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Pour le capitalisme financier, les « gens », les « travailleurs » ne doivent pas exister
Bernard GENSANE

Je discutais récemment avec un ami psychologue d’Un autre monde, le dernier film de Stéphane Brizé qui concourra à la Mostra de Venise en septembre. Ni lui ni moi n’avons vu ce film mais le thème en a été rendu public. Vincent Lindon, cadre dans un groupe industriel étasunien, ne sait plus quelle attitude adopter face aux demandes incohérentes de sa direction. Sa vie est mise en doute et ses relations avec sa femme (Sandrine Kiberlain) s’en ressentent fortement. Hier encore, il était dirigeant ; aujourd’hui, il n’est plus qu’exécutant.

Mon ami me fit remarquer que, aussi louables qu’aient pu être les intentions de Stéphane Brizé (elles le sont toujours), ce film allait très vraisemblablement mettre en scène un monde qui n’existe plus, celui d’une entreprise où il y a des travailleurs, des cadres, une chaîne de commandement et des rapports humains. Dans l’entreprise d’aujourd’hui, celle qui est gérée par le capitalisme financier, les rapports interpersonnels ne comptent plus, les individus n’existent plus. La matière humaine est devenue translucide, invisible. Seuls importent les chiffres, les algorithmes, les actionnaires sans visage.

Comme mon ami savait que j’avais consacré de longues pages à l’œuvre de Christophe Dejours sur la souffrance au travail (ici, par exemple), il me fit observer qu’il n’y avait plus ni souffrance ni travail. La souffrance est un rapport à soi et aux autres qui ne doit plus exister dans l’entreprise du XXIe siècle. Quant au travail, il n’existe plus en tant que culture, savoir, savoir-faire, transmission. Donc en tant que mémoire. Par parenthèse, Christophe Dejours a beaucoup souffert dans l’institution où il a travaillé toute sa vie du fait de ses analyses à contre courant.

Si j’ai bien compris l’argument du film de Brizé, Lindon, en voie d’être broyé, s’acharne désespérément à trouver du sens, donc de la raison humaine à ce qui lui arrive. Nous n’en sommes plus là. Un gérant d’entreprise, un « manager », doit aujourd’hui se demander si ses « compétences » sont à même de déboucher sur un taux de croissance déterminé dans un ailleurs sur lequel il n’a aucune prise. Ce, sans considération pour un facteur humain qui n’existe plus. « You don’t exist », disait O’Brien à Winston Smith dans 1984.

Puisqu’on est dans la psychologie sociale, restons-y un instant. Les universités se peuplent actuellement de jeunes psychologues qui n’ont jamais vu un malade et qui n’ont jamais parlé à un être humain n’appartenant pas à leur milieu, à leur caste socio-professionnelle. Je faisais il y à peu observer à l’un d’entre eux, à propos d’un ouvrier que nous savions alcoolique, que ce bonhomme n’était pas né alcoolique mais qu’il l’était devenu suite à un licenciement inattendu et brutal et qu’il y avait peut-être un rapport entre sa souffrance au travail et son grand mal être. « Que nenni », me dit le jeune maître de conférences. Sa fragilité vient de ses parents.

Des pans entiers de l’université se vident d’une réflexion et d’une pratique de progrès, matérialistes. D’innombrables lieux de la mémoire ouvrière, ou simplement militante disparaissent. Pensons à la Maison de la Mutualité, la « Mutu » de ma jeunesse où Léo Ferré se produisit 100 fois et où même les socialistes tinrent congrès et colloques. Elle est administrée par l’opérateur privé (lyonnais) GL Events, qui fut bien doux pour le futur banquier éborgneur lors de la campagne présidentielle car il lui accorda de substantielles remises jugées “ acceptables ” par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (mais oui, bien sûr, où avais-je la tête ?). Avant cela, Valérie Pécresse, François Fillon y avaient battu l’estrade. Tout comme Nicolas Sarkozy qui y avait prononcé son discours après l’élection de 2012. Bref, la « Mutu » est passée entre les mains du patronat.

Bernard GENSANE

 
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