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Onfray, lard et cochon ? (Chronique d’un intello précaire perdu dans la tourmente néolibérale)
Philippe NADOUCE

Pour une énième fois, on me demande ce que je pense de Michel Onfray. « Facile ! » je réponds. On me regarde alors, ébaubi. Comment ? Par quel prodige serais-je capable de résoudre cette énigme ? Car c’en est une ! Cet homme divise les familles, l‘ensemble de la gauche, la petite bourgeoisie, les bobos, la mer rouge, les médias ; en bref : la so-cié-té ! C’est le Brexit de la matière grise, la pierre philosophale de la division !

Onfray l’anarchiste

Les plus attentifs ont cependant retenu une chose : c’est un anarchiste.

Commençons par-là. Les anarchistes sont une très grande famille de pensée qui, sur le spectre politique, se situe à gauche. Ils furent historiquement les ennemis jurés des jacobins, des girondins (quoi qu’en dise l’intéressé), de la bourgeoisie, des léninistes, des stalinistes, des fascistes, des nazis, des colonialistes et des démocraties occidentales. Tout ce beau monde s’est toujours allié contre eux dans le but de les liquider. Et pour cause, ils préconisent l’abolition de l’État centralisé et de sa violence, des patrons et du capital et prônent l’autogestion, une forme extrême de démocratie horizontale au sein de laquelle la liberté et l’égalité seraient enfin une osmose.

Onfray et l’anarchisme

Voilà, en gros, de quoi se réclamerait Michel Onfray. A voir votre grimace, on sent bien que ce n’est pas tout à fait ça. Voyons plutôt ce que l’homme retient de notre définition. Il est d’abord ouvertement athée. Nous n’avons pas mentionné l’athéisme car il a existé des groupes anarcho-syndicalistes qui croyaient en Dieu (si vous en doutez, allez consulter Chomsky). Oh, ils n’étaient pas nombreux mais ils ont existé.

Reconnaissez d’ailleurs que les personnes frottées d’anarchisme ont tendance à mettre sur un pied d’égalité, d’un côté, la religion en tant que pouvoir terrestre sans bien-fondé (c’est-à-dire dont l’existence et la violence sont illégitimes), et les croyances de chacun, de l’autre. Il se trouve que ces deux notions sont incompatibles. L’une est un pouvoir qu’il faut abattre car oppresseur et corrupteur (D’où le fameux « Ni Dieu ni Maître ») mais l’autre est un crédo personnel ; et, dans l’anarchisme, la liberté de penser ce que l’on veut est loi. En effet, tout ce qui peut favoriser l’émancipation et le développement des individus est sacré. Donc, rien n’empêche un anar d’être croyant si cela l’aide à se situer dans le monde. Michel Onfray se dit athée et islamophobe. Il faut cependant le taquiner un peu pour qu’il mentionne son rejet des autres religions, la chrétienne en particulier, mais cela ne vient pas toujours de soi. Il faut souvent lui arracher les mots de la bouche...

Onfray le fustigeur

Nous avons dit que les anarchistes se méfient des gauches organisées en partis dont les structures pyramidales oppressent et favorisent les tendances autoritaires, le culte de la personnalité, le copinage, le népotisme, la censure, voire l’autocensure. Pour eux, la France Insoumise, le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) et la nébuleuse d’extrême gauche « étatiste » leur rappellent qu’une dérive staliniste est toujours possible dès que l’on relâche l’attention.

Ici, l’anarchiste Michel Onfray s’en donne à cœur joie. Il est même impitoyable envers cette gauche ancrée dans le vingtième siècle. Poutou, Mélenchon et consorts sont des populistes, des comédiens au service du système ; ils représentent, tout autant que Macron, le « vieux monde » qu’ils disent vouloir détruire. Fidèles rouages du système, ils sont – concédons quelques variations chromatiques – à l’image d’un Tsipras et n’attendent qu’une chose, arriver au pouvoir pour trahir le peuple et s’en mettre plein les poches. La virulence du discours est telle que ses détracteurs, à gauche, ne peuvent qu’y opposer une critique sectaire qui les ridiculise, conforte Onfray dans ses dires et fait les délices de la droite et de l’extrême-droite. Dans les gazettes de l’extrême gauche, le philosophe est inévitablement un « réactionnaire », le porte-flingue de l’anticommunisme, le chien de garde de la classe dominante, un idéologue contre-révolutionnaire, etc.

