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A La Réunion, l’essor du transport public entravé par Transdev et ses émissaires
Martin MASSON

Sous la houlette de son président de région Didier Robert, La Réunion poursuit depuis une dizaine d’années une politique de développement de son réseau routier, au détriment de celui des transports publics. Un non-sens économique et écologique qu’entendait en partie corriger la création du Système de Transport Intelligent pour la Réunion (STIR). Las, si un appel d’offres a bien été effectué, et si une entreprise a été désignée, en 2017, pour débuter les travaux (IXXI - Parkeon, une filiale de la RATP), le projet est depuis victime d’un intense lobby porté par le tout puissant Transdev, opérateur monopolistique sur l’île.

La Réunion en quête de transports publics performants

En déficit de transports publics, La Réunion prévoyait de combler ce manque via la création d’un ambitieux tram-train. Défendu par l’ancien numéro 1 de la gauche réunionnaise Paul Vergès, président de région de 1998 à 2010, ce projet n’a pourtant jamais dépassé le stade de... projet : sitôt arrivé aux manettes, Didier Robert l’enterre. L’homme politique de droite lui préfère la création d’une « nouvelle route du littoral », chantier pharaonique de route à deux fois trois voies dont la moitié des 12,5 kilomètres sera construite sur pilotis et qui devrait, à terme, se chiffrer à près de 3 milliards d’euros (contre 2 milliards prévus initialement).

Qualifié d’« immense gâchis environnemental » par le président de France Nature Environnement, extrêmement coûteux, le projet est par ailleurs confronté à un certain nombre de difficultés techniques qui ne cessent d’en différer l’inauguration. Autant de gages d’impopularité qui invitent Didier Robert à réinvestir le terrain, délaissé, des transports publics, pour faire montre de sa volonté de proposer des alternatives au « tout bagnole ». Via deux projets phares.

En août 2018, la région vote ainsi la création d’un nouveau tramway baptisé Ecorail, dont le premier tronçon reliera sur 9,1 km les villes de Sainte-Marie et Saint-Denis. L’inauguration de ce trajet, bien moins ambitieux que le tram-train de plus de 40 km initialement prévu, devrait avoir lieu entre 2022 et 2024. Surtout, en 2015, le Syndicat Mixte des Transports de La Réunion (SMTR), piloté par Alix Galbois, se prononce en faveur de la création d’un Système de Transport Intelligent pour la Réunion (STIR), incluant une solution de billettique unifiée, un système d’aide à l’exploitation des réseaux et à l’information des voyageurs et un système d’informations multimodales. 4 ans plus tard, si le chantier a, entretemps, été attribué à IXXI - Parkeon, filiale de la RATP, par une commission d’appel d’offres, le SMTR freine des quatre fers et le STIR peine à voir le jour.

Transdev, « l’origine du mal » ?

Pour expliquer ces difficultés, il n’est pas inutile de s’intéresser à la structuration actuelle des transports publics sur l’île. Composé de six entités dépendant d’autant de communautés intercommunales (la Cinor, le TCO, la Civis, la Cirest, la Région, la Casud), le réseau d’autobus est historiquement infiltré par Transdev, implanté à La Réunion depuis 1984 et détenant « le monopole de la gestion billettique de presque tous les réseaux des cars réunionnais », selon le Journal de l’Ile de la Réunion (JIR). Transdev ? L’un des leaders mondiaux de la mobilité, filiale de la Caisse des dépôts et consignations (66 %) et de l’Allemand Rethmann (34 %), employant quelque 82 mille personnes dans le monde.

Non content d’avoir fait main basse sur la billettique de l’île, Transdev serait, toujours selon le JIR, actionnaire minoritaire de presque toutes les sociétés d’économie mixte (SEM) de transport de La Réunion. Une omniprésence qui rapporte : le JIR croit savoir que le seul réseau de bus Sodiparc, géré par la Sinor, génère un chiffre d’affaires de 600 000 euros par an.

L’hégémonie réunionnaise de Transdev ne doit rien au hasard : grand manitou du transport local, Bernard Stumpf est celui à qui l’on doit la mise en place des SEM transport sur l’île. L’homme est par ailleurs un ancien de... Transdev, ex-administrateur de Sodiparc. Solidement implantée, Transdev n’a, on s’en doute, pas bien accueilli la nouvelle de l’arrivée, via le STIR, de IXXI – Parkeon sur ses terres, et activerait tous ses relais locaux pour faire capoter le projet. La société franco-allemande serait ainsi, pour le JIR, à « l’origine du mal » qui ronge les transports publics réunionnais depuis des décennies.

