “martyr” de l’Afrique du Sud enfin libérée. En effet, la principale préoccupation des dirigeants de l’ANC était, et continue malheureusement d’être, d’appliquer la politique dite de « paix et d’unité », c’est-à-dire de « réconciliation nationale », dont la pierre angulaire est qu’à l’exception des discriminations raciales qui sont abolies, tout le reste ne change pratiquement pas : les quelques riches hommes d’affaires et propriétaires terriens, qui « comme par hasard » sont tous des blancs, conservent leurs privilèges et leurs fortunes, ce qui se traduit par le fait qu’ils continuent à contrôler l’économie et la plupart des terres, que leurs ancêtres ont volé aux indigènes, tandis que la multitude des pauvres des villes et des campagnes, qui « comme par hasard » sont tous des Africains et Africaines, continuent de vivre dans la pauvreté et l’insécurité, cloîtrés dans leurs tristement célèbres townships (bidonvilles) misérables.

Voila donc ce qui fait de l’Afrique du Sud le champion du monde des inégalités sociales. Et voila pourquoi sa société est minée par un terrible chômage de 33% (et de plus de 50% chez les jeunes) et une criminalité tout aussi terrible, alors qu’elle ressemble de plus en plus à un volcan sur le point d’entrer en éruption tant la corruption y est endémique, empêchant l’État clientéliste) de l’ANC de répondre aux besoins les plus élémentaires de la majorité de la population, comme la fourniture d’électricité et d’eau potable ! Et, bien sûr, voila c’est ce qui fait que de plus en plus de Sud-Africains non blancs (noirs, métis, indiens), qui jadis soutenaient avec enthousiasme l’ANC ou même avez lutté pour leur liberté dans ses rangs, l’abandonnent aujourd’hui en masse et se tournent contre lui aux élections.

La reconnaissance de la contribution décisive de Dimitri Tsafendas aux luttes pour le renversement du régime d’apartheid sud-africain, pour la libération du Mozambique du joug colonial portugais et même du Portugal lui-même de la dictature de Salazar (sa terrible police secrète PIDE l’avait arrêté et torturé à plusieurs reprises), n’est pas seulement un acte de justice élémentaire et ne concerne pas seulement les autorités et les sociétés de ces trois pays. C’est et doit être l’affaire de tous les progressistes, et bien sûr de son pays d’origine, la Grèce, où il arrive expulsé des États-Unis en 1947, pour combattre, les armes à la main, la réaction monarchiste et collabo dans les rangs de l’Armée Démocratique. Quand la gauche grecque rendra-t-elle enfin hommage au héros et martyr de la libération des peuples, Dimitri Tsafendas, qui reste toujours pratiquement inconnu dans le pays natal de son père crétois et anarchiste convaincu ?

Plus qu’hier et avant-hier, c’est surtout aujourd’hui que l’humanité ressent le plus grand besoin de combattants comme Dimitri Tsafendas, qui, depuis sa cellule, « expliquait » ses actes à l’aide des simples vérités comme celle-ci : "Chaque jour, vous voyez un homme que vous connaissez commettre un crime très grave pour lequel des millions de personnes souffrent. Vous ne pouvez pas le poursuivre en justice ou le dénoncer à la police, car il fait la loi dans le pays. Allez-vous rester silencieux et le laisser continuer à commettre son crime, ou allez-vous faire quelque chose pour l’arrêter " Et pour qu’il n’y ait pas de doute sur le sens de ses paroles, Tsafendas faisait appel à Nazim Hikmet, rappelant son exhortation « si je ne brûle pas, si tu ne brûles pas, si nous ne brûlons pas, comment la lumière vaincra-t-elle l’obscurité ? » Et à vrai dire, aujourd’hui, les ténèbres abondent.

Notes

1. Voir l’excellent texte (en anglais) du professeur à l’Université de Durham, Harris Dousemetzis. Celui-ci est l’auteur du très important livre The Man who Killed Apartheid : The Life of Dimitri Tsafendas et mène la campagne internationale pour la reconnaissance du combat anti-colonial de Dimitri Tsafendas.

2. Voir « Mozambique honours Dimitri Tsafendas, while SACP vows to erect tombstone ».

 
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