Il est aussi sans pitié avec le macronisme. Un intellectuel indépendant ne se doit-il pas de mettre dos à dos ses ennemis ? Macron, « ce gamin [...] ce petit garçon qui vit ce qui est dit contre les Etats-Unis comme une offense personnelle », dit-il. Macron, vautré dans le néolibéralisme du modèle maastrichtien est aux ordres de Bruxelles et ne peut conduire la France que dans le mur. Une telle indépendance peut parfois écorner le portefeuille : France Culture (est-ce une coïncidence ?) vient de lui sucrer ses retransmissions de colloques.

Onfray nage-t-il en eau trouble ?

Plus d’une fois, des journaux bien-pensants de gauche ont voulu lui régler son compte. Comme si on leur avait demandé quelque chose. Mais le coup a foiré et ils se sont embourbés dans un psychologisme nauséabond. Avec Onfray, il faut rester sur le terrain politique. Maigre philosophe, piètre économiste, écrivain de talent, provocateur né ; c’est le premier intellectuel médiatique à avoir usé des idéaux libertaires pour faire du buzz et c’est tout naturellement qu’il déclare : "J’aime beaucoup le peuple, et pas beaucoup ceux qui le gouvernent, qu’ils soient de droite ou de gauche". Cela ne mange pas de pain quand on se déclare anar.

Le filon de la pensée libertaire est à ciel ouvert, intact et tombe à pic dans le ras le bol général des élites et de l’Europe allemande, de l’euro et des traités européens anti-démocratiques. Onfray, tire à boulets rouges, l’œil dans une meurtrière qui n’avait jamais été utilisée de la sorte et, pour l’instant, les ventes vont plutôt bien. Il racole sur tout le spectre politique, sans oublier les extrêmes mais il est à l’image du Bitcoin pour les non-initiés ; tout le monde connaît mais personne ne sait vraiment comment cela fonctionne, et surtout à quoi cela peut bien servir.

Mais comme disent les Espagnols « quand vous frappez l’eau, le poisson remonte à la surface ». Dans les filets du philosophe grouillent une myriade d’éperlans de la pensée ; des insatisfaits qui peinent à comprendre leur mal. Onfray est pour eux un baume qui n’engage à rien mais qui procure un semblant de caractère social. C’est un peu du Le Pen sans le vomi.

Onfray et le libertarianisme

Pour situer Onfray, il faut revenir à Macron et à sa révolution nationale. Ces deux-là incarnent en fait le même grain de ripolinage sur le vieux mur salpêtré du modèle français. Leur fond de commerce est le même « ni de droite ni de gauche ». Macron fait cela la tête dans le guidon avec le succès que l’on connaît. Onfray sur le mode funambule. Mais tous deux ont ramené leur camelote des États-Unis.

Là-bas, l’anarchisme n’est pas seulement de gauche. Ils ont aussi des types qui se disent « libertariens » (libertarians), des extrémistes qui se battent pour une société sans état (d’où leur nom) et qui revendiquent un individualisme ancré dans le capitalisme le plus jusqu’auboutisme. En somme, une pousse néofasciste à l’américaine qui n’a strictement rien à voir avec l’anarchisme. Leur haine de l’État, leur amour de la liberté, leur désir d’égalité, les font passer – et ils en jouent – pour ce qu’en réalité ils ne sont pas. En fait, ils veulent privatiser l’État ; la liberté est celle d’entreprendre au détriment de toutes les autres, et l’égalité est celle de la possibilité de réussite de chacun face aux marchés. Abject !

Sans être libertarien, Michel Onfray, est plus proche d’eux que des anars de toujours. Il en a fait une version française, plus chic et surtout plus critique. Il avance masqué pour des raisons économiques – les ventes sont juteuses – mais au-delà des gains, il faut savoir distinguer l’air du temps et l’opportunisme d’un grand communicant.

Nous reconnaissons que ses détracteurs ne sont pas toujours à côté de la plaque. Tous dénoncent sa médiatisation. Nous irons plus loin, nous parlerons de « Moixification ». Difficile d’oublier les yeux mouillés du petit réaque Moix sur ONPC, confessant son amour pour la poésie d’Onfray. Aplati devant le maître, il miaulait son adoration pour le grand homme. Toute trace de pensée trouble avait alors disparu du petit écran. La preuve par Moix était faite et vous seriez neuneus de l’oublier.

 
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