Les émissaires zélés de Transdev

Pour s’assurer la fidélité de ses agents d’influence, qu’ils soient élus, cadres dirigeants des SEM ou membres de la SMTR, Transdev n’hésiterait pas à multiplier les largesses. Conseillère municipale de la Possession, Françoise Lambert aurait ainsi profité de voyages internationaux tous frais payés (dont un Porto-Dublin) organisés par Trans-cité, fondation du groupe Transdev-Réunion. Transdev aurait par ailleurs embauché l’une des filles d’Albert Perianayagom, président de la Semittel, réseau de bus appartenant à la Casud – son autre fille étant, comme de juste, DRH chez Semittel.

Au nombre des soutiens indéfectibles de Transdev se trouve aussi Fabienne Couapel-Sauret, conseillère régionale en charge des Transports et numéro 2 de la SMTR. Excusez du peu. Défavorable, comme elle le répète à l’envi, « à la situation monopolistique de Transdev Services Réunion dans le secteur des transports et déplacements à La Réunion », l’ex-avocate n’en mène pas moins une croisade contre le projet STIR, qui permettrait de facto de briser ce monopole, et apporterait une certaine transparence dans la gestion des trafics et des recettes liées aux transports.

Comment Fabienne Couapel-Sauret justifie-t-elle cette opposition au STIR et, partant, à Alix Galbois, plaçant ce dernier et la SMTR dans une posture délicate ? Dans un droit de réponse adressé au JIR, l’élue affirme tenir à disposition des journalistes les courriers ayant « conduit à l’unanimité les élus du SMTR à déclarer sans suite les marchés attribués à IXXI, contre l’avis de l’actuel président du SMTR et ce pour éviter la mise en œuvre d’un système de billettique dont la technologie et le coût ne correspondent plus aux besoins de La Réunion ». Autant d’élus qui, selon le JIR, « ne cessent d’emmerder (Alix Galbois) parce qu’ils veulent lui piquer la place ». Une accusation à laquelle Madame Couapel-Sauret ne se donne, curieusement, pas la peine de répondre.

Le coût du projet, donc, justifierait selon elle le rétropédalage des membres du SMTR sur le dossier STIR. Etonnant, sachant que le développement du STIR doit en partie être pris en charge par le Fonds d’étude et d’Aide au Secteur Privé (FASEP), instrument de don de l’aide-projet des ministères économiques et financiers. Surtout, un audit remis au SMTR durant l’appel d’offres montre que le STIR est, des projets présentés, le moins coûteux.

Dans son entreprise de démolissage du STIR, du SMRT et d’Alix Galbois, Fabienne Couapel-Sauret peut compter sur des alliés de poids. Ainsi de Patrick Labia, qui s’est fendu d’un commentaire sous l’article au vitriol du JRI. Regrettant un « article à charge », il doute qu’un « système billettique unique relevant de l’évanescent SMRT et géré par une filiale de la RATP [change] la donne du transport public à la Réunion ». Pourquoi doute-t-il de la capacité de IXXI – Parkeon, responsable de la billettique de Paris, soit l’un des plus gros réseaux du monde, à relever ce défi ? On n’en saura pas plus.

Patrick Labia, dans la suite de son commentaire, se félicite du « dispositif actuel », qu’il juge « plutôt de bonne qualité si on le compare à ce qui existe par ailleurs dans les DOM. » Comment expliquer que ses vues sur le secteur du transport réunionnais s’alignent en tout point avec les intérêts de Transdev ? On s’en fera une idée en apprenant que Patrick Labia, ancien haut fonctionnaire du ministère des Transports, est un « ami » de Transdev et intime de Bernard Stumpf, et qu’il a par ailleurs conseillé Fabienne Couapel-Sauret sur ce dossier. Patrick Labia est enfin l’auteur d’un avis technique, à l’usage des services de l’Etat (Préfet), sur l’opportunité du projet STIR. Avis qui, on l’aura compris, dézingue le STIR dans les grandes largeurs.

Les Réunionnais pris en otage

« L’île intense » a été le théâtre de manifestations de gilets jaunes particulièrement soutenues. Une crise née des difficultés quotidiennes graves rencontrées par les Réunionnais, difficultés en partie dues à l’absence de systèmes de transports collectifs performants, contraignant les habitants à faire un usage immodéré de leurs voitures, avec les coûts que cela suppose. En paralysant le projet STIR, Transdev et ses émissaires, en plus de renvoyer du monde politique local l’image d’un panier de crabes où tous les coups sont permis, font perdurer cet état de fait.

Les premières victimes de ces manœuvres sont, encore une fois, les Réunionnais.

 